Les Deux Anglaises Et Le Continent

Les Deux Anglaises et le continent

Les Deux Anglaises et le continent (en anglais : Two English Girls) est un film français de François Truffaut, sorti en 1971.

Synopsis

Au début du vingtième siècle, Claude (Jean-Pierre Léaud), un jeune Français dandy et collectionneur (de femmes autant que d'œuvres d'art), fait la connaissance d'une jeune Anglaise, Ann (la fille d'une amie de sa mère), qui l'invite à passer ses vacances dans sa famille, au Pays de Galles. Celle-ci va lui présenter sa sœur Muriel, et va pousser Claude à tomber amoureux de sa sœur. Les deux Anglaises, puritaines, sont surprises et charmées par ce jeune Français libertaire, qu'elles appellent "le Continent". Mais le mariage escompté n'aura pas lieu entre Muriel et Claude : leurs deux mères, les pensant trop jeunes pour l'amour, décident une séparation d'un an pour mettre à l'épreuve leurs sentiments. Claude repart à Paris la mort dans l'âme et pense tenir bon. Mais sa vie de libertin reprend le dessus.

Entre temps, Ann, la cadette des sœurs, s'émancipe et part à Paris pour faire de la sculpture. C'est à ce moment-là que va s'amorcer une relation entre elle et Claude, qui l'initie à la sensualité. Tout à la fois rongée par la culpabilité de tromper la confiance de sa sœur (Muriel est amoureuse de Claude) et amoureuse de Claude, Ann devient petit à petit le pendant féminin de Claude dans le Paris artistique et libertaire du début du XX^e siècle. En effet, elle va prendre un autre amant (Diurka, un slave incarné par Philippe Léotard), ce que Claude aura du mal à accepter, malgré ses idées libérales en matière de couple.

Le drame atteint son comble lorsque Muriel est mise au courant de la relation d'Ann et Claude. Elle devient gravement malade et se morfond dans une dépression dont elle mettra plusieurs années à se guérir, à l'aide de sa dévotion religieuse. Son culte de la pureté la sépare alors en plus de la vie "dissolue" menée par sa sœur. C'est ensuite au tour d'Ann de tomber malade : elle revient ensuite au Pays de Galles, tuberculeuse et y meurt en prononçant ces mots : "j'ai de la terre plein la bouche". Ces paroles seront rapportées à Claude par Diurka, qui s'était rendu sur place pour la demander en mariage. Claude, meurtri, écrit un roman où il met en scène une femme aimant deux hommes, pendant déguisé de son histoire avec les deux sœurs Brown : Jérôme et Julien. C'est Diurka, éditeur, qui se charge de la publication. Claude dira à Diurka : "A présent, j'ai le sentiment que ce sont les personnages de ce livre qui ont souffert à ma place".

Mais tout n'est pas dénoué. Pour Muriel, qui a désormais conscience que le temps presse, une seule chose compte : retrouver Claude et l'aimer. C'est ce qu'elle va faire, le temps d'une nuit seulement, en le laissant désespéré au petit matin. Claude pleure. Muriel le quitte en soutenant qu'ils ne pourraient pas être heureux ensemble, que la réalisation de leur amour est impossible sur le long terme. Un dernier espoir fait croire à Claude qu'il passera le restant de ces jours avec Muriel lorsqu'elle croit être enceinte, puis s'éteint lorsque celle-ci, par lettre, lui dit qu'elle s'est trompée.

Bien des années passent, au milieu des années 1920, Claude, qui ne s'est jamais marié, se promène dans le parc du Musée Rodin en repensant aux sculptures d'Ann et à son amour pour ces deux sœurs anglaises lorsqu'un groupe de petites filles attire son attention. Il les regarde et cherche avec désespoir le visage de Muriel parmi ceux des petites filles. En effet, il a appris que Muriel s'était mariée et qu'elle avait eu une fille, dont l'âge devrait correspondre à celui des petites filles. Rentrant chez lui, il croise son reflet vieilli (il porte des lunettes et une barbe) dans la vitre d'une automobile et s'écrit avec effroi "Comme j'ai l'air vieux ce soir".

Commentaires de l'œuvre

Inspiré du roman du même titre d'Henri-Pierre Roché, auteur de Jules et Jim, Les deux Anglaises et le continent présente le triangle inverse, un homme, français, et deux femmes, anglaises. Plus pessimiste, influencé par Jean Renoir, il est marqué par des références fréquentes à la sculpture et par l'omniprésence du thème épistolaire et littéraire (correspondances postales, journaux intimes et roman écrit par Claude). Le générique de début de film ne montre d'ailleurs qu'une succession d'exemplaires du livre de Roché aux éditions Gallimard. La voix off, fameuse pratique truffaldienne, gagne ici ses lettres de noblesse. C'est François Truffaut qui, lui-même, lit le texte de Roché légèrement modifié par endroit (les lettres et les journaux des trois personnages). Cette voix fiévreuse et émotive rythme le film dans son entier, lui donnant son identité visuelle ainsi que son originalité scénique. Grâce à cette voix off, le réalisateur, son personnage (incarné de surcroît par Léaud, son double) et son film même se confondent. Œuvre intime donc, violente, dérangeante et révélant particulièrement bien le lien entre amour et douleur (physique et morale) chez François Truffaut.

