Les Ambassadeurs

Les Ambassadeurs
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Les Ambassadeurs
Image illustrative de l'article Les Ambassadeurs
Artiste Hans Holbein le Jeune
Année 1533
Type Double portrait
Technique Huile sur panneau de chêne
Dimensions (H × L) 208 cm × 209 cm
Localisation National Gallery, Londres

Les Ambassadeurs est un double portrait de Jean de Dinteville et Georges de Selve peint par Hans Holbein le Jeune, actuellement conservé à la National Gallery de Londres. Ce tableau sur bois comporte une anamorphose au premier plan. Cette forme, souvent nommée os de seiche, apparait depuis un point de vue oblique comme une vanité représentant un crâne humain. L'intérêt du tableau est triple: historique, esthétique mais aussi symbolique.

Sommaire

Historique

Jean de Dinteville (1504-1557), bailli de Troyes et seigneur de Polisy était ambassadeur. Il existe plusieurs autres portraits de Dinteville attribués à Holbein : un dessin conservé à Windsor et une peinture sur bois conservée à Berlin (Portrait d'un homme tenant un luth, 1534 ou 1535, Staatliche Museen, Gemäldegalerie)[1]. Il existe également de lui un portrait au crayon et sanguine de Clouet[2].

Georges de Selve (1506-12 février 1541), (fils de Jean de Selve premier président du parlement de Paris), Évêque de Lavaur, (Tarn), de 1526 (20 ans) à 1540 (34 ans), était lui aussi diplomate, Ambassadeur en Angleterre (1533), auprès de la République de Venise de 1534 à 1535, du pape à Rome en 1536, puis à Vienne, en Allemagne et en Espagne. Il a rendu une visite privée à son ami Jean de Dinteville à l'occasion des fêtes de pâques 1533, à Londres, c'est à cette occasion qu'a été peint le tableau.

Dans un premier temps, les historiens de l'art ont cru reconnaître Thomas Wyatt, poète de la cour, et son ami l'antiquaire John Leland. Puis le duc Otto Heinrich et Philippe le Valeureux, de Pfalz Neuburg. L'identification définitive des portraits a été faite en 1895 par Mary Hervey[3].

Le tableau est signé et daté en bas à gauche, dans une zone d'ombre : IOANNES HOLBEIN PINGEBAT 1533. Il appartient d'abord à Jean de Dinteville et reste à Polisy, où se trouve son château, jusqu'en 1653, date à laquelle il est transporté à Paris. Il est vendu aux enchères à Paris le 25 avril 1787. Le marchand d'art Lebrun en fait l'acquisition puis le vend en Angleterre en 1792. Vers 1808 ou 1809, il entre dans la collection du comte de Radnor à Longford Castle (Wiltshire). La National Gallery l'acquiert enfin en 1890.

Description

Les Ambassadeurs est une huile sur panneau de 208 x 209 cm.

