Nature d'un mot

Nature d'un mot

Nature (grammaire)

En grammaire, la nature d'un mot regroupe un ensemble d'emplois linguistiques apparentés, permettant des substitutions de nature syntaxique. On peut dire également catégorie grammaticale (L. Tesnière) ou lexicale (Ch. Bally), classe grammaticale (J. Dubois), espèce grammaticale ( G. Galichet)[1] — ou encore, partie du discours, en grammaire traditionnelle. La nature d'un mot peut être un trait grammatical intrinsèque de ce mot.

Attention : en linguistique, tout comme dans d'autres disciplines, les mots catégorie ou classe ont fréquemment un sens plus large que celui qu'on leur donne en grammaire. Ils peuvent désigner un ensemble d'éléments propres à une spécialité donnée. Par exemple, le genre, le nombre, la personne, etc., qui ne constituent pas des catégories grammaticales, peuvent cependant être parfois considérés comme des catégories linguistiques.
  • Pour illustrer ce qu'est une catégorie grammaticale, prenons par exemple la phrase « Le chat miaule », et essayons de remplacer le mot « chat » par d'autres mots susceptibles de remplir la même fonction syntaxique, en opérant les corrections morphologiques nécessaires.
Le chien miaule. Les dinosaures miaulent. La trottinette miaule. Napoléon Ier miaule. Les Français miaulent. Les étoiles miaulent. Les grains de sable de l'immensité de l'océan miaulent. etc.
Le « chat », le « chien », la « trottinette », etc. appartiennent donc à la même catégorie — le nom, pour cet exemple —, et peu importe si certains de ces énoncés sont absurdes (ou bien métaphoriques, poétiques, ou humoristiques), pourvu qu'ils soient acceptables d'un point de vue grammatical et syntaxique. En revanche, on n'aurait pas pu dire, par exemple, « Égratigner miaule », et on en conclut que le mot « égratigner » n'appartient pas à la même catégorie, que le mot « chat ».[réf. nécessaire] [2]
  • On considère généralement que plusieurs mots appartiennent à la même catégorie, si, pour une phrase donnée, on peut les substituer mutuellement à condition de respecter les accords, et sans modifier les relations syntaxiques de la phrase originelle. Ce type de procédé, bien utile en grammaire, est appelé commutation.

Sommaire

Identification de la catégorie

Un dictionnaire indique la catégorie d'un mot (ou éventuellement plusieurs catégories pour un mot), mais dans le discours, les différentes catégories ne sont pas faciles à déterminer. Il est fréquent en effet, qu'un mot puisse changer de catégorie selon sa fonction — il semble d'ailleurs que ce soit la fonction qui crée la catégorie, et non l'inverse. Quelques exemples:

  • Diable est un nom, mais dans « Diable ! », ce mot est une interjection.
  • Manger est un verbe, mais dans « Je prépare le manger », ce verbe devient un nom.
  • Fort est un adjectif qualificatif, mais dans « Une personne fort sympathique », ce mot est un adverbe.
  • Bien est un adverbe, mais dans « Bien ! », ce mot est une interjection, dans « faire le bien », c'est un nom. Dans « des gens bien », c'est un adjectif.

Un changement de catégorie grammaticale est appelé dérivation impropre ou translation.

Nominalisation

La nominalisation est une variété de translation qui consiste en un transfert vers le nom depuis n'importe quelle autre catégorie. Elle est particulièrement fréquente.

