Antithèse

Antithèse

L'antithèse (substantif féminin), du grec anti ("contre") et thesis ("idée, argument") soit antithesis : "opposition", est une figure de style qui consiste en un rapprochement, à l'intérieur d'une structure syntaxique binaire et équilibrée, de deux termes de même nature qui s'opposent sémantiquement.

Elle rapproche donc deux termes ou propositions dont le sens est naturellement opposé pour mettre en valeur le contraste. Passée dans le langage courant, l'antithèse est une figure majeure dans les Arts et en littérature car elle permet des images frappantes. Tout comme l'oxymore dont elle est proche, l'antithèse se fonde sur un contraste sémantique entre deux idées, deux arguments, deux qualités.

Sommaire

Exemples

  • « Tout lui plaît et déplaît, tout le choque et l'oblige. Sans raison il est gai, sans raison il s'afflige » - Boileau, Satires
  • « Paris est le plus délicieux des monstres : là, vieux et pauvre; ici, tout neuf comme la monnaie d'un nouveau règne. » - Balzac, Ferragus[1]

 Le laboureur des monts qui vit sous la ramée
Est rentré chez lui, grave et calme, avec son chien;
Il a baisé sa femme au front et dit: C'est bien.
Il a lavé sa trompe et son arc aux fontaines
 Et les os des héros blanchissent dans les plaines.

(Victor Hugo, Aymerillot.)
  • « J'aime la liberté et languis en service, (...) Je n'aime point la cour et me faut courtiser... » - Joachim du Bellay
  • « Nous ne voulons point troquer ce que tu appelles notre ignorance contre tes inutiles lumières. » - Diderot, Supplément au voyage de Bougainville, chapitre II (Les adieux du vieillard).
  • « Ton bras est invaincu mais non pas invincible. » - Pierre Corneille
  • « À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire. » - Pierre Corneille
  • « Je vis, je meurs; je me brûle et me noie. » - Louise Labé
  • « Il est riche en province, mais il devient pauvre à Paris. »
  • « Il a l'air vivace et maladif. » Victor Hugo Les Misérables
  • « C'était un homme mort qui vivait encore » Louis Caron Le canard de bois

Définition

Définition linguistique

Figure d'opposition, l'antithèse se manifeste par le rapprochement de deux antonymes comme dans « Il y a une faiblesse de corps qui procède de la force de l'esprit, et une faiblesse d'esprit qui vient de la force du corps » (Jean Joubert, Pensées).

L'antithèse en effet est souvent formalisée par une symétrie entre les termes opposés, à travers des structures parallèles et équilibrées reposant sur la figure du parallélisme dit de construction[2] , mais au sémantisme contradictoire. Les apologues des moralistes notamment ou des fables de Jean de La Fontaine ont montré ce rapport intime entre le parallélisme formel et l'opposition sémantique constituants la figure :

« Selon que vous serez puissant ou misérable,
Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir »

Le fabuliste oppose ici un double parallélisme : de qualité d'abord, entre puissant et misérable, deux termes opposés, et de couleur, entre blanc puis noir, aboutissant à une formule péremptoire ayant valeur éternelle ou gnomique.

Cependant, la figure peut ne pas reposer sur une relation d'antonymie comme dans l'exemple :

« Car le jeune homme est beau, mais le vieillard est grand »

De même la simple juxtaposition peut ne pas être nécessaire pour constituer la figure, l'antithèse émanant davantage de la relation de sens entre les termes posés que de leur relation syntaxique ; en ce sens elle est très similaire à la métaphore, on a parfois dit qu'elle n'était qu'une "métaphore négative", ce qui n'est pas totalement fondé :

Elle déplie la lettre résolument et lit.

Madame, sous vos pieds, dans l’ombre, un homme est là
Qui vous aime, perdu dans la nuit qui le voile ;
Qui souffre, ver de terre amoureux d’une étoile ;
Qui pour vous donnera son âme, s’il le faut ;
Et qui se meurt en bas quand vous brillez en haut. »

Elle pose la lettre sur la table.

Ici aucune construction syntaxique ne pose l'antithèse, qui émane d'une image impossible : la comparaison faite entre un ver de terre et l' étoile. La force de l'antithèse émane alors du contraste sémantique (Patrick Bacry[réf. incomplète]) entre les deux termes fonctionnant comme deux polarités même si, parfois la thèse est implicite comme dans cette expression de Henri Michaux « Ce n'est pas en semant qu'on devient forgeron ».

