Conférence de wannsee

Conférence de wannsee

Conférence de Wannsee

La villa Marlier
Intérieur de la villa Marlier

L'objet de la conférence de Wannsee à Berlin, qui réunit, le 20 janvier 1942, quinze hauts responsables civils et militaires du Troisième Reich, porta sur l'organisation administrative, technique et économique de l'extermination des Juifs d'Europe, voulue par Adolf Hitler et mise en œuvre, sur ses instructions, par Hermann Göring, Heinrich Himmler, Reinhard Heydrich et Adolf Eichmann. Au moment où la conférence se tint, la Shoah avait déjà débuté depuis plusieurs mois : les Einsatzgruppen assassinaient les Juifs par dizaines de milliers, les premiers camps d'extermination, dans lesquels le gazage et les fours crématoires étaient utilisés, fonctionnaient. Présidée par Reinhard Heydrich, la conférence dura moins de deux heures. Si elle ne fut pas, à proprement parler, décisive, elle marque le ralliement de l'ensemble de l'appareil d'état à la politique d'extermination des Juifs décidée par Hitler.

Sommaire

Contexte

L’avance rapide des troupes allemandes lors des premières semaines de l’opération Barbarossa suscite un sentiment d’euphorie au sein des milieux dirigeants nazis ; ce sentiment s’accompagne d’une approche de plus en plus radicale de la solution finale de la question juive, question qui devient plus urgente avec la probabilité croissante de voir quatre millions de Juifs des territoires occidentaux de l’Union soviétique tomber sous le contrôle de l’Allemagne[Note 1]. Le 16 juillet 1941, Adolf Hitler prend la parole lors d’une réunion regroupant des ministres, à laquelle assistent notamment Hermann Göring, Alfred Rosenberg, Hans Lammers, Wilhelm Keitel et Martin Bormann, et où est abordée l’administration des territoires soviétiques occupés. Pour Hitler, les territoires à l’Ouest de l’Oural doivent devenir « un jardin d’Éden germanique » ; il poursuit en déclarant que « naturellement, les vastes zones doivent être pacifiées au plus vite ; la meilleure manière d'atteindre ce résultat est d'abattre quiconque ose nous regarder de travers[1]. »

Les adjoints immédiats d’Hitler, Göring et Heinrich Himmler, SS-Reichsführer, considèrent cette déclaration, comme d’autres propos tenus à la même époque par le Führer, et dont la plupart n’ont été rapportés que lors des procès d’après-guerre, comme une autorisation de procéder à une solution finale de la question juive plus radicale, incluant notamment la déportation de tous les Juifs présents dans les territoires occupés par l’Allemagne. Le 31 juillet 1941, Göring signe un document qui lui est soumis par Reinhard Heydrich, numéro deux de la SS et chef du RSHA, qui étend les pouvoirs confiés à de dernier depuis le 24 janvier 1939 pour résoudre le problème juif par l'émigration ou l'évacuation. Heydrich se voit chargé de faire tous les préparatifs nécessaires pour la solution totale de la question juive dans tous les territoires sous contrôle allemand, de coordonner la participation des organisations dont les juridictions sont concernées et de soumettre un projet global pour la solution finale de la question juive (Endlösung der Judenfrage)[2].

Meurtres dans la région de Kiev en 1942.

Göring est à cette époque le personnage le plus puissant du régime nazi après Adolf Hitler ; il a reçu le grade spécifique de Reichsmarschall et est désigné comme le successeur du Führer[3]. Pour Heydrich, toute instruction de Göring est soutenue par l’autorité de Führer ; Heydrich sait également que son supérieur immédiat, Himmler, est en faveur de l’extermination des Juifs. De plus, à cette époque, il a mis en place et commande les Einsatzgruppen qui ont débuté l’assassinat en masse de la population juive des territoires récemment conquis en Union soviétique. Selon Rudolf Lange, commandant de l’Einsatzkommando 2 qui opère en Lettonie, ses ordres portent sur une solution radicale du problème juif, via l’exécution de tous les Juifs[4]. En octobre commence la déportation vers l’Est des Juifs d’Allemagne, d’Autriche et de Tchécoslovaquie ; lorsque les trains chargés de déportés arrivent en Lettonie, Lange fait abattre tous les passagers. Mais cette méthode d’assassinat par fusillade s’avère rapidement impraticable pour le massacre de millions de personnes : le coût en munitions est inacceptable, et les SS éprouvent des problèmes psychologiques[Note 2].

Au cours de la seconde moitié de l’année 1941, Heydrich et son état-major travaillent sur des projets d’évacuation des Juifs de tous les territoires occupés par l’Allemagne vers des camps de travail en Pologne ou plus à l’Est, en Union soviétique, dont il pense que la conquête sera bientôt terminée : ceux qui sont incapables de travailler seront assassinés, les autres exterminés par le travail. La défaite allemande devant Moscou au cours des mois de novembre et décembre conduit à une large révision des priorités : l’euphorie cède la place à la perspective d’une guerre de longue durée et au constat que les réserves de nourriture ne suffiront pas à alimenter la population de l’Allemagne et de l’Europe occupée[Note 3]. C’est à cette époque qu’est prise la décision de passer de l’évacuation à l’extermination. Le 25 octobre 1941, lors d’un entretien avec Himmler et Heydrich, Hitler déclare : ne laissez personne me dire : nous ne pouvons pas les envoyer dans les marais! Qui se soucie alors de notre propre peuple ? Il est bon lorsque la terreur est devant nous que nous exterminions les Juifs. [...] Nous réécrivons l’histoire, d'un point de vue racial[5].

