Mouvement de libération gaie

Mouvement de libération gaie

Mouvement de libération gaie

Dans les années 1960, la société occidentale entreprend une révolution sexuelle qui tente de mettre à bas le patriarcat qui la corsetait jusqu'alors. Pour sa part, la communauté homosexuelle a senti l’importance de s’organiser politiquement pour se défendre contre l'homophobie et les persécutions qu’elle subissait. Le militantisme a connu deux phases successives : dans les années 1970, le mouvement de libération gaie est radical et révolutionnaire ; à partir des années 1980, le mouvement pour les droits des gays, qui prédomine encore aujourd'hui, est intégrationniste.

Sommaire

L'épisode Stonewall

Bien que des noyaux existaient déjà aux États-Unis (Mattachine Society, Daughters of Bilitis), en France (revue Arcadie) et ailleurs, le mouvement gai devait véritablement faire son coming-out en juin 1969, au cours des célèbres émeutes de Stonewall qui explosent à New York autour du bar Stonewall Inn.

Fréquenté surtout par des travesties porto-ricaines et des lesbiennes, cet établissement du quartier Greenwich Village fait l’objet en cette soirée du 22 juin d’une descente policière. Pour les clients, c'est une descente de trop. Le bar et les rues autour s’embrasent. Des policiers sont pris en otage et un flot continu de bouteilles déferle sur les quelques 400 policiers, qui doivent affronter pendant deux jours plus de 2 000 émeutiers déterminés.

À partir des émeutes de Stonewall, la poignée de militants de la cause homosexuelle qui existait se mute en une armée d’activistes, qui vont bientôt frapper dans tous les pays occidentaux.

Le Front homosexuel d'action révolutionnaire

En France, les tenants de la libération gaie frappent pour la première fois au début de l’année 1971. Regroupés au sein du Front homosexuel d'action révolutionnaire (FHAR), dont Guy Hocquenghem est l'un des principaux animateurs, ils interrompent avec succès une tribune de radio, animée par Ménie Grégoire, qui porte en ce 10 mars 1971 sur le thème : « l’homosexualité, ce douloureux problème ».[1] Le gros du commando est alors constitué de lesbiennes, parmi lesquelles de nombreuses militantes féministes et notamment l’écrivaine Monique Wittig. Au fil des mois toutefois, le FHAR comporte une composante masculine en croissance constante.

L’auteur de l’Anthologie de l’anarchisme, Daniel Guérin compte entre autres parmi les nouveaux membres. Il cadre d'ailleurs parfaitement avec l’esprit libertaire qui règne dans le groupe. « Démocratie directe » et « rejet du vedettariat » font en effet partie de leur culture politique. Enfants de Mai 68, les membres du FHAR ressentent un vif besoin de vivre leur idéologie au concret. Des sommités comme Guérin ou Françoise d'Eaubonne iront ainsi jusqu'à se déshabiller en pleine assemblée générale, pour vivre jusqu'au bout leur discours sur la libération du corps.

La présence de plus en plus hégémonique des hommes au sein du FHAR, ajoutée à la « dérive libidineuse »[réf. nécessaire] de ces derniers, vont finir par pousser les femmes à s’organiser entre elles. Un schisme se produit ainsi et les lesbiennes radicales forment à l’invitation de Monique Wittig, le groupe des Gouines rouges, qui tombera plus ou moins dans l’orbite du Mouvement de libération des femmes (MLF).

Le Front de libération homosexuelle du Québec

La vague libérationniste déferlait sur tout l’Occident et le Québec n’allait pas y échapper. La première association d’homosexuels à voir le jour au Québec est précisément le Front de libération homosexuel (FLH), né en mars 1971. Le simple fait de choisir le terme « front » en guise de nom de groupe traduit à lui seul l’esprit radical qui plane alors au-dessus du jeune regroupement. Le nom est d’autant plus audacieux que le Québec se remet à peine du traumatisme engendré cinq mois plus tôt par la Crise d’octobre, qui avait vu un autre front, le Front de libération du Québec, multiplier les kidnappings et autres coups d'éclat.

Hasard ou pas, c’est d'ailleurs lors d’une marche anti-Canada, le 1er juillet 1971, que le Front de libération homosexuelle fait sa première sortie publique, en y formant un contingent homosexuel. Un des membres du groupe, Denis Côté, s'adresse alors à la foule réunie dans un parc, et déclare que la libération du Québec se ferait avec la collaboration de tous et qu’il fallait se libérer soi-même avant de libérer le Québec…

Fort d’une trentaine de membres au début, la formation politique passe rapidement à près de 200 personnes, une progression qui se répercute toutefois sur la composition idéologique du FLH. Ceux qui cultivaient une vision plus globale et politique deviennent si minoritaires dans le FLH, qu’ils préférèrent quitter ses rangs. En août 1972, la jeune organisation se saborde, écrasée qu’elle est sous le harcèlement policier.

