Pardon (cérémonie)

Pardon (cérémonie)
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Le pardon de saint Yves, à Tréguier

Un pardon est une forme de pèlerinage et une des manifestations les plus traditionnelles de la foi populaire en Bretagne. D'origine très ancienne, puisque probablement liés à l'évangélisation du pays par les moines celtes, dès le Ve siècle, ils s'apparentent aux « parades » de la Saint Patrick en Irlande ou à New York.

Sommaire

Le pardon typiquement religieux

Le pardon de Saint-Fiacre au Faouët (Morbihan)

Comme l'indique son nom, un pardon s'inscrit dans une démarche pénitentielle chrétienne : les catholiques se rendent en pèlerinage soit sur la tombe du saint, soit en un lieu qui lui est dédié, en raison d'une apparition, comme à Querrien, ou de la découverte plus ou moins miraculeuse d'une statue, comme à Sainte-Anne-d'Auray. Des paroisses, des mouvements ou des corporations s'y rendent en corps constitués, portant force bannières et croix de processions, toutes plus magnificentes et ouvragées les unes que les autres.

Bretonnes lors d'un pardon

Le déplacement jusqu'au lieu de rendez-vous, comme la procession, traduisent le désir de se mettre en marche pour obtenir du saint fêté, en offrant les fatigues du chemin (on y vient de fort loin, souvent à pied, parfois nu-pieds) qu'il intercède pour ses pèlerins. Ceci est à rapprocher de la conviction de foi chrétienne que la condition humaine sur cette terre est une pérégrination vers le Royaume du Ciel, Nouvelle Terre promise. Dans cette logique, les pèlerins sont invités à se confesser de leurs fautes aux prêtres présents, avant de participer à la messe, souvent suivie des vêpres solennelles. Une fois l'absolution accordée, il faut se réjouir et il n'est pas de vrai pardon sans dimension festive, qui peut prendre la forme d'une kermesse ou même d'une fête foraine.

Le président du pardon, souvent un ecclésiastique du haut rang, porte le nom de « pardonneur ». Lorsqu'il en existe, il portera pendant une partie de la procession les reliques vénérées. Cet honneur échoit, pendant le reste de la marche, à ceux qui en ont été jugés les plus dignes ou les plus symboliques des groupements représentés.

Cette description d'un pardon date de 1894 : « Tous les villages, en Bretagne, ont leurs pardons, et non point tous les villages seulement, mais toutes les chapelles, tous les oratoires et quelquefois jusqu'aux simples calvaires eux-mêmes. Le Braz raconte qu'en allant en voiture de Spézet à Châteaulin, il vit, sur le bord du canal, à l'endroit où la route franchit l'Aulne, une grande foule assemblée : « Que fait-là tout ce monde ? » demanda-t-il au conducteur. « C'est le pardon de Saint-Iguinou » lui répondit-on. il chercha des yeux la chapelle, il ne la vit pas. Il y avait seulement, en contre-bas du pré, une fontaine que voilaient de longues lianes pendantes et, un peu au-dessus, au flanc du coteau, dans une excavation naturelle en forme de niche, une antique statue sans âge, presque sans figure, un bâton dans la main, dans l'autre un bouquet de digitales fraîchement coupées. Nul emblème religieux, pas l'ombre d'un prêtre. Le recueillement cependant était profond. C'étaient les fidèles eux-mêmes qui officiaient... »[1].

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Les grands pardons

Émile Souvestre a fait, dans la première moitié du XIXe siècle, cette description synthétique des grands pardons :

« Les grands pardons durent au moins trois jours, et les paroisses voisines s'y rassemblent avec un empressement où la religion et l'amour du plaisir ont peut-être une part égale. La veille, on surcharge d'ornements les autels ; on revêt les Saints du costume du pays, on dépose à leurs pieds les offrandes qu'on peut leur faire et qu'on apporte sur un brancard entouré de rubans et de fleurs, précédé par le tambourin du village, au bruit ds cloches sonnées à toute volée, et des chants de joie de la multitude. Toutes les têtes se découvrent au passage de ces offrandes qui sont, tantôt du beurre ou des oeufs, tantôt des oiseaux, surtout des poules blanches. À l'issue des Vêpres, la procession sort de l'église avec ses bannières, ses croix et ses reliques, que portent sur des brancards, après en avoir acheté le droit, des hommes en bonnet blanc, en chemise de même couleur, ceints d'un ruban de couleur vive, et escortés de gardes costumés. Après les reliques, viennent les porteurs de bâtons coloriés, surmontés de divers Saints sculptés plus ou moins artistement, puis une multitude d'enfants avec des clochettes qu'ils agitent de toutes leurs forces. Quand la procession est arrivée à la croix du cimetière, le vieillard le plus vénérable prononce, au pied de la croix, la prière pour les morts et la rénovation des promesses du baptême. Après cette procession, des pauvres accourus à la fête font, moyennant un prix débattu, le tour de l'église à pied ou à genoux, en récitant le chapelet[2]. »

