Affaire de Saverne

Affaire de Saverne

Incident de Saverne

Le château des Rohan de Saverne a été de 1890 à 1918 le siège du 99e régiment d'infanterie prussienne[1]

L'incident de Saverne ou l'affaire de Saverne (allem. Zabern-Affäre, plus rarement Zabernade) est une crise politique intérieure qui s'est produite fin 1913 dans l'Empire allemand à la veille de la Première Guerre mondiale. La crise s'est déclenchée lorsqu'un sous-lieutenant stationné à Saverne, ville de cantonnement de deux bataillons du 99e régiment de l'infanterie prussienne, a tenu des propos humiliants à l'égard de la population alsacienne. Les militaires ont réagi aux protestations par des actes arbitraires et illégaux, ce qui a provoqué un débat au Reichstag sur les structures militaristes de la société allemande et sur la position des dirigeants de l'empire par rapport à l'empereur Guillaume II.

L'affaire a non seulement gravement détérioré les relations entre la terre d'Empire Alsace-Lorraine et le reste de l'Empire allemand, mais elle a également mené au premier vote de censure dans l'histoire allemande contre le chancelier impérial et à une perte de considération de l'empereur.

Le fait que ce premier vote de censure dans l'histoire de l'empire soit resté sans conséquence démontre de manière exemplaire l'impuissance du pouvoir législatif dans un système politique, au sein duquel l'exécutif n'était pas responsable devant le parlement, mais devant un empereur plus soucieux de conserver la "monarchie personnelle", comme l'écrira l'historien John Röhl, que du maintien des acquis constitutionnels et parlementaires, chers notamment aux états sud-allemands.[2] L'incident démontre en outre l'antagonisme structurel entre l'État de droit et l'État militaire, ainsi que l'incapacité du régime wilhelminien quant à l'intégration de minorités nationales qui en conséquence se détacheront facilement quelques années plus tard de cette fédération de différentes nations. [3]

Sommaire

Origines de l'incident

La situation avant l'incident

L'Empire allemand, 1871-1918

L'Alsace et la partie Est de la Lorraine furent rattachées en 1871, suite au traité de Francfort, à l'Empire allemand, qui possédait une structure fédérale. Les décisions politiques majeures étaient prises à Berlin, mais l'administration intérieure, la justice et le culte incombaient aux États fédérés eux-mêmes. L'Alsace-Lorraine n'avait jamais obtenu la même souveraineté que les autres États fédérés, sauf en 1911 où elle en reçut seulement une partie. Ce territoire fut administré en tant que possession de l'empire par des fonctionnaires prusso-allemands, subordonnés à un gouverneur (Statthalter), dépendant, lui-même, directement de l'empereur. L'Alsace-Lorraine profitant également de l'essor économique de l'empire, une majeure partie de ses habitants s'étaient faits à l'idée d'appartenir à l'empire. Par contre, ces derniers étaient indignés par l'attitude de l'administration prusso-allemande et voulaient enfin obtenir le statut d'État fédéré.[4]

Ce mécontentement au sein de l'opinion publique des Alsaciens-Lorrains et le comportement colonial et autoritaire de l'administration prusso-allemande mènera à des tensions entre les deux acteurs, notamment à un coup d'éclat, connu par les historiens comme incident de Saverne.

Le sous-lieutenant Forstner insulte les Alsaciens

Le sous-lieutenant Günter Baron von Forstner, âgé d'à peine vingt ans, s'était prononcé, alors qu'il donnait des instructions à ses troupes le 28 octobre 1913 à Saverne de manière déplaisante sur les habitants. Il a dit à ses soldats : "Si vous êtes attaqués, faites usage de votre arme ! Si, ce faisant, vous poignardez un de ces Wackes alors vous obtiendrez de moi encore dix marks." Un sous-officier voulait encore y rajouter deux-trois marks par tête.[5] En outre, le jeune Forstner a mis ses hommes en garde avec une rhétorique très agressive contre des agents français opérants à l'étranger qui voulaient soit-disant débaucher les soldats de l'empire pour la Légion étrangère. De plus, il aurait injurié le drapeau français[6].

