Negre

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Nègre

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Sur cette affiche en anglais provenant de Londres vers 1844, on peut lire le terme de « Negro Melodies »

Nègre est un substantif masculin (négresse au féminin) et un adjectif, désignant aujourd'hui de façon péjorative les Noirs, spécifiquement originaire d'Afrique subsaharienne.

Le substantif, dans les pays francophones, dérive du portugais nero ou de l'espagnol negro (noir). Le terme ibérique est à l'origine descriptif, mais acquiert en français l'idée d'une population inférieure et vouée à l'esclavage.

Des chercheurs l'utilisent rapidement pour désigner les populations africaines ou d'origine africaine : (Carl von Linné, Buffon ou Blumenbach); ils considèrent les « nègres » comme une variante particulière de l'espèce humaine[1]. Buffon considère ainsi que les variétés humaines sont issues d'une souche initiale qui s'est adaptée selon les milieux habités, et qu'après plusieurs générations, un groupe d'hommes blancs dans un environnement particulier deviendrait noir. « À la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècle, cependant, un nombre croissant d’auteurs, surtout parmi les partisans de l’esclavage, affirment que les races constituent autant d’espèces distinctes[1] ». Le mot « nègre » devient ainsi le marqueur de théories scientifiques cautionnant l'esclavage en faisant des « nègres » des populations inférieures du point de vue d'un "droit naturel".

L'adjectif « nègre » sera aussi utilisé aussi au XXe siècle comme terme regroupant l'ensemble des populations africaines ou d'origine africaine, et retrouvera alors sa qualité purement descriptive de la spécificité d'une culture parmi d'autres : Picasso parlera alors de l'art nègre, et s'en inspirera. Une évolution similaire s'est produite aux États-Unis avec la version anglophone du mot : negro, descriptif, opposé à nigger, péjoratif.

Le poète et homme politique martiniquais Aimé Césaire a forgé le mot négritude[2]. Parmi les « quelques autres » se trouvent Léopold Sédar Senghor qui a beaucoup promu le terme, et Ebénézer Njoh-Mouellé qui en fait une lecture bien plus critique, lui reprochant de masquer par des spécificités mineures l'universalité des aspirations culturelles humaines.

Sommaire

Étymologie

Le mot « nègre » arrive dans la langue française en 1516, de l’espagnol ou du portugais : le mot est dérivé du latin niger, « noir ». Le mot negro en espagnol signifie également « noir ». Le mot « Nègre » est rare en français avant le XVIIIe siècle. Il s'impose au XVIIIe siècle avec le développement de la traite des Noirs — et comme un mot scientifique à travers les théories raciales de Voltaire, Hume, Kant ou Cuvier.[réf. nécessaire]

Le terme anglais nigger, péjoratif, a été emprunté au français et a donné lieu à de nombreuses variantes (negar, neegar, nigga, neger ou encore niggor).

Origine

La Géographie vivante d’Onésime Reclus, cours préparatoire et CM1 en 1926

Le terme « nègre » apparaît au XVIe siècle et désigne une personne à la peau noire, dite mélanoderme et, de ce fait, plus particulièrement originaire d'Afrique sub-saharienne. Les Portugais ont été les premiers Européens à avoir déporté des noirs comme esclaves dans leurs propres pays, en 1442. Après la Reconquista, les Portugais ont chassé les occupants arabes et ont fait des prisonniers. Des Arabes ont alors proposé d’échanger ces prisonniers contre des esclaves.

Les Espagnols ont été les premiers Européens à déporter des Noirs comme esclaves, aux Amériques. Ils désignent alors les noirs par le mot negro, qui signifie « noir » en espagnol, comme l'illustre une scène du film Amistad. Le premier sens du mot « nègre » est donc celui d'« esclave noir » et est lié aux théories raciales subséquentes qui font des noirs, un peuple d’esclaves[réf. nécessaire]. En français, on désignait ces populations d’abord par le mot neir (1080) puis par le mot « noir ». L’emploi du mot « nègre » était cependant rare avant le XVIIIe siècle, ce qui montre bien le caractère spécifique de ce mot. Il apparait en effet comme un mot pseudo-scientifique, pour cautionner l´esclavage.

Avant l'esclavage, on désignait également les personnes mélanodermes comme des « maures », même si tous les maures ne sont pas noirs. Le terme « nègre » a diverses variantes : « négro », « négrillon », etc. Le mot nègre a aussi été utilisé dans des théories raciales concernant la colonisation de l’Afrique. Adolf Hitler aussi utilise ce terme pour référence au noir : ainsi, dans son livre Mein Kampf, il désigne la France comme un pays de nègres (il a été frappé par l'occupation de la Rhénanie par les troupes coloniales françaises, perçue comme une "humiliation").