Pensée radicale

Au Québec, en France et ailleurs, le marxisme a la cote chez les partisans de la libération homosexuelle. Leur imaginaire est formé par l'analyse révolutionnaires et marxistes, mais auxquels s’ajoute une touche de dérision qui les distingue de la rigueur des marxistes-léninistes conventionnels.

Une chanson, écrite par Marie-Jo bonnet et chantée au cours du Tribunal de Dénonciation des crimes contre les femmes organisé par le MLF à la Mutualité de paris en 1972 montre l'engagement des "Gouines Rouges" en faveur d'un changement radical de la société: « A bas l’ordre bourgeois/ Et l’ordre patriarcal/ A bas l’ordre hétéro/ Et l’ordre capitalo/ Nous les gouines, les lesbiennes/ Les vicieuses, les infâmes/ Nous aimons d’autres femmes/ Nous briserons nos chaînes/ Ne rasons plus les murs/ Aimons-nous au grand jour » .

La désinvolte caractéristique des radicaux tire peut-être son origine de la position particulière qu’ils occupent dans le mouvement marxiste de l’époque. Alors que les autres radicaux en appellent à la fin de l’oppression dans l’usine, dans le tiers-monde et dans la société en général, le discours des homosexuels cible quant à lui spécifiquement l’oppression exercée dans les chambres à coucher. Les uns occupent donc le domaine public, les autres le domaine privé. Le fossé prend parfois des dimensions problématiques.

L'auteure Margaret Cruikshank prétend entre autres dans son ouvrage The gay and lesbian liberation movement, que « la libération gaie ne pouvait pas être complètement assimilée par la gauche (…) étant donné sa forte nature chaotique. En plus, la libération gaie tend à promouvoir un haut degré d’individualisme du fait évidemment qu’elle s’est alimentée à même des expériences privées qui ont conforté l’impression d’être différent des autres ».[réf. nécessaire] La cause sexuelle (et la cause féministe dans une moindre mesure) se transforme par conséquent en sujet de discorde, au point qu'elle précipite parfois la rupture au sein de groupes marxistes. En France par exemple, le mouvement Vive la Révolution (à tendance maoïste-libertaire), en vient à être totalement dissuolu, après qu’une édition spéciale de leur journal d’opinion, portant sur l’homosexualité et appuyé vivement par un porte-étendard du mouvement (Jean-Paul Sartre), a levé un tonnerre de mécontentement, notamment chez les syndicalistes ouvriers. [réf. nécessaire]

Mis à part de tels épisodes, les années libérationnistes demeurent une époque de grande convergence. Alors que la solidarité apparaît parfois comme allant de soi, notamment entre les mouvements gai et féministe, elle se montre d’autres fois plus surprenante. Dans son Gay Manifesto paru en 1970, l’Américain Carl Wittman appelle ainsi les autres homosexuels à soutenir la lutte des femmes, des hippies, des blancs radicaux, mais également la libération des latinos et des noirs américains, dont le discours peut pourtant tendre vers le machisme à l'occasion.

Tel un jeu de boomerang, les autres mouvements de libération se rangent à leur tour derrière le combat des homosexuels. Huey Newton, leader des Black Panthers, exprime en ces mots sa solidarité avec la cause gaie : « nous le savons tous bien, notre première impulsion est souvent de vouloir mettre notre poing dans la figure des homosexuels, et de vouloir qu’une femme se taise... Nous devons perdre ces sentiments d’insécurité (…). Ils (les gais) sont peut-être la couche la plus opprimée au sein de cette société… Le Front de libération des femmes et le Front de libération des homosexuels sont nos amis[2] ».

Questionnement identitaire

Si la révolution telle que voulue par les activistes gais renvoie en premier à une rupture sociopolitique, un important volet identitaire y est néanmoins attaché. La déconstruction des identités homo/hétéro et homme/femme est donc déjà à l’ordre du jour à l’époque, quoique beaucoup moins mise en avant qu’elle ne le sera dans les années 1980 et 90. C’est dans les faits une critique identitaire chancelante qui prévaut alors. Tout en dénonçant la colonisation psychologique que le pouvoir hétérosexuel fait subir aux homosexuels («We are children of straight society. We still think straight: that is part or our oppression[3] »), Carl Wittman n’en recourt pas moins à une grille foncièrement identitaire lorsqu’il prêche en faveur de la création d’un territoire distinct pour les homosexuels, ainsi que des institutions et des médias distincts.[réf. nécessaire]

C’est probablement les lesbiennes qui mettent alors la plus grande emphase sur la déconstruction des catégories, et ce n'est pas l'effet du hasard. D’abord les militantes lesbiennes sont en prise avec un constant dilemme, qui les oblige à questionner sans cesse leur identité : doivent-elles militer en premier lieu comme homosexuelles ou comme femmes ? Ensuite, la peur classique portée par le mouvement féministe d’être étiquetées de lesbiennes enragées par les hommes, incite de nombreuses homosexuelles féministes à prendre leurs distances face à la catégorie “lesbienne”. Autant le mot que le concept représentent aux yeux de ces dernières une création du pouvoir patriarcal, un pouvoir qui utilise le qualificatif de « lesbienne » pour rasseoir toute femme qui ose se lever.