L'indignation publique et l'inflexibilité des militaires

Berthold von Deimling

Le 6 novembre les deux journaux locaux Zaberner Anzeiger et Elsässer informent le public de ces évènements. Au cours des jours suivants, la population proteste résolument contre ce traitement par les militaires prussiens, une manifestation rassemble 400 personnes (sur une population de 10000 habitants) le 9 novembre selon des journaux berlinois[7]. Le gouverneur de l'Alsace-Lorraine Karl von Wedel suggère auprès du commandant de régiment Ernst von Reuter ainsi qu'auprès du général en fonction Berthold von Deimling la mutation du sous-lieutenant Günter Baron von Forstner. Du point de vue des militaires, cependant, cette mutation n'est ni compatible avec l'honneur ni avec l'image de l'armée. Le sous-lieutenant von Forstner est seulement condamné à six jours d'assignation à résidence. Le 11 novembre la position officielle des autorités de Strasbourg minimise l'incident et interprète le terme "Wackes" en tant que définition générale désignant des personnes belliqueuses. Onze jours plus tard dix membres de la cinquième compagnie du 99e régiment d'infanterie sont arrêtés pour avoir divulgué à la presse des faits confidentiels concernant l'incident de Saverne.

Malgré tout, les protestations au sein de l'opinion publique alsacienne continuent. Le fait que le sous-lieutenant Forstner, après son assignation à domicile, se montre à nouveau en public flanqué d'une escorte de quatre soldats, portant des armes sur instruction du commandement de la garnison, est une provocation supplémentaire. Lors de ses apparitions en dehors de la caserne le sous-lieutenant Forstner fait à plusieurs reprises l'objet de railleries et d'insultes notamment de la part de jeunes manifestants, sans que les autorités policières locales puissent les en empêcher.[8] Le colonel Ernst von Reuter demande sur instruction du général von Deimling au président de l'administration civile locale, Direktor Mahler, de rétablir l'ordre à l'aide des forces de police, sans quoi lui-même devrait prendre des mesures. En tant qu'Alsacien Mahler se positionne du côté de la population et rejette la demande, puisque les manifestants étaient restés pacifiques et n'avaient pas enfreint la loi.

La situation dégénère

Le 28 novembre la foule se rassemble de nouveau devant la caserne, ce qui provoque cette fois-ci une réaction disproportionnée de la part des troupes. Le sous-lieutenant Schadt, qui à ce moment-là est le commandant des factionnaires, suggère à von Reuter de disperser la foule. Celui-ci appelle les gardes aux armes et intime par trois fois à la foule l'ordre de se disperser et de clore le rassemblement. Les soldats acculent la foule sous la menace des armes à travers la cour de la caserne dans une rue latérale et arrêtent sans base légale un grand nombre de personnes. Parmi les prisonniers se trouvent le président, deux juges et un procureur général du tribunal de Saverne, qui en quittant leur lieu de travail ont été par hasard mêlés à la foule. 26 des personnes arrêtées sont enfermées pendant une nuit dans une cave à charbon. En outre les locaux de la direction de la rédaction d'un journal local sont illégalement fouillés par des soldats pour trouver des indices concernant les informateurs qui ont divulgué les fautes de conduites de Forstner à la presse.

L'état de siège est décrété sur Saverne, de sorte que les militaires prennent de fait le pouvoir et destituent l'administration civile. Pour empêcher d'autres manifestations et rassemblements on installe des mitrailleuses dans les rues.

Déroulement de l'incident

Les premières réactions de l'empereur

Guillaume II vers 1914.