Planification de la conférence

Lettre de Reinhard Heydrich à Martin Luther, l'invitant à la Conférence de Wannsee.

Dès novembre 1941, il devient clair que les responsables nazis savent que Adolf Hitler a l'intention d'expulser tous les Juifs d'Europe vers les territoires de l'Est et de les y faire assassiner[Note 4]. Mener à bien une telle entreprise impliquant l'enregistrement et le transport de millions de personnes, à un moment où les ressources matérielles et humaines nécessaires sont déjà gravement compromises, est un formidable défi logistique. Afin d'éviter que certains éléments de l'appareil d'État ne fassent obstacle ou refusent de coopérer à la solution « finale de la question juive », il est décidé d'inviter à une réunion les représentants de tous les ministères concernés afin de leur exposer les projets en cours et la méthode à mettre en œuvre pour leur exécution, en précisant qu'il s'agit d'une décision de la plus haute autorité du Reich.

Le 29 novembre 1941, Reinhard Heydrich envoie une invitation pour une réunion prévue le 9 décembre 1941 au siège de la Commission internationale de police criminelle — une sorte de précurseur de l'Interpol dont Heydrich est à l'époque le président —, au 16 Am Kleinen Wannsee, dans un cadre confortable, au bord du lac à l'extrémité ouest de Berlin. Il joint à cette invitation une copie de la lettre de Hermann Göring du 31 juillet pour souligner son autorité en la matière. Comme il s'agit d'une réunion d'exécutants destinée à discuter de la mise en œuvre d'une politique déjà décidée au niveau exécutif, les invités sont pour la plupart des secrétaires d'État, c'est-à-dire les plus hauts responsables administratifs des ministères et non les ministres eux-mêmes. Les ministères représentés sont celui de l'Intérieur, de la Justice, du Plan quadriennal et des Territoires occupés de l'Est ; Le ministère des Affaires étrangères est représenté par un sous-secrétaire d'État, Heydrich estimant que le secrétaire d'État Ernst von Weizsäcker n'est pas totalement en accord avec les objectifs du régime[Note 5]. Des représentants de la Chancellerie du Reich, de la Chancellerie du Parti national-socialiste des travailleurs allemands, du bureau de la race et de la réinstallation du Reichssicherheitshauptamt (RSHA) et le chef de la Gestapo sont également invités. Quand Hans Frank, chef du Gouvernement Général (Pologne occupée), entend parler de la réunion, il demande à y être représenté. Le SS-Sturmbannführer Rudolf Lange est invité pour son expérience dans l'exécution de Juifs allemands en Lettonie et l'un des adjoints d'Heydrich, Adolf Eichmann, est chargé de superviser la rédaction du procès-verbal de la réunion[6].

Les développements du début de décembre 1941, perturbent les plans initiaux. Le 5 décembre, l'Armée rouge lance une contre-offensive à Moscou, mettant fin à la perspective d'une conquête rapide de l'Union des républiques socialistes soviétiques ; le 7 décembre, les Japonais attaquent les États-Unis à Pearl Harbor, ce qui provoque, le lendemain, l'entrée en guerre des États-Unis contre le Japon. Pour s'acquitter de ses obligations en vertu de son pacte tripartite avec l'Italie et le Japon, le gouvernement du Troisième Reich prépare immédiatement une déclaration de guerre aux États-Unis, le 11 décembre. Certains invités de la réunion participent à ces préparatifs, et le 8 décembre, Heydrich reporte la réunion, sans déterminer de nouvelle date. Au début du mois de janvier 1942, Heydrich envoie de nouvelles invitations à une réunion fixée au 20 janvier. Pour l'historien allemand Christian Gerlach, le report de la réunion par Heydrich a pour but d'en élargir l'objectif initial. Selon Götz Aly, par contre, il est causé par la confusion qui suit l'attaque japonaise sur Pearl Harbor. Toujours selon Gerlach, l'objectif initial de la conférence de Wannsee ne portait que sur la déportation des Juifs du Reich ; ce n'est qu'après le discours d'Adolf Hitler du 21 décembre 1941 qu'Heydrich peut élargir le thème de la réunion pour la consacrer à la solution finale de la question juive[7].

Le lieu de la conférence est changé pour une villa au 56-58 Am Grossen Wannsee, une rue résidentielle tranquille, à Wannsee. La villa, construite en 1914, a été acquise par la SS en 1940 pour l'utiliser comme un centre de conférence[8],[Note 6] .

Participants

Josef Bühler, au centre de l'image

Déroulement de la conférence

Reinhard Heydrich ouvre la conférence en rappelant les mesures antisémites prises en Allemagne depuis l’arrivée des nazis au pouvoir en 1933. Il souligne qu’entre 1933 et 1941, 530 000 Juifs ont émigré d’Allemagne et d’Autriche[9] ; cette information est tirée d’un document préparatoire rédigé la semaine précédente par Adolf Eichmann, qui fort de son expérience dans l’organisation de l’émigration forcée des Juifs autrichiens en 1938, est devenu le principal expert en ce qui concerne la mise en œuvre de la solution de la question juive[10]. Heydrich chiffre le nombre de Juifs vivