- Aelle de Sussex
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Ælle de Sussex
Pour les articles homonymes, voir Aella.Ælle (également Aelle ou Ella), aurait été le premier roi du Sussex, dans le sud de l'Angleterre, à partir de 477 et peut-être jusqu'en 514. Les informations à son sujet sont si maigres que son existence même ne peut être affirmée avec certitude.
D'après la Chronique anglo-saxonne, Ælle et trois de ses fils, venus du continent, auraient débarqué en Grande-Bretagne près de l'actuel promontoire de Selsey Bill — l'emplacement exact a probablement été submergé depuis — et affronté les Bretons[1]. En 491, ils auraient remporté une victoire sur le site du village actuel de Pevensey, massacrant un grand nombre de leurs adversaires et mettant en fuite les autres[1]. Si les événements rapportés par la tradition sont invérifiables, la toponymie du Sussex montre clairement que la région fut soumise à une colonisation extensive et ancienne des Saxons, appuyant l'idée qu'il s'agirait d'une de leurs premières conquêtes.
Ælle est, selon le chroniqueur Bède le Vénérable (VIIIe siècle), le premier roi à avoir exercé l'« imperium » — ou suzeraineté — sur les autres royaumes anglo-saxons (au sud de l'Humber)[1],[2]. Dans la Chronique anglo-saxonne, rédigée environ quatre siècles après sa mort, Ælle est désigné comme le premier bretwalda, ou « seigneur de Bretagne »[1] ; mais rien ne prouve qu'il ait porté ce titre à l'époque. On ignore quand mourut Ælle, de même que l'identité de son successeur à la tête des Saxons du Sud[1].
Sommaire
Contexte historique
Ælle, si tant est qu'il ait existé, vécut au cours de la période la moins documentée de l'histoire de l'Angleterre. James Campbell écrit, par exemple, que « Le vice naturel de l'historien est de prétendre connaître le passé. Cette prétention n'est jamais aussi dangereuse que lorsqu'elle est ancrée en Bretagne, entre 400 et 600 ap. J.-C.[3] ».
Au début du Ve siècle, la Bretagne était romaine depuis trois cent cinquante ans. Les ennemis les plus gênants de l'Empire y étaient les Pictes du centre et du nord de l'Écosse, et les Gaëls (ou Scotti), qui lançaient fréquemment des incursions depuis l'Irlande. Tout aussi contrariants étaient les Saxons, nom donné par les Romains aux peuples vivant dans le nord de l'Allemagne actuelle et dans le sud du Jutland. Les incursions saxonnes sur les côtes est et sud de l'Angleterre s'étaient faites suffisamment alarmantes à la fin du IIIe siècle pour que les Romains bâtissent les forts de la Côte saxonne, et établissent par la suite le titre de comte de la Côte saxonne pour organiser la défense contre ces raids. La mainmise romaine sur la Bretagne prit fin au début du Ve siècle : la date généralement retenue est 410, année qui vit l'empereur Honorius envoyer des lettres aux Bretons pour les exhorter à prendre en main leur propre défense. Les troupes stationnées en Bretagne avaient fréquemment été détournées pour soutenir les prétentions d'usurpateurs au trône impérial, et après 410, les armées romaines ne revinrent jamais[4],[5].
Après cette date, les sources deviennent extrêmement rares. Une tradition, rapportée dès le milieu du VIe siècle par Gildas, veut que les Bretons aient demandé de l'aide contre les barbares au consul Aetius, probablement vers la fin des années 440 ; mais leur demande resta lettre morte. Par la suite, un souverain breton nommé Vortigern aurait invité des mercenaires du continent pour l'aider à lutter contre les Pictes (d'autres sources corroborent ici les dires de Gildas, parmi lesquelles la Chronique anglo-saxonne). Les chefs des mercenaires, Hengist et Horsa, se rebellèrent, et une longue période conflictuelle s'ensuivit. Les envahisseurs (Angles, Saxons, Jutes et Frisons) prirent le contrôle d'une partie de l'Angleterre, mais furent vaincus lors d'une grande bataille au mont Badon. Certains auteurs ont émis l'hypothèse qu'Ælle ait mené les forces saxonnes au cours de cette bataille[6], tandis que d'autres ont totalement rejeté cette idée[7].
