Abstraction lyrique

Abstraction lyrique

L'abstraction lyrique se réfère à deux mouvements liés mais distincts de la peinture moderne d'après-guerre.

Sommaire

Origines de l'abstraction lyrique

Bien avant que le terme soit défini, la tendance à l'expression directe de l'émotion individuelle, cette liberté du langage plastique, s'est déjà brièvement manifestée chez Wassily Kandinsky dans sa première période (1910-1914)[1], avec ses « improvisations » et ses « compositions ». Il devait s'en détacher rapidement.

C'est avec Hans Hartung que la volonté d'expression pure et libre s'affirme de nouveau, avec ses premiers dessins et aquarelles (1920-1922), puis, dès 1925-1927 avec Joan Miró[2]. Miró détestait les théories sur l'art et il se tenait toujours en marge des courants quels qu'ils soient. Dès 1925, il développe de surprenantes recherches plastiques dans divers sens, avec une profusion de symboles qui font de lui le précurseur du lyrisme abstrait contemporain[3].

Selon Jacques Dupin :

« Miró a abouti, vingt ans avant Pollock à la création d'un espace extrêmement suggestif par la confusion de la texture et de la structure, qui ouvrira une voie scandaleusement nouvelle à la génération qui suit[4]. »

Selon James Thrall Soby :

« il suffit de citer les noms de Pollock, Rothko, Gottlieb, Motherwell, Rauschenberg pour les États-Unis, et de Tàpies, Saura, Alechinsky et bien d'autres en Europe, pour constater que les germes lancés par Miró n'ont pas été dispersés en vain[5]. »

Abstraction lyrique européenne

Définition

L'abstraction lyrique est une expression employée pour désigner, en opposition à l'abstraction géométrique, ou au constructivisme, une tendance à l'expression directe de l'émotion individuelle qui est rattachée à l'art informel[2] développé à Paris après la Seconde Guerre mondiale.

L’expression « abstraction lyrique » est employée pour la première fois par Jean José Marchand et le peintre Georges Mathieu lors de l'exposition organisée, en décembre 1947, à la galerie du Luxembourg avec Wols, Bryen, Hartung, Mathieu, Riopelle, Atlan, Ubac, Arp, à laquelle Mathieu voulait donner le titre « Vers l’abstraction lyrique » mais auquel la directrice de la galerie préféra « L'Imaginaire ».

« On peut y rattacher, à plus ou moins juste titre, la démarche amorphique de l'art informel, l'expression calligraphique[6], de la peinture gestuelle, et surtout, en tenant compte d'une certaine vulgarisation, la grande vague du tachisme qui a déferlé en 1954[2]. »

Contexte

Église Saint-Séverin à Paris, vitrail de Bazaine (détail).

Après la Seconde Guerre mondiale, certains critiques d'art s'emparent d'un nouveau courant abstrait, afin de préserver — et relancer, après quatre ans d'occupation nazie — le blason de modernité d'un Paris qui a toujours occupé le rang de capitale des arts. Dès 1944, on assiste en effet à une compétition entre Paris et la nouvelle école de peinture américaine basée à New York (Jackson Pollock, Willem de Kooning…).

Les artistes de l'abstraction lyrique appliquent en quelque sorte les leçons de Kandinsky[1] (considéré comme un des pères de l'abstraction), mais aussi de Hartung et de Miró[5]. Une critique de l'époque tend à montrer que l'abstraction géométrique n'a pas grand chose d'abstrait en ce sens qu'elle expose des figures géométriques connues et reconnues : un carré, une ligne… L'abstraction lyrique est donc vécue comme cette ouverture à l'expression personnelle de l'artiste.[réf. souhaitée]

À partir de 1944, de nombreuses expositions se tiennent à Paris : Salon des surindépendants, où l'on peut voir Wols et Bryen dès 1945 ; Salon de Mai, créé en 1943 ; Salon des réalités nouvelles, créé en 1946 ; galeries d'art[7] telles la galerie Drouin avec Jean Dubuffet en 1944, Jean Le Moal, Gustave Singier, Alfred Manessier, Tal-Coat et Jean Fautrier en 1945, la galerie Jeanne Bucher avec Nicolas de Staël en 1944, la galerie Louise Leiris avec André Masson en 1945, la galerie Rive gauche avec Henri Michaux en 1946 ou encore la galerie Conti avec Pierre Soulages et Gérard Schneider en 1947.

Naissance de l'abstraction lyrique

L'exposition de décembre 1947, « L'imaginaire », est suivie par celle de 1948, « HWPSMTB », chez Colette Allendy (avec Hartung, Wols, Picabia, Goetz, Stahly, Mathieu, Tapié, Bryen). L'exposition « White & black » de la galerie des Deux-Îles présentera également Tobey en 1948.

L'abstraction lyrique regroupe à l'origine des artistes qui évoluent vers le langage abstrait suivant une écriture gestuelle, qui dès avant la guerre s'était glissée entre l'esprit dada et l'esprit surréaliste chez Hans Hartung (1922) et Camille Bryen (1936), puis qui débouche pendant (Wols) et après celle-ci sur de nouveaux procédés de liberté plastique, allant de la projection linéaire des couleurs sur la toile jusqu'à leur brossage plus ou moins ample, notamment chez Georges Mathieu, Louis Van Lint, Jean-Paul Riopelle, André Masson, Nicolas de Stael, Pierre Soulages, Gérard Schneider, Jean Degottex, Zao Wou-Ki, Simon Hantaï, Tal-Coat, Olivier Debré, Antoine Mortier.

