Mélangeons-nous

Mélangeons-nous

Mélangeons-nous. Enquête sur l'alchimie humaine

Mélangeons-nous.
Enquête sur l'alchimie humaine
Auteur Vincent Cespedes
Genre Essai philosophique
Pays d'origine France France
Éditeur Maren Sell Éditeurs
Date de parution 2006
Type de média Livre
Nombre de pages 368
ISBN 2-35004-040-2

Mélangeons-nous. Enquête sur l'alchimie humaine est un essai écrit en 2006 par le philosophe Vincent Cespedes. L'auteur se livre à une méditation philosophique sur le mélange, un concept déjà esquissé dans son essai Je t'aime. Une autre politique de l'amour (2003), et mis en scène dans son roman Maraboutés (2004). L'essai se déploie en trois temps, trois « frayées ».

Sommaire

Philosophie de l'identité fluide et extracorporelle

L'introduction, « Nos ghettos mentaux », prend pour support les émeutes de 2005 dans les banlieues françaises, interprétées comme un désir d'« ameuter » l'opinion, d'exprimer le mal-être issu d'une pénurie de mélange :

« Nous sommes des vôtres : mélangez-vous à nous ! Vous êtes des nôtres : mélangez-nous à vous ! [1] »

L'auteur oppose le concept de mélange – « étrange respiration entre union et désunion » –, au concept de « métissage » (« séduisante escroquerie », « véritable fourre-tout »).

Première frayée : De quoi je me mêle ?

Dans les trois premiers chapitres, l'auteur explicite la notion de mélange : transmission de vie, alternant moments de fusion affective et moments de dissociation, et régie par un principe d'incertitude. Pour Montaigne, « un honnête homme est un homme mêlé ». Mêlé à quoi ? La réponse de V. Cespedes est : « à tout ». Aux êtres qui nous sont chers (tels Louis Bouilhet pour Gustave Flaubert), aux ancêtres que l'on rencontre dans les livres (expérience de l'intellectuel japonais Minakata Kumagusu, retirée loin du monde), mais aussi aux animaux, à l'art, aux plantes, aux objets, aux avatars des jeux-vidéo, et aux idées.

« Le mélange altère l'identité, mais la récupère ensuite ; il la métamorphose en lui donnant des nourritures incarnatives, mais ne la laisse pas se fondre dans les ruissellements incandescents du réel. Il est une fusion suivie d'une dissociation, un "faire l'amour" avec le monde.[2] »

Deuxième frayée : Mélanges manqués

Les chapitres 4, 5 et 6 étudient ce que le mélange n'est pas, à savoir : ni une violence, ni une fusion sans dissociation, ni une dissociation sans fusion. L'auteur critique ainsi les fusion bouddhiste (Rabindranath Tagore et Xiong Shili sont au centre de sa démonstration), totalitaire (Adolf Hitler), énergétique (les rites sacrificiels aztèques), curative (Antonin Artaud). Puis, vient la critique de la « dissociation pure », l'absence déprimante de fusion émotionnelle. L'auteur analyse le consumérisme des années 1960 – dont Mai 68 constitue une révolte enchantée[3] –, le darwinisme social des années 1980 et le « néocannibalisme » (1995), notre ère, « aztéquisation virtuelle » où

« la réalité devient une abstraction négociable, supportant tout et son contraire en fonction de l'angle pris, du montage, des commentaires ou de la postscénarisation. (…)
À l'instar de l'esprit aztèque, l'esprit hypermoderne est fasciné-terrifié par la mise en spectacle rituelle de la mort.[4] »

Troisième frayée : L'exigence de l'autre

La dernière partie de l'essai se divise en deux chapitres : « Le mélange social » (ch. 7) et « Le mélange intime » (ch. 8).

L'auteur y montre notamment que les communautarismes minoritaires sont des réactions, soutenues par l'État, face au communautarisme majoritaire, le communautarisme des hommes blancs :

« C'est donc à cause d'un ghetto blanc archiverrouillé de l'intérieur que des ghettos minoritaires se constituent – tentatives ultimes des groupes en butte à l'hostilité pour résister[5] »

L'auteur expose les genèses de la phallocratie et de l'« inceste » social, c'est-à-dire le repli sur une communauté dont on érige un marqueur identitaire (la couleur de peau) comme fondement de l'identité :

« L'identité ne saurait être un droit à l'identité, parce que tout droit implique des devoirs et que le devoir d'identité est la plus contraignante des prisons[6] »