L'empereur Guillaume II se trouve pendant ce temps sur le domaine de Max Egon prince de Fürstenberg à Donaueschingen en train de chasser. Bien que ce voyage ait été organisé longtemps avant les événements à Saverne, le désintérêt de Guillaume II fait mauvaise impression. Selon certaines rumeurs l'impératrice Augusta-Victoria avait même réservé un train, avec lequel elle voulait rejoindre son époux et l'inciter à retourner à Berlin. Selon l'estimation de l'historien Wolfgang J. Mommsen, Guillaume II a mal évalué à ce moment-là la dimension politique des évènements en Alsace. Aux rapports que le gouverneur de l'Alsace-Lorraine Karl von Wedel avait envoyé à Donaueschingen, dans lesquels il avait décrit les événements comme illégitimes et excessifs et avait prié l'empereur de le consulter en personne, l'on répond de telle manière à faire patienter le gouverneur. Guillaume II voulait attendre auparavant le rapport des quartiers généraux de Strasbourg.

Le 30 novembre le ministre de la guerre prussien Erich von Falkenhayn, le général commandant responsable à Strasbourg Berthold von Deimling et quelques autres officiers de haut rang arrivent à Donaueschingen, s'ensuivent des concertations qui durent six jours. L'opinion publique en est indignée, car de surcroît l'empereur ne veut manifestement entendre que la version des militaires. Le chancelier Theobald von Bethmann-Hollweg dont la participation avait été omise lors des concertations et qui était mis de plus en plus sous pression, s'est joint à la conférence peu avant son issue. Du point de vue critique de certaines couches de la population le résultat est décevant, l'empereur approuvant le comportement des officiers et ne se rendant pas compte que ces derniers avaient outrepassé leurs pouvoirs. Deimling envoie un général à Saverne, qui rétablit l'autorité civile le 1er décembre.

Le second faux pas de von Forstner

Le 2 décembre, un exercice militaire a lieu à Saverne. La scène est observée à partir de la route notamment par un compagnon cordonnier, auquel se joignent plusieurs habitants, et qui éclate de rire à la vue du jeune Forstner. Sur ce, le sous-lieutenant perd son sang-froid et frappe de son épée le cordonnier qui en garde de graves blessures à la tête. Ce nouvel acte d'agression aggrave encore la situation.

Forstner est condamné par un tribunal militaire en première instance à seulement 43 jours d'arrêt, en seconde instance la sentence est entièrement levée. Bien que cinq soldats armés l'accompagnassent, et que le cordonnier ait été sans armes ainsi qu'à demi-paralysé, les juges interprètent l'action de Forstner comme de la légitime défense, puisque le cordonnier s'était rendu coupable du crime de lèse-majesté. Au sein des cercles militaires, Forstner obtient des paroles de réconfort, car, par son acte de violence, il avait défendu l'honneur de l'armée.

Le vote de censure contre Bethmann-Hollweg

Theobald von Bethmann-Hollweg

Les événements à Saverne déclenchent également de vifs débats au sein du Reichstag. Le centre, les sociaux-démocrates et le parti populaire du progrès interpellent le chancelier. Trois députés - Karl Hauss du centre (Zentrum), Adolph Röser du parti du progrès et Jacques Peirotes des sociaux-démocrates - ouvrent la discussion le 3 décembre, en énonçant respectivement en tant que porte-parole de leur parti, leur position critique par rapport à l'incident de Saverne. Bethmann-Hollweg minimise le comportement des militaires dans son discours suivant. Selon certains observateurs du débat, il était visiblement nerveux et battait l'aile. Ensuite, pour la première fois, Falkenhayn se prononce devant le Reichstag. Il défend les officiers qui n'auraient fait que leur devoir et accuse entre autres fortement la presse qui par des méthodes propagandistes aurait aggravé l'incident, pour pouvoir exercer de l'influence sur l'armée.

A ce moment-là il devient évident à quel point les positions du Reichstag et du chancelier sont différentes. Tandis que le débat continue le lendemain, Bethmann-Hollweg se prononce à nouveau sur les événements. Son deuxième discours fait certes meilleure impression, mais il ne peut plus changer le dépit au sein du Reichstag. Le 4 décembre et pour la première fois dans l'histoire de l'empire, le parlement emploie la possibilité d'un vote de censure (§ 33a du règlement intérieur du Reichstag) dont il pouvait faire usage depuis 1912. Avec 293 voix, avec quatre abstentions et 54 voix contre, venant exclusivement des rangs des conservateurs, il désapprouve le comportement du gouvernement "ne correspondant pas à la position du Reichstag".

