Algèbre Nouvelle

Algèbre Nouvelle

Algèbre nouvelle

L’algèbre nouvelle ou analyse spécieuse est un projet de formalisation de l’algèbre tenté par François Viète et ses successeurs. Il marque le début de la formalisation algébrique (fin XVIe - début XVIIe siècle).

Sommaire

Idées générales

Jusqu'en 1591, date de parution de l'artem Analyticem Isagoge, la formalisation du langage algébrique s'est limité à l'introduction d'une seule lettre. On trouve cette innovation fondamentale dans Johannes Hispalensis et Jordan Nemorarius à la frontière du XIIème-XIIIe siècle, et ceci jusqu'à Regiomontanus. Toutefois, cette notation n'a pas été utiisée de façon suivi par les mathématiciens médiévaux et ceux de la Renaissance éprouvent les pires difficultés à manier formellement des équations polynômiales. La mise en place de la notation symbolique s'effectue de façon dispersée ; et la Chronologie de l'algèbre donne quelques repères sur cette progression.

La voie suivie par François Viète marque le début de la période de construction du formalisme algébrique actuel. C'est un projet global qui offre d'emblée, en termes modernes, une axiomatique des calculs littéraux et une méthode pour bien inventer des mathématiques. EN cela l'algèbre nouvelle fut un apport fondamental à la construction de l'algèbre littérale actuelle, comme l'illustre B.Lefebvre dès 1890 :

Cette Algèbre numérique, où l'inconnue est seule désignée par une lettre ou par un mot (coss, res, radix, corn) et où les connues sont représentées par des nombres, a persisté à travers les âges jusqu'à l'époque de Viète. Cependant, longtemps avant Viète et même de tout temps, on a vu apparaître l'emploi des lettres non seulement pour représenter l'inconnue d'un problème, mais même pour désigner dans la suite d'un raisonnement des quantités ou des objets soit déterminés soit indéterminés. Aristote, Euclide, Archimède, Pappus raisonnent souvent sur des lettres; Jean de Séville, Léonard de Pise quelquefois; Jordanus de Saxe fréquemment, et d'autres encore, tels que Pacioli, Stifel, Regiomontanus, Peletier, Butéon, les uns plus, les autres moins, énoncent et démontrent des théorèmes de Mathématiques sur des lettres, qui expriment des quantités déterminées ou indéterminées. N'est-ce point déjà de l'Algèbre littérale ? - Non. Mais soumettre au calcul ces lettres, ces quantités littérales; figurer sur ces lettres des calculs virtuels qu'on ne peut exécuter que sur des nombres; effectuer des transformations d'expressions algébriques; résoudre des équations à coefficients littéraux; en un mot entreprendre le calcul des symboles, c'est là l'objet de l'algèbre littérale ou de la sciences des formules.[1]

Certes, la forme littérale proposée par Viète n'est pas la nôtre. Dans son esprit, les nombres sont tout au plus décimaux, fractionnaires ou quadratiques. Seules les solutions positives sont considérées, etc. De façon plus profonde, il ne construit pas une algèbre de polynôme à n indéterminées, mais une collection d'algèbres homogènes portant sur des lettres désignant des longueurs, des surfaces, des volumes, des hypervolumes.

Toutefois, par cette voie détournée, il parvient à donner la première symbolisation effective des équations algébriques.

Viète publia ses travaux a ses frais. Il eut quelques élèves, qui complétèrent ses publications et utilisèrent sa méthode de raisonnement ainsi que ses notations. Parmi les plus célèbres, on connaît Jacques Aleaume, Marin Ghetaldi, Jean de Beaugrand et Alexander Anderson. Par la suite, Le sieur de Vaulezard, Pierre de Fermat et Thomas Harriot se seviront de son langage.

Lorsqu'en 1637, René Descartes illustre sa méthode par un traité de géométrie, le philosophe achève cette révolution. En supprimant les contraintes d'homogénéité introduite par Viète, il fournit à l'algèbre sa formme littérale actuelle (ou peu s'en faut). Mais ceci est une autre histoire.

Chronologie des publications

On peut dater ainsi les différentes étapes de ce processus [2] :

En 1591  : la description du programme dans In artem Analyticem Isagoge republié en 1624 par Jean de Beaugrand

En 1593 : la publication de la Zététique ou Zeteticorum Libri quinque, une série de problèmes diophantiens, résolus par la méthode développée dans l'Isagoge.