S'ensuivit un répit pour les Bretons, qui dura au moins jusqu'à l'époque où écrivait Gildas : peut-être quarante ou cinquante ans, de la fin du Ve siècle au milieu du VIe[8],[9]. Peu après l'époque de Gildas, l'avancée anglo-saxonne reprit, et à la fin du VIe siècle, presque tout le sud de l'Angleterre était aux mains des envahisseurs[10].
Sources
Deux sources mentionnent nommément Ælle. La plus ancienne est l'Histoire ecclésiastique du peuple anglais, une histoire de l'Église anglaise rédigée en 731 par Bède le Vénérable, un moine anglais. Bède mentionne Ælle comme l'un des rois anglo-saxons qui exercèrent ce qu'il appelle l'« imperium » sur « toutes les provinces au sud du fleuve Humber » ; on traduit généralement « imperium » par « suzeraineté ». Bède liste sept rois qui détinrent l'« imperium », et Ælle est le premier d'entre eux. Bède indique encore qu'Ælle n'était pas chrétien : il mentionne un roi ultérieur comme étant « le premier à entrer au royaume des cieux[2] ».
La deuxième source est la Chronique anglo-saxonne, un ensemble d'annales compilé au Wessex vers 890, sous le règne d'Alfred le Grand. La Chronique contient trois entrées pour Ælle, entre 477 et 491. La première, pour l'année 477, indique qu'Ælle débarqua en Bretagne avec ses trois fils, Cymen, Wlencing et Cissa, en un lieu appelé Cymen's Shore, et qu'il y tua de nombreux Bretons (appelés « Welsh », terme saxon signifiant « étranger » et utilisé pour désigner tous les Britto-romains[11]), et en fit fuir d'autres dans un bois nommé Andredes leag. La seconde, pour l'année 485, fait état d'une bataille entre Ælle et les Bretons près d'un cours d'eau nommé Mearcred's Burn[1]. La dernière, pour l'année 491, évoque le siège d'Andredes cester (le fort romain d'Anderida, près de Pevensey) par Ælle et Cissa, et précise qu'ils tuèrent tous les Bretons qui y vivaient[1].
La Chronique date d'environ quatre siècles après ces événements. On sait que les annalistes se basaient sur des chroniques plus anciennes, ainsi que sur des sources orales comme les sagas, mais il est impossible de retracer l'origine de ces entrées[12]. On peut identifier trois des lieux mentionnés. « Cymen's Shore » (« Cymenes ora » dans l'original) se trouve à présent sous la mer, mais des références ultérieures montrent clairement qu'il se trouve au sud de l'actuel promontoire de Selsey Bill, juste à l'est de l'île de Wight. Des bancs de sable appelés the Owers marquent à présent l'endroit[13]. Le bois appelé « Andredes leag » est le Weald, qui était à l'époque une forêt s'étendant du nord-ouest du Hampshire sur le nord du Sussex ; et « Andredes cester » est Anderitum, un fort de la Côte saxonne bâti par les Romains sur le site du futur château de Pevensey[13],[14]. Ce château devait servir de base aux Normands avant la bataille d'Hastings, en 1066, qui marqua la fin de la souveraineté anglo-saxonne.
La Chronique mentionne encore une fois Ælle pour l'année 827, où il est présenté comme le premier des huit bretwaldas, ou « seigneurs de Bretagne ». La liste inclut les sept donnés par Bède, ainsi qu'Egbert de Wessex[15]. La signification de ce titre, et l'étendue du pouvoir effectif d'Ælle sur le sud de l'Angleterre, sont sujets à débat[16],[17]. Il y a en outre un grand intervalle entre Ælle et le second roi sur la liste de Bède, Ceawlin de Wessex, dont le règne débuta à la fin du VIe siècle. Il est possible que cela indique une quelconque interruption de la domination anglo-saxonne[14].