Le vote n'a toutefois aucun effet, raison pour laquelle l'incident de Saverne peut servir d'exemple parlant pour les rapports politiques au sein de l'Empire allemand à la veille de la première guerre mondiale. Bien que le SPD demande à Bethmann-Hollweg de tirer les conséquences de la désapprobation, le chancelier cependant refuse, comme prévu, de démissionner et réplique ne dépendre que de la seule confiance de l'empereur comme le prévoyait en effet l'article 15 de la constitution: Par conséquent, seul l'empereur peut nommer un nouveau chancelier. Or Guillaume ll n'est en aucun cas disposé à se plier à la décision du Reichstag, car il lutte contre une "parlementarisation" de l'Empire allemand qui s'oppose à ses intérêts et à ses convictions concernant la philosophie d'état et il veut réduire autant que possible l'influence du Reichstag et celui des partis.[9]

En même temps Bethmann-Hollweg nie que des interpellations de la part du parlement peuvent exercer une incidence contraignante sur le gouvernement. Le 9 décembre la tentative du SPD de rejeter le budget du chancelier et de le pousser ainsi à quitter ses fonctions, ne trouve pas suffisamment d'approbation. Seul le parti polonais soutient la revendication des sociaux-démocrates.

Mouvements protestataires dans tout l'empire

Erich von Falkenhayn

Dès le 28 novembre le conseil municipal de Saverne s'adresse dans un télégramme à Bethmann-Hollweg, Falkenhayn et à l'empereur Guillaume II et proteste contre les arrestations arbitraires des citoyens. Deux jours plus tard une assemblée du SPD forte de 3000 participants qui manifestent contre les actes de violence des soldats a lieu à Mulhouse. Dans une résolution les participants qualifient l'État de dictature militaire et appellent également à s'opposer si nécessaire par des grèves à l'état actuel des choses. Le 2 décembre à Strasbourg les maires de plusieurs villes d'Alsace-Lorraine appellent l'empereur à prendre des mesures, pour garantir la protection de ses habitants contre l'arbitraire des militaires.

La vague d'indignation s'étend à l'Empire allemand tout entier, la consternation par rapport aux agissements des militaires règne en particulier autour du SPD. Le 3 décembre la direction du SPD appelle toutes les organisations du parti à des rassemblements de protestation. Quatre jours plus tard dans dix-sept villes allemandes, entre autres à Berlin, Breslau, Chemnitz, Duisbourg, Duesseldorf, Elberfeld, Cologne, Leipzig, Mülheim an der Ruhr, Munich, Solingen et Strasbourg, ont lieu des manifestations, pendant lesquelles les sociaux-démocrates protestent contre le despotisme des militaires et réclament la démission de Bethmann-Hollweg et de Falkenhayn. Suite aux événements de Saverne un mouvement populaire se déclenche contre le militarisme et pour la défense des droits des minorités au sein de l'Empire allemand.

Cependant, ni le gouvernement ni l'empereur ne semblent vouloir céder. Afin d'éviter pour l'instant d'autres problèmes, l'empereur décide le 5 décembre à Donaueschingen d'un déplacement temporaire des unités de Saverne. Au cours des deux prochains jours les soldats sont transférés sur les terrains d'exercices d'Oberhofen (près de Haguenau) et de Bitche.

Les révoltes suivantes sont réprimées. Le 11 décembre la cour martiale de Strasbourg condamne deux recrues savernoises à respectivement trois et six semaines de suspension, pour avoir confirmé ouvertement les propos injurieux de Forstner. La police strasbourgeoise confisque le 17 décembre sur la demande du commandement général du XVe corps d'armée, se trouvant sous les ordres du général von Deimling, un disque phonographique du fabricant Cromer et Schrack. Celui-ci révèle dans des dialogues, accompagnés par des roulements de tambour, les événements autour de l'incident de Saverne. En outre, les officiers allemands déposent une plainte pour outrage à militaire. De ce fait les protestations diminuent en conséquence.