  • Un jeune.
Pour « un homme jeune » (adjectif qualificatif nominalisé).
  • Un habitant de cette ville.
Pour « une personne habitant dans cette ville » (participe présent nominalisé).
  • Un écrit authentique.
Pour « un document écrit authentique » (participe passé nominalisé).
  • Un pouvoir exorbitant.
Pour « une capacité de pouvoir exorbitante » (infinitif nominalisé).
  • Un « tiens » vaut mieux que deux « tu l'auras » (proverbe).
Les deux occurrences du verbe conjugué « tenir » sont nominalisées.
  • Je ne supporte plus ses incessants « Pourquoi ci, pourquoi ça ? ».
La phrase « Pourquoi ci, pourquoi ça ? » est nominalisée. Elle est à la fois : COD du verbe « supporte », déterminée par le possessif « ses », et complétée par l'épithète antéposée « incessants ».
  • Le vert est ma couleur préférée. / La verte est ma préférée [il est question d'une chemise].
L'adjectif qualificatif « vert » est nominalisé ; sa fonction : sujet du verbe « est ». L'adjectif qualificatif « verte » n'est pas nominalisé, il reste donc ce qu'il est ; sa fonction : épithète du nom (sous-entendu) « chemise ».
  • Avec des « si », on mettrait Paris dans une bouteille.
Le mot « si » est ordinairement analysé comme une conjonction de subordination. Or il a ici pour fonction d'être complément circonstanciel de moyen du verbe « mettrait ». Étant nominalisé, il est normal qu'en conséquence, il hérite de l'une des fonctions du nom. Il sera donc analysé non pas comme une conjonction mais comme le nom dont il joue le rôle.
Le mot « on » est un pronom mais il peut être substitut du nom.

Selon une autre définition[3], la nominalisation est une transformation qui convertit une phrase en un syntagme nominal, en l'enchâssant dans une autre phrase, dite « phrase matrice ». Exemple :

  • Les ouvriers construisent le pont. Ceci a été retardé. → La construction du pont par les ouvriers a été retardée.

Un nominalisateur est un affixe qui permet la transformation d'un adjectif ou d'un verbe en un nom.[3] Exemples :

  • -age (bavarder → bavardage)
  • -isme (social → socialisme)

Critères pour déterminer la catégorie d'un mot

Des critères morphologiques, sémantiques et syntaxiques, sont à notre disposition pour déterminer la catégorie d'un mot.

  • Les critères morphologiques sont précieux — par exemple, un mot terminé par -aient nous indique, entre autres choses, qu'il s'agit d'un verbe. Mais à eux seuls, ils restent insuffisants, puisqu'il est le plus souvent difficile de déterminer la catégorie d'un mot isolé en dehors de son contexte — par exemple, « tout », peut être nom, adjectif, pronom, adverbe, « porte » peut être verbe, nom…
  • Les critères sémantiques - chaque mot nomme un élément de la réalité extralinguistique perçu par l'esprit humain. Alors on distingue les substances, désignées par les noms, les processus, décrits par les verbes, les qualités des objets décrites par les adjectifs etc..
  • Les critères syntaxiques peuvent être utilisés également — dans la phrase chaque mot accomplit une fonction qui est déterminée par sa nature. Ainsi, seul un adjectif peut être épithète ; mais le nom peut être sujet, complément, etc..

Parfois on y ajoute les critères distributifs qui prévoient l'analyse du contexte linguistique du mot [4]. Ainsi le nom sera précédé d'un déterminant et souvent accompagné d'adjectifs, ou suivi d'une subordonnée relative, etc..

On constate qu'aucun de ces critères n'est suffisant pour déterminer à coup sûr la catégorie d'un mot : ceux-ci doivent donc être utilisés de manière cumulative, et cela suppose que l'on maîtrise un certain nombre de notions de base.

Classification en catégories

Précisons au préalable que l'étude d'une catégorie donnée n'est pas l'étude de l'ensemble des mots traditionnellement recensés dans cette catégorie, mais celle de l'ensemble des fonctions qui lui sont associées.

Une telle étude serait impossible en ce qui concerne les mots pleins. Comment pourrait-on en effet dresser la liste complète des noms, des verbes, des adjectifs qualificatifs… ?
  • La notion classique de catégorie a donc besoin d'être réaménagée afin d'expliquer les mécanismes de la syntaxe de manière plus cohérente.

Une fois l'interjection mise à part — celle-ci étant hors syntaxe, il convient de la traiter de façon distincte, après toutes les autres espèces —, on remarque que certaines catégories de mots appartiennent à des ensembles fermés, dont la liste est plus ou moins figée — ce sont les mots-outils —, alors que d'autres appartiennent à des ensembles ouverts, se renouvelant sans cesse — ce sont les mots pleins.

Par ailleurs, alors que certaines espèces sont invariables — l'adverbe, la conjonction et la préposition —, d'autres au contraire subissent diverses variations morphologiques flexionnelles, selon le genre, le nombre, la fonction, le temps, etc. — l'adjectif, l'article, le nom, le pronom et le verbe.

