Crise luxembourgeoise

Crise luxembourgeoise
Le Royaume-uni des Pays-Bas et les frontières du Grand-duché (4+5) jusqu'en 1830 ; en 1839, la province du Luxembourg (4) est rattachée au Royaume de Belgique, tandis que ce qui reste du Grand-duché (5) est dans les faits sous contrôle militaire de la Prusse.

La crise luxembourgeoise (1867) résulte de l'opposition des chancelleries d'Europe à l'achat du Grand-Duché de Luxembourg par la France de Napoléon III. Elle prélude à la guerre franco-prussienne de 1870. Le Luxembourg passe du statut de fief héréditaire à celui d'État indépendant et neutre.

Sommaire

Situation politique du Luxembourg

Au terme de l'article 67 du Congrès de Vienne de 1815, le grand-duché de Luxembourg revint à Guillaume Ier des Pays-Bas. L'attribution du titre et de la souveraineté sur le grand-duché était censée compenser la cession à la Prusse des provinces de Nassau-Dillenburg, Siegen, Hadamar et Dietz. Comme par le passé, le souverain des Pays-Bas devait exercer ses droits et son autorité sur le Luxembourg « en toute propriété et souveraineté », c'est-à-dire qu'ils ne devaient en aucun cas être conditionnés par sa souveraineté sur les Pays-Bas.

Aux termes du traité, l'union entre les deux États des Pays-Bas et du Luxembourg aurait donc dû être une simple union personnelle. Cependant, Guillaume Ier décida d'administrer le Luxembourg comme n'importe laquelle des provinces de son royaume.

Le grand-duché était à la fois membre de la Confédération germanique (d'obédience viennoise), et depuis 1842 membre du Zollverein, l'union douanière mise sur pied par la Prusse. Si le Luxembourg possédait depuis 1848 son propre parlement et un gouvernement autonome, la ville de Luxembourg était désormais une place-forte allemande, dont la garnison était le plus souvent prussienne. Cette garnison étrangère, mal vue de la population, avait, cela dit, apporté une certaine prospérité dans un pays encore peu industrialisé et quelque peu arriéré.

La France de Napoléon III était de son côté lancée dans une politique impérialiste et sa volonté d'expansion territoriale s'attisa encore davantage à partir de 1860, car Napoléon III, non content des succès de la guerre de Crimée, cherchait par de nouveaux exploits en politique extérieure à faire pièce au rayonnement de la Prusse, vainqueur de la guerre austro-prussienne de 1866.

Par cette victoire, la Prusse avait réglé la question du « dualisme allemand » et mis en branle un processus d'unification qui affectait presque tous les états de langue allemande : la Confédération germanique disparaissait au profit d'une Confédération de l'Allemagne du Nord sous protectorat prussien. Mais cette dissolution entraînait par là-même la disparition du cadre juridique dans lequel la Prusse pouvait stationner des troupes au Grand-Duché.

Les faits

Napoléon III en Rocambole de la politique : caricature d'André Gill (novembre 1867).

Afin d'apaiser les tensions nées du conflit avec l'Autriche, la France et la Prusse poursuivirent leurs négociations même pendant la guerre de 1866. Ne serait-ce que parce qu'il ignorait comment les États allemands d'Allemagne du Sud se comporteraient en cas de guerre avec la France, le chancelier de Prusse Otto von Bismarck était tout à fait disposé à traiter avec Napoléon III. S'il posa clairement comme un préalable qu'aucune cession de territoire allemand à la France n'était envisageable, il admettait toutefois que l'intercession de la France dans la résolution du conflit avec l'Autriche devait s'accompagner de concessions territoriales : pour peu que la France se démette des pourparlers entre états allemands, la Prusse ne s'opposerait pas à ce que la France s'étende aux dépens de la Belgique et du Luxembourg (« compris dans la nation française »). On esquissa même un projet d'alliance, afin de préserver les entreprises des deux pays d'une immixtion étrangère, par exemple britannique. La communication de ces pourparlers secrets devait plus tard être astucieusement mise à profit par Bismarck pour déclencher les hostilités avec la France. Dans le même temps, Bismarck passait avec les États d'Allemagne méridionale un traité de protection mutuelle pour se prémunir d'une agression éventuelle de la France.

De toutes les conquêtes que Napoléon III envisageait, celle du Luxembourg paraissait la plus plausible. Après diverses tentatives, comme la cession de la Frise orientale (alors contrôlée par la Prusse) aux Pays-Bas en échange d'une cession du Grand-Duché à la France (option abandonnée comme non-viable politiquement), le gouvernement français démarcha finalement en secret le roi des Pays-Bas Guillaume III avec une offre de 5 millions de florins.

Pour mettre le Grand-duché à l'abri d'une éventuelle invasion française, Guillaume III lui-même avait peu auparavant tenté de faire adhérer le Luxembourg à la Confédération de l'Allemagne du Nord ; mais Bismarck, conformément à l'accord secret passé avec Napoléon III, déclina cette candidature. Comme Guillaume III traversait alors des difficultés financières, il accueillit favorablement l'offre française le 23 mars 1867.