La même année : deux exégétiques géométriques : Effectionum Geometricarum Canonica recensio et un exemple d’utilisation de l'algèbre nouvelle : Variorum de rebus Mathematicis responsorum, Libri septem

En 1600 : une exégétique numérique De numerosâ potestatum ad Exegesim resolutione, publiée par Marin Ghetaldi

En 1600 : des exemples d’utilisation de la nouvelle algèbre de Viète dans Francisci Vietae Apollonius Gallus seu Apollonii Pergaei περι επαιρων Geometri

Telles sont les oeuvres recensées du vivant de Viète. Elles se poursuivent par la publication de ses élèves :

En 1600 : Confutatio problematis ab Henrico Monantholio ... proposiiti. Quo conatus est demonstrare octavam partem diametri circuli aequalem esse lateri polygoni aequilateri & aequianguli eidem circulo inscripti, cuius perimeter ad diametrum rationem habet triplam sesquioctavam... à Paris, chez David le Clerc, par Jacques Aleaume.

En 1607 : une exégétique géométrique : Apollonius GallusPubliée par Marin Ghetaldi

En 1615 : deux traités de Logistique spécieuse : De recognitione Æquationum et De Emendatione Æquationum Tractatus Secundus, publiés par Alexander Anderson, qui, dit-il eut beaucoup à faire pour les mettre en état d'être publiés, des passages manquant entièrement, d'autres étant simplement indiqués et le papier partout sali et déchiré.

Le même donne des exemples d’utilisation de la nouvelle algèbre dans Ad Angularium Sectionum Analyticem Theoremata, qui développe la théorie des équations.

En 1624 : une Zététique ou logistique spécieuse, Ad Logisticem SpeciosamRéédité en 1631 et publiée les deux fois par Jean de Beaugrand.

Cette édition se poursuivra au travers des traductions du Sieur de Vaulezard et d'Antoine Vasset vers 1630, deux éditions données par Jean de Beaugrand en 1631 et une algèbre facile présentée par James Hume de Godscroft. Enfin, par l'édition complète des oeuvres de Viète (Harmonicum Céleste excepté), en 1646, par Frans Van Schooten. On se limite ici aux seules éditions qu'on peut attribuer aux élèves et aux héritiers direct.

L'Isagoge

Son nom exact est In artem analyticem Isagoge (1591) ; il est le programme déclaré de ce vaste projet axiomatique.

L'ouvrage, de 18 pages, disponible sur Gallica[3], est écrit en latin. Il s'annonce comme le premier d'une série divisée en X parties :

  • In artem Analyticem Isagoge
  • Ad Logiticem speciosam Nota priores
  • Zeteticorum libri quinque
  • De numerosa potestatum ad exegesim resolution
  • De recognitione Aequationum
  • Ad logiticem speciosam nota posteriores
  • Effectionum geometricarum Canonica recensio
  • Supllementum Geometria
  • Analytica angularium sectionum in tres partes
  • Varorium de rebus Mathematicis responsorum

Il fournit à lui seul une approche nouvelle de l'écriture algébrique et s'ouvre sur la fameuse dédicace à la princesse mélusinide Catherine de Parthenay dont on trouvera une traduction par Frédéric Ritter[4].

chapitre I : Présentation

Dans une première partie Viète donne les définitions de son analyse spécieuse. Celle-ci se décompose dans un mouvement ternaire : Zététique, Poristique, Exégétique. Elle a pour but de fournir la Doctrine pour bien inventer en Mathématiques.

  • La Zététique est la mise en équation du problème et la manipulation de cette équation pour la mettre sous une forme canonique qui donne lieu à une interprétation en termes de proportions.
  • La Poristique est l'examen de la vérité des propositions au travers des théorèmes ordinaires.
  • L'Exégétique, est la détermination, Vasset dira l'exhibition, des solutions, numériques ou géométriques, obtenues à partir des propositions générales de la poristique.

Il s'agit de la mise en place, concomitante, d'une axiomatique de calculs sur les grandeurs (connues et inconnues) et d'un programme, censé fournir des règles euristiques, qui impose trois étapes à la résolution d'un problème algébrique ou géométrique : la Formalisation, la Résolution générale, la Résolution particulière.

