Martin Melkonian

Martin Melkonian
Portrait de Martin Melkonian.
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Martin Melkonian est un écrivain français né le 20 mai 1950 à Paris. Il a publié son premier livre, Le Miniaturiste[1], en 1984.

Sommaire

L'œuvre

On peut appréhender l’œuvre de Martin Melkonian selon deux territoires (cf. la bibliographie raisonnée ci-dessous) : le premier territoire appelé « récits », dans lequel les journaux intimes ont naturellement leur place, puis le second territoire qui regroupe des essais (De la boulimie et de la privation[2], Clara Haskil, portait[3], etc.), des textes commentant des beaux-livres ou ayant satisfait le besoin de l’auteur d’écrire sur tel ou tel sujet de prédilection[4].

Les grands thèmes récurrents dans toute l’œuvre sont l’arménité (l’arménien comme langue impossible, obligatoirement oubliée, pour mieux s’adapter à la culture d’adoption ; seul le français est appris[5]) ; l’enfance qui favorise le retour sur soi ; la solitude que l'enfance, précisément, ne cesse de réactiver ; l’incompréhension du monde et l'infinie observation sociale qui s'élabore de livre en livre[6], face à l’originalité que représente précisément le déni des origines ; la mémoire (transcrire le vivant des proches, Arméniens réfugiés de la première génération voués au silence ou à l'abandon de leur langue originelle) ; une écriture du désir de l’autre où aimer (pour toujours : l’Autre) et jouir (de manière fugace : les autres) s’avèrent quasiment en opposition dans le travail littéraire de Martin Melkonian.

L’œuvre porte en son entier un regard sombre sur l’humanité et, contradictoirement, bienveillant, dans le sens où l’on doit produire des traces (puisque le parachèvement est impossible), éveiller la mémoire de façon intacte pour être réellement vivant et, écrivant, être dans le partage.

Il ne faut pas s'étonner de la variété des genres appréhendés par Martin Melkonian. Il aborde ainsi, à chaque livre, l’écriture comme un commencement. Elle précède en effet toutes les histoires[7]. Ici, c’est l’écriture – le style – qui convoque les histoires et non le contraire[8]. Qu'on entende bien ce que suggèrent les livres : ce n’est pas l’enfance de Martin Melkonian que celui-ci donne à lire, mais une enfance ; ce n’est pas la vision égotiste d’un auteur qu’il donne à voir dans son cheminement de diariste, mais le témoignage d’un homme sur le monde qui l’entoure, avec ses souffrances propres, ses renoncements, ses attentes. Les histoires sont juste des faux-semblants, quand bien même reflèteraient-elles une certaine réalité, comme le lecteur est amené à le constater dans Les mots pour jouir :

« Ceux qui pensent que le journal intime n’est qu’une logorrhée complaisante omettent qu’il faut aussi de l’inspiration pour énoncer la vie chaude, fumante, parturiente, qui sort de chacun de nous sans laisser de traces visibles. Le désir de la trace cherche à convoquer un amour plus vaste, qui n’a rien à voir avec le bien-être personnel, la paix intérieure que prônent marchands de thérapies et de spiritualité. L’hyperindividualisme ambiant, ainsi que le narcissisme médiatique, ont beau jeu de condamner cette part intime qui réclame pourtant des soins et, au fond, le respect de la personne. Étrange renversement : le journal intime est un gage de pudeur circonstanciel. Freiner in vivo le bavardage sur soi afin d’extraire, dans le silence neigeux de la page journalière, nos beautés incorruptibles. Ces beautés – second renversement – ne sont pas personnelles. Elles ressortissent à l’ordre caché du monde. […]

« Paradoxalement (paradoxe apparent), si j’écris encore en mon nom, c’est pour mieux disperser ce qui n’a plus lieu d’être en mon nom ; c’est pour apprivoiser l’absence d’un jour prochain, faux trouble d’une disparition annoncée […]. »