François Truffaut considérait effectivement ce film comme son chef d'œuvre intime (en comparaison avec Le Dernier Métro multi-césarisé et La Nuit américaine, oscar du meilleur film étranger en 1973. Selon Truffaut, Les Deux Anglaises et le Continent était un film "non sur l'amour physique mais un film physique sur l'amour". Le réalisateur pensait en effet être arrivé à un niveau de maîtrise honorable dans son usage de la narrativité et de la photographie (les prises de vues de Nestor Almendros sont particulièrement travaillées pour ce qui est du contraste lumière / ombre). La réalisation de ce film lui tenait également à cœur pour des raisons personnelles : le roman d'Henri-Pierre Roché dont il propose l'adaptation est le seul livre que François Truffaut a emmené à la clinique durant une cure de sommeil effectuée pour soigner sa dépression après le départ de sa compagne Catherine Deneuve. Les Deux Anglaises sont mal reçues par la critique et le public. La France subit encore de plein fouet l'onde de choc de mai 68 et se retrouve mal à l'aise devant cet hommage audacieux rendu à l'amour platonique comme à l'amour physique, hommage particulièrement anachronique réunissant dans un paradoxe grandiose éloge de la pureté, la dévotion et celui d'une certaine idée romantique de la sensualité. Cet échec est particulièrement frustrant pour Truffaut, qui a pu voir la réalisation de cette œuvre comme une solution cathartique à son propre chagrin d'amour. À l'image de Claude Roc, François Truffaut soigne son mal par la création. Le film fut d'ailleurs amputé de nombreuses scènes à sa sortie en 1971 : à l'époque, on a considéré que les longueurs qu'il contenait étaient superflues.

Le film est ressorti en 1985 sous le titre des Deux Anglaises, dans sa version définitive. Il s'agit du dernier travail de fond mené par François Truffaut, juste avant son décès prématuré, à 52 ans. Ce deuxième montage des Deux Anglaises et le Continent quelques mois avant sa mort (octobre 1984) témoigne de lui-même de l'importance que revêtait cette œuvre dans la carrière de son auteur.

Le titre est volontairement ambigu : le terme continent désignant aussi bien la France par rapport à la Grande-Bretagne, que la qualification de celui qui pratique la continence : Claude Roc incarne la figure de la stérilité, étouffé par les figures féminines castratrices (les sœurs Brown mais surtout sa propre mère, avec laquelle il a une relation fusionnelle). Ce thème de l'homme faible enchaîné par l'amour de femmes mortifères se retrouve tissé tout au long de l'œuvre de François Truffaut, dans La Femme d'à côté notamment.

Par ailleurs, François Truffaut confie à Jean-Pierre Léaud son premier grand rôle de composition dans ce film, différent du personnage d'Antoine Doinel qu'il incarnait depuis Les Quatre Cents Coups. Il est en effet très touchant de voir Léaud dans un rôle adulte, qu'il assume à merveille, en émotif dandy de la Belle Époque. Ce premier grand rôle qui le fait passer du statut d'éternel adolescent (Antoine Doinel, mais également ses rôles chez Jean-Luc Godard) à celui d'adulte lui permettra d'envisager des rôles plus ambitieux, comme celui de l'anti-héros de La Maman et la putain de Jean Eustache. Cette évolution aura néanmoins pour effet de précipiter la mort du personnage d'Antoine Doinel, François Truffaut estimant que l'acteur a dépassé son personnage. Antoine Doinel réapparaitra le temps d'un seul film rétrospectif en 1979 : L'Amour en fuite, qui est loin d'être le favori de son auteur.

Notons, enfin, la musique poignante de Georges Delerue, carte d'identité sonore des films de François Truffaut les plus romantiques.

Fiche technique

• Titre : Les Deux Anglaises et le continent
• Réalisation : François Truffaut
• Scénario : F. Truffaut, Jean Gruault, d'après le roman de Henri-Pierre Roché
• Photo : Nestor Almendros
• Décors : Michel de Broin
• Musique : Georges Delerue
• Montage : Yann Dedet
• Genre : Drame
• Durée : 118 minutes en 1971, puis 132 minutes en 1985
• Date de sortie : 18 novembre 1971

Distribution

• Jean-Pierre Léaud : Claude Roc
• Kika Markham : Ann Brown
• Stacey Tendeter : Muriel Brown
• Philippe Léotard: Diurka
• Sylvia Marriott : Mrs. Brown

Liens externes

La narration musicale de Georges Delerue dans Les Deux Anglaises et le Continent

(fr+en) Les Deux Anglaises et le continent sur l’Internet Movie Database

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