Viète y ajoute que, contrairement aux anciens analystes, sa méthode fait agir la résolution sur des symboles (non iam in numeris sed sub specie), ce qui en est l'apport majeur. Il prédit en outre, qu'après lui, la formation à la Zététique se fera par l'analyse des symboles et non par celle des chiffres.

chapitre II De Symbolis aequalitum et proportionum

Viète continue, dans cette seconde partie, à décrire les symboles employés dans les égalités et les proportions ; il donne des règles axiomatiques :

  • De 1 à 6 sur les propriétés de l'égalité :

La transitivité de l'égalité, sa conservation par somme, soustraction, produit, et division,

  • de 7 à 11 sur les propriétés des lois sur les fractions.
  • de 15 et 16 sur l'égalité de fractions.

chapitre III : Des lege homogeneorum...

Viète poursuit ensuite en donnant les lois d'homogénéité ; distinguant ainsi les symboles selon leur puissances, 1 étant le côté (ou racine), 2 le carré, 3 le cube, etc. Cela exige que les facteur de ces puissances soient d'homogénéité complémentaire, qu'il note

1. Longueur, 2 Plane, 3 Solide, puis 4 Plane/Plane, 5 Plane/Solide, 6 Solide/Solide, etc comme s'il avait l'intuition qu'une géométrie puisse se déployer au delà de l'ordinaire dimension 3.

chapitre IV De praeceptis logistices speciosae

Viète fournit dans ce quatrième chapitre les préceptes de la logique spécieuse, c'est à dire les axiomes d'addition, de produit, etc, de symboles désignant des grandeurs de natures comparables.

Dans un premier temps, son attention se porte sur l'addition des grandeurs de même ordre, leur soustraction, en donnant des règles comme A − (B + D) = ABD ou A − (BD) = AB + D

Puis, dans un second temps sur la dénomination des produits de quantités homogènes, sur la dénomination des quotients. Il note alors

\frac{A \ plano\ }{B} subducere \frac {Z \ quadratum\  }{G} residua erit \frac {A \ planum\ in \ G - Z \ quadrato\ in \ B}{B in G}

ce qu'on note aujourd'hui \frac{A }{B} - \frac {Z }{G} =  \frac {A G - Z  B}{B  G} sans s'attacher à marquer l'homogénéité des facteurs.

François Viète
Francois Viete.jpeg
Naissance 1540
Fontenay-le-Comte (France)
Décès 23 février 1603
Paris (France)
Nationalité Française
Champs Algèbre

chapitre V : Des lois de la Zététique

Page d'aide sur l'homonymie Pour la définition de la Zététique dans son sens actuel, voir Zététique.

Dans ce chapitre se trouve renfermées les fondements de la formulation des équations et particulièrement dans le point 5 de ce chapitre, l'idée qu'il convient de réserver certaines lettres aux quantités connues (datas) et d'autres aux quantités inconnues (incertitus), Viète désignant, dans une première version, les premières par des voyelles et les secondes par des consonnes.

Suivent alors quelques propositions.

L'ouvrage se termine sur deux courts chapitres qui décrivent comment en pratique, il convient de mener l'analyse du problème, sa résolution et sa vérification géométrique.

chapitre VI : Des théorèmes de l'examen poristique

Viète développe l'idée, qu'une fois la 'modélisation' achevée par l'art de la Zététique, le mathématicien produit ses théorèmes selon son invention et dans les règles de la syntaxe, comme cela a été établi depuis l'antiquité avec Apollonius, Théon et Archimède.

chapitre VII : De la Rhétique ou exégétique

Page d'aide sur l'homonymie Pour la définition de l'Exégétique dans son sens courant, voir Exégétique.

Divisant l'exégétique en deux parts, une numéreuse et une géométrique, Viète explicite dans ce chapitre la nécessité de transformer la 'formule' générale obtenue à la fin de l'examen poristique en un résultat chiffré ou une construction géométrique. Le mathématicien doit, selon les cas, se faire arithméticien, en montrant qu'il sait extraire les racines et calculer leurs affectations ou géomètre et établir par une figure le résultat vrai. Il précise d'ailleurs que le résultat obtenu sur les lettres est également vrai, mais d'une vérité d'une autre nature... qu'il ne précise pas.

chapitre VIII : Epilogue

Dans cette dernière partie, Viète définit encore quelques notations, et résume les vingt-neuf étapes du raisonnement ; il y définit notamment les racines d'ordre 1 et 2 (en fait carré et cubique dans la nomenclature actuelle). C'est à la fin de ce chapitre, qu'il annonce que par cette méthode on pourra résoudre le problème de tous les problèmes, à savoir : ne laisser aucune question irrésolue ou Non nullum probeblum solvere

Variantes de 1631

Le manuscrit publié par Vasset contient en place de la définition de la poristique et de l'exégétique, quelques résultats sur le développement du binôme (jusqu'au degré 6) et des théorèmes généraux de poristique dont la façon d'insérer tant de moyennes proportionnelles qu'on voudra entre deux longueurs.