On peut donc proposer la classification suivante.

Mots pleins

Les mots pleins — parfois appelés mots lexicaux — sont innombrables et en création continuelle — les ajouts annuels dans le dictionnaire concernent presque exclusivement des mots pleins. Ils peuvent généralement être remplacés par des pronoms. Ils ont un caractère facultatif : par exemple, « Un adjectif qualificatif épithète complète un nom », mais un nom n'est pas obligatoirement accompagné d'une épithète. Du point de vue sémantique, la précision de leur signification est mise au premier plan : ils sont le plus souvent polysémiques — susceptibles de recevoir plusieurs sens —, mais dans un contexte donné, dans un énoncé et une unité syntaxique, chacun d'entre eux constitue une unité de sens.

On peut les répartir en deux familles selon qu'ils sont variables ou invariables.

Mots pleins variables

  • Le nom : il est polyfonctionnel, puisqu'il peut être sujet ou complément du verbe, complément du nom ou de l'adjectif, etc..
  • Le verbe : il est monofonctionnel, puisqu'il est toujours le noyau du groupe verbal ou de la phrase — c'est normalement sa seule et unique fonction.
  • L'adjectif : il est également polyfonctionnel, puisqu'il peut être épithète, apposé ou attribut.

Mots pleins invariables

  • L'adverbe : il est monofonctionnel, puisqu'il complète toujours, un verbe, un adjectif ou un autre adverbe — essentiellement — ; notons toutefois qu'il existe une catégorie d'adverbe — dit adverbe de liaison — pouvant être analysé comme un mot de liaison, plus précisément, comme un coordonnant : aussi, alors, puis, etc..

Mots-outils

Généralement courts, les mots-outils — parfois appelés mots grammaticaux — sont en nombre limité et il est plus facile d'en dresser des listes qu'en ce qui concerne les mots pleins. Les mots-outils ne sont généralement pas remplaçables par des pronoms, sauf en ce qui concerne le pronom lui-même. Ils ont un caractère obligatoire : par exemple, « Le déterminant doit introduire le groupe nominal » — et non pas « peut introduire ». Du point de vue sémantique, ils sont généralement peu précis : ce qui est mis au premier plan n'est pas tant leur signification que leur rôle syntaxique.

On peut également les répartir en deux familles selon qu'ils sont variables ou invariables.

Mots-outils variables

  • Le déterminant : il est monofonctionnel, puisqu'il annonce, actualise et détermine le nom noyau en se plaçant obligatoirement avant lui — article et adjectif déterminatif.
  • Le pronom : c'est un représentant ; il est polyfonctionnel, puisqu'il hérite des fonctions du mot lexical auquel on l'a substitué — il remplace fréquemment le nom.
Quelques pronoms et déterminants sont cependant invariables. Il s'agit principalement de certains outils exclamatifs et interrogatifs.

Mots-outils invariables

  • Le mot de liaison — appelé parfois, mot corrélatif — : il met en relation les unités syntaxiques entre elles. On distinguera :
- Le coordonnant, mot de liaison de la coordination. Il relie des éléments de statut syntaxique identique : conjonction de coordination et adverbe de liaison.
- Le subordonnant, mot de liaison de la subordination. Il relie des éléments de statut syntaxique différent : pronom relatif, conjonction de subordination, préposition, subordonnant exclamatif et subordonnant interrogatif.
Quelques mots de liaison sont cependant variables. Il s'agit des pronoms relatifs et de certains subordonnants exclamatifs et interrogatifs.
Le pronom relatif a ceci de particulier qu'il appartient à deux catégories distinctes, celle des pronoms et celles des subordonnants.

Notes et références

  1. G. Galichet. Essaie de grammaire psycologique, Paris, 1947.
  2. Cet exemple est douteux. Un verbe à l'infinitif notamment peut parfaitement constituer le sujet d'une phrase en français :Fumer nuit, travailler fatigue, etc.
  3. a  et b Jean Dubois & al., Dictionnaire de linguistique, Larousse, 1991
  4. Sauvageot A. L'analyse du français parlé. - P., 1973.

Sujets connexes

Bibliographie

  • Langages n° 92 (Larousse, décembre 1988) : Les parties du discours
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