Dans l'intervalle, les accords secrets de 1866 entre la Prusse et les États d'Allemagne méridionale vinrent à être publiés, de sorte que Guillaume III, qui redoutait d'être piégé dans une guerre franco-prussienne, subordonna la vente du Luxembourg à l'accord de la Prusse, attitude qui, à son tour, fit connaître l'offre française à toute l'Europe. L'opinion publique allemande fut scandalisée, car la dynastie des Luxembourg, qui avait donné quatre empereurs au Saint-Empire romain germanique, était considérée avec ses fiefs comme constitutive de l'histoire commune des Allemands : ainsi, il était inimaginable de laisser le Grand-duché à la France. Dans ces circonstances, Bismarck ne pouvait plus honorer les promesses faites secrètement à la France ; il enjoignit à Guillaume III de revenir sur la vente du Luxembourg.

En France, l'opinion publique s’insurgea à son tour, entraînant la mobilisation des troupes, tandis que des députés allemands poussaient Bismarck à décréter la mobilisation générale de la Confédération d'Allemagne du Nord. Au Luxembourg même, des activistes pro-français provoquaient la garnison prussienne. Il s'ensuivit plusieurs manifestations. S'ils se considéraient eux-mêmes « allemands », de nombreux Luxembourgeois éprouvaient de la sympathie pour la France, car bien des ressortissants de ce pays alors très pauvre y avaient trouvé du travail, surtout à Paris. Mais beaucoup d'autres manifestants demandaient au roi des Pays-Bas le retour au statu quo, avec le slogan « Mir wëlle bleiwen waat mir sinn » (« Nous voulons rester ce que nous sommes »). Mais toute cette agitation était en réalité suscitée en sous-main par le populaire prince Henri, stathouder du Luxembourg, lequel n'était rien moins que le frère du roi Guillaume III des Pays-Bas.

Le deuxième traité de Londres

La diplomatie européenne réagit promptement : pour régler cette crise luxembourgeoise, on convoqua une conférence internationale à Londres. Cette conférence s'ouvrit le 7 mai. Les deux protagonistes se déclarèrent d'emblée prêts à traiter, et sur ces entrefaites les articles réglant la controverse furent discutés jusqu'au 11 mai 1867. Ils prévoyaient que :

  • la France renonce à ses prétentions sur le Luxembourg, le roi Guillaume III des Pays-Bas en reste le souverain ;
  • la Prusse, en contrepartie, démobilise sa garnison et les fortifications seront démantelées, autant que le roi de Hollande le jugera utile ;
  • le Luxembourg restera neutre au cours des futurs conflits ;
  • les puissances garantes du premier traité de Londres, à savoir la France, la Grande-Bretagne, la Prusse, l'Autriche et la Russie doivent veiller à l'application des dispositions du traité.

Portée et conséquence de la crise

Caricature anglaise de septembre 1869

Le déroulement de la crise luxembourgeoise montre le poids des opinions publiques et la prégnance croissante du nationalisme. Il montre également qu'en cette fin des années 1860, le temps des négociations de cabinet est révolu. L'antagonisme entre la France et la Prusse en sort d'autant plus attisé que Napoléon III réalise désormais à quel point il a été joué par Bismarck depuis 1864 : épouvantail agité devant l'Autriche et la Russie, caution pour l'intervention de l'Italie dans le conflit contre l'Autriche, il n'a obtenu aucune des compensations secrètement convenues avec le Prussien. Sa politique étrangère est discréditée : manœuvres interlopes, conquêtes arrangées, secrets de polichinelle, c'est l'Angleterre qui arbitre en dernier ressort.

Rétrospectivement, la crise luxembourgeoise paraît annoncer la guerre franco-prussienne de 1870, et n'aura été que « partie remise » pour les militaires des deux camps.

Pour le Luxembourg, l'importance de cette crise ne saurait être exagérée : le démantèlement des fortifications, poussé bien plus loin par les sujets du grand-duché que ne l'exigeait le traité de Londres, permit à Luxembourg de se développer sans contrainte et facilita grandement l'industrialisation du pays. Résultat apparemment marginal du congrès de Londres, mais acquis décisif pour l'expansion économique du Luxembourg en général, et pour le développement de l'industrie sidérurgique en particulier, le baron Victor de Tornaco, chef du gouvernement luxembourgeois parvint, en dépit de la neutralité de son pays, à en maintenir l'adhésion au Zollverein. Mais le fait essentiel demeure, rétrospectivement, l'accord international sur l'indépendance du Luxembourg vis-à-vis de la France et de la Prusse.

Contrairement à l'opinion dominante en 1867, les Luxembourgeois ne se sentent plus aujourd'hui « allemands ». La crise luxembourgeoise peut être considérée comme le point de départ de ce processus d'émancipation culturelle et politique vis-à-vis de l'Allemagne.

Littérature

  • Christian Calmes, Danielle Bossaert : Histoire du Grand-Duché de Luxembourg. Luxembourg 1994, (ISBN 2-87963-209-9)
  • P. Ruppert, Le Grand-Duché de Luxembourg dans les relations internationales. Recueil des traités, conventions et arrangements internationaux, Lux. 1892 pp. 151-152.

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