Jean Piel

Jean Piel

Jean-Baptiste Piel (né le 28 janvier 1902 à Saint-Martin-de-Fresnay, Calvados - décédé à Yerres le 1er janvier 1996) est un écrivain, éditeur, philosophe et critique français.

Biographie

Au Lycée du Havre, il se lie d'amitiés avec Jean Dubuffet, Georges Limbour, et Raymond Queneau.

Il était marié avec Simone Maklès, sœur de deux comédiennes du Théâtre de l'Atelier : Bianca, épouse du surréaliste Théodore Fraenkel, et Sylvia, épouse de l'écrivain Georges Bataille puis du psychanalyste Jacques Lacan, ainsi que de Rose, épouse du peintre André Masson.

Il était aux côtés de Georges Bataille pour la création de Critique en 1946.

Après la guerre, pendant laquelle il subit un an de captivité, il était nommé par Raymond Aubrac secrétaire général adjoint pour les affaires économiques de la région de Marseille, puis, par Pierre Mendès-France, secrétaire général pour les affaires économiques de la région Poitou-Charentes, avant de devenir Inspecteur Général de l'Économie Nationale.

Jean Piel avait comme cet article en témoigne, beaucoup d'amis, voire connaissances qui étaient des communistes, mais il a toujours refusé d'appartenir à un parti politique. C'était pour lui, se conformer à un diktat, et il voulait rester libre de sa propre pensée, comme il l'a fait pendant toute sa vie. Ensuite, il fut directeur de la revue Critique depuis la mort de Bataille en 1962, il était un des grands éclaireurs de la littérature française. Entre autres, il publia : Roland Barthes, Maurice Blanchot, Yves Bonnefoy, Gilles Deleuze, Jacques Derrida, Michel Deguy, Michel Foucault, Michel Leiris, Emmanuel Lévinas, Jean-François Lyotard, Alain Robbe-Grillet, Michel Serres, et des dizaines d'autres.

Critique est une « revue générale des publications françaises et étrangères ». Elle propose chaque année à ses lecteurs neuf numéros, dont trois doubles. Elle reste fidèle à la mission que lui fixait Georges Bataille : « Critique publiera des études sur les livres et les articles paraissant en France et à l’étranger. Ces études dépassent l’importance de simples comptes rendus. A travers elles, Critique voudrait donner un aperçu, le moins incomplet qu’il se pourra, des diverses activités de l’esprit humain dans les domaines de la création littéraire, des recherches philosophiques, des connaissances historiques, scientifiques, politiques et économiques. » Une revue de référence. Échappant tout à la fois à l’urgence inhérente au journalisme culturel et à l’inévitable spécialisation des revues savantes, Critique est un instrument d’information et un espace de réflexion plus indispensables que jamais. Les études qu’elle publie s’attachent à dégager, dans la masse des publications, le neuf et l’essentiel. Les sujets érudits ou spécialisés y sont traités sous une forme toujours accessible au non-spécialiste.

En 1982, Fayard publia son autobiographie La Rencontre et la Différence.

Les archives de Jean Piel furent déposées à l'IMEC (Institut Mémoires de l’Édition Contemporaine).

Officier de la Légion d'honneur, Ancien Inspecteur Général de l'Économie Nationale.

Hommage à Jean Piel (1902-1996)

« Jean Piel n’est plus. C’était un homme qui vivait si fort qu’il est difficile pour tous ceux qui l’ont connu d’admettre qu’il les a vraiment quittés. Sa volonté, son énergie, sa curiosité, renouvelées année après année, mois après mois, avec chaque numéro de Critique, semblaient inépuisables. Les derniers mois, quand on lui rendait visite, c’était encore pour parler de cette revue qu’il dirigeait depuis plus de trente ans et à laquelle il se dévouait depuis un demi-siècle. Rares ont été d’aussi puissantes, aussi longues, aussi riches associations entre un individu et une revue.

Faut-il le rappeler ? Critique a été fondée en 1946 par Georges Bataille, ami de longue date de Jean Piel. Celui-ci, après une enfance normande, des études de philosophie et d’économie politique à Paris, du journalisme économique et financier dans les années trente, la guerre, un camp de prisonniers, avait entamé à la Libération une carrière de haut fonctionnaire à l’économie nationale et à l’aménagement du territoire. Tous ces épisodes sont évoqués avec retenue dans un livre de souvenirs, La Rencontre et la Différence (Fayard, 1982). Piel, alors en poste à Poitiers, collabora à Critique dès le numéro 2 par des comptes rendus réguliers d’ouvrages économiques. Quand la revue, après être passée des Éditions du Chêne à Calmann-Lévy et s’être interrompue quelques mois, reprit pour de bon aux Éditions de Minuit en octobre 1950, Piel, désormais basé à Paris, devint rédacteur en chef adjoint auprès de Bataille avec Éric Weil. Critique n’aurait pas survécu au-delà de l’immédiat après--guerre sans la vigilance de Piel, alors que Bataille dirigeait des bibliothèques de province, puis que la maladie le mina. Durant toute cette époque Piel se partagea entre deux métiers, qui le passionnaient autant l’un que l’autre. Comme inspecteur de l’économie nationale, il contribua à l’aménagement du Bas-Rhône - Languedoc, notamment aux grands travaux du port de Fos-sur-Mer, tandis qu’auprès de Bataille, non seulement il confectionnait Critique mais inaugura la collection « L’usage des richesses » aux Éditions de Minuit, avec La Fortune américaine et son destin (1948). La Part maudite fut le deuxième et dernier titre de la collection.