Des sources antérieures à Bède mentionnent les Saxons du Sud, sans toutefois nommer Ælle. La toute première référence reste cependant assez tardive, datant d'environ 692 : il s'agit une charte du roi Nothelm de Sussex, où il est qualifié de « roi des Saxons du Sud »[18]. D'autres textes permettent d'éclairer l'époque d'Ælle, bien qu'ils ne mentionnent ni son royaume, ni lui. La description que fait Gildas de l'Angleterre à son époque permet de comprendre le flux et reflux des incursions anglo-saxonnes. Procope de Césarée, un historien byzantin légèrement postérieur à Gildas, s'ajoute aux maigres sources sur les migrations en incluant un chapitre sur l'Angleterre dans l'un de ses ouvrages. Il note que les peuples de Bretagne (les Anglais, les Bretons et les Frisons) étaient si nombreux qu'ils migraient chaque année en grand nombre vers le royaume des Francs[19]. Il s'agit probablement d'une référence aux Bretons qui émigrèrent en Armorique pour fuir les Anglo-Saxons. Ils donnèrent par la suite leur nom à l'endroit où ils s'installèrent : la Bretagne.
Toponymie du Sussex
Les dates données dans la Chronique anglo-saxonne pour la colonisation du Sussex sont confirmées par une analyse des toponymes de la région. Les preuves les plus évidentes sont les noms se terminant en -ing, comme Worthing ou Angmering. Ces noms sont dérivés d'une forme plus ancienne se terminant en -ingas. Par exemple, Hastings provient d'Hæstingas, nom qui signifie « ceux qui suivent, ou dépendent, d'une personne nommée Hæsta »[20].
C'est entre Selsey Bill à l'ouest et Pevensey à l'est que l'on trouve la concentration la plus dense de ces noms en Grande-Bretagne. Environ quarante-cinq lieux ont un nom bâti sur ce modèle dans le Sussex, et les noms dont ils dérivent semblent, dans de nombreux cas, être tombés en désuétude avant le VIIe siècle, moment où réapparaissent des traces écrites. Il est donc généralement admis que ces toponymes témoignent de l'établissement de communautés saxonnes aux populations stables dès les Ve et VIe siècle[20],[21]. En outre, le Sussex a un nombre remarquablement faible de toponymes d'origine bretonne. Cela ne veut pas forcément dire que les Saxons ont tué ou chassé la quasi-totalité des autochtones, malgré le massacre mentionné dans la Chronique pour l'année 491 ; mais cela implique que l'invasion se fit à une échelle qui laissait peu de place aux Bretons[14].
Ces déductions ne peuvent prouver les dates données dans la Chronique, et encore moins l'existence d'Ælle lui-même, mais elles soutiennent l'idée d'une conquête réalisée très tôt et de l'établissement rapide d'un royaume stable[20],[21].
Règne
Si les dates données par la Chronique anglo-saxonne sont exactes à cinquante ans près, alors le règne d'Ælle s'inscrit au milieu de l'expansion anglo-saxonne, avant la défaite finale des Bretons. Il semble cohérent de dire que les batailles d'Ælle eurent lieu avant celle du mont Badon, qui pourrait expliquer à son tour le long intervalle, de cinquante ans ou plus, dans la succession des bretwaldas : si la paix arrachée par les Bretons tint bel et bien jusqu'à la seconde moitié du VIe siècle, il n'est guère étonnant qu'aucun souverain anglo-saxon n'ait pu exercer la moindre suzeraineté sur l'Angleterre pendant cette période. L'idée d'une halte dans l'avancée anglo-saxonne est également soutenue par le récit fait par Procope de la migration vers le royaume des Francs[14]. Ce récit correspond à ce que l'on sait d'une colonisation contemporaine de l'Armorique : les colons semblent avoir été issus au moins en partie de Domnonée (en Cornouailles), et des régions de Bretagne prirent également pour nom Domnonée et Cornouaille[22]. Il semble plausible que quelque chose, à cette époque, ait interrompu le flot régulier d'Anglo-Saxons du continent vers la Grande-Bretagne[23].
Les dates des batailles d'Ælle sont aussi raisonnablement cohérentes avec ce que l'on sait du royaume des Francs à la même époque. Clovis unit les Francs en un seul royaume dans les années 480 et après, et la puissance franque le long de la côte sud de la Manche a pu inciter les aventuriers saxons à se rendre en Angleterre plutôt que sur le continent[23].