Avec l'évolution des politiques et des mentalités en Europe, le mot a été remplacé par « Noir », avec une majuscule éventuelle quand on souhaite insister sur l'idée de peuple (vers 1960). Les expressions politiquement correctes telle que « personne de couleur » ou, dans le langage familier, l'anglicisme « black », sont devenues courantes.

En Haïti, qui fut la première République noire au monde et qui fut fondée par des esclaves évadés (les marrons), le mot créole Nèg désigne encore aujourd'hui un « gars », indépendamment de la couleur de sa peau.

Article « Nègre » du Dictionnaire de Trévoux , édition du 13 août 1732

« « Nègre : Nom propre de peuple, habitant, originaire de la Nigritie, Aethiops, Niger, Nigra, Nigrita. Le nom de Nègre n’est pas aujourd’hui synonyme d’Éthiopien, comme il le pourrait être en parlant de l’Antiquité. L’Éthiopie ne s’étend pas autant que la Nigritie. Nous n’appelons Éthiopiens que les peuples qui sont au midi de l’Égypte et au levant des Nègres. Les Nègres vendent aux Espagnols, aux Portugais et aux Hollandais, non seulement ceux de leurs voisins qu’ils peuvent attraper, mais quelquefois leurs propres femmes et leurs enfants. Ils sont noirs, mais davantage vers le midi du Niger que vers le nord ; ils passent pour robustes, mais ignorants, lâches, et paressseux, et moins farouches que les peuples de la Barbarie, du Bidulgérid et du Zaara. La plupart suivent le mahométisme, les autres sont païens ; il y en a même qui n’ont presque aucun sentiment de religion. Au Pérou, il est expressément défendu aux Noirs et aux Négresses d’avoir aucune communication personnelle avec les Indiens et les Indiennes, sous peine aux mâles d’être mutilés des parties naturelles ; et aux Négresses d’être rigoureusement fustigées. » »

[3]

Article « Nègre » du Grand Dictionnaire Universel du XIXe siècle, Larousse de 1872

« C’est en vain que quelques philanthropes ont essayé de prouver que l’espèce nègre est aussi intelligente que l’espèce blanche. Quelques rares exemples ne suffisent point à prouver l’existence chez eux de grandes capacités intellectuelles. Un fait incontestable et qui domine tous les autres, c’est qu’ils ont le cerveau plus rétréci, plus léger et moins volumineux que l’espèce blanche, et comme, dans toute la série animale, l’intelligence est en raison directe des dimensions du cerveau, du nombre et de la profondeur des circonvolutions, ce fait suffit pour prouver la supériorité de l’espèce blanche sur l’espèce noire. Mais cette supériorité intellectuelle, qui selon nous ne peut être révoquée en doute, donne-t-elle aux blancs le droit de réduire en esclavage la race inférieure ? Non, mille fois non. Si les nègres se rapprochent de certaines espèces animales, par leurs formes anatomiques, par leurs instincts grossiers, ils en diffèrent et se rapprochent des hommes blancs sous d’autres rapports et nous devons en tenir grand compte. Ils sont doués de la parole, et par la parole nous pouvons essayer de les élever jusqu’à nous, certains d’y réussir dans une certaine limite. Du reste, un fait physiologique que nous ne devons jamais oublier, c’est que leur race est susceptible de se mêler à la nôtre, signe sensible et frappant de notre commune nature. Leur infériorité intellectuelle, loin de nous conférer le droit d’abuser de leur faiblesse, nous impose le devoir de les aider et de les protéger.  »

— Pierre Larousse, Article Nègre, Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle (1872)

Le XXe siècle montrera par la suite que cette différence ethnocentrique (et non infériorité) n'a rien d'atavique et doit tout à des habitudes culturelles  : baignés dans un milieu occidental, nombre de noirs, en France comme aux Etats-Unis d'Amérique, feront de brillantes carrières politiques (Gaston Monnerville...) ou professionnelles (Philip Emeagwali...).

Revendications identitaires

Certains défenseurs des droits des Noirs ou de l'égalité entre les hommes ont tenté de donner un sens positif au mot « nègre », comme Voltaire dénonçant l'esclavage dans Candide.

Le terme dérivé négritude, forgé dans les années 30, s'emploie encore aujourd'hui dans un sens positif, désignant la perspective identitaire des intellectuels noirs francophones Léopold Sédar Senghor et Aimé Césaire.

Aux États-Unis, le nationaliste afro-américain Marcus Garvey crée aussi en 1917 la United Negro Improvement Association (UNIA, toujours en activité), en revendiquant le terme negro, équivalent anglophone du nègre français.

