Papeterie Aussedat

Papeterie Aussedat

La famille Aussedat est une dynastie d'industriels savoyards. Sous la conduite successive de sept générations, elle a bâti pendant deux siècles, un groupe papetier français de premier plan, les Papeteries Aussedat.

Dans les années 1930, les Papeteries Aussedat et plus particulièrement la branche Callies de la famille sont amenées à prendre le contrôle de la Compagnie des Machines Bull, à l'époque où les machines de mécanographie fonctionnent avec des cartes perforées en papier. Elles dirigeront Bull pendant trois décennies, faisant du groupe français le quatrième mondial de son secteur et le deuxième fabricant d'ensembles électroniques. Cette aventure commune des deux entreprises, qui reste un exemple d'histoire française de succès industriel et financier à bénéfice mutuel, dure jusqu'à ce que Bull vive au début des années 1960 le grand virage de la mondialisation sous contrôle américain.

Les familles Aussedat et Callies sont par ailleurs alliées aux Michelin. On retrouve dans les entreprise Aussedat, Bull et Michelin des années 1930 à 1970 une même approche de culture d'entreprise.

Sommaire

Historique

Un moulin à papier était installé depuis le XVe siècle dans la localité de Cran-Gevrier proche d'Annecy, au confluent du Thiou et du Fier. À la fin du XVIIIe siècle, il est réduit à l'état de ruines, et c'est un peu en amont sur le Thiou qu'Augustin Aussedat, formé chez Montgolfier à Vidalon, et devenu en 1785 maître papetier à Saint-Alban-Leysse, près de Chambéry, fait édifier en 1806 un nouveau moulin pour son fils Alexis.

1785-1842 : Moulins à papier – Augustin et Alexis Aussedat

Augustin I Aussedat (1756-1825), fils de deux ouvriers papetiers d'origine auvergnate[1] travaillant chez Montgolfier, est né à Davezieux, près d'Annonay en Ardèche. Il est envoyé en 1785 par Augustin Montgolfier, son patron et parrain, prendre en gérance un moulin à papier à Saint- Alban Leysse, près de Chambéry. Il rachète ce moulin trois ans plus tard et devient maître papetier. Son fils aîné prend sa suite sur place, tandis qu'il établit ses deux autres fils à Faverges (rachat d'un moulin existant) et à Cran-Gevrier, près d'Annecy où il crée un nouveau moulin à proximité des ruines d'un ancien moulin disparu. Les deux moulins de Faverges et Saint Alban-Leysse, en difficulté financière, seront assez rapidement revendus.

Alexis Aussedat (1785-1838) s'installe donc à Cran-Gevrier, où il succède à son père en 1811. Il développe l'affaire, agrandissant le moulin et introduisant des piles hollandaises qui augmentent considérablement le rendement de la préparation de la pâte à papier. Mais il meurt prématurément à 53 ans laissant l'affaire à ses trois fils, Jean-Marie, Hippolyte et Alexandre. Hippolyte se retire le premier, dès 1841. L'année suivante, les deux autres frères associés concrétisent un projet rêvé depuis quelques années par leur père : l'installation d'une première machine à papier en continu, puis d'une seconde. Le moulin à papier est devenu une papeterie industrielle.

1846-1904 : L'industrialisation - Jean-Marie I et II Aussedat, Eugène et Albert Crolard

Alexandre se retire à son tour en 1846, mais travaille à la mise au point d'un procédé de fabrication de pâte à papier à partir de bois selon une méthode dite semi-chimique, procédé qui est encore décrit dans les ouvrages d'histoire de la fabrication du papier en France. Il construira une usine à Chevênes, quartier de Cran Gevrier un peu en amont sur le Thiou, pour produire de la pâte à papier et du carton. Cette activité, poursuivie par son fils Eugène Aussedat et sa petite fille Clara Mercier, sera définitivement stoppée par un incendie qui détruit intégralement l'usine en 1929.

Jean-Marie I Aussedat (1814-1867), le fils aîné d'Alexis, reprend donc seul l'affaire vers 1850. Avec l'aide efficace de sa femme et cousine, Augustine Basin, il donne une nouvelle accélération au développement. En 1860, ils doivent faire face au changement complet de marché induit par le rattachement de la Savoie à la France. Ils embauchent un directeur, Eugène Crolard qui va mettre en place un réseau commercial efficace, avec l'ouverture d'un dépôt à Paris (jusque là, la zone de vente était la Savoie et le Piémont). Comme son père, Jean-Marie I Aussedat meurt prématurément à 53 ans et c'est sa femme qui prend les rênes de l'entreprise pendant 43 ans, assistée par Eugène Crolard, puis son fils Albert Crolard (qui épouse Marguerite dernière fille de Jean-Marie et Augustine), et par son fils Jean-Marie II Aussedat (1848-1903). Pendant toute cette période, l'entreprise prend le nom de « Papeterie Veuve Aussedat ».

