Musique atonale

Musique atonale

La musique atonale est une musique qui résulte de l'emploi de l'atonalité comme élément de composition. L'atonalité (ou atonalisme) est un terme qui décrit à la fois une technique de composition et l'état harmonique qui en résulte. C'est un système d'écriture qui remet en cause en profondeur les habitudes de composition traditionnelles et la théorie de la musique occidentale. Ce système eut un impact important dans l'évolution musicale au cours du XXe siècle et engendra le large courant de musique savante avant-gardiste qu'on appelle "musique contemporaine". Cette technique se caractérise par l'émancipation des dissonances et le rejet de toute hiérarchie tonale - hiérarchie qui est à la base le fondement de la grammaire musicale sur laquelle repose la musique classique et la quasi-totalité des musiques occidentales : le système tonal. L'atonalité constitue donc une remise en cause importante de la conception de l'écriture musicale envisagée jusqu'alors. L'atonalité a été associée tout particulièrement à la phase expressionniste de l'école de Vienne. Au niveau expressif elle est souvent associée à des atmosphères angoissées et torturées qui sied à l'esthétique expressionniste.

Sommaire

Descriptif

Pour décrire le phénomène que constitue l’atonalité, il faut d’abord savoir que la musique occidentale dans son ensemble s'appuie, depuis le XVIIIe siècle, sur une gamme tempérée et une "grammaire" musicale généralisée : le système tonal, que résument les théories de l'harmonie. Un système qui s'est, durant deux siècles, "totalitarisé", jusqu'à en paraître parfaitement naturel pour des auditeurs peu habitués aux recherches contemporaines (rappelons que la tonalité reste à la base de la musique de variété au sens large). Pour comprendre la révolution que constitue l’emploi du langage atonal, il faut d’abord saisir certains aspects du langage tonal qu’il remet en cause. L’un des fondements de l'harmonie tonale est de s’appuyer sur une hiérarchisation des degrés, dont l’un, la tonique (premier degré d'une gamme considérée) , constitue le point d'équilibre, ou "centre tonal"; autour de celle-ci gravitent la dominante, créatrice de tension, et les autres degrés, hiérarchisés d'après les deux pôles d'attraction précédents. Par ailleurs le système tonal s’appuie généralement sur l’emploi de gammes et d’accords classifiés durant deux siècles par une suite de théoriciens, qui permettent la résolution des "dissonances" (septième, neuvième...) en "consonances" (de la tierce ou la sixte, à l'"accord parfait") ce qui engendre les "tensions" et "détentes" qui en constituent le moteur. Tous les systèmes modaux sont, de la même façon, hiérarchisés autour d'une "teneur" centrale, qui régit les relations entre les degrés du "mode" considéré et ce depuis des temps anciens (musiques traditionnelles oralement transmises).

La musique atonale remet en cause l'harmonie tonale en rejetant les principe de "tonique" et de "dominante" et garantit l’égalité de toutes les notes entre elles ; pour ce faire, elle utilise des techniques contrapuntiques, qui fondent sa démarche, aussi bien horizontalement que verticalement, d'où les "accords non classifiés" qui prévalent, et jusqu'aux "clusters" (agrégats plus larges). Le terme d’"atonalité" signifie donc absence de ton et de mode. Le compositeur atonal considère la gamme chromatique dans son ensemble, et, plus tard dans l'évolution de l'"atonalité", il recréera d'autres hiérarchies à partir de la notion de "série" (qui privilégieront des éléments de cette gamme). La musique atonale par ailleurs permet une extension de la consonance à des intervalles habituellement dissonants, puisqu'elle fonde ses "consonances" sur les intervalles de seconde, septième et neuvième, pour éviter justement les consonances et les "accords classés" qui rappelleraient une organisation tonale. La musique atonale exige donc de l'auditeur une oreille éduquée et avertie.

L'emploi de l'atonalité

La « musique atonale », a été développée par la seconde école de Vienne, au début du XXe siècle et se prolonge dans le dodécaphonisme, puis le courant du sérialisme intégral. On qualifie de « musique atonale » l'ensemble des compositions écrites après 1907 dans lesquelles les principes tonal et modal ne constituent pas le fondement compositionnel de l'œuvre.