Conséquences de l'incident

Procédure judiciaire contre von Reuter et Schadt

A l'issue du procès du 5 au 10 janvier 1914 devant la cour martiale de Strasbourg les deux principaux responsables, le colonel von Reuter et le sous-lieutenant Schadt, sont acquittés de l'accusation de s'être attribué le pouvoir de police civile. Certes, la cour déplore les abus des soldats, mais elle en attribue toutefois la responsabilité aux autorités civiles, dont la tâche aurait été de veiller à faire respecter l'ordre. Elle se réfère pour cela à une lettre patente prussienne datant de 1820, oubliée jusqu'alors, dont l'application sur la terre d'Empire était juridiquement discutable. Selon cette lettre patente l'officier le plus haut gradé au sein d'une commune devait s'emparer du pouvoir juridique, si l'administration civile négligeait de faire respecter l'ordre. Etant donné que les accusés avaient agi sur la base de ces dispositions, ils ne pouvaient être condamnés.

Tandis que beaucoup de citoyens libéraux qui ont suivi l'audience avec beaucoup d'intérêt, sont à présent amèrement déçus, une grande allégresse par rapport au verdict se déclare parmi les militaires présents lors du procès, ces derniers félicitent d'ores et déjà l'accusé dans la salle d'audience. Guillaume II, lui aussi, se montre visiblement ravi et décerne sur-le-champ une décoration à von Reuter. Les militaires quittent la tribune en tant que vainqueurs puissants et sûrs d'eux-mêmes, étant donné qu'ils avaient confirmé être hors d'atteinte au sein de l'empire.

Modification de la législation sur les interventions militaires à l'intérieur de l'empire

Le 14 janvier le Reichstag décide de constituer un comité, censé régler juridiquement les pouvoirs militaires par rapport aux pouvoirs civils. Deux requêtes du président du Parti Libéral National Ernst Bassermann et du centriste Martin Spahn, qui ont prié le gouvernement de régler les compétences des instances militaires concernant l'ordre civil, sont approuvées à la majorité dix jours plus tard par le Reichstag.

Le résultat, la disposition "sur le recours aux armes par l'armée et son concours à la répression d'agitations au sein de l'intérieur" est promulguée par l'empereur le 19 mars. Celle-ci interdit à l'armée prussienne d'intervenir de manière arbitraire en des situations relevant de la compétence des autorités civiles. Au lieu de cela, une intervention de la part des troupes doit être sollicitée au préalable par les autorités civiles. La loi subsiste jusqu'au 17 janvier 1936, lorsque les nazis l'abrogent par le règlement "sur le recours aux armes par la Wehrmacht".

Le débat se ravive au sein du Reichstag

Le théoricien de droit pénal Franz von Liszt, en contestant la validité de la lettre patente prussienne de l'année 1820, déclenche un nouveau débat au Reichstag. Le 23 janvier Bethmann-Hollweg confirme cependant devant le Reichstag la validité de la lettre et légitime ainsi les actes des militaires à Saverne.

Conséquences pour l'Alsace-Lorraine

Les relations entre l'Alsace-Lorraine et le reste de l'Empire allemand sont visiblement détériorées. Les Alsaciens et les Lorrains se sentent plus que jamais livrés sans protection à l'arbitraire des militaires allemands. Le 14 janvier la seconde chambre du parlement d'Alsace-Lorraine se prononce dans une résolution sur les incidents. Tandis qu'elle défend le comportement de l'autorité civile, elle condamne les actions des militaires ainsi que l'acquittement du commandant de régiment von Reuter. Le 26 février des députés du Landtag de différents partis fondent à Strasbourg la Ligue pour la défense de l'Alsace-Lorraine. Le 16 juin le parlement publie en outre un règlement, selon lequel tous les appelés doivent faire leur service militaire à l'avenir à l'extérieur de la terre d'Empire allemande (donc en dehors de l'Alsace-Lorraine).