Ce qui signifie que la suite A6,A5B,A4B2,A3B3,A2B4,AB5,B6 est géométrique.

Traduisant Viète, Vasset écrit :

A -B cubus cubus aequabitur A cubo-cubus - 6 A quadrato-cubus in B +15 A quad.quad. i n B quad. -20 A cubus in B cubum + 15A quadratum in B quad.-quad- 6 A B quad.-cub. + B cubus-cubus

en place de (AB)6 = A6 − 6A5B + 15A4B2 − 20A3b3 + 15A2B4 − 6AB5 + B6.

Il donne ensuite la règle de formation des coefficients binomiaux (déjà connue de Tartaglia et de Stiffel), notant que pour former les coefficients du développement, il suffit d'additionner, dans le développement de la puissance précédente, le premier et le second coefficient, le second et le troisième, etc. Ce qui donne en pratique le triangle de Pascal.

Zététique, Poristique et Exégétique

Les cinq livres de la Zététique.

En 1593, Viète publie le Zeteticorum libri quinque, qui complète et enrichit l'algèbre nouvelle. Zététique vient du grec zêtêin : chercher à pénétrer la raison des choses. [5]

Cet ouvrage est composée de cinq livres renfermant dix problèmes de recherche de quantités dont on connaît la somme ou la différence et le quotient ou le produit, des équations de degré 2 et 3 et des partitions de nombres en carrés. Il y offre un exemple de la logistique symbolique et termine avec un problème de Diophante.

Ces cinq livres développent la méthode proposée dans l’Isagoge.

L'algèbre nouvelle y est présenté comme un nouveau langage pour formaliser le calcul mais aussi comme l’instrument permettant de poser et de résoudre de nouveaux problèmes. Ces livres sont un banc d’essai, où Viète traite des questions soulevées par Diophante à la façon des anciens mais aussi, particulièrement dans le livre III, des questions nouvelles, sans équivalents chez Diophante. [6]

On y trouve entre autres, le joli problème suivant :

Dato adgregato extremarum, et adgregato mediarum in serie quatuor continue roportionalium, invenire continue proportionales.

Et quelques questions d'arithmétiques résolus à l'aide de triangles rectangles rappelant par leurs longueurs les parties réelles et imaginaires du produit de 2 nombres complexes.

L'Exégétique géométrique, le Canon

En 1593, dans Effectionum Geometricarum Canonica recensio ou revue canonique des constructions géométriques , Viète commence par démontrer les relations entre les constructions géométriques et les équations algébriques. Son objet est la résolution graphique des équations du second degré ; on y trouve également les solutions de problèmes de géométrie du second degré, traités algébriquement.

La poristique, Le Supplémentum

En 1593, dans le Supplementum geometriae, Viète donne une caractérisation plus complète de la poristique. On y trouve : la trisection de l'angle ; la construction de l'heptagone régulier ; la résolution des équations cubiques ou quadrato-quadratiques et leur équivalence aux problèmes de trisection angulaire.

En 1592-1593, dans Variorum de Rebus Mathematicis Responsorum, Liber VIII, Viète donne une réponse aux problèmes soulevés par Scaliger. Il y traite à nouveau des problèmes de duplication du cube et de trisection de l'angle. Ce qu'il appelle un problème irrationnel.

L'exégétique numérique, le De Numerosa

En 1600, dans De Numerosa Potestatum ad Exegesim resolutione, Viète, aidé par Marin Ghetaldi, se fixe pour but initial de résoudre des équations de degrés quelconques à l'aide de radicaux. Cette croyance sera déçue définitivement par Niels Abel en 1828. Il donne en compensation une méthode d'approximation des racines d'une équation. Cette méthode influencera Newton et la règle de Newton-Raphson lui doit beaucoup. Joseph Raphson l'a énoncé en 1690.

Publications posthumes

En 1615, dans le De Recognitione œquationum publié par Anderson, on trouve parmi vingt chapitres assez répétitifs, le lien entre coefficients et racines, des équations dans lesquelles l'inconnue entre par son cube et sa première puissance, La manière de faire disparaître le second terme d'une équation (ou méthode de Ferrari pour la résolution des équations de degré 4) et l'équivalence entre les équations du troisième degré et connaissant la première de quatre grandeurs continûment proportionnelles, et la différence entre la seconde et la quatrième, de trouver cette seconde. Viète donne encore dans cet ouvrage quelques moyens d'abaisser le degré d'une équation.