L'emploi de l'atonalité est lié historiquement à la seconde école de Vienne dans laquelle professe Arnold Schoenberg; Alban Berg, et Anton Webern poursuivent et étendent son œuvre. Cependant, de nombreux compositeurs tels George Antheil, Béla Bartók, John Cage, Carlos Chávez, Aaron Copland, Roberto Gerhard, Alberto Ginastera, Alois Haba, Josef Matthias Hauer, Carl Ruggles, Luigi Russolo, Roger Sessions, Nikos Skalkottas, Toru Takemitsu, Edgard Varèse, Frank Zappa, et quelques artistes de jazz tels Anthony Braxton, Ornette Coleman et Cecil Taylor, ont eu recours à un atonalisme élargi, (ont "flirté avec l'atonalisme" pour reprendre les termes de Leonard Bernstein) pour essayer d'élargir le système musical occidental. Depuis l'époque moderne co-existent donc : la tonalité ( la quasi-totalité de la musique, toutes cultures confondues), l'atonalité, dont le dodécaphonisme et le sérialisme : ceci, au sein de la gamme tempérée ; parallèlement, c'est toute la dialectique "bruit"/"son" qui découle des recherches concrètes, électro-acoustiques et électroniques ; sans oublier la gestion informatisée des paramètres compositionnels.

Histoire de l'atonalité

Un des premiers exemples précoces d'atonalité est sans doute la fameuse Bagatelle sans tonalité de Franz Liszt (1885), dans laquelle la tonalité est si large qu'elle s'en trouve presque "diluée", bien qu'elle reste identifiable. Mais si des exemples précoces ont existé (comme par exemple les Clairs de lune d'Abel Decaux écrits en 1900-1903) ce n'est qu'à partir du début du XXe siècle que le terme atonalité a commencé à être utilisé pour décrire des œuvres, tout particulièrement celles écrites par Arnold Schönberg et la seconde école de Vienne.

L'émergence de cette musique se situe dans ce qui était décrit comme la crise de la tonalité à la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle dans la musique classique. Crise qui selon Busoni résultait de la « lassitude du système majeur/mineur » et par Schönberg comme « l'illégitimité d'un accord tonal à prétendre dominer tous les autres ». Historiquement cette situation avait conduit à un accroissement de l'usage durant le XIXe siècle d'accords ambigus, d'inflexions harmoniques moins probables, et des inflexions mélodiques et rythmiques inhabituelles au sein de styles ayant recours au langage tonal.

La première phase est souvent décrite comme "atonalité libre" ou "chromatisme libre" impliquant une tendance consciente à éviter l'harmonie diatonique traditionnelle. Les œuvres de cette période comprennent entre autres l'opéra Wozzeck (1917-1922) d'Alban Berg ou Pierrot lunaire (1912) de Schönberg.

La seconde phase débute après la Première Guerre mondiale et se caractérise par une volonté de créer un moyen de composition systémique sans tonalité, la fameuse technique dodécaphonique. Parmi les œuvres de cette période Lulu et la suite lyrique de Berg, le concerto pour piano de Schönberg, son oratorio l'Échelle de Jacob et de nombreuses petites pièces, ainsi que ses derniers quatuors à cordes. Schönberg était un des innovateurs majeurs du système, mais son élève Anton Webern, commença à lier les dynamiques les timbres aux séries aussi. Ceci combiné avec le paramétrage de Olivier Messiaen, inspirera le sérialisme.

L'atonalité a été employée à certains moments comme un terme péjoratif pour condamner une musique dont les accords semblaient ne pas être organisés avec cohérence. Sous le régime Nazi, la musique atonale fut attaquée et taxée d'art "Bolchevik" et fut cataloguée comme « art dégénéré » au même titre que les musiques produites par les pays ennemis du régime nazi. Beaucoup de compositeurs virent leur œuvres bannies du régime, et n'être jouées qu'après sa chute, à la fin de la seconde guerre mondiale.

Dans les années qui suivirent, l'atonalité représentait un défi pour beaucoup de compositeurs ; même ceux qui écrivaient de la musique orientée vers la tonalité furent influencés par elle. Les théories de la Seconde école de Vienne, et en particulier le dodécaphonisme, furent considérés par les compositeurs avant-gardistes dans les années 1950, comme les fondements de la nouvelle musique qui conduisit au sérialisme et à d'autre formes d'innovation musicale.

Bon nombre de compositeurs ont écrit de la musique atonale après la guerre, notamment Elliott Carter et Witold Lutosławski. Après la mort de Schoenberg, Igor Stravinsky alors qu'il avait rejeté pendant toute sa carrière le dodécaphonisme, se mit lui aussi à écrire une musique ayant recours à des éléments sériels associés avec des éléments de musique tonale[1]

Au cours de cette époque, les progressions d'accords ou les successions permettant d'éviter un centre tonal furent explorés.

(en cours de traduction)

Références

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