L'incident de Saverne entraîne également un remaniement de personnel au cours duquel les deux fonctionnaires d'Alsace-Lorraine les plus hauts placés sont remplacés. Le 31 janvier le secrétaire d'état du ministère pour l'Alsace-Lorraine Hugo Baron Zorn von Bulach, est remplacé par le conseiller présidial supérieur (Oberpräsidialrat) de Potsdam, le comte Sigfried von Roedern. Le gouverneur impérial, Karl von Wedel, démissionne; sur ce, l'empereur nomme le ministre de l'intérieur prussien Johann von Dallwitz pour succéder à Wedel dans cette fonction, à la déception des Alsaciens. Dallwitz est un défenseur convaincu de l'étatisme autoritaire et rejette également la constitution de 1911 qui avait été accordée à la terre d'Empire.

Conséquences pour les relations franco-allemandes d'avant-guerre

Dans les rangs les plus conservateurs et réactionnaires de l'Empire allemand les mouvements protestataires, notamment en Alsace-Lorraine, sont interprétés comme une entrave à la politique de germanisation. Les milieux nationalistes français considèrent l'incident comme signe de résistance de la part des Alsaciens par rapport à ces tentatives de germanisation et se félicitent de la fidélité de l'Alsace-Lorraine.

L'incident de Saverne mène à une tension encore plus importante au sein des relations franco-allemandes, qui avaient déjà été mises à mal par la crise d'Agadir et contribue à attiser l'esprit de revanche et la lutte pour les provinces perdues, dans l'opinion nationaliste française, notamment autour de Maurice Barrès. Cet esprit de revanche trouvera un certain écho parmi les couches bourgeoises francophiles alsaciennes. Les milieux pangermanistes de l'empire réagissent à cet écho en faisant pression pour que le gouvernement durcisse le ton face à l'Alsace-Lorraine.[10]

A titre anecdotique, Forstner tombera deux ans plus tard sur le front oriental lors de la Première Guerre mondiale.[11]

Réception littéraire et linguistique de l'incident

L'écrivain Heinrich Mann traite de l'incident de Saverne dans son roman Le Sujet de l'Empereur

L'écrivain Ulrich Rauscher en raille dans un poème sur le "bon citoyen"[12]

Kurt Tucholsky se moque dans un poème intitulé "le Héros de Saverne" pour le journal Vorwärts de la "bravoure" du lieutenant Forstner.[13]

Par référence au comportement des militaires le terme "zabernism" a été assimilé dans la langue anglaise pour désigner l'abus de pouvoir militaire ou en tant que définition pour tout comportement tyrannique ou agressif.

Citations contemporaines

  • De même que, soit-disant, personne - pour reprendre les paroles de Bismarck - ne nous a imité le lieutenant prussien, ainsi, personne n'est, en effet, entièrement parvenu à nous imiter le militarisme prusso-allemand, qui n'est alors ni seulement devenu un État au sein de l'État, mais pour ainsi dire un État au-dessus de l'État. (...)“ (Karl Liebknecht (communiste révolutionnaire allemand, membre du Parti social-démocrate d'Allemagne (SPD) et député du Reichstag), sept ans avant l'incident de Saverne)[14]
  • Vivons-nous dans une république sud-américaine, ou chaque colonel peut dicter la loi aux administrations judiciaires et la vie et la liberté des citoyens dépendent-elles chez nous des décisions d'une société de casinos?“ (Theodor Wolff, journaliste et écrivain)
  • Nous devons nous en garder, qu'un fanfaronage académique et militaire ne devienne le porte-parole de la mentalité allemande“ (Theodor Heuss (homme politique libéral et président de la République fédérale d'Allemagne (Bundespräsident) de 1949 à 1959) peu de temps avant les évènements[15])
    Saverne n'est qu'un symptôme.“ (Heuss peu de temps après les incidents[16])
  • ...toujours bien fort dessus!“ ("Immer feste druff!"Guillaume de Prusse, le fils de l'empereur, dans un télégramme pour le nouvel an. Cette formule en dialecte berlinois-brandebourgeois deviendra un proverbe souvent utilisé en allemand.)
  • Et n'est-ce pas le meurtre et la mutilation en temps de guerre qui sont le véritable métier et la vraie nature de cette administration militaire dont l'autorité offensée à montré ses dents à Saverne?“ (Rosa Luxemburg, personnalité allemande du militantisme communiste et révolutionnaire)[17]