Les travaux de Martin Melkonian sont empreints d’une grande exigence, exigence qui aborde le fragment de façon moderne et fulgurante (cf. Département des nains[9]). La littérature pour le style (ce qui vaut pour une interprétation du monde ; cf. les journaux intimes) et pour son humanisme, ainsi que son questionnement sur la nature humaine sont d’une rare profondeur. Il y a que les mots ne sont pas donnés d'emblée, ce qui oblige le lecteur à adopter une posture existentielle : être dans le temps du livre. Un temps à la fois inclusif et exclusif. La part d’excellence de l’œuvre de Martin Melkonian réside dans le thème obsédant de l’enfance, de comment il le traite et le fait proliférer en l'ouvrant au monde à l'image de l’habitacle idéal d’un bernard-l'ermite qui voudrait y loger pour toujours. Ce qu'illustre parfaitement Le Miniaturiste[10], récit écrit dans l’émotion pure de ce qu'il appelle "l'enfant pour toujours[11]". L’enfance que Martin Melkonian propose devient alors celle de tout un chacun. C’est le sens de la vie même, celui qu’on est en droit d’attendre des livres qu’on lit.

Notes et références

  1. Éditions du Seuil, réédité chez Parenthèses en 2006.
  2. Éditions Armand Colin, coll. L’Ancien et le Nouveau, 1993.
  3. Éditions Josette Lyon, 1995.
  4. Edward Hopper luttant contre la cécité, éditions d’écarts, 2005.
  5. « Il y a nos vies dans les mots. D’autres destinées qui appellent d’autres dictionnaires. Par notre présence en monde et par ce sens de l’appel, nous redéfinissons. Nous sommes voués à la redéfinition, d’autant que le réel est devenu divisible à notre insu et, ainsi, divisible, il révise, donne du fil à retordre à la mémoire : lutte entre le passé et présent, entre lenteur et vitesse, cheminement et arrivisme, lutte où les rapports interindividuels, désinvestis après avoir été surinvestis, s’épuisent ; solitude advenue dans le plusieurs. » In Les mots pour jouir, Éditions Intervalles, 2007.
  6. « Pour observer, il convient d’être désencombré : de dire oui au monde, de dire oui à soi dans le monde, d’accorder foi à ce lien, fût-ce dans la concavité secrète du désespoir, de veiller aussi à améliorer ce lien par force exercices, de créer une zone intermédiaire entre l’objectif et le subjectif, d’inventer une méthode selon laquelle l’esprit serait au milieu, tel un maillon entre les corps, telle une méthode (un trébuchet de cristal) propre à servir autant l’homme d’affaires que le poète./Celui qui observe renforce le lien. » In Les mots pour jouir, Éditions Intervalles, 2007.
  7. « Sans la pratique de l’écriture et, par extension, sans la pratique de la langue française, mon corps s’éparpille. Rassembler mon corps dans la pratique de l’écriture, c’est ma façon d’être. L’équilibre trouvé dans la langue française engendre une posture distinctive. La langue française pratiquée me tient debout », in Les mots pour jouir, Éditions Intervalles, 2007.
  8. « Je ne travaille pas mon écriture, c’est elle qui me travaille : sol où s’enfouissent mes premiers pouvoirs. » In Monsieur Cristal, Éditions Le Bois d’Orion, 1997.
  9. « Est parti. A déplacé son corps. Son corps a été bougé. Il s’est laissé entraîner par la tête de son corps. Son corps n’a pas résisté, a obéi. Pourtant, en moi, il n’a pas remué. Toujours là. S’il veut se retrouver — pardon : le retrouver —, très bien, je l’attends. » In Département des nains, Éditions Séguier, 1988.
  10. Éditions du Seuil, 1984.
  11. In Un petit héros de carnaval/Un pequeno heroe de carnaval, bilingue français/espagnol (galicien), Saint-Jacques-de-Compostelle, éditions Amastra-N-Gallar, 2011