La peinture représente Jean de Dinteville, à gauche, ambassadeur de France en Angleterre en 1533, date de la réalisation du tableau. À droite, se trouve son ami, Georges de Selve, évêque de Lavaur qui a été lui aussi occasionnellement ambassadeur auprès de l'Empereur romain germanique, de la république de Venise et du Saint-Siège. Les deux hommes, qui regardent le spectateur de l'œuvre, sont accoudés à un meuble comportant deux étagères et sur lequel sont disposés plusieurs objets qui se rattachent au quadrivium, les quatre sciences mathématiques parmi les sept arts libéraux, soit l'arithmétique, la géométrie, la musique et l'astronomie. Sur l'étagère supérieure, on voit une sphère céleste, des objets de mesure du temps et un livre, disposés sur un tapis rouge aux motifs géométriques complexes. Sur l'étagère inférieure, un globe terrestre, deux livres, un luth et quatre flûtes réunies dans un étui. L'arrière plan est occupé par un rideau de velours vert dont un repli révèle, à peine, dans le coin haut gauche un crucifix qui souvent n'est pas présent dans les reproductions du fait de sa position à la marge. Le sol montre un pavage composé de cercles et de carrés où se détache une forme difficilement lisible, mais qui saute aux yeux tant elle semble hors de l'espace de la peinture et qu'on a souvent nommé l'os de seiche. Jean de Dinteville est richement habillé d'un manteau de fourrure, il porte à la main une dague dans un étui, où son âge, vingt-neuf ans, est gravé, un béret sur la tête sur lequel est accrochée une broche comportant la représentation d'un crâne. Du noir de ses vêtements tranche le rouge de ses manches et de sa poitrine où pend à une chaîne dorée une médaille décorée d'un ange, la preuve de son appartenance à l'ordre de Saint-Michel. Georges de Selve est, lui, tout vêtu de noir, enveloppé dans un manteau de fourrure. Il porte une paire de gants dans la main droite et sa tête porte une coiffe. De Selve passe l'essentiel de son sacerdoce à travailler à la réconciliation au sein de l'Église. La peinture semble donc immortaliser la prise de fonction d'un ambassadeur français fraîchement nommé à la cour d'Angleterre et la visite que lui fait à cette occasion son ami. Ce premier regard jeté sur la peinture, une œuvre quasiment carrée, de plus de deux mètres de côté, amène deux réflexions : les deux sujets du tableau n'en occupent pas le centre mais sont déportés à droite et à gauche, encadrant un ensemble d'objets qui semblent hétéroclites au premier abord ; à leurs pieds se trouve un objet énigmatique et comme étranger au reste du tableau même s'il en occupe le premier plan, comme si Holbein avait utilisé le portrait pour mettre en valeur autre chose que les personnages qui donnent leur nom à l'œuvre, et dont l'un, Dinteville, est le commanditaire.

La peinture semble donc foisonner de symboles, d'indications cachées, de références, toutes choses normales dans la peinture de la Renaissance et, que nous allons essayer d'identifier, de mettre en lumière.

Le contexte politique et religieux de l'année 1533

Le paysage politique européen de l'époque est dominé par quatre figures majeures : les rois de France et d'Angleterre, François Ier et Henri VIII, l'empereur Charles Quint et le pape Clément VII qui mourut l'année suivante. Fin octobre 1532, Francois Ier rencontre Henri VIII pour tenter d'obtenir son soutien contre l'Empire. Henri VIII, quant à lui, souhaite que François Ier use de son influence sur le pape Clément VII pour résoudre la question de son divorce avec Catherine d'Aragon, la tante de Charles Quint. Les rencontres sont chaleureuses, François offre à Anne Boleyn, qu'Henri VIII épousera cette année-même, un diamant et invite le fils naturel d'Henri, le duc de Richmond, à suivre la même éducation que ses fils à la cour de France.

Des cardinaux français mènent alors des négociations secrètes avec le pape pour soutenir la position d'Henri VIII et le deuxième fils de François Ier, le duc d'Orléans et futur Henri II, est fiancé à la nièce du pape, Catherine de Médicis. La décision de publication par le pape des bulles nécessaires à la nomination de Thomas Cranmer comme archevêque de Cantorbéry, semble indiquer que les cardinaux ont fait avancer le dossier d'Henri VIII auprès de Clément VII. Le 25 janvier 1533, Henri épouse en secret Anne Boleyn, alors enceinte, et en informe, en mars, François qui s'en réjouit car cela symbolise une distance grandissante entre la maison d'Angleterre et celle de l'Empereur, son principal ennemi, et un rapprochement remarquable avec la maison de France. Puis les événements se précipitent, le 23 mai, Thomas Cranmer, maintenant archevêque de Cantorbéry, se substitue au pape et annule le mariage d'Henri VIII avec Catherine d'Aragon. Le 1er juin, Anne Boleyn est couronnée à l'abbaye de Westminster. Finalement, tout cela entraînera, le 23 mars 1534, l'excommunication d'Henri VIII par Clément VII et le schisme de l'Église anglicane avec Rome. Durant la même période la France connaît aussi un certain trouble face aux thèses luthériennes.