On peut donc au final distinguer deux types d'antithèses (à la manière de la métaphore) :

  • l'antithèse explicite où les deux termes opposés sont formulés
  • l'antithèse implicite où l'un des deux termes manque

En rhétorique et en philosophie elle permet la mise en présence de concepts contraires.A ce propos on parle plus volontiers, à la suite des pythagoriciens qui opposaient le Bien au Mal, le Vrai au Faux, l'Humide au Sec, etc, d'énantiose. Le terme a néanmoins disparu ; il désigne étymologiquement la "contrariété", d'après un substantif grec dont le sémantisme renvoie à l’idée de face à face, d’opposition et de contradiction, une réalité proche de celle de l'antithèse. Plus strictement, l'énantiose décrit chacune des dix oppositions fondamentales des pythagoriciens comme "le bien et le mal" par exemple, en philosophie.

Certaines antithèses frappantes reposent sur une image paradoxale, on parle alors plus volontiers d’image antithétique, plutôt que de réelle antithèse syntaxique comme dans ce mot de Mozart : « La mort est la meilleure amie de l'homme ».

Définition stylistique

L'antithèse vise de nombreux effets de style, en premier lieu la mise en relief des termes de sens différents. Le jeu sur les champs sémantiques ou lexicaux permet en effet un vaste spectre d'images.En ce sens l'antithèse est souvent vue comme proche de la métaphore car elle suggère des images poétiques. Son effet premier reste néanmoins l'opposition sémantique de deux termes et que réalise l'exemple de Pierre Corneille « Ton bras est invaincu, mais non pas invincible » et qui joue sur la proximité étymologique (via la figura etymologica et sonore des deux termes pourtant de sens opposés).

L'antithèse permet enfin de mettre au jour toute la dualité d'une idée ou d'une situation. C'est ainsi que Victor Hugo l'emploie[3]. Admiratif de William Shakespeare, il annonce que

« l'antithèse de Shakespeare c'est l'antithèse universelle ; toujours et partout, c'est l'ubiquité de l'antinomie »

, formulant ainsi tout le pouvoir de cette figure métaphysique pour lui, seule apte à décrire les paradoxes, ce que relève Marcel de Grève dans le Dictionnaire International des Termes Littéraires : « l’antithèse est une espèce de court-circuit provoqué par l’élision d’une comparaison ».

On rapproche souvent l'antithèse de l'oxymore, autre figure de l'opposition sémantique. Cependant cette dernière est bien autonome par rapport à l'antithèse ; en effet l'oxymore ne met en présence que deux termes formant un groupe, indépendamment de toute relation syntaxique reposant sur un parallélisme.

De même, il ne suffit pas qu'il y ait contradiction pour que l'antithèse soit consommée. Daniel Bergez, Violaine Gérard et Jean-Jacques Robrieux dans leur Vocabulaire de l’analyse littéraire sont contre l'idée de voir une quelconque antithèse dans le titre du roman de Stendhal Le rouge et le noir, il s'agit juste d'une opposition symbolique.

Cette notion aboutit néanmoins à une utilisation populaire de l'antithèse, prise dans un sens large : « Ce qui constitue l'opposé, l'inverse de qqch, de qqn »[4], fréquente lorsque l'on compare deux personnes ou deux faits opposés, souvent à des fins comiques ou satiriques.

Van Gogh: Nuit étoilée sur le Rhône

L'antithèse est une notion traduisible dans les autres Arts, en peinture avec Van Gogh notamment et son œuvre Nuit étoilée sur le Rhône qui présente une scène de nuit mais très éclairée paradoxalement. Le principe du clair-obscur repose sur l'antithèse par définition. La figure peut aussi être présente lorsque la scène est contradictoire, ce qui est surtout perceptible au cinéma.

Genres concernés

En Grèce, le sophiste Gorgias y recourait systématiquement. Aristote la codifia ensuite dans sa Rhétorique, les deux membres d’une phrase devant être antithétiques, quand, dans chacun des deux membres les contraires sont opposés ou quand le même mot est joint aux contraire. Aristote y voit le fondement de toute argumentation.