À compter de cette date, le terme devient ambigu : son ancienne connotation méprisante reste utilisée dans certains milieux, quand sa connotation positive l'emporte dans d'autres.[réf. nécessaire]

Du fait de son ambigüité, le terme « negro » (nègre) est finalement remplacé vers la fin du XXe siècle par « African American » aux États-Unis, et le mot « nègre » par « noir » (ou « Noir ») dans les pays francophones.[réf. nécessaire]

Autres sens

Le mot « nègre » dans son acception contemporaine est largement controversé dans les pays où il est utilisé pour désigner spécifiquement les individus à la peau noire. Dans les pays ayant été impliqués dans le commerce triangulaire, « nègre » conserve un sens péjoratif fort, qui renvoie à une image biaisée de la population africaine.

  • La pâtisserie chocolatée nommée « tête de nègre » a vu sa dénomination remplacée par « meringue au chocolat » ou « tête au choco » dans le commerce pour cette raison. Il existait en France autrefois (dans les années 1950) une friandise aujourd'hui disparue, plate, de forme ovale et d'environ deux cm de haut, en réglisse donc noire, présentant sur une de ses faces la tête stylisée d'un noir et appelée aussi « tête de nègre ». En bibliophilie la couleur d'un maroquin marron foncé est définie : maroquin "tête-de-nègre".
  • Certains américains aux origines africaines se sont appropriés le terme argotique pour en faire un mot d'auto-référence. Ainsi, la jeunesse afro-américaine emploie couramment le mot nigga dans un but distinctif et familier, celui-ci signifiant alors : mon vieux, mon pote, mon gars, mec, etc... Cependant, la majorité de la population désignée par le mot « nègre » a toujours refusé cette appellation, qualifiée de hautement raciste et déshumanisante. L'adjectif negro est parfaitement neutre aux États-Unis, le substantif nigger rassemblant la totalité du contenu péjoratif. On préfère néanmoins African American, sans trait d'union.[4]
  • Au XXe siècle, le courant littéraire de la négritude s'est réapproprié le mot, qui est utilisé sans connotation dans l'expression « art nègre ».
  • L'emploi du mot « nègre » pour désigner une personne qui écrit pour le compte d'une autre, sans être mentionnée, provient probablement d'une assimilation entre « nègre » et « esclave », attestée par des expressions comme « travailler comme un nègre ». Dans ce cas-là, le mot anglais est ghostwriter. Pour éviter que cette expression française soit mal perçue, l'utilisation des termes écrivain privé, ou écrivain sous-traitant, ou encore du terme anglais seraient alors préférables.
  • Cependant, à l'Ecole Polytechnique (et non à l'Ecole Spéciale Militaire de Saint -Cyr comme écrit précédemment par erreur) le mot nègre est utilisé depuis le XIXe siècle pour désigner au contraire le major, c’est-à-dire l'élève le plus brillant de la promotion. On connaît l'expression de Mac-Mahon : « C'est vous le nègre ? Eh bien, continuez ! » qu'il fit entendre lors de sa visite de cette école. Le mot s'était révélé gaffeur car ce major de promotion (Camille Mortenol) était par ailleurs lui-même mélanoderme ! L'expression est passée à la postérité avec la dose d'humour qui se doit.
  • Le mot « nègre » est également utilisé aujourd'hui, dans le monde du travail, pour désigner une personne contrainte à subir le pouvoir et l'autorité excessifs d'un « supérieur » hiérarchique, à l'instar des esclaves noirs soumis à l'autorité du trafiquant ou du colon.
  • L'expression « travailler comme un nègre », qui n'a pas vraiment de connotation raciste, fait référence à la contrainte et à l'exploitation sans limites d'un travailleur.
  • La couleur « tête-de-nègre » est une couleur marron foncé.

D'une façon générale, le mot s'emploie encore aujourd'hui dans des expressions consacrées ou dans le sens identitaire qui s'est développé au XXe siècle. Hors de ces usages et contextes spéciaux, les mots « nègre » et les variantes argotiques (négro, négrou) ont aujourd'hui une forte connotation raciste.

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Voir « nègre » sur le Wiktionnaire.

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Voir « negro » sur le Wiktionnaire.

Note

  1. a  et b Combattre le racisme, George M. Fredrickson, professeur d’histoire à l’Université de Stanford (Etats-Unis), auteur de The Comparative Imagination: on the History of Racism, Nationalism and Social Movements (University of California Press, 1997).
  2. « […] le mot Négritude […] c'est moi, avec la complicité de quelques autres, qui ai contribué à l'inventer et à le lancer. » Aimé Césaire Discours sur le colonialisme, suivi de Discours sur la Négritude Présence Africaine, juillet 2004 ISBN 2-7087-0531-8
  3. [1] Dictionnaire de Trévoux
  4. Voir à ce sujet en:Hyphenated American.

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