Ce trio de Direction Générale va encore accélérer le développement et la modernisation de l'entreprise :

  • usine de pâte à papier à partir de bois (1881)
  • nouvelle machine à papier en continu (1883)
  • Électrification par dynamo (1885). C’est une des toutes premières en France. La papeterie sera même fournisseur d’électricité au début des années 1900 pour le compte des Forces du Fier (Société d’électricité qui fut absorbée par EDF en 1947).
  • Divers immeubles de production ou d’entrepôt
  • Canalisation amenant l’eau du lac directement à l’usine (1898-1900)
  • 21 turbines pour augmenter le rendement de la chute d'eau du Thiou
  • Ouverture d'un nouveau dépôt à Paris

Augustine Basin-Aussedat se révèle une financière de haut niveau, investissant et faisant investir ses proches dans toutes sortes de projets de développement de la région, menant une activité de banquière des notables, des communes, des PME de Savoie et Haute Savoie. Elle va jusqu'à organiser la création en 1891 de la Banque Commerciale d'Annecy, dont elle est, avec ses enfants, le principal actionnaire, et qui deviendra la Banque Laydernier. Ces placements bien gérés permettront d'alimenter les besoins en augmentation de capital de la Papeterie.

1904-1930 : Les grands travaux – Jacques Callies, Joseph Aussedat

Après 1904, la Direction de la papeterie est assumée par Jacques Callies (1859-1925), succédant comme Président à son beau-frère Jean-Marie II Aussedat, Albert Crolard, et Joseph Aussedat, fils aîné de Jean-Marie II, avec toujours une supervision active d'Augustine Basin-Aussedat jusqu'à sa mort en 1909. En 1910, Albert Crolard devient député de Haute-Savoie et se retire. Il reviendra quelques années comme Président de la papeterie après 1925 mais la maladie l'empêchera de poursuivre son mandat. C'est Louis Aussedat (1877-1935), autre fils de Jean-Marie II, Directeur Général des Forces du Fier, qui prend la Présidence de 1928 à 1935.

À partir de 1912, une nouvelle génération est entrée en scène : trois des fils de Jacques Callies, deux fils de Jean-Marie II Aussedat, Joseph Directeur de l'usine jusqu'à 1932, et Maurice Aussedat (1889-1974) qui assiste son oncle Jacques Callies au dépôt de Paris dont il reprend la Direction après le décès de ce dernier en 1925.

En 1915, installation d'une nouvelle grande machine à papier (dite N°3), puis dans les années 1920, toute une série d'investissements :

  • une nouvelle chaufferie à l'anthracite pulvérisée de Tarentaise (1924)  ;
  • nouvelle villa de fonction pour l'administrateur délégué, directeur de l'Usine (1924) ;
  • embranchement du chemin de fer, avec pont-bascule (1923-1924) ;
  • un magasin de produits finis le long de cet embranchement (1924) ;
  • un pont en béton au-dessus du Thiou pour relier la nouvelle usine de cellulose et l'embranchement de chemin de fer aux anciens bâtiments de la rive droite (1923) ;
  • modernisation permanente des machines N°2 et N°3 (la machine 1 avait été démontée et revendue d'occasion en 1922) ;
  • allongement de la machine N°2 et du bâtiment correspondant (1929-1930) ;
  • création d'un nouveau dépôt à Lyon (1929-1930) ;
  • création d'un nouveau dépôt à la Plaine-Saint-Denis (1930-1932) (ce dépôt fut partiellement bombardé en 1944 et reconstruit en plus grand après la seconde guerre mondiale) ;
  • installation de la fabrication des cartes perforées dans ce dépôt (1932-1936) ;
  • création d'une nouvelle usine de production de cellulose à partir de paille sur la rive gauche du Thiou (1922-1924).

La Papeterie Aussedat a alors acquis de solides positions dans le papier haut de gamme pour l'édition, les papiers pour impression de cartes géographiques (carte d'état-major, carte Michelin), et diverses autres spécialités.

1930-1970 : La grande aventure de la carte perforée - Jean et Pierre Callies, Maurice Aussedat

Dans les années 1930, l'entreprise prend un tournant stratégique original en misant à fond sur la carte perforée, pour les machines à statistiques de la Compagnie des Machines Bull qui faisaient leur apparition sur le marché français. Cette activité oblige rapidement la Papeterie Aussedat à prendre une participation puis le contrôle majoritaire de ce constructeur de machines mécanographiques. La rapide croissance de cette activité après la Seconde Guerre mondiale, et un accord de fourniture à IBM, amènent l'entreprise à investir successivement dans deux nouvelles machines de grande dimension en 1954 et 1959 (machines 4 et 5), construisant un nouvel édifice de grande dimension pour les héberger.