Dans l’Antiquité latine, Cicéron, mais aussi Virgile et Horace la déploient sur des pages entières. Essentiellement une figure rhétorique, employée par les orateurs, l'antithèse devient ensuite à la Renaissance un procédé récurrent de la poésie amoureuse et lyrique avec les poètes de La Pléiade et Pétrarque. Les antithèses du feu et de la glace, du soleil et de la pluie, de la chaleur et du froid, voire du chaud et du gel, du jour et de la nuit, de la lumière et de l’obscurité, du rire et des pleurs, de la vie et de la mort sont parmi les topos les plus employés.

Le baroque l'utilise afin de révéler la profonde dichotomie qui forme la réalité. Les moralistes ensuite forment leurs argumentations sur ses ressources rhétoriques afin d'explorer les concepts métaphysiques comme le "vrai" ou le "faux".

Les dramaturges recourent enfin à l'antithèse, le premier étant William Shakespeare dans Hamlet et que marque le célèbre monologue du héros éponyme à la scène I de l’Acte III : « To be or not to be ».

En poésie, elle facilite la confection des périodes.Grâce à la structure binaire et équilibrée de l’alexandrin en effet (avec la césure à l’hémistiche), l'antithèse poétique accueille son heure de gloire, notamment chez Pierre Corneille et chez Jean Racine, auteurs dont les tragédies ne peuvent se passer de la figure pour formuler les dilemmes de la condition humaine. L'antithèse est alors souvent employée pour dramatiser les tirades et échanges entre actants comme ici entre le père de Chimène et Rodrigue, le Cid :

 Es-tu si las de vivre?
As-tu peur de mourir?

Ou encore :

« Tout le chœur chante. Ô promesse ! ô menace ! ô ténébreux mystère !/ Que de maux, que de biens sont prédits tour à tour !/ Comment peut-on avec tant de colère/Accorder tant d’amour ? »

— Athalie

Victor Hugo, maître de l'antithèse romantique

La poésie emploie surtout l'antithèse. Les romantiques et en premier lieu Victor Hugo, déclaré "maître incontesté de l'antithèse" (Michel Pougeoise), en fait son principe esthétique, surtout en la renforçant par des métaphores frappantes :

 et dehors, blanc d'écume,
Au ciel, aux vents, aux rocs, à la nuit, à la brume,
Le sinistre Océan jette son noir sanglot

(La Légende des siècles.)

Hugo oppose ici le blanc de l'écume au noir comparé à la dépression et à la nuit de l'océan, au moyen d'une hypallage constituée de noir sanglot. L'esthétique antithétique de Hugo permet de réunir en une image les opposés, les qualités « Les deux autres hommes étaient, l'un une espèce de géant, l'autre une espèce de nain (Quatre-vingt-treize) comme les conditions sociales » ; « Il fait un peu l' aumône, il fait un peu l' usure » (Le Soutien des Empires) ; l' usure renvoyant à l'état d'usurier, celui qui vit de l'intérêt financier, opposé au pauvre et au misérable qui fait l'aumône.

Ses descriptions enfin en sont parsemées, donnant à ses textes un dynamisme et une suggestion métaphysiques.

Au XXe siècle, des auteurs comme Raymond Queneau jugent l’antithèse artificielle ; dans ses Exercices de style il pousse à l'absurde la figure, la parodiant par là « Ce n’était ni la veille, ni le lendemain, mais le jour même. Ce n’était ni la gare du Nord, ni la gare de Lyon, mais la gare Saint-lazare ». Les surréalistes en effet, et plus tard les tenants du Nouveau Roman l'utilisent moins systématiquement. Blaise Pascal, déjà s'en montrait méfiant, y voyant un tour sophiste « ceux qui font les antithèses en forçant les mots comme ceux qui font de fausses fenêtres pour la symétrie : leur règle n’est pas de parler juste, mais de faire des figures justes » (Pensées, Préface générale).

Historique de la notion

La Bruyère, dans Les Caractères (55, IV, Des ouvrages de l'esprit) définit l'antithèse comme : une « opposition de deux vérités qui se donnent du jour l'une à l'autre », reprise dans Le Grand Robert, dictionnaire de référence. Pour Marmontel « la plupart des grandes pensées prennent le tour de l'antithèse, soit pour marquer plus vivement les rapports de différence et d'opinion, soit pour rapprocher les extrêmes ».