Monique Wittig compare par exemple l’évolution des termes « femme » et « esclave » et dénonce le fait que l’émancipation des femmes ne se soit pas traduite par la mise au rencard de la réalité « femme », tout comme l’émancipation des noirs s’était jadis répercutée par l’abandon de l’appellation « esclave » au sein de la population noire. Une autre raison justifie par ailleurs la désintégration du concept de femme (et de celui d’homme par extension) les frontières rigides du masculin/ féminin représenteraient pour l’individu un déni total de sa liberté et freineraient son épanouissement personnel. Pour être en harmonie avec sa personnalité profonde, pour être une personne la plus authentique et la moins censurée possible, il faudrait selon les lesbiennes radicales, non pas réformer les identités de genre, mais les abolir complètement.

Un virage vers l'intégration

Les Panthères Roses parisiennes

Figure centrale du FHAR, la française Françoise d'Eaubonne envisage ainsi en 1971 le futur de la libération gaie : « Vous dites que la société doit intégrer les homosexuels, moi je dis que les homosexuels doivent désintégrer la société[4] ».

Mais vers la fin des années 1970, le contexte change et le radicalisme qui avait tant marqué jusque là les mouvements des noirs, des femmes, des habitants du tiers-monde etc., s'estompe peu à peu. Le mouvement gai ne fait pas exception.

Au mouvement de libération gaie succède donc le mouvement pour les droits des gais et lesbiennes, un mouvement dit « intégrationniste ». Les cibles changent et les moyens de les atteindre aussi. Les nouveaux militants, souvent des professionnels en communication ou en droit juridique, ne réclament plus l'abolition du « capitalisme sauvage », de l' « hétéropatriarcat » et autres structures sociales. Désormais, les revendications sont davantage pragmatiques et tournées vers les besoins d'une communauté désireuse de s'intégrer au reste de la société: obtention d'un accès égal à l'armée, à l'institution du mariage et à l'homoparentalité.

Les Universités d'Eté Euroméditerranéennes des Homosexualités UEEH découlent de cette histoire politique. Elles ont lieu chaque années en juillet à Marseille, mais le clivage entre radicalEs et intégrationnistes ou "sociaux-démocrates" met en péril leur pérennité.

Ce ne sera pas pour autant la mort d'un militantisme plus conflictuel et politique[5]. L'émergence de mouvements comme Act Up, Queer Nation et les Lesbian Avengers dans les années 1990, ou encore les Panthères roses [6] au début du 21e siècle, réanime à l'occasion l'esprit de Stonewall.

Notes et références

  1. La transcription intégrale de cette émission est disponible sur http://www.france.qrd.org/media/revue-h/001/probleme.html
  2. (Martel, 1996, p.55)
  3. Blasius et Phelan, 1997, p.380-388
  4. Martel, 1996, p.25
  5. Notamment en lien avec la lutte contre le sida. Cf. Christophe Broqua, « À propos de l'homosexualité masculine et du sida », Mouvements n°35, 2004/5 (sur Jean Le Bitoux et Didier Lestrade) [lire en ligne]
  6. Voir Site des panthères roses

Bibliographie

Monographies

  • Mark Blasius et Shane Phelan, We are everywhere. A historical sourcebook of gay and lesbian politics, New York, Routeledge, 1997.
  • Cruikshank, Margaret, The gay and lesbian liberation movement, Londres : Revolutionary thought/ radical movements, 1992.
  • Girard, J., Le Mouvement homosexuel en France 1945-1980, Paris : Syros, 1981.
  • Katz, Jonathan, L’invention de l’hétérosexualité, Paris : EPEL, 2001.
  • Martel, Frédéric, Le rose et le noir : les homosexuels en France depuis 1968, Paris : Éditions du Seuil, 1996.
  • Mieli, Mario, Éléments de critique homosexuelle. Italie : les années de plomb, Paris : EPEL, 2008.
  • Rousseau, Jean-Michel, « Associations », Dictionnaire de l'homophobie, PUF, 2003.
  • La Revue h Critique de Le Rose et le noir

Périodiques

  • Dossier anniversaire : dix ans de militantisme gai, Le Berdache, no 20, mai 1981.

Liens internes

Liens externes

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