L'ivresse lors des pardons

Les beuveries lors d'un pardon breton
Pardon breton vers 1876 (dessin de Penguilly)

Charles Le Goffic analyse en 1897 ainsi la fréquence de l'ivresse lors des pardons : « Le caractère du pardon, c'est qu'il est d'abord une fête religieuse.On y vient par dévotion, pour se racheter d'un péché, quémander une grâce ou gagner des indulgences. La grand'messe, les vêpres, la procession, le salut et les visites au cimetière prennent les trois-quart de la journée ; le reste est pour l'eau-de-vie. Mais l'ivresse même a quelque chose de grave et de religieux chez ces hommes ; elle prolonge leur rêve intérieur et l'élargit jusqu'au mystère. Les soirs de "pardon", en Bretagne, sont aussi les soirs d'évocations et de rencontres surnaturelles. Dans l'alanguissement des premières ombres, sur cette terre baignée de tristesse, il se lève des talus et des landes une impalpable poussière d'âmes, les « anaon », les étranges revenants du passé. Leur murmure berce la démarche titubante des pèlerins ; ils l'entendent dans le bruit des feuilles et, machinalement leurs lèvres molles achèvent dans une éructation le Pater interrompu. Cet idéalisme orgiaque n'est pas ce qui étonne le moins les étrangers qui assistent à un "pardon". J'en ai vu qui détournaient la tête avec dégoût. Mais c'était les mêmes qui souriaient au passage de la procession à l'air de gravité recueillie dont ces pauvres gens accompagnaient la croix paroissiale. Comment auraient-ils pu distinguer entre l'ivresse ordinaire et l'espèce de trouble qui fermente, à certaines heures, dans ces cerveaux en mal d'infini ? »[3]

Laurent Tailhade a écrit : « Ici, la foi cohabite avec la pochardise. (...). Des groupes d'ivrognes étanconnés l'un à l'autre (...). Les voitures du pays : chars à bancs, jardinières, tape-culs, au triple galop de leurs bêtes chargées d'avoine, emportent vers le Pardon un chargement effroyable de chrétiens avinés »[4].

Les pardons, fête laïque

Mendiants bretons vers 1854 (dessin de Penguilly)
Bonimenteurs lors d'un pardon (dessin de 1935)

Les pardons sont aussi prétexte festif, lieu de rendez-vous des colporteurs, bonimenteurs, vendeurs de toutes sortes; les mendiants, les voleurs, les escrocs accourent de toute part, profitant de la forte concentration de foule provoquée par le pardon, qui s'étale parfois sur plusieurs jours, bien au-delà du jour du pardon proprement dit. Le pardon de Saint-Herbot durait trois jours.

Article détaillé : Pardon de Rumengol.

Le journal Ouest-Éclair écrit dans sa description du pardon de Saint-Herbot en 1906 : « Les tourezien-bleo ou "tondeurs de cheveux" ont fait une bonne récolte au pardon de Saint-Herbot. Les jeunes filles de Plonévez, de Collorec et de Plouyé affluaient dans leurs boutiques pour y troquer le voile naturel de leur tête contre quelque mouchoir ou foulard de couleur voyante ou autre menu colifichet »[5].

Principaux pardons

Certains d'entre eux se déroulent à l'occasion de fêtes religieuses, comme l'Assomption, le 15 août, par exemple à La Clarté en Perros-Guirec ou à l'abbaye du Relec en Plounéour-Ménez. Les pardons dédiés à la sainte mère de Dieu sont d'ailleurs les plus nombreux, suivis par ceux de sa propre mère, sainte Anne (Sainte-Anne-la-Palud, Sainte-Anne-d'Auray), patronne de la Bretagne. Cependant la plupart honorent des saints locaux en raison de leur capacité à soigner ou à protéger telle ou telle catégorie de personnes ou d'activités : pardon de saint Gildas, dit des chevaux, au début du mois de juin, dans le Trégor, ou de saint Guirec pour les filles à marier, pardon du saint patron de chaque paroisse, pardon de la mer pour les marins, etc.

Article détaillé : Sainte-Anne-la-Palud.

Le pardon de saint Yves, à Tréguier, honore, quant à lui, le patron de toutes les professions juridiques : son rayonnement est aujourd'hui international puisque des milliers de pèlerins, officiels ou anonymes, affluant de tous les pays du monde, processionnent avec humilité et ferveur de son tombeau, érigé dans la cathédrale, à la paroisse de son lieu de naissance, en tenues d'avocats, de magistrats, d'évêques, d'universitaires, de membres de confréries… ou en simples croyants.

Article détaillé : Tréguier.