Dans cette période, la présidence est assumée par Jean Callies (1886-1961), Directeur de l'usine Michelin de Clermont-Ferrand, tandis que son frère Pierre Callies (1887-1973) est Directeur Général, puis PDG, leur cousin Maurice Aussedat continuant à diriger depuis Paris les Services Commerciaux et la fabrication des cartes perforées.

En 1964, la Compagnie des Machines Bull en difficulté est reprise par General Electric. La Papeterie Aussedat se retire du capital, mais reste encore pendant une dizaine d'années le leader européen de la carte perforée. C'est à partir de 1970 que cette activité commence à décliner, la carte étant remplacée par la bande magnétique, la disquette, puis la saisie directe sur écran ou sur PC.

1963-1988 : Le passage à la taille européenne - François Paturle, Jacques Calloud

En 1963, François Paturle, neveu des dirigeants précédents, succède à Pierre Callies comme PDG. L'usine de Cran Gevrier est totalement saturée par les besoins de fabrication de papier pour cartes perforées. L'accord de fourniture à IBM Europe , signé en 1962, se traduit en effet par un plus que doublement des volumes à fabriquer. Il faut acquérir une autre usine pour y transférer les autres spécialités. Le choix se porte sur la papeterie de Pont-de-Claix, dans la banlieue de Grenoble. La société prend le nom d'Aussedat-Pont-de-Claix. Mais la croissance se poursuivant, et les perspectives ouvertes par le marché commun se précisant, il faut procéder à une nouvelle acquisition d'envergure pour acquérir une taille européenne. C'est la fusion avec le groupe PCC Rey (Produits Chimiques et Cellulose Rey). Les deux entreprises sont de taille et de culture comparable, et la fusion est bien acceptée. Mais l'année suivante, le Gouvernement fait pression sur la nouvelle Société Aussedat-Rey pour reprendre les Papeteries de France, gros ensemble en forte difficulté financière. Cette digestion d'une société affaiblie s'avèrera difficile dans une époque où le marché du papier est déprimé, avec de nouveaux circuits mondiaux. Malgré tout, le groupe Aussedat Rey est arrivé ainsi à figurer dans les 50 premières entreprises privées françaises, et en 3e position de la filière bois-papier, devenu le numéro 1 français entre autres pour les papiers d'édition, les papiers et cartons couchés, le papier pour reprographie.

Plusieurs membres de la famille fondatrice sont alors encore dans l'entreprise : Marc Aussedat, directeur général, Henri Dauplais, secrétaire général, Robert Brouard à la tête d'une division, René Crolard, directeur du laboratoire, Michel Rollier, directeur financier. Ce dernier ralliera le groupe Michelin où il succèdera à Édouard Michelin comme gérant en 2006.

En 1975, Jacques Calloud, dirigeant du Groupe Rey avant la fusion, succède à François Paturle. Une réorganisation profonde répond aux nouveaux besoins d'une activité mondialisée et à une forte crise du secteur.

1988-2006 : L'intégration dans International Paper et la dispersion partielle

La structure d'actionnariat très dispersé et les besoins en financement rendent l'entreprise facilement opéable. En 1988, le groupe Aussedat Rey est racheté par le numéro 1 mondial, l'américain International Paper.

L'usine historique de Cran Gevrier, condamnée par le repreneur, est revendue en 1996 à ses dirigeants, et poursuit sous le nom de Papeterie de Cran jusqu'en juin 2006 une activité de plus en plus difficile à rentabiliser. Au moment de sa fermeture définitive en juin 2006, elle employait environ 170 personnes.

La majeure partie des anciens actifs d'Aussedat Rey (usines, réseau de distribution) ont poursuivi par ailleurs leur activité, disséminés à l'intérieur de l'organisation International Paper, qui en a cependant progressivement fermé une partie et revendu d'autres parties à divers autres grands groupes industriels mondiaux dans la filière papier ou dans la filière bois et cellulose.

L'histoire commune de Bull et de la Papeterie Aussedat (1931-1964)

Fin 1930, le conseil d'administration de la Papeterie Aussedat, composé de représentants des 3 branches familiales Aussedat, Callies et Crolard, est avisé du prochain transfert à Paris d'une entreprise suisse de machines à statistiques, la société Egli-Bull. Décision est prise d'investir massivement pour prendre une place forte comme fournisseur de cartes perforées, spécialité qui semble très prometteuse. L'investissement passe par une prise de participation dans Egli-Bull qui manque de capitaux pour se développer. En 1933, Egli-Bull devient Compagnie des Machines Bull.

