Lettre à Ménécée

Lettre à Ménécée
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La Lettre à Ménécée est une lettre écrite par le philosophe Épicure à son disciple Ménécée[1]. Le texte résume la doctrine éthique d'Épicure[2] et propose une méthode pour atteindre le bonheur, en même temps qu'elle en précise les conditions[3]. Avec la Lettre à Hérodote et la Lettre à Pythoclès, la Lettre à Ménécée fait partie des rares textes d'Épicure qui sont parvenus jusqu'aux modernes[4].

Sommaire

Présentation

Le texte de la Lettre nous parvient grâce au doxographe Diogène Laërce, qui le retranscrit au livre X de ses Vies, doctrines et sentences des philosophes illustres[5]. Consacré à Épicure, le livre X de Laërce reproduit également deux autres lettres, et un ensemble de 40 maximes dites « capitales »[6]. Jusqu'à la publication en 1888 de maximes issues d'un manuscrit du Vatican, la retranscription de Laërce constitue l'intégral du corpus attribué à Épicure[6]. La Lettre à Ménécée est ainsi l'une des seules sources concernant la pensée d'Épicure sur les sujets dont elle traite, la plupart des œuvres de l'auteur ayant été perdues. Épicure annonce que la philosophie est la médecine de l'âme, et qu'on peut la pratiquer à tout âge. Il propose également un quadruple remède (tetrapharmakos, terme utilisé par les épicuriens postérieurs) pour se soigner des maux de la condition humaine, à savoir :

  • Les dieux ne sont pas à craindre
  • La mort n'est pas à craindre
  • On peut atteindre le bonheur
  • On peut supprimer la douleur

(Traduction de P. Pénisson)[réf. nécessaire]

Plan de la Lettre à Ménécée

  • 1 Prologue- introduction générale: Il est nécessaire de s'exercer à la philosophie quel que soit l'age, le moment d'être heureux ne doit pas attendre. (§§122-123)
  • 2 Les dieux ne sont pas à craindre car bienheureux. Critique des opinions populaires à leurs propos. (§§123-124)
  • 3 La mort n'est rien pour nous, par conséquent il ne faut pas la craindre. (§§124-127)
  • 4 Il faut surtout différencier les plaisirs et privilégier ceux qui sont naturels et nécessaires. Le plaisir qui en résulte permet l'absence de souffrance. (§§127-128)
  • 5 Le plaisir est donc le principe et la fin de la vie heureuse. Cependant il faut effectuer une juste estimation et mesure des plaisirs et des peines. (§§128-130)
  • 6 Le "raisonnement sobre" dans les plaisirs est la marque de l'autosuffisance et il s'oppose à la recherche sans fin des jouissances immédiates. (§§130-132)
  • 7 La prudence est la synthèse entre plaisir et vertu. (§132)
  • 8 Épilogue : Le sage (épicurien) vit donc selon les préceptes établis précédemment, sans craindre la fortune et n'ayant pour d'autre maître que lui-même. (§§133-135)

Le Tétrapharmakos

Le tétrapharmakos, formule courte qui condense certains éléments présents dans la Lettre à Ménécée

Les dieux ne sont pas à craindre

Le dieu d'Épicure (à entendre comme un dieu parmi d'autres), n'est ni un dieu de la religion grecque, ni une providence toute puissante. Il leur attribut plusieurs caractéristiques:

  • la béatitude, soit le bonheur parfait
  • l'incorruptibilité

Ces deux notions sont rassemblées sous le terme notion commune, soit l'idée que tout homme se fait naturellement d'un être divin. A partir de ce point, Épicure nous démontre en quoi les dieux n'ont et ne peuvent avoir aucune incidence sur la vie humaine. D'une part , ils doivent cesser d'être assimilés aux phénomènes naturels (orage, tempête, etc...), puisque leur état de béatitude les font logiquement être indifférents à l'ordre même du monde. Cette opinion commune doit donc être supprimée car fausse et contraire à ce que sont réellement les dieux. D'autre part, Épicure se base sur sa doctrine atomiste pour renforcer et affirmer sa théorie. Désignant les dieux en constant renouvellement atomique donc comme des êtres immortels , ils ne peuvent par conséquent rien vouloir aux hommes puisque complétés. De ce fait, on retombe donc bien sur les deux caractéristiques qu'Épicure donne aux dieux, à savoir la béatitude et l'incorruptibilité. Les dieux et les hommes ne sont donc jamais en relation, et ce d'aucune manière possible.

La mort en dehors de la sphère humaine

Épicure développe un concept de la mort selon lequel cette dernière ne peut être perçue par l'être humain tout simplement car elle n'entre jamais en contact avec la vie humaine. Le texte s'ouvre donc bien sur l'idée que l'homme ne doit pas craindre la mort. Il tire de ce postulat de départ plusieurs raisonnements logiques pour prouver ses dires, notamment celui de la sensation: puisque tout plaisir et souffrance sont contenus dans la sensation, et que la mort est privation de celle -ci, il ne faut en aucun cas craindre la mort. Mais plus encore que la simple cessation du corps c'est aussi l'âme qui s'évapore avec la mort, Épicure estimant qu'ils sont tous deux composés d'atomes, donc capables de se décomposer et de disparaître avec la cessation de la vie (selon sa doctrine tirée de l'atomisme). Le passage du texte consacré à la mort se conclut donc sur ces mots : "Ainsi, le plus effroyable des maux, la mort,n'est rien pour nous, étant donné précisément ,que quand nous sommes,la mort n'est pas présente; et que, quand la mort est présente, alors nous ne sommes pas". C'est la mort de la mort. De ce fait l'Homme ne doit plus craindre la mort comme il l'a toujours fait , mais ne pas y penser puisqu'il ne pourra la côtoyer. Mais Épicure n'édifie pas son raisonnement en vain, pour la simple "beauté de la chose". Il prescrit cette vision de la vie à tout être humain comme un des buts finaux pour pouvoir atteindre la plénitude de sa vie d'Homme. Ainsi prend t-il juste après sa démonstration, l'image du sage ( à voir comme un sage épicurien) et montre en quoi il atteint le bonheur en ne craignant pas la mort mais en vivant sa vie de manière saine et juste (de manière épicurienne).