Suivant ce contexte, on voit que, lorsque Jean Dinteville se rend en Angleterre en février 1533, les espoirs d'alliance entre la France et l'Angleterre sont au plus haut, cependant ce n'est plus le cas à son retour en France en novembre de la même année. Sa présence à Londres ainsi que celle de son frère, François, l'évêque d'Auxerre, ambassadeur de France auprès du Siège apostolique, montre qu'il joue un rôle central dans les négociations entre François Ier, Henri VIII et le pape.

Le pavage

Le pavage qui se trouve sous les pieds des ambassadeurs a été identifié[réf. nécessaire] comme inspiré, avec une importante simplification, par deux pavages véritables qui partagent une certaine ressemblance. Le premier se trouve à l'abbaye de Westminster [1], le second à la Chapelle Sixtine, dans ce cas à une place symbolique, exactement sous la création d'Adam, le don de la vie par Dieu aux hommes. Nous reviendrons sur cette symbolique plus loin lorsque nous analyserons l'os de seiche.

Parmi tous les éléments qui composent le tableau, ce pavage est celui dont la raison symbolique est la moins sûre. Le pavage de l'abbaye comportait sur le carré extérieur du motif une inscription en lettres de bronze, aujourd'hui largement perdue, mais une transcription du XVe siècle permet d'en reconstituer le texte (Christi milleno dis centeno duodeno/ cum sexageno, subductis quatuor, anno,/ tertius Henricus rex, urbs, Odoricus et abbas hos compegere porphyreos lapides) qui fixe la date de son exécution à 1268, sous le règne d'Henri III d'Angleterre et indique le nom de son concepteur, l'artisan mosaïste romain Odoricus. Même si la signification précise de ce pavage reste largement mystérieuse, il est très certainement la représentation du macrocosme, un schéma de l'univers, le cercle central symbolisant Dieu et les quatre cercles périphériques les quatre éléments - le feu, la terre, l'eau et l'air - et le choix par Michel-Ange de positionner sa création d'Adam au-dessus d'une représentation semblable dans la Chapelle sixtine ne semble pas l'œuvre du hasard. On retrouve la même schématisation symbolique de l'univers aussi bien sur le plafond de Raphaël pour la chambre de la Signature (Stanza della Segnatura [2]) que dans le plan de Tycho Brahe [3] pour son observatoire d'Uraniborg.

Nous avons donc deux hommes, le microcosme, placés sur le macrocosme symbolisé par le pavage, donc au centre de la création, et encadrant divers objets dont nous allons tenter de connaître le sens.

L'étagère inférieure

L'étagère inférieure

Cette étagère comporte plusieurs objets : un globe terrestre, un livre d'arithmétique de Peter Apian, mathématicien et astronome à l'université d'Ingolstadt en Allemagne, Eyn newe unnd wohlgründte underweysung aller Kauffmanss Rechnung in dreyen büchern (Un livre nouveau et fiable pour apprendre le calcul et destiné aux marchands, 1527) maintenu ouvert par une équerre, un luth dont l'une des cordes est cassée, un livre d'hymnes luthériens de Johannes Walther, Geistlich Gesangbuhli dans sa première édition de 1524, complètement ouvert sur deux pages qui montrent une partition et un groupe de flûtes. Les objets présents sur cette étagère, qu'ils concernent la géographie, les mathématiques ou la musique, sont plus orientés vers la pratique de ces arts ou techniques que vers leur théorie.

Le globe

Basé sur celui que Johannes Schöner produisit à Nuremberg en 1523, il indique un certain nombre de notations « géopolitiques » comme la ligne de partage du monde entre Espagnols et Portugais établie par le pape Alexandre VI par le traité de Tordesillas de 1494. La circumnavigation de Magellan y est tracée. On y aperçoit aussi le Nouveau Monde, en particulier la côte brésilienne. Holbein a fait cependant quelques variations par rapport à l'original en particulier, il écrit « Pritannia » en lieu et place de « Britannia », la Bretagne, peut-être un rappel de sa propre prononciation fautive, mais surtout une de ces touches de désordre qui émaillent la peinture et qui symbolisent le trouble du monde. Il indique sur la carte de France, l'emplacement de Policy, aujourd'hui Polisy, dans l'Aube, le domaine seigneurial de Dinteville où le tableau est destiné à être installé.