Sources

  • (de) Cet article est partiellement ou en totalité issu d’une traduction de l’article de Wikipédia en allemand intitulé « Zabern-Affäre ».

Voir aussi

Liens internes

Liens externes

Bibliographie

  • (fr) Archives d'Alsace (Ed. Michèle Trinkvel) relate tous les détails de l'affaire, avec plusieurs photographies à l'appui d'un long extrait de "L'affaire de Saverne", de Julien Rovère (Paris, 1919) (ISBN 2843082560) pp. 203-207.
  • (fr)Pierre Vonau: L'affaire de Saverne-1913, livret SHASE, n°162 bis revue Pays d'Alsace, 1993.
  • (fr)Marie-Jeanne Bubendorff, l'affaire de Saverne dans la presse de Heidelberg, Chantiers Historiques en Alsace, n° 5, Presse Universitaire de Strasbourg, 2002, p. 163
  • (fr)Christian Baechler, Le Parti Catholique Alsacien (1890-1939) Du Reichsland à la République Jacobine,Paris, 1982
  • (fr)François Igersheim, L'Alsace des notables (1870-1814), Strasbourg, 1981
  • (fr)Jean-Marie Mayeur, Autonomie et politique en Alsace. La Constitution de 1911, Paris, Armand Colin, 1970.
  • (de)/(fr)Raymond Poidevin/Jacques Bariéty, Frankreich und Deutschland. Die Geschichte ihrer Beziehungen 1815 - 1975, Verlag C.H. Beck, München 1982.
  • (de) Erwin Schenk: Der Fall Zabern, W. Kohlhammer, Stuttgart 1927.
  • (de) Hans-Günter Zmarzlik: Bethmann Hollweg als Reichskanzler 1909–1914. Studien zu Möglichkeiten und Grenzen seiner innenpolitischen Machtstellung (Beiträge zur Geschichte des Parlamentarismus und der politischen Parteien, Bd 11), Droste-Verlag, Düsseldorf 1957, pp. 114–130.
  • (de) Hans-Ulrich Wehler: Der Fall Zabern. Rückblick auf eine Verfassungskrise des wilhelminischen Kaiserreichs, dans: Die Welt als Geschichte 23, 1963, pp. 27–46
  • (de) Hans-Ulrich Wehler: Symbol des halbabsolutistischen Herrschaftssystems - Der Fall Zabern von 1913/14, dans: Hans-Ulrich Wehler: Krisenherde des Kaiserreichs 1871–1918. Studien zur deutschen Sozial- und Verfassungsgeschichte, Vandenhoeck & Ruprecht, Göttingen 1970, pp. 65–83
  • (de) Hans-Ulrich Wehler: Der Fall Zabern von 1913/14 als Verfassungskrise des Wilhelminischen Kaiserreichs, dans: Hans-Ulrich Wehler: Krisenherde des Kaiserreichs 1871–1918, Vandenhoeck & Ruprecht, Göttingen 1979 (2. Aufl.), pp. 70–88 et pp. 449–458.
  • (en) David Schoenbaum: Zabern 1913. Consensus Politics in Imperial Germany, George Allen & Unwin, London 1982 (197 Seiten); (ISBN 0049430254).
  • (de) Rainer Nitsche (Hrsg.): Durchfall in Zabern. Eine Militärdemontage, Transit Buchverlag, Berlin 1982; (ISBN 3887470109).
  • (en) Richard W. Mackey: The Zabern Affair, 1913–1914, University Press of America, Lanham 1991; (ISBN 081918408X).
  • (de) Gerd Fesser: „...ein Glück, wenn jetzt Blut fließt!". Zeitläufte, in: Die Zeit Nr. 46/1993, p. 88.
  • (de) Wolfgang J. Mommsen: War der Kaiser an allem schuld?, Propyläen Verlag, Ullstein Heyne List, Berlin 2005, S. 203–209; (ISBN 3548367658).
  • (de)Dr. Angela Borgstedt: Der "Fall Brüsewitz" - Eine badische Zabern-Affäre? Militär und Zivilgesellschaft im Deutschen Kaiserreich, Blick in die Geschichte, Nr. 68 vom 16. September 2005
  • (de)Karl N. Nicolaus: Zabern war anders, Die Zeit, 20. März 1959, Nr. 12

