Douze Études pour piano

Douze Études pour piano

Études de Debussy

Les Douze Études pour piano de Claude Debussy, ont été composées en août et septembre 1915. Elles ont été interprétées pour la première fois le 14 décembre 1916 à Paris par le pianiste Walter Rummel. Elles portent comme dédicace À la mémoire de Chopin.

Bien qu'il n'y ait aucune trace stylistique apparente de l'influence qu'aurait pu exercer Chopin sur Debussy, le génie polonais était malgré tout une référence majeure et évidente pour Debussy quand il composa les Douze Études. Effectivement, comment ne pas penser aux Études de Chopin, à la fois cheval de bataille technique de tous les pianistes, et fabuleuses pièces de concert à la musicalité irréprochable? C'est justement en ce dernier point que les études de Debussy et de Chopin se trouvent une filiation commune. Comme chez Chopin, les études de Debussy n'appellent pas une virtuosité froide et outrancière, elles transcendent la fonction pédagogique. Quand virtuosité il y a , et elle est bien présente, elle est toujours au service de la musique, de l'interprétation et par extension du plaisir qu'on y prend. La comparaison avec Chopin s'arrête ici car, pour le reste, les études de Debussy sont un véritable monde à part. Elles sont la synthèse de tout son univers pianistique, la clé qui permet d'y pénétrer, aussi bien sur le plan technique que "spirituel". Il y pousse encore plus loin ses recherches rythmiques et sonores, développe sa vision et son sens harmonique, jusqu'aux confins de la musique tonale. En ce sens, il affirme définitivement sa position de précurseur vis-à-vis de la musique du XXe siècle.

Les études sont subdivisées en deux Livres, comportant chacun six études. Le compositeur français Jean Barraqué (1928-1973) remarquait que les études du Livre I étaient consacrées à la souplesse et au mécanisme digital, celles du Livre II aux recherches sonores et rythmiques.

Préface de Debussy

Quelques mots...

Intentionnellement, les présentes Études ne contiennent aucun doigté, en voici brièvement la raison :

Imposer un doigté ne peut logiquement s'adapter aux différentes conformations de la main. La pianistique moderne a cru résoudre cette question en en superposant plusieurs ; ce n'est qu'un embarras... La musique y prend l'aspect d'une étrange opération, où par un phénomène inexplicable, les doigts se devraient multiplier...

Le cas de Mozart, claveciniste précoce, lequel ne pouvant assembler les notes d'un accord, imagina d'en faire une avec le bout de son nez, ne résout pas la question, et n'est peut-être dû qu'à l'imagination d'un compilateur trop zélé ?

Nos vieux Maîtres, — je veux nommer "nos" admirables clavecinistes — n'indiquèrent jamais de doigtés, se confiant, sans doute, à l'ingéniosité de leurs contemporains. Douter de celle des virtuoses modernes serait malséant.

Pour conclure : l'absence de doigté est un excellent exercice, supprime l'esprit de contradiction qui nous pousse à préférer ne pas mettre le doigté de l'auteur, et vérifie ces paroles éternelles : « On n'est jamais mieux servi que par soi-même ».

Cherchons nos doigtés !

C.D.

Premier Livre

  • 1. Pour les « cinq doigts » d'après monsieur Czerny (en do majeur). Le clin d'œil à Czerny est amusant, et en fait ironique. D'autant plus que, dès le début de la partition, Debussy prend soin d'indiquer « sagement » au-dessus des do, ré, mi, fa, sol, qui s'enchaînent gentiment avant que tout ne bascule et que des dissonances et autres excentricités debussyennes ne viennent semer un joli désordre. Il s'agit d'un pied-de-nez aux rigoureux exercices techniques de Czerny, que Debussy pastiche avec malice.
  • 2. Pour les tierces (en ré bémol majeur). L'étude se révèle très difficile (et donc très utile) pour la main droite qui doit exécuter des tierces liées sur un tempo très rapide. Elle commence de manière assez douce avant de s'agiter au fur et à mesure et de se terminer brusquement. On note quelques envolées lyriques voire sensuelles, et d'autres passages plus ténébreux et inquiétants.
  • 3. Pour les quartes (en fa majeur). L'étude est composée de sonorités orientalisantes couplées à d'autres sonorités plus inattendues, et d'autres encore plus "planantes" voire lunaires. On passe de l'une à l'autre subtilement, ce qui rend cette étude très particulière. Pour l'anecdote, Debussy avait prévenu son éditeur qu'on trouverait du « non-entendu » dans cette étude. La tonalité est d'ailleurs assez floue...
  • 4. Pour les sixtes (en ré bémol majeur). Debussy dit à propos de ces sixtes que ce sont « des demoiselles prétentieuses, assises dans un salon, faisant maussadement tapisserie, en enviant le rire scandaleux des folles neuvièmes! » Le caractère globalement apaisant, doux et mélodieux, de cette étude (dû aux sixtes donc, les neuvièmes étant beaucoup plus agitées) contraste avec l'étude précédente.
  • 5. Pour les octaves (en mi majeur). Étude d'une grande richesse harmonique, étincelante et de caractère joyeux, qui, après quelques passages plutôt scherzando, se termine elle aussi de manière brusque.
  • 6. Pour les huit doigts (en sol bémol majeur). Marguerite Long elle-même fut étonnée que, pour cette étude, Debussy ait suggéré de ne pas utiliser les pouces, ce qui rend son exécution plus difficile. Il semble que cette recommandation permette plus de légèreté et de souplesse dans les mouvements. En effet, l'étude est une succession de notes rapides, qui peuvent faire penser au vol du bourdon (ou de l'abeille) de Rimski-Korsakov.

Deuxième Livre

  • 7. Pour les degrés chromatiques (tonalité indéterminée). Dans cette étude, une ribambelle de triples croches tournent autour d'un thème discret dont la tonalité change régulièrement. Il ne s'agit pas d'essayer de capter chaque note, mais plutôt de percevoir le tout comme une continuité sonore.
  • 8. Pour les agréments (en fa majeur). De cette étude, Debussy disait qu'elle « emprunte la forme d'une barcarolle sur une mer un peu italienne ». Elle peut aussi faire penser à une fantaisie ou à une arabesque et est techniquement costaude, en étant à la fois extrêmement raffinée.
  • 9. Pour les notes répétées (tonalité indéterminée). Étude de caractère humoristique, la tonalité théorique sol majeur n'apparaît que fugitivement. Semblable à une toccata, elle est constituée de quelque attaques stridentes et agressives.
  • 10. Pour les sonorités opposées (en do dièse majeur/mineur). Cette étude est considérée comme l'une des compositions majeures de tout le répertoire pianistique debussyen, notamment grâce à ses nuances audacieuses, la qualité de la superposition de ses timbres, la subtilité et la délicatesse de ses nappes. Bref, un art de la résonance parfaitement maîtrisé.
  • 11. Pour les arpèges composés (en la bémol majeur). Une étude scintillante, qui démontre encore le génie mélodique et harmonique de Debussy. Le thème principal est habilement transporté durant toute la pièce par une série de notes colorées et lumineuses ; Debussy esquive à chaque fois la mélodie facile et attendue pour emmener l'auditeur vers des territoires sonores insoupçonnés.
  • 12. Pour les accords (en la mineur). Étude débutant par une série de dissonances marquées et appuyées, s'ensuivent quelques fragments de silences menant vers un développement calme et aérien avant de terminer à nouveau par une série d'accords plus percussifs.
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