Affaire du Coral

Affaire du Coral

L'affaire du Coral ou affaire du lieu de vie est une affaire d'abus sexuels sur mineurs qui éclata en France en 1982.

Sommaire

Déroulement

Le Coral était un « lieu de vie » éducatif installé dans une ancienne exploitation agricole à Aimargues, dans le Gard, à une quinzaine de kilomètres de Nîmes. Dans les années postérieures à Mai 68 se développent en France, à l'initiative d'éducateurs ou d'enseignants anti-conformistes, des lieux de vie visant à appliquer des pratiques éducatives alternatives ; certains accueillent des personnes inadaptées, suivant les principes de l'antipsychiatrie. Dans certains de ces centres éducatifs, des affaires de pédophilie ont lieu, les abuseurs usant, comme prétexte, de discours reposant sur une idéologie contestataire[1].

Dans ce contexte, le Coral est fondé au milieu des années 1970. Fonctionnant en autogestion et dirigé par l'éducateur Claude Sigala et son épouse Marie. Le Coral accueille des personnes en difficulté (enfants, adolescents, adultes, personnes autistes ou souffrant d'un retard mental léger, psychotiques, cas sociaux, pré-délinquants). Les enfants sont confiés au Coral par la DDASS ou par diverses structures s'occupant d'enfants. Le lieu de vie fait partie, avec d'autres centres, du réseau Collectif Réseau Alternative.

À la fin 1981, un nommé Jean-Claude Krief, âgé de 21 ans, découvre les coordonnées du Coral dans la revue Possible, organe de liaison et d'information de la mouvance des lieux de vie, et demande à faire un stage d'éducation sur place. Il séjourne quelques semaines au Coral entre Noël 1981 et février 1982.

A l'automne 1982, des enfants venus du Coral sont recueillis par une voisine et parlent de pratiques pédophiles[2]. Une plainte est déposée à la gendarmerie par des parents dont les enfants ont séjourné au Coral. Les gendarmes visitent le centre le 13 octobre 1982. Le juge d'instruction inculpe tout d'abord Claude Sigala, le médecin psychiatre du Coral Alain Chiapello et un éducateur, Jean-Noël Bardy[3].

Dans le même temps, Jean-Claude Krief est arrêté et inculpé pour escroquerie et falsification de chèques. Il dit alors posséder des éléments sur l'affaire du Coral, dont les médias se sont emparés : selon lui, la pédophilie serait largement pratiquée au Coral, mais le centre accueillerait également des pervers venus de divers horizons, qui viendraient y abuser les mineurs hébergés. Krief accuse Claude Sigala et deux autres éducateurs de pratiques sexuelles sur des mineurs séjournant au Coral. Selon ses dénonciations, un trafic de photos pédopornographiques transiterait par le Coral, ou y serait organisé[2]. La rumeur parle bientôt d'abus sexuels commis en particulier sur des mineurs trisomiques[4].

Six jours plus tard, le philosophe René Schérer, professeur à l'Université Paris VIII, est inculpé pour « excitation de mineurs à la débauche »[5] ; l'écrivain Gabriel Matzneff est également mis en cause, mais pas inculpé[6].

Gaston Defferre, alors ministre de l'intérieur, déclare dès le début de l'instruction accorder foi à la version selon laquelle « des enfants ont été mêlés à des affaires de mœurs ». Un important lot de photos représentant des enfants est saisi chez le directeur de Possible, ami de Claude Sigala. L'affaire, complexe et parfois confuse, attire l'attention des médias français, et suscite une campagne de presse. Des parents d'enfants présents au Coral soutiennent Sigala et son équipe, et participent à des comités de soutien[2]. Claude Sigala est finalement inculpé pour relations sexuelles avec une adolescente, qui l'accuse avant de se rétracter[7].

De nombreuses personnalités politiques ou intellectuelles, souvent orientées à gauche, sont citées dans les dénonciations de Jean-Claude Krief. Jack Lang, alors ministre de la culture, est notamment accusé[8]. Jean-Claude Krief, libéré, tente de vendre aux journaux un faux procès-verbal de police accusant le ministre. Michel Krief, frère de Jean-Claude, est arrêté pour tentative de chantage à l'égard du ministre[9]. Des documents falsifiés mettent en cause des personnalités comme Michel Foucault, Félix Guattari, voire le premier ministre en exercice Pierre Mauroy[10]. Claude Sigala dénonce pour sa part Krief comme un mythomane, lui-même pédophile, s'étant fait frauduleusement passer pour un animateur du Coral[2] ; il évoque par ailleurs la possibilité d'un complot politique, pouvant viser le « mode de vie libertaire et autogestionnaire » du Coral[11]. L'un des accusés, Jean-Noël Bardy, reconnaît quant à lui avoir eu une « relation amoureuse » avec un pensionnaire du Coral[12], et des « activités sexuelles », précisant que « cette liberté sexuelle faisait partie d’une thérapeutique nouvelle »[5]. L'enquête révèle qu'un jeune homme, arrêté en 1977 pour le viol et le meurtre d'un pensionnaire du Coral est revenu, après un séjour en hôpital psychiatrique, séjourner sur les lieux de son crime avec l'accord « imprudent » de Claude Sigala[12].