Dans le De Emendatione œquationum, publié la même année par Anderson, et composée de quatorze chapitres, on trouve les noms que Viète donnait à quelques opérations algébriques : L'Isomérie pour faire disparaître les dénominateurs des équations sans introduire de coefficient à la plus haute puissance de l'inconnue ; la climactique Paraplérosine pour ramener une équation du quatrième degré à une équation du second en prenant comme intermédiaire une équation du troisième, méthode semblable à celle de Ferrari (que Viète redécouvre à l'occasion). On y retrouve également (sous le nom de duplicata Hypostasîs) la résolution des équations du troisième degré (Cardan n'ayant publié que la vérification d'une formule juste, mais empirique).

Enfin, ce livre expose (par l'exemple et jusqu'au degré 5) la décomposition d'un polynôme ayant autant de solutions que son degré.

Les apports de l'algèbre nouvelle

L'isagoge : une oeuvre qui fait date

L'introduction de notations littérales pour les paramètres dans les équations algébriques et la volonté de dégager l'algèbre des règles embrouillées et des procédures médiévales, en lui apportant une formalisation efficace, sont au coeur du projet de François Viète.

Pour cela, il décrit les règles de multiplications, d'additions, de soustraction, etc, opérant, non sur les nombres, mais sur les grandeurs (longueur, aire, volume, etc). La nécessité de conserver l'homogénéité des formules s'en déduit comme celle de donner des noms différents à ces opérations. La multiplication des grandeurs, (ducere in), notation héritée des italiens et de leurs prédécesseurs arabes traduit concrètement l'idée qu'on mène le côté a sur le côté b pour former le rectangle ab.

L'idée d'opérer sur des symboles (species) peut en partie s'expliquer par ses études juridiques ; species désignant l'ensemble de leurs clients dans le jargon des avocats (première profession du protégé des Parthenay).[7]

L'idée de noter par des lettres une inconnue a déjà été introduite par Euclide, et à sa suite par Diophante, toutefois, il s'agit ici de géométrie ou d'abréviations, dans une langue où chaque lettre cache un chiffre et sans qu'aucun règle de calcul explicite ne permette de suivre un calcul formel réduit à l'état de pure notation. De surcroît, toute l'algèbre antique repose sur l'obtention de figures (Gnomons), qui remplacent la formalisation algébrique, mais interdisent la résolution d'équation de grand degré. Les mathématiciens arabes, qui reprendront une part des exigences des géomètres grecs, donneront à l'algèbre une première autonomie. Toutefois, les mêmes obstacles linguistiques ne leur permettent pas de fixer ces règles sous la forme de formule littérale. La notation de l'inconnue par une (seule) lettre sera reprise par Jordanus Nemorarius au XIIIe siècle, puis par les calculateurs médiévaux jusqu'à Michael Stifel et Regiomontanus en Allemagne au XVIe siècle, mais, ni Nicolas Chuquet, pourtant très en avance sur son temps, ni Luca Pacioli, ni Bombelli et encore moins Cardan ne donnent à leurs notations le caractère général qu'elles auront avec Viète ; l'idée de noter par des voyelles et des consonnes, les unes réservée aux inconnues, les autres aux quantités connues (ou paramètres) les points du plan, les angles, ou les longueurs des côtés d'une figure géométrique, avait déjà été exploré dans l'antiquité et par Ramus ; Guillaume Gosselin et Jacques Pelletier du Mans avaient fait évoluer ces notations de façon décisive vers 1570 ; mais jusqu'à Viète toutes ces grandeurs mesurables ne peuvent intervenir ensemble dans une équation sous forme d'inconnues et de paramètres.

L'Isagoge de Viète est le premier livre dans l'histoire de l'humanité où apparaît réellement les prémices de notre formalisme actuel. Pour autant son apport ne se limite pas à cette considérable invention ; la nécessité de fonder un calcul symbolique respectant l'homogénéité (exigence des anciens renouvelée par Ramus), l'oblige à expliciter comment se conduisent les opérations. L'isagoge, véritable axiomatique algébrique n'est pas réductible à l'idée de noter les quantités connues et inconnues par des lettres. Elle est aussi la mise en place d'un programme de raisonnement. On saisit dès lors tout ce qu'à de moderne l'exposé de Viète, qui en développant son idée de façon systématique, offre en fait dans cette introduction à l'Art de l'Analyse, non seulement le premier travail d'algèbre symbolique jamais accompli, mais une première mise en forme de l'art de raisonner algébriquement semblable à ce qu'avait réalisé Euclide pour la géométrie.