En novembre 1949 se tient à la Perspectives Gallery de New York une exposition de Mathieu, Fautrier, Michaux, Ubac et Wols, puis, en mars 1951, la grande exposition « Véhémences confrontées » chez Nina Dausset où sont présentées pour la première fois côte à côte des toiles d'artistes abstraits européens et américains (Bryen, Capogrossi, De Kooning, Hartung, Mathieu, Pollock, Riopelle, Russel, Wols). Cette manifestation est organisée par Michel Tapié, dont le rôle de défenseur de ce courant, qu'il inclura dans l'art informel, est de la plus haute importance.

Vers le tachisme

Le terme « tachisme », qui a d'abord été employé péjorativement par le critique Pierre Guéguen en 1951, a été réutilisé en 1952 sur l'initiative du critique Michel Tapié dans son ouvrage Un art autre pour désigner le style de peinture rattaché au courant initial de l'abstraction lyrique utilisé par exemple par Georges Mathieu, puis en 1954 par le critique Charles Estienne, pour définir notamment le travail de Hartung, Riopelle et Soulages, ainsi que dans son ouvrage L'Art à Paris 1945-1966. Ce courant correspond à la peinture gestuelle américaine, également théorisée en 1952 par le critique Harold Rosenberg dans son article "American Action Painters", publié en décembre 1952 dans la revue ARTnews, et en particulier à la technique utilisée par le le peintre expressionniste abstrait Jackson Pollock[8]

Artistes associés

On associe à l'abstraction lyrique certains des principaux artistes de la tendance non figurative de la nouvelle école de Paris, tels que Jean Bazaine, Alfred Manessier ou Jean Le Moal, qui avaient participé en 1941 à l'exposition « Vingt jeunes peintres de tradition française » en se réclamant d'une non-figuration violemment colorée marquée par la tradition religieuse romane (vitrail), avant d'être censurés en 1942, et même jusqu'à leurs contemporains adeptes d'une abstraction allusive plus géométrique tels Maria Elena Vieira Da Silva. Certains d'entre eux évoluèrent en effet vers un style plus « lyrique », au même titre que certains artistes du mouvement de la Jeune Peinture belge fondé en 1945 avec Louis Van Lint, etc.[réf. souhaitée].

Ce fut toutefois un règne assez court (fin 1957), rapidement supplanté par le nouveau réalisme de Pierre Restany et d'Yves Klein.

Les autres membres les plus connus sont Serge Poliakoff, Roger Bissière, Maurice Estève, Huguette Arthur Bertrand, Pierre Fichet, Oscar Gauthier, Elvire Jan

Une exposition intitulée « L'envolée lyrique, Paris 1945-1956 », rassemblant les œuvres de soixante peintres, fut présentée à Paris au Musée du Luxembourg (Sénat) en 2006[9].

Une résurgence de ce mouvement voit le jour au début des années 1970 avec une génération d'artistes nés pendant ou juste après la Seconde Guerre mondiale, parmi lesquels on peut citer Paul Kallos, Georges Romathier, Michelle Desterac, François-Charles Bazelaire (à Bruxelles) et Thibaut de Reimpré.

Abstraction lyrique américaine

L'Abstraction lyrique américaine est un mouvement, liée à l'expressionnisme abstrait et au tachisme européen, qui est apparu dans les années 1960–1970 à New York, Los Angeles, Washington, puis Toronto et Londres. Il se caractérise également par une expression plus libre, spontanée, intuitive, un espace illusioniste, l'emploi de l'acrylique et d'autres techniques picturales plus récentes, en réaction aux courants alors dominants du formalisme, de l'abstraction géométrique, du minimalisme, de l'art conceptuel et du Pop Art. Beaucoup de ses artistes étaient précédemment minimalistes et avaient utilisé un style monochromatique et géométrique. L'abstraction lyrique cherche à produire une expérience sensorielle par la monumentalité et la couleur et à apporter plus de lyrisme, de sensualité et de romantisme à l'abstraction, afin de revigorer la tradition picturale dans l'art américain et de rétablir la primauté de la ligne et de la couleur comme éléments formels, dans des œuvres composées selon des principes esthétiques, plutôt que comme des représentations visuelles de réalités socio-politiques ou de théories philosophiques.

Le mouvement a été décrit en 1969 par Larry Aldrich, fondateur de l'Aldrich Contemporary Art Museum à Ridgefield Connecticut.

En 1993, une exposition du Sheldon Museum of Art intitulée "Lyrical Abstraction : Color and Mood" présenta des œuvres de Dan Christensen, Walter Darby Bannard, Ronald Davis, Helen Frankenthaler, Sam Francis, Cleve Gray, Ronnie Landfield, Morris Louis, Jules Olitski, Robert Natkin, William Pettet, Mark Rothko, Lawrence Stafford, Peter Young et plusieurs autres peintres. En 2009, le Boca Raton Museum of Art de Floride, organisa une autre exposition sur ce mouvement avec Natvar Bhavsar, Stanley Boxer, Lamar Briggs, Dan Christensen, David Diao, Friedel Dzubas, Sam Francis, Dorothy Gillespie, Cleve Gray, Paul Jenkins, Ronnie Landfield, Pat Lipsky, Joan Mitchell, Robert Natkin, Jules Olitski, Larry Poons, Garry Rich, John Seery, Jeff Way et Larry Zox.

Artistes

Abstraction lyrique européenne

Abstraction lyrique américaine[5]

Notes et références

  1. a et b Seuphor T.I, p. 12-13
  2. a, b et c Laclotte Cuzin, p. 3
  3. Seuphor T.II, p. 212
  4. Dupin, p. 125
  5. a, b et c Soby 1959, p. 58
  6. à ne pas confondre avec Calligraphie Seuphor T.III, p. 256
  7. Liste des galeries.
  8. Avec par exemple Free form, 1946, Museum of Modern Art.
  9. Sur le site du Sénat.

Bibliographie

Voir aussi


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