Liens externes

Critiques

Bibliographie

Récits
  • Le Miniaturiste, Seuil, 1984 ; prix Thyde Monnier de la Société des gens de lettres, 1985 ; nouvelle édition : Parenthèses, 2006
  • Désobéir, Seuil, 1986
  • Loin du Ritz, Seuil, 1988
  • Le Camériste et autres récits, Maurice Nadeau, 1991
  • Les Marches du Sacré-Cœur, Le Bois d’Orion, 1995
  • « La main du témoin », in Ruptures. Moments de vérité (en collaboration avec Véronique Chauveau), Autrement, 2003
  • Un petit héros de papier, Le Félin, 2007
Journaux intimes
  • « Au bord de moi », in Le Camériste et autres récits, Maurice Nadeau, 1991
  • Monsieur Cristal. Journal 1977-1982, Le Bois d’Orion, 1997
  • Le Clairparlant. Journal 1997-1998, Le Bois d’Orion, 2000
  • Les mots pour jouir, Intervalles, 2007
Fictions
  • Département des nains, Séguier, 1988
  • « Le Camériste » et « Chez les hommes-ciseaux », in Le Camériste et autres récits, Maurice Nadeau, 1991
  • Conversations au bord du vide, éditions d’écarts, 2004
  • Edward Hopper luttant contre la cécité, éditions d’écarts, 2005
  • Les Corps introuvables, éditions d’écarts, 2006
Essais
  • De la boulimie et de la privation ou Le Magasin des troubles, Séguier, 1988 ; nouvelle édition : Armand Colin, 1993
  • Le Corps couché de Roland Barthes, Séguier, 1989 ; nouvelle édition : Armand Colin, 1993
  • Clara Haskil, portrait, Josette Lyon, 1995 ; article « Clara Haskil ou le sentiment musical », in Symphonia, n° 14, févr.-mars 1997
  • Ruptures. Moments de vérité (en collaboration avec Véronique Chauveau), Autrement, 2003 ; textes inclus : « Perdition programmée » et « La main du témoin »
  • Préface à La Politique du Sultan de Victor Bérard, Le Félin, 2005
Sur la photographie
  • La Mésoamérique (avec Robert van der Hilst, photographe), Double Page/Nathan, 1981
  • Pèlerinages tibétains : le goût du sacré (avec Pierre Crié, photographe), Autrement, 2004
  • Ils sont assis (avec Max Sivaslian, photographe), Parenthèses, 2006
  • Détournement de felos/Desvío de felos, bilingue français/espagnol (galicien), Saint-Jacques-de-Compostelle, éditions Amastra-N-Gallar, 2007
  • Mise à vue ou Comment la photographie de l’un engendre le texte de l’autre/Visualización ou Como a fotografía dun xera o texto doutro, bilingue français/espagnol (galicien), Saint-Jacques-de-Compostelle, éditions Amastra-N-Gallar, 2008
  • La Vérité des felos/A verdade dos felos, bilingue français/espagnol (galicien), Saint-Jacques-de-Compostelle, éditions Amastra-N-Gallar, 2009
  • L'Enfance du regard, éditions d'écarts, 2010
  • « Le monde est une vitrine » (avec Gaelle Redon, photographe), agence-galerie ANA, Paris, mars-juin 2011
  • Un petit héros de carnaval/Un pequeno heroe de carnaval, bilingue français/espagnol (galicien), Saint-Jacques-de-Compostelle, éditions Amastra-N-Gallar, 2011
  • « L'été 2011 (pour toujours) » (avec Jacques du Sordet, photographe), agence-galerie ANA, Paris, novembre-décembre 2011

Poésie

  • Un cahier pour se perdre, éditions d'écarts, 2010
Traduction
  • Han Shan, Montagne froide, Passage, 1982 ; deuxième édition : Rudra éditions/Lexis numérique, 1995 ; troisième édition : Fourbis, 1996

Wikimedia Foundation. 2010.

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