Notes et références

  1. (fr)Henri Heitz, Le château de Saverne, guide SHASE 1996, p. 29.
  2. (de)/(en)John C.G. Röhl: Wilhelm II. Der Weg in den Abgrund 1900–1941; Verlag C.H. Beck, 2008/ Cité d'après Volker Ullrich Deutsche Kaiserzeit: "Er ist durch und durch falsch" die Zeit, n° 41, 1er octobre 2008.
  3. (de)Dr Angela Borgstedt: Der "Fall Brüsewitz" - Eine badische Zabern-Affäre? Militär und Zivilgesellschaft im Deutschen Kaiserreich, Blick in die Geschichte, n° 68, 16 septembre 2005.
  4. (de)Gerd Fesser: „...ein Glück, wenn jetzt Blut fließt!" Zeitläufte, dans: Die Zeit, n° 46, 1993, p. 88.
  5. (de) Karl N. Nicolaus dans l'article Zabern war anders, Die Zeit, n° 12, 20 mars 1959.
  6. (fr)Julien Rovère, L'affaire de Saverne, 1919, cité dans Archives d'Alsace, p. 203
  7. J. Rovère, op. cité, p. 203
  8. (de)Wolfgang J. Mommsen: War der Kaiser an allem schuld?, p. 203.
  9. (de)Laurenz Demps: Der Reichstag. Lange vor der Verhüllung: "Reichsaffenhaus" oder Austragungsort politischer Auseinandersetzung? Berliner Zeitung, 10 juin 1995.
  10. (fr) Marie-Jeanne Bubendorff dans Chantiers Historiques en Alsace; article l'affaire de Saverne dans la presse de Heidelberg, Presse Universitaire de Strasbourg, n°5, 2002, p. 163.
  11. (de)Karl N. Nicolaus op. cit.
  12. (de)Ulrich Rauscher: Den braven Bürgern. Dans : Die Schaubühne, 15 janvier 1914, p. 70.
  13. (de)Theobald (Kurt Tucholsky): Der Held von Zabern. Dans : Vorwärts, 30eme année, n° 318, 3 décembre 1913.
  14. (de)Karl Liebknecht dans une conférence devant le congrès de la jeunesse de Mannheim en octobre 1906, puis à nouveau dans son écrit Militarismus und Antimilitarismus unter besonderer Berücksichtigung der internationalen Jugendbewegung (fr:Militarisme et Antimiltarisme sous considération particulière du mouvement international de jeunesse). Leipzig, 1907. Cité ici d'après Volker R. Berghahn (éd.): Militarismus (fr:Le Militarisme). Kiepenheuer & Witsch, Cologne 1975, p. 91.
  15. (de)Theodor Heuss: Der deutsche Chauvinismus. (fr:Le chauvinisme allemand) dans le périodique: März, 7eme année/n° 34 du 23 août 1913, p. 269.
  16. (de)Theodor Heuss: Die Zaberner Schüssel. (fr:Le plat de Saverne) dans le périodique: März, 8eme année/n° 3 du 17 janvier 1914, p.99.
  17. (de)Rosa Luxemburg: Sozialdemokratische Korrespondenz (fr: Correspondance Social-Democrate), n° 3, Berlin, 6 janvier 1914.
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