Il est donc possible qu'un roi historique du nom d'Ælle ait existé, soit arrivé depuis le continent à la fin du Ve siècle, et ait conquis une grande partie du Sussex actuel. Il s'agissait peut-être d'un chef de guerre prééminent, avec un rôle de chef dans une fédération de groupes anglo-saxons luttant pour un territoire sur le sol anglais à cette époque. C'est là peut-être l'origine de la réputation qui conduisit Bède à en faire le premier des bretwaldas[24]. Les batailles données dans la Chronique peuvent correspondre à une conquête du Sussex d'ouest en est, contre une résistance bretonne encore suffisamment forte pour tenir quatorze années[14]. Sa zone de contrôle militaire s'étendait peut-être jusqu'au Hampshire, et au nord jusqu'à la haute vallée de la Tamise, mais certainement pas, comme l'affirme Bède, sur toute l'Angleterre au sud du Humber[25].
La Chronique n'évoque pas la mort d'Ælle, et ne parle plus de lui, de ses fils ou des Saxons du Sud avant 675, date à laquelle le roi du Sussex Æthelwalh fut baptisé[23].
Voir aussi
Article connexe
Notes et références
- ↑ a , b , c , d , e , f et g S. E. Kelly, « Ælle (fl. late 5th cent.) », Oxford Dictionary of National Biography, Oxford University Press, 2004.
- ↑ a et b Bède, Ecclesiastical History, II 5
- ↑ The Anglo-Saxons, p. 20
- ↑ Hunter Blair, An Introduction, p. 1–14
- ↑ Campbell et al., The Anglo-Saxons p. 13–16
- ↑ James Bradbury, The Routledge Companion to Medieval Warfare, Routledge, New York (ISBN 0-415-22126-9), p. 140
- ↑ Philip Warner, British Battlefields: The Midlands, Osprey, Reading (OCLC 60058359), p. 23
- ↑ Hunter Blair, An Introduction, p. 13–16
- ↑ Campbell et al., The Anglo-Saxons p. 23
- ↑ Hunter Blair (Roman Britain, p. 204) date la conquête finale de 550-575.
- ↑ Swanton, Anglo-Saxon Chronicle, p. 14
- ↑ Swanton, Anglo-Saxon Chronicle, p. xviii-xix
- ↑ a et b Hunter Blair, Roman Britain, p. 176
- ↑ a , b , c , d et e Stenton, Anglo-Saxon England, pp. 17–19
- ↑ Swanton, Anglo-Saxon Chronicle, p. 60–61
- ↑ Hunter Blair, An Introduction, p. 201–202.
- ↑ Campbell et al., The Anglo-Saxons, p. 53–54.
- ↑ Kirby, Earliest English Kings, p. 20–21
- ↑ Hunter Blair, Roman Britain, p. 164
- ↑ a , b et c Hunter Blair, Roman Britain, p. 176–178
- ↑ a et b Hunter Blair, An Introduction, p. 22
- ↑ Campbell et al., The Anglo-Saxons, p. 22
- ↑ a , b et c Stenton, Anglo-Saxon England, p. 12
- ↑ Fletcher, Who's Who, p. 17
- ↑ Kirby, Earliest English Kings, p. 55
Sources
- (en) Cet article est partiellement ou en totalité issu d’une traduction de l’article de Wikipédia en anglais intitulé « Ælle of Sussex ».
- Sources primaires
- (fr) Bède le Vénérable (trad. Leo Sherley-Price, rév. R.E. Latham, éd. D.H. Farmer), Ecclesiastical History of the English People, Penguin, Londres, 1991 (ISBN 0-14-044565-X)
- (en) Michael Swanton, The Anglo-Saxon Chronicle, Routledge, New York, 1996 (ISBN 0-415-92129-5)
- Sources secondaires
- (en) James Campbell, Eric John, Patrick Wormald, The Anglo-Saxons, Penguin Books, Londres, 1991 (ISBN 0-14-014395-5)
- (en) Richard Fletcher, Who's Who in Roman Britain and Anglo-Saxon England, Shepheard-Walwyn, Londres, 1989 (ISBN 0-85683-089-5)
- (en) Peter Hunter Blair, An Introduction to Anglo-Saxon England, Cambridge University Press, Cambridge, 1960
- (en) Peter Hunter Blair, Roman Britain and Early England: 55 B.C. – A.D. 871, W.W. Norton & Company, New York, 1966 (ISBN 0-393-00361-2)
- (en) D. P. Kirby, The Earliest English Kings, Routledge, Londres, 1992 (ISBN 0-415-09086-5)
- (en) Frank M. Stenton, Anglo-Saxon England, Clarendon Press, Oxford, 1971 (ISBN 0-19-821716-1)
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