•Ce texte fait apparaître la fermeté d'Epicure, sa rigueur, sa patience et sa bienveillance mais aussi son absence de complaisance pour ceux qui, prônant le suicide parlent sans réfléchir aux conséquences de leurs affirmations:

•la 1ère phrase du texte donnait d'ailleurs le ton: pas de théorie sans pratique. L'enjeu de ce texte était donc moral: agir conformément à la vérité pensée, seule attitude intelligente susceptible de permettre l'ataraxie (absence de troubles de l'âme)

La douleur est relative

Pour Épicure on souffre davantage de l'anticipation de la douleur que de la douleur elle-même. De plus il ne faut pas craindre la douleur : soit elle est très vive, mais rapide; ou bien très vive et demeure, auquel cas la mort n'est pas loin; soit enfin la douleur est chronique, auquel cas elle devient supportable en ce qu'on s'y habitue.

Typologie des désirs

Épicure établit une distinction entre les différents types de désirs :

  • Les désirs vides : basés sur des désirs vains, ils ne doivent pas être satisfaits (luxure, richesse...)
  • Les désirs naturels : qui ne sont ni nécessaires ni vides mais simplement présents: le désir sexuel
  • Les désirs naturels nécessaires : il s'agit de la faim, de la soif, par exemple. Ces désirs doivent être satisfaits car ils sont nécessaires. La satisfaction de ces désirs doit être dans la modération afin de ne pas produire un manque. En effet, si pour épancher la soif, on ne fait que consommer du vin, il va se créer inévitablement un sentiment de manque lorsque l'on n' aura plus de vin. Or, les désirs naturels nécessaires ne doivent pas être soumis au manque, ou comme on pourrait le dire aujourd'hui, à l'assuétude.

Satisfaire ses désirs ne signifie pas non plus devenir ascète mais bel et bien savoir éviter une situation de dépendance envers les plaisirs ou les désirs. Afin d'expliquer ce point, Épicure parle de "calcul des plaisirs". Il s'agit d'un principe selon lequel il faut savoir résister à un plaisir afin de prévenir un plus grand mal qui pourrait survenir plus tard. Le sage est capable de suivre cette direction et il évite ainsi le manque qui viendrait entraver sa vie. Le but du sage et donc du philosophe est d'atteindre l'ataraxie, c'est-à-dire le repos de l'âme, et l'aponie, qui concerne le corps. Il y a, et notamment dans la Lettre à Ménécée, une hiérarchie des douleurs, celle de l'âme étant plus dure à supporter que celle du corps. L'âme doit aussi permettre d'oublier la douleur somatique. Dans une lettre qu'il a écrite le jour de sa mort à Idoménée, alors qu'il était atteint d'une maladie très douloureuse, Epicure précise qu'il surmonte ses douleurs physiques en se remémorant les conversations qu'ils ont eues ensemble. C'est ainsi qu'il est possible d'affirmer que le corps semble moins important que la santé de l'âme.

Influences

L'épicurisme de la Lettre à Ménécée est devenu au fil des décennies une des philosophies majeures de la Grèce antique. Perpétuée dans L'empire romain au Ier siècle apr. J.-C., elle s'opposa au stoïcisme pour être la philosophie de vie principalement enseignée dans les écoles philosophiques. On doit son importance durant cette période au poète Lucrèce qui reprenant les thèses d'Épicure, les traduisit avec un langage poétique dans son œuvre De la nature des choses, en y apportant tout de même plusieurs approfondissements comme sur le thème de l'atome et ses conséquences. Cependant l'épicurisme perdit de sa superbe après cette période et s'éteignit aux alentours du IIe siècle apr. J.-C..

Notes et références

  1. Marcel Conche, « Avant Propos », in Épicure, Lettres et Maximes, Paris, PUF, coll. Épiméthée, p. 8
  2. Jean-François Balaudé, « Introduction », in Épicure, Lettres, Maximes, sentences, LGF, coll. Le livre de Poche, 2009, p. 113 ; Jacques Brunschwig, « Épicure », in Collectif, Philosophie grecque, Paris, PUF, 1998, p. 476 ; et Tom O'Keefe, « Epicurus », in Internet Encyclopedia of Philosophy, (en) lien
  3. Marcel Conche, « Introduction », in Épicure, Lettres et Maximes, Paris, PUF, coll. Épiméthée, 2003, p. 40
  4. Marcel Conche, « Avant Propos », in Épicure, Lettres et Maximes, Paris, PUF, coll. Épiméthée, p. 8 ; et Jean-François Balaudé, « Épicure », in Collectif, Gradus philosophique, Paris, Garnier Flammarion, 1996, p. 213
  5. Marcel Conche, « Avant Propos », in Épicure, Lettres et Maximes, Paris, PUF, coll. Épiméthée, p. 8 ; et Jacques Brunschwig, « Épicure », in Collectif, Philosophie grecque, Paris, PUF, 1998, p. 477
  6. a et b Marcel Conche, « Avant Propos », in Épicure, Lettres et Maximes, Paris, PUF, coll. Épiméthée, p. 8

Pierre-Marie Morel, Epicure, Lettre à Ménécée, 2009, Garnier flammarion.

Liens externes


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