Les enquêtes de police montrent finalement que les personnalités publiques accusées étaient innocentes. Jean-Claude Krief rétracte une partie de ses accusations en novembre 1982. Michel Krief est quant à lui retrouvé mort : l'enquête conclut à un suicide, mais son décès cause de nouvelles rumeurs. Au procès correctionnel de janvier 1986, aucune personnalité politique ou intellectuelle n'est citée à comparaitre. Les condamnations de plusieurs membres de la communauté sont de trois ans de prison avec un ou deux ans de sursis. Claude Sigala lui-même est condamné à trois ans de prison dont un avec sursis pour « attentats à la pudeur sans violence sur mineurs de moins de 15 ans » ; son épouse et le médecin psychiatre Alain Chiapello sont par contre relaxés. Trois autres éducateurs du Coral font l'objet de condamnations à trois ans dont un avec sursis. Un autre animateur est condamné à dix-huit mois de prison ferme. Au total, sept des dix inculpés sont condamnés[9],[13].

En 1987, le procès en appel augmente la durée des sursis, la détention de certains condamnés étant couverte par les mois passés en prison durant la période de détention préventive. Claude Sigala écope d'une peine de trente mois d'emprisonnement avec sursis[9]. À la suite de ce scandale, le Coral doit renoncer à une partie de son fonctionnement relevant de l'antipsychiatrie. En 1992, il accepte un fonctionnement plus conforme aux souhaits de l'administration publique.

Selon l'historienne et criminologue Anne-Claude Ambroise-Rendu, l'affaire du Coral a surtout contribué à attirer l'attention sur le fonctionnement des lieux de vie, et à remettre en question « l'innovation psychiatrique » des années 1970[14].

Voir aussi

  • Visiblement je vous aime (1995, soit 13 ans après l'affaire), film de Jean-Michel Carré (accompagné d'un documentaire de 1998 : Beaucoup, passionnément, à la folie), tourné au Coral, avec la participation des pensionnaires, et de Denis Lavant dans le rôle principal. Un passage du film (l'intervention de la police suite à une dénonciation calomnieuse de trafic de drogue) fait de toute évidence allusion à cette affaire, datant pourtant d'une autre époque au moment du tournage.

Bibliographie

Notes et références

  1. Liliane Binard, Jean-Luc Clouard, Le drame de la pédophilie : état des lieux, protection des enfants, Albin Michel, 1997, pages 96-97
  2. a, b, c et d Catherine David, Coral : un scandale peut en cacher un autre, Le Nouvel observateur, 30 octobre 1982
  3. Liliane Binard, Jean-Luc Clouard, Le drame de la pédophilie : état des lieux, protection des enfants, Albin Michel, 1997, page 98
  4. Hugo Marsan, Clochard de luxe, Gai Pied Hebdo, 2 mars 1990
  5. a et b Béatrice Vallaeys, Trois nouvelles inculpations de l'affaire du « lieu de vie » Coral, Libération, 20 octobre 1982
  6. L'Archange aux pieds nus, interview de Gabriel Matzneff, Gai Pied, 1er janvier 1982
  7. Véronique Guienne-Bossavit, Le travail social piégé?, L'Harmattan, 1990, page 137
  8. Gabriel Matzneff, Mes amours décomposés : journal 1983-1984, Gallimard, 1990, page 78
  9. a, b et c Liliane Binard, Jean-Luc Clouard, Le drame de la pédophilie : état des lieux, protection des enfants, Albin Michel, 1997, page 99
  10. Frédéric Martel, Le rose et le noir : les homosexuels en France depuis 1968, Seuil, 2000, page 248
  11. Claude Sigala est libre et il raconte…, Le Monde libertaire, 3 mars 1983
  12. a et b Catherine David, Coral : un scandale peut en cacher un autre, Le Nouvel observateur, 30 octobre 1982
  13. Revue politique et parlementaire, Volume 88, Numéros 921 à 923
  14. Anne-Claude Ambroise-Rendu, Un siècle de pédophilie dans la presse (1880-2000), Le Temps des médias n°1, 2003

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