De surcroît, les résultats annoncés par cette méthode sont variés et nombreux. Ils vont de la détermination des solutions positives des équations de degré 2, 3 et 4 à l'énoncé des relations entre coefficients racines, de la formation des coefficients binomiaux au développement d'un polynôme en produit de facteurs formés des différences entre l'inconnue et les différentes racines. De sorte que cette innovation, considérée comme l'une des plus importante dans l'histoire des mathématiques, ouvre véritablement la voie au développement de l'algèbre moderne [8]

Critique historique

Viète fit de la bonne Algèbre avec de l'excellente Géométrie. Toutefois, dans son désir de faire respecter la forme homogène de l'écriture diophantienne,[9], Viète a été amené à conserver le langage

des anciens. De surcroît, l'écriture qu'il forge ne dispose d'aucun symbole pour noter la multiplication, les racines ou l'égalité.

Par exemple \ \ \ \frac{S\ in\ A\ planum + Rbis\ in\ A\ planum}{R} aequabitur B\ plano

s'écrit aujourd'hui \ \ \ \frac{S A+ 2RA}{R} = B

Ecriture efficace, car elle autorise déjà des transformations mécaniques, elle n'a pas le caractère achevé que lui donnera le grand siècle ; ses exigence d'homogénéité la condamne à faire sans cesse référence au sens géométrique des paramètres en jeu. Cette seconde révolution dans l'art algébrique sera accompli à la génération suivante avec les publications d' Alexander Anderson, de William Oughtred, de Thomas Harriot, de James Hume, celles de Pierre de Fermat et de René Descartes.

Sources

Liens internes

EuclideDiophanteAl KwarizmiJordanus NemorariusNicolas ChuquetLuca PacioliRegiomontanusMichael StifelTartagliaRamusGuillaume GosselinJacques Pelletier du MansSimon StevinFrançois VièteCatherine de ParthenayTarporleyMarin Ghetaldi • Pierre et Jacques AleaumeAlexander AndersonJean de BeaugrandJames HumeJean-Louis VaulezardClaude HardyThomas HarriotWilliam OughtredPierre de FermatRené DescartesFrans van Schooten


Liens externes

  1. B.Lefebvre Cours d'introduction à l'algèbre élémentaire
  2. Charbauneau Un exemple de travail de à l'UQAM
  3. Texte de l'Isagoge ou In artem Analycem : [1]
  4. La traduction par Frédéric Ritter de la dédicace à Catherine de Parthenay [2]
  5. [3] La Zététique vue par Aubin à polytechnique
  6. [4] Un article de Dhombres sur l'algèbre nouvelle.
  7. Dominique Berlioz, Filipe Drapeau Contim. Un essai logique de Leibniz, « Le calcul des ingrédients »
  8. les Mathématiciens dans the Dictionary of Scientific Biography [5]
  9. [6] L'histoire des sciences de Viète à Kepler de M.Marie PARIS, GAUTHIER-VlLLARS,1884.

On consultera également :

Bibliographie

  • Le texte en latin : sur Gallica
  • La traduction de Frans van Schooten : Francisci Vietae Opera Mathematica. Rassemblées par F. Van Schooten. Leyde, Elzévir, 1646, 554 p réédité par Georg Olms Verlag, Hildesheim-New-York, 1970.
  • La traduction d'Antoine Vasset : L'algèbre nouvelle de Mr Viète ; imprimée chez Pierre Rocolet (A Paris) Bibliothèque nationale de France, département Littérature et art, V-6922 (bis)
  • Charbauneau Une analyse du rôle de Viète
  • (en) A short account of the history of mathematics (1893) [8]
  • Viète, François, 1540-1603 : La nouvelle algèbre de M. Viète :précédée de Introduction en l'art analytique /[traduction et commentaire], Vaulézard ; [texte revu par Jean-Robert Armogathe] [Paris] : Fayard, [1986] 271 p.
  • Les cinq Livres des Zetetiques de Francois Viete par J. L. Vaulezard : en français 1630 ; édité à Paris chez J.Jacquin.
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