En 1936, la Papeterie Aussedat décide de prendre le contrôle majoritaire de la Compagnie des Machines Bull, notamment à travers ses actionnaires familiaux Callies. En effet, une tentative de rachat de Bull par IBM risque de se traduire par une disparition pure et simple du jeune constructeur français et par un tarissement de l'activité des cartes perforées, IBM imposant ses propres cartes à ses clients et disposant déjà de ses propres sources de fournisseurs.

Deux des fils de l'ancien Président Jacques Callies, Jacques Callies et Joseph Callies, se succèderont comme PDG de la Compagnie des Machines Bull entre 1936 et 1964, tandis que leurs frères Jean et Pierre sont respectivement Président et Directeur Général (puis PDG) de la Papeterie Aussedat. Jean est également directeur de l'usine Michelin de Clermont-Ferrand. Trois des frères et sœurs Callies ont en effet épousé trois des enfants d'Édouard Michelin. Ce dernier jouera un rôle de conseil auprès de ses gendres lors de l'acquisition de la majorité de la Compagnie des Machines Bull en 1936.

Et pendant près de 30 ans, la Papeterie et le constructeur de machines mécanographiques vont connaître ensemble un développement soutenu, surtout après la Seconde Guerre mondiale, lorsque le marché de la mécanographie (ancêtre de l'informatique) s'envole, entraînant dans son sillage celui de la carte perforée.

Plusieurs représentants de la famille et la Papeterie Aussedat elle-même (représentée par son Administrateur délégué Maurice Aussedat, cousin des frères Callies), siègent majoritairement au Conseil d'Administration de Bull. Celui-ci assure les conditions d'un financement régulier de la croissance de l'entreprise et favorise l'émergence d'une forte culture d'entreprise, inspirée des réflexions et pratiques du catholicisme social adaptées au monde de la haute technologie. Ce catholicisme social, les Aussedat et Callies y avaient été sensibilisés, comme beaucoup de dirigeants de l'époque, dans les collèges de jésuites. Bien que chez Bull le personnel ait plutôt utilisé le terme « esprit Michelin », c'est plus directement de la Papeterie Aussedat, où ils avaient tous effectué le début de leur carrière, qu'ils s'inspiraient. Ultérieurement, on utilisera dédaigneusement le terme de « paternalisme » pour désigner cette forme de protection sociale qui, une fois nationalisée, s'apparentera de plus en plus à du « maternalisme ».

Dans les années 1960, Bull a atteint une taille critique qui ne peut plus être financée par le seul actionnariat national (familial et bourse), d'autant plus qu'il faut investir massivement dans la nouvelle génération de machines qui prennent pour la première fois le nom d'ordinateurs. Une tentative de rapprochement avec des capitaux américains est contrée par le Gouvernement français qui tente de monter une solution purement française. Finalement, Bull passe en 1964 sous contrôle de General Electric et la Papeterie Aussedat se retire du conseil d'administration et du dispositif de direction.

Notes et références

  1. Des recherches très précises menées en 2008 par des membres du Cercle Généalogique et Héraldique d'Auvergne et du Velay permettent de remonter à de nombreuses générations de compagnons papetiers Ossedat exerçant au moins depuis le début du XVIIème siècle à proximité d'Ambert, dans le Puy de Dôme. Voir LES AUSSEDAT, PAPETIERS DEPUIS LE XVIIe SIÈCLE, à la recherche de leurs ancêtres auvergnats, texte d'Alain Aussedat

Annexes

Bibliographie

  • Papiers de Famille, d'Aussedat Rey à International Paper. Livre publié en 1998 par la Direction de la Communication d'Aussedat Rey.

Articles connexes

Liens externes

Les sources citées sont les deux tomes du livre de François Paturle Les Aussedat Papetiers depuis le XVIIe siècle. François Paturle fut PDG des Papeteries Aussedat, Aussededat-Pont-de Claix et Aussedat Rey de 1963 à 1975. Le 1er tome de son livre, très documenté, est paru en 1983 et porte sur la période du XVIIe siècle jusqu'à 1924. Le second tome est resté à l'état de projet bien avancé, du fait de la maladie et du décès de l'auteur. Les textes intégraux de ces deux tomes et de nombreux documents annexes sont disponibles sur internet.


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Contenu soumis à la licence CC-BY-SA. Source : Article Papeterie Aussedat de Wikipédia en français (auteurs)

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