Le livre d'arithmétique

La symbolique associée au livre de Peter Apian est probablement de deux ordres. Tout d'abord, livre à l'usage des marchands et consacré à la pratique de leur métier, il marque l'importance de l'émergence de la bourgeoisie dans cette période. Holbein fera d'ailleurs des portraits de riches marchands. Il manifeste aussi dans cette pratique marchande l'apparition de nouveaux outils mis à disposition d'un plus grand nombre par la technique révolutionnaire à l'époque de l'imprimerie. Le livre rappelle aussi que Georges de Selve descend d'une famille de marchands limousins qui a fait sa fortune au cours du XVe siècle et qui a ainsi permis à l'un des siens d'occuper la position d'évêque. Il a été remarqué aussi par Foister que la page lisible commence par le mot Dividirt, double sens de division mathématique mais aussi de division ou dysharmonie, tant dans l'église que dans le domaine politique, ce qui apparaît, en conjonction avec d'autres éléments de la composition, comme une des clefs du tableau. En effet, les écrits de Georges de Selve se font l'écho de ses inquiétudes devant la division dont souffre l'église, la Réforme luthérienne, mais aussi la création de l'église anglicane, dans le pays-même où est peint le tableau. Il écrit par exemple un discours destiné au roi de France et à l'Empereur romain germanique pour appeler à la réconciliation.

Le luth

L'étagère inférieure comporte dans sa partie droite trois objets reliés à la musique, un luth, un livre de psaumes et plusieurs flûtes rassemblées dans un étui qui révèle un emplacement vide. Baltrusaitis a remarqué que ce luth ressemble étrangement à celui de la gravure Underweysung der Messung [4] d'Albrecht Dürer (1525) où celui-ci montre un dispositif de traçage des objets en perspective. On peut y voir la reconnaissance de la dette d'Holbein à la science de la perspective, un apport majeur de la Renaissance à la peinture, qui permet au peintre de réaliser des tableaux au réalisme si confondant. De plus, l'une des cordes est cassée, ce qui symbolise la finitude de l'existence en cette période de questionnement de l'homme de la Renaissance, qui cherche à donner un sens à sa vie et vit dans une certaine angoisse de la mort; angoisse que l'Église catholique a de plus en plus de mal à contenir depuis le scandale de la vente des indulgences par certains papes (l'accès au paradis aux généreux donateurs) et le développement du protestantisme, en même temps que s'accroît la curiosité intellectuelle de l'Homme Nouveau... et qui se retrouve dans le crâne en anamorphose et dans le crucifix.

Le livre de chants

Le livre représenté est le Geistlich Gesangbuhli de Johannnes Walther, un livre d'hymnes sacrés dont la première édition date de 1524. Comme pour le livre d'arithmétique, Holbein a choisi de présenter le livre ouvert à deux pages particulières qui ne sont cependant pas consécutives dans le véritable ouvrage. La page de gauche montre la traduction en allemand, par Luther, du premier verset de l'hymne Veni sancte Spiritus et la page de droite l'introduction à la Version abrégée des Dix Commandements du même Luther. Il est fort probable que le choix de ce livre et la juxtaposition de ces deux pages soient intentionnels[réf. nécessaire], certainement le thème favori de Luther de l'opposition entre la Loi, représentée par les commandements, et la Grâce, symbolisée par l'hymne, une thématique qui semble avoir été proche des positions de Georges de Selve[réf. nécessaire]. Holbein exploitera ce thème dans deux autres œuvres, au moins, un panneau se trouvant actuellement à la National Gallery of Scotland et sur la page titre de la bible de Coverdale [5] publié en 1535.

À l'arrière-plan, on devine un compas à pointe sèche, en anglais divider, qui fait écho à la division du livre d'arithmétique.

L'étagère supérieure

L'étagère supérieure

Sur cette étagère supérieure, on trouve disposés sur un tapis divers instruments astronomiques ou de mesure du temps. George de Selve pose son coude sur un livre dont la tranche comporte la mention : ÆTATIS SVÆ 25 ce qui correspond à l'âge de Georges de Selve qui a 25 ans en ce printemps 1533, il lui reste 7 ans à vivre.