Pour Pierre Fontanier dans Les figures du discours la figure antithètique reste une opposition d'arguments « [...] Au reste, il ne faut pas prendre pour Antithèse toute façon quelconque d’exprimer une opposition d’idées : ce serait singulièrement se tromper. L’Antithèse exige, dit Laharpe, que les tournures se correspondent en opposant les idées [...] ».

Pour Albalat, qui lui consacre un chapitre entier dans son ouvrage La Formation du style, elle est « la clef, l'explication, la raison génératrice de la moitié de la littérature française, depuis Montaigne jusqu'à Victor Hugo », la propulsant au rang des figures non seulement les plus utilisées mais également à la dimension macrostructurale (agissant au-delà de la phrase).

Domaines transverses

Scolaire

Un plan classique de dissertation est dit dialectique et abrite une antithèse, moment où l'on expose les contre arguments dans un raisonnement objectif[5].

Bande dessinée

L'antithèse est une figure très visuelle, qu'utilise notamment les Arts graphiques. Ainsi dans Astérix, le civilisé est souvent opposé au barbare[6].

Notes et références

Voir aussi

Liens externes

Bibliographie

  • Bergez, Daniel ; Gérard, Violaine ; Robrieux, Jean-Jacques., Vocabulaire de l’analyse littéraire, Paris : Dunod, 1994.
  • Albalat Antoine, La Formation du style par l'assimilation des auteurs, Armand Colin, ISBN 2-200-37258-2

Bibliographie des figures de style

  • Quintilien (trad. Jean Cousin), De L’institution oratoire, t. I, Paris, Les Belles Lettres, coll. « Bude Serie Latine », 1989, 392 p. (ISBN 2-2510-1202-8) .
  • Antoine Fouquelin, La Rhétorique Françoise, Paris, A. Wechel, 1557 .
  • César Chesneau Dumarsais, Des tropes ou Des différents sens dans lesquels on peut prendre un même mot dans une même langue, Impr. de Delalain, 1816, 362 p.
    Nouvelle édition augmentée de la Construction oratoire, par l’abbé Batteux. Disponible en ligne
     
  • Pierre Fontanier, Les figures du discours, Paris, Flammarion, 1977 (ISBN 2-0808-1015-4) [lire en ligne] .
  • Patrick Bacry, Les figures de style : et autres procédés stylistiques, Paris, Belin, coll. « Collection Sujets », 1992, 335 p. (ISBN 2-7011-1393-8) .
  • Bernard Dupriez, Gradus,les procédés littéraires, Paris, 10/18, coll. « Domaine français », 2003, 540 p. (ISBN 2-2640-3709-1) .
  • Catherine Fromilhague, Les figures de style, Paris, Armand Colin, coll. « 128 Lettres », 2007 (ISBN 978-2-2003-5236-3) .
  • Georges Molinié et Michèle Aquien, Dictionnaire de rhétorique et de poétique, Paris, LGF - Livre de Poche, coll. « Encyclopédies d’aujourd’hui », 1996, 350 p. (ISBN 2-2531-3017-6) .
  • Henri Morier, Dictionnaire de poétique et de rhétorique, Paris, Presses Universitaires de France, coll. « Grands Dictionnaires », 1998 (ISBN 2-1304-9310-6) .
  • Michel Pougeoise, Dictionnaire de rhétorique, Paris, Armand Colin, 2001, 16 × 24 cm, 228 p. (ISBN 978-2-2002-5239-7) .
  • Olivier Reboul, Introduction à la rhétorique, Paris, Presses Universitaires de France, coll. « Premier cycle », 1991, 15 cm × 22 cm, 256 p. (ISBN 2-1304-3917-9) .
  • Van Gorp, Dirk Delabastita, Georges Legros, Rainier Grutman et al., Dictionnaire des termes littéraires, Hendrik, Honoré Champion, 2005, 533 p. (ISBN 978-2-7453-1325-6) .
  • Nicole Ricalens-Pourchot, Dictionnaire des figures de style, Paris, Armand Colin, 2003, 218 p. (ISBN 2-200-26457-7) .
Figure mère Figure fille
opposition aucune
Antonyme Paronyme Synonyme
ressemblance aucun antithèse dialectique (dans la pédagogie), oxymore, énantiose (philosophie)



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