Devenu directeur de Critique à la mort de Bataille en 1962, Piel lança la collection « Critique », qui détient l’un des plus beaux catalogues de l’édition française. Il évoquait avec jubilation sa double vie des années 1960, se consacrant au transfert des Halles à Rungis dans le même temps qu’il publiait le livre capital de Jacques Derrida, De la grammatologie. Par une intuition magistrale, il sut alors s’entourer de tous ceux qui allaient devenir les maîtres de ma génération : Roland Barthes, Maurice Blanchot, Michel Deguy, Gilles Deleuze, Michel Foucault, Michel Serres, pour en citer quelques-uns. Chaque numéro de Critique était une fête pour l’intelligence : revoir leurs sommaires fait tourner la tête. La publication de L’Anti-Œdipe de Deleuze et Félix Guattari – dont Piel avait trouvé le titre – fut un autre de ses triomphes d’éditeur. Puis il y eut de nouveaux collaborateurs, de Jacques Bouveresse à Hubert Damisch, de Clément Rosset à Vincent Descombes, de Luce Irigaray à François Roustang, tous appelés par le prestige et la rigueur de Critique, et l’amitié de son directeur. Nombreux sont les jeunes gens qui y ont fait leur apprentissage : comme beaucoup, j’envoyai un manuscrit ; Piel m’appela ; ce fut le premier de nombreux déjeuners réjouissants autour de quelques huîtres. Certains anciens montèrent au « ciel », comme Piel appelait son comité d’honneur, et le conseil de rédaction se modifia. Quand j’y entrai, il se réunissait deux fois l’an : c’était le temps de ces numéros spéciaux auxquels Piel eut le loisir de s’atteler lorsqu’il fut libéré de son autre métier. « Vienne début d’un siècle », « La psychanalyse vue du dehors », « Le comble du vide » – un bilan de la philosophie des années soixante-dix qui fit du bruit –, et d’autres encore eurent un important retentissement. Il est impossible d’énumérer tous les collaborateurs qui firent le sommaire de ces années-là, proches encore de Critique aujourd’hui, ou plus éloignés, épuisés, génération après génération, par le régime que le directeur de Critique leur imposait, mais je dois citer Louis Marin, parce qu’il est disparu trop tôt et que Piel lui vouait une vraie affection. Numéro après numéro, Piel retrouvait à s’enthousiasmer, aussi à se disputer. J’imagine que nous nous sommes tous brouillés plusieurs fois avec lui – la dernière fois que je l’ai vu, nous nous sommes encore disputés –, mais jamais longtemps ni pour de bon : sa générosité l’emportait. Elle caractérisait toutes ses qualités d’éditeur : sa maîtrise d’un réseau ancien de relations, son immense capacité de lecteur, sa vitesse d’homme d’action mettant les intellectuels au travail.

Un jour de l’été dernier, nous parlions de la séparation de l’Église et de l’État. Ses premiers souvenirs y remontaient. Il me raconta celui-ci : il avait quatre ou cinq ans, il était juché sur les épaules de son grand-père, notaire anticlérical, qui était en discussion animée avec le curé du village. Sa famille était divisée. Il fut envoyé au lycée, mais ses sœurs allèrent à l’école libre. Cette Normandie d’avant 1914 l’avait beaucoup marqué – il relisait Balzac l’été dernier – mais plus encore ses amitiés du lycée du Havre pendant la Première Guerre. Les amis de Piel représentaient un groupe admirable. Bataille en premier, pour qui il avait une vénération et à qui il restera toujours fidèle, mais aussi Jean Dubuffet, Georges Limbour, Raymond Queneau – les Havrais –, puis Jacques Prévert, Michel Leiris, André Masson. La mer et la peinture ont été quelques-unes de ses passions. L’été, il prenait la route du Havre ou de La Rochelle. Il s’y baignait. La natation l’a longtemps soulagé. Car Piel souffrait, vitupérant les médecins, depuis une fracture mal soignée après un accident de la route, il y a près de cinquante ans. Il mentionne lui-même sa canne dans son livre : rien plus que la volonté de surmonter quotidiennement cet accident qui l’avait laissé « estropié à vie » n’explique la fermeté avec laquelle il mena Critique pendant près d’un demi-siècle, le plus souvent presque seul, et sa résolution d’en faire une des toutes premières revues françaises.

Simone Piel s’est éteinte quelques jours après lui. L’avant-veille, essayant de se rappeler qui il fallait prévenir de la disparition de son mari, elle confondait un peu les vivants et les morts, puis se reprenait : « Non, ils sont morts, ils sont tous morts : nous étions les derniers. » Elle songeait à ses sœurs, Sylvia, la femme de Bataille, puis de Lacan, Rose, la femme d’André Masson, aux amis les plus solides, les plus anciens de Piel. Oui, ils étaient presque les derniers. Leur vie a couvert le siècle. Critique, qui atteint son cinquantenaire au moment où Jean Piel disparaît, lui doit tout, et nous ne pouvons pas nous empêcher de penser qu’il est mort prématurément ».

Ce texte d’Antoine Compagnon fut publié dans le numéro de Critique de janvier-février 1996. Il est reproduit ici avec l'autorisation expresse et écrite de l'auteur et de la Revue.

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