Le globe céleste

À gauche près de Dinteville, on voit une sphère céleste qui montre les constellations avec les tracés des êtres mythologiques correspondants. On discerne la constellation du Cygne qui est notée Galacia, ce qui est anormal. Le cygne qui représente traditionnellement cette constellation sur les sphères célestes de l'époque est représenté ici plutôt comme un coq. À proximité, en partie masquée par une plume du costume de Jean de Dinteville, se trouve le vautour tenant une lyre, représentation classique de la constellation de la Lyre, au-dessus duquel est écrit Vultur cadens ("le vautour meurt", en latin). La signification de ces détails reste inexpliquée. Le globe n'est pas réglé pour représenter le ciel à la latitude de 51° 30' qui est celle de Londres où se trouvent les deux hommes mais pour une latitude comprise entre 42° et 43° plus caractéristique de l'Espagne - une partie de l'empire de Charles Quint - ou de l'Italie où réside le pape. On notera cependant qu'il s'agit d'une valeur très proche de la latitude de Rome (41° 52') et qu'elle rappelle les différends politiques et religieux entre la cour anglaise et le Vatican. On a fait remarquer aussi sa grande ressemblance avec celui construit en 1533 par l'astronome de Nuremberg Johannes Schöner et qui est aujourd'hui au musée de la Science de Londres[réf. nécessaire].

Les cadrans solaires

L'étagère supérieure comporte plusieurs cadrans solaires qui sont visibles dans une autre œuvre de Holbein, le portrait de Nicholas Kratzer, peint en 1528 [6], cinq ans auparavant. L'un des cadrans est réglé sur une date, le 11 ou le 15 avril, deux dates entre lesquelles il est impossible de trancher. Comme l'affirme Foister, il n'y a aucune certitude de la présence de Georges de Selve à Londres au début d'avril, cependant le 11 avril était cette année-là le Vendredi Saint et pourrait faire un lien symbolique avec le crucifix et le livre d'hymnes. Près du coude de Georges de Selve se trouve un torquetum, un instrument décrit pour la première fois par Ptolémée qui était de nouveau fabriqué à cette époque, en particulier par Peter Apian qui était aussi un fabricant d'instruments renommé. En position surélevée, un instrument représentant le ciel avec la position des constellations : l'astrolabe, déjà connu des Grecs, et repris par les navigateurs arabes, pour se repérer ou calculer l'heure du jour.

Le crâne et le crucifix

L'anamorphose, vue de face
Le crâne, vu en anamorphose
Utilisation d'une cuillère pour corriger la déformation.

L'étrange figure qui se trouve au premier plan, et parfois appelée l'os de seiche, a longtemps intrigué les analystes du tableau. Notre œil acéré d'aujourd'hui, bien plus habitué à la lecture d'images, nous fait deviner qu'il s'agit d'un crâne fortement déformé par une anamorphose, mais il est probable qu'on n'en faisait pas une lecture aussi immédiate autrefois. On notera cependant que ce type d'images déformées était à la mode dans l'Angleterre des Tudors, la National Portrait Gallery de Londres possède d'ailleurs un portrait d'Édouard VI d'Angleterre par William Scrots [7] qui utilise aussi une déformation par anamorphose que l'on corrige en regardant la surface du tableau au travers d'un trou dans son cadre.

Ces deux éléments conjugués évoquent plusieurs Saint Jérôme, celui de Joos van Cleve de 1525, et ceux de Dürer, en particulier l'huile sur panneau de bois de 1521 [8], actuellement au Museu Nacional de Arte Antiga à Lisbonne. Dans cette dernière œuvre, le regard de Jérôme vers le crâne suit un axe assez proche de celui qui permet de lire l'anamorphose du crâne des Ambassadeurs. L'association entre le crâne et le crucifix évoque la passion du Christ, le golgotha - le mot hébreu pour crâne - et le calvaire - calvaria étant le mot latin avec la même signification. On trouve d'ailleurs fréquemment dans les représentations de la crucifixion, un crâne - celui d'Adam, selon la tradition - au pied de la croix, sur lequel coule parfois le sang du Christ qui lave ainsi, par son sacrifice, le péché originel.