Sont déconstruits ainsi « la fausse mixité sociale » et la discrimination positive, « racisme inversé ». Le mélange social est imprévisible ; on peut créer des conditions propices, mais pas le décréter à coup de quotas, ce qui emprisonne chacun dans des marqueurs identitaires figés.
Le dernier chapitre esquisse une psychologie débarrassée du socle conceptuel freudien. Le concept d'« illaboration » (du latin illaboratus, « non travaillé ») permet de penser la construction par abandons mutuels, la non-planification qui est l'essence même du mélange :

« L'élaboration construit et conserve ; l'illaboration engendre et révolutionne en douceur. La première se pervertit en violence face à l'obstacle, en confrontation ou en ruse face à l'élaboration rivale ; la seconde épouse les moindres changements, amortit les moindres chocs, prend la forme la mieux adaptée à la propagation des ondes. L'élaboration veut mener la danse et mener à terme ; l'illaboration danse et n'en finit pas de danser. (…) L'illaboration, c'est la tournure arborescente, désorientante et imprédictible que prend toute relation mue par le mélange. Illaborer, c'est vibrer à l'unisson et engendrer des vibrations, des dimensions et des formes nouvelles.[7] »

Improvisation et re-création constante, le mélange est une plongée dans les flux humains ; l'identité est un mirage nécessaire, et utile si elle ne s'enkyste pas en absolu. L'auteur distingue le Moi (« l'illusion d'une identité figée, sans mélange ; l'image sociale relativement stable que je donne aux autres et que je me donne à moi-même[8] ») et le Je(u) (« être non compartimentable, pur panachage, purs mouvements ») :

« Si le mot "inconscient" doit avoir un sens quelconque, c'est seulement en tant que Je(u). Car, en effet, j'ignore cette stylisation de mes mélanges, pourtant flagrante pour les gens qui me connaissent un peu. D'ordinaire, je me prends au Je(u) sans réfléchir : je m'oublie en chantant sous la douche, en éprouvant de la peur, de la colère, de la joie, ou en m'enthousiasmant d'amour. J'ai donc besoin du regard des autres pour appréhender, par ricochet, mon Je(u) véridique et polymorphe[9] »

Mélangeons-nous se termine sur une analyse de la différence homme/femme — ou plutôt « muscle »/« chair », tout-Moi/Je(u) —, fondée sur ce que l'on pourrait nommer non pas une socialisation différentielle, mais une psychologisation différentielle : privé du pouvoir de procréation, le garçon nourrirait un complexe que la société phallocratique inverse en pouvoir viril, au détriment des femmes.

L'auteur dresse un sombre bilan intellectuel du XXe siècle,

« programmé pour le carnage. Il voulut croire aux systèmes antimélange : le marxisme, le capitalisme, le darwinisme, le freudisme et leurs luttes pour triompher de l'Autreclasse, espèce, inconscient. Des machineries sélectionnantes et insécures, pétries de muscles et de violences. Des logiques duelles qui n'entendent rien à la compénétration des mondes, à la fécondité imprédictible des effusions humaines. Des usines à niveler l'amour[10]. »

Et l'auteur d'en appeler à un XXIe siècle « mixophile », c'est-à-dire recherchant le mélange : « La vie qui se mélange : une vie d'espérances, véridique. La vie qui se replie : une espérance de vie[11]. »

Philosophie néo-vitaliste, Mélangeons-nous pose les conditions d'application de la non-violence, la nécessité et le profit humain que nous pourrions en tirer, mais aussi les obstacles psychologiques, politiques et culturels qu'il faut surmonter, et dont la peur de l'Autre et la peur de vivre ne sont pas les moindres.

Références

  • Vincent Cespedes, Mélangeons-nous. Enquête sur l'alchimie humaine, Maren Sell Éditeurs, 2006 (ISBN 2-350-04040-2)
  1. Mélangeons-nous, p. 10
  2. Ibid., p. 120
  3. Voir l'essai que l'auteur consacre à cet évènement, qualifié de « philosophique » : Mai 68, La philosophie est dans la rue ! (Larousse, coll. « Philosopher », 2008).
  4. Mélangeons-nous, pp. 216-217
  5. Ibid., p. 231
  6. Ibid., p. 238
  7. Ibid., pp. 287 et 290
  8. Ibid., p. 294
  9. Ibid., p. 296
  10. Ibid., p. 350
  11. Ibid., p. 351

Liens externes

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