Comme exemple de pardons singuliers, on peut citer le pardon au beurre de Spézet (autrefois se pratiquait la quête du beurre dans de nombreuses paroisses du centre de la Bretagne comme Langonnet ou Saint-Herbot où subsiste une "fête du beurre") ou le Pardon des motards à Porcaro

Les troménies de Locronan (la Grande Troménie) et de Landeleau sont caractérisés entre autres par des processions de longueur particulièrement importante. D'autres troménies comme celle de saint Goueznou à Gouesnou et de saint Thudon à Guipavas ou celle de saint Conogan dans la paroisse désormais disparue de Beuzit-Conogan étaient également très fréquentées.

Article détaillé : Landeleau.

L'exemple du pardon de Plougastel-Daoulas en 1897

Tancrède Martel fait en 1897 cette description du pardon de Plougastel-Daoulas:

« Sur la route, pas une âme. Tout le monde est à la procession. Devant un humble débit de cidre, deux enfants, gardiens de la maison, lutinent un gros chien. Cependant la sonnerie de cloches redouble. (...) Une longue file d'hommes, de femmes et d'enfants, un millier d'êtres ondulent entre les deux ornières, viennent à moi. Au-dessus des têtes, se montrent la croix de l'église paroissiale, les bannières des confréries. De loin cela rappelle à s'y méprendre les saisissants cortèges du Moyen Âge quand toute une ville allait, en un pèlerinage fameux, supplier le saint d'intercéder en faveur de la cité. (...). On ne m'a point trompé : les riches vêtements de fête, aux couleurs éclatantes, aux broderies originales et laborieusement ouvrées, passent sous mes yeux, comme la plus extraordinaire débauche de couleurs, le plus bariolé des rêves. (...) En tête, portant les plus belles bannières, ou tenant dévotement les glands et les cordonnets, marchent les anciens, les patriarches du village, groupe inoubliable et superbe. Vingt ou trente vieillards, presque tous octogénaires, et diont les cheveux flottants, telles les chevelures dénuées des aïeules, blanches comme l'argent ou la neige, cachent le dos et les épaules et ne s'arrêtent qu'au bragou-bras, ou large baie du pays. (...) Des costumes vénérables (...) assemblage exquis de vestes bleu de ciel ou brunes, de culottes bouffantes en velours rouge ou vert, de vastes chapeaux enjolivés de rubans noirs, d'épais ceinturons en cuir blanc, sur la large plaque desquels apparaît la croix, le double cœur ou la face d'un saint local (...) À ce fouillis surprenant de nuances masculines, vient bientôt s'ajouter celui des costumes de femmes : les jupes jaunes ou écarlates s'étageant sous l'ample robe de coupe surannée mais encore élégante ; les tabliers de laine ou de soie, les mouchoirs brodés en batiste ou en mousseline, et les blanches coiffes ornées de dentelles, et dont les barbes tombent sur les épaules, avec une incomparable majesté. (...) La cloche maintenant s'arrête. Avec un bruissement de chapelets et de crucifix de cuivre, un exquis bourdonnement de voix enfantines, la procession s'éloigne, dévale la lande et disparaît à l'horizon. Elle s'en va vers Roc'hquilliou et s'en reviendra par Roc'hquérézen. Elle fera ainsi le tour de la presqu'île et la ferveur de chaque hameau l'accompagnera de ses regards[6] »

Contes et légendes

  • Au pays des pardons publié en 1894 par Anatole Le Braz, récit de quatre pardons : Saint-Yves, le pardon des pauvres (Tréguier) ; Rumengol, le pardon des chanteurs (Rumengol) ; La Troménie de saint Ronan (Locronan), le pardon de la montagne ; Sainte-Anne de la Palude, le pardon de la mer (Sainte-Anne-la-Palud)[7].

Notes et références

  1. Charles Le Goffic, Journal Le Gaulois n° 5240 du 21 jillet 1894, consultable http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5288086/f2.r=Le+Faou.langFR
  2. Émile Souvestre, "Voyage dans le Finistère", cité par Mgr Paul Guérin, "Les petits Bollandistes : vies des saints. T. V", du 24 avril au 18 mai 1876, consultable http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k307355/f157.image.pagination.r=Rumengol.langFR
  3. Charles Le Goffic, Journal Le Gaulois n° 5240 du 21 juillet 1894, consultable http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5288086/f2.r=Le+Faou.langFR
  4. Laurent Tailhade, "le Pardon de Rumengol" dans "Plâtres et marbres", Athéna, Paris, 1922, consultable http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k37172d/f99.image.pagination.r=Rumengol.langFR
  5. Ouest-Éclair n°3382 du 12-06-1906, consultable http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6410976/f5.image.r=Herbot.langFR
  6. Le Figaro n°234 du 22 août 1897, consultable http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k2841136/f5.image.r=Kerhuon.langFR.
  7. Consultable http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k102818k

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