Le contraste de ce crâne avec le sujet principal de cette peinture qui représente deux hommes importants, un ambassadeur de France auprès de la cour d'Angleterre, dont le frère est lui-même ambassadeur auprès de la papauté et un évêque issu d'une famille de riches marchands, en fait une vanité, une œuvre qui symbolise que la mort rend insignifiants les luxes et les aspirations de l'existence, et que le chrétien doit avant tout se préparer au Jugement dernier.

Le crucifix est à moitié caché, dans une position intermédiaire entre ce qui est devant le rideau, le monde des hommes et ce qui est caché à leur regard derrière la tenture, de couleur verte, couleur ambiguë, symbole de l'inconnu. Il symbolise la position du Christ intermédiaire entre l'ici-bas et l'au-delà. Certains ont d'ailleurs vu dans ce tableau l'impossible représentation de Dieu[réf. nécessaire].

Comment observer le crâne

Pour corriger les déformations sur l'os de seiche et observer le crâne sans utiliser un moyen informatique, on peut utiliser le dos d'une cuillère. On place la cuillère au sommet de l'os, à droite. Le dos de la cuillère doit pointer vers la gauche et être perpendiculaire à l'image du tableau. En plaçant son regard face au dos de la cuillère et en modifiant son orientation, on observera facilement le crâne sur un écran. Si l'on dispose d'une version imprimée du tableau, on peut placer son regard dans le plan formé par la feuille et corriger la perspective.

Citations

  • « Un singulier objet, pareil à un os de seiche, flotte au-dessus du sol : c’est l’anamorphose d’un crâne qui se redresse lorsqu’on se place tout près, au-dessus, en regardant vers la gauche. Un sens caché et une solennité pèsent lourdement sur toute la scène. » Jurgis Baltrusaitis, Anamorphoses, ou Thaumaturgis opticus, Flammarion.
  • « Car le secret de ce tableau, dont je vous ai rappelé les résonances, les parentés avec les vanitas, de ce tableau fascinant de présenter, entre les deux personnages parés et fixes, tout ce qui rappelle, dans la perspective de l’époque, la vanité des arts et des sciences, - le secret de ce tableau est donné au moment où, nous éloignant légèrement de lui, peu à peu, vers la gauche, puis nous retournant, nous voyons ce que signifie l’objet flottant magique. Il nous reflète notre propre néant, dans la figure de la tête de mort. Usage donc de la dimension géométrale de la vision pour captiver le sujet, rapport évident au désir qui, pourtant, reste énigmatique. » Jacques Lacan, Le séminaire, livre XI, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, Seuil

Notes et références

  1. En 1911 le Burlington Magazine (vol V) identifia le meme personnage sur un dessin français contemporain
  2. Chantilly, musée Condé, inv. MN 129 Jean de Dinteville par Clouet
  3. Mary F. S. Hervey, Holbein's Ambassadors, the picture and the man. An historical study. Londres, 1900

Voir aussi

Liens externes

Bibliographie

  • Paul Ganz, Holbein, librairie Hachette (les classiques de l'art), Paris 1912
  • Jurgis Baltrusaitis, Anamorphose ou magie artificielle des effets merveilleux, Paris, 1969
  • Susan Foister, Ashok Roy, Martin Wyld, Making & Meaning: Holbein's Ambassadors, Londres, 1997
  • Jean-Louis Ferrier, Holbein les Ambassadeurs, anatomie d'un chef-d'œuvre, Paris 1977
  • Jeanette Zwingenberger, Hans Holbein le Jeune, L'ombre de la mort, Parkstone éd., Londres 1999.
  • Nicolas A. A. Brun, Trois plaidoyers pour un art holographique, L'Harmattan, coll. L'art en bref, Paris, 2008

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Contenu soumis à la licence CC-BY-SA. Source : Article Les Ambassadeurs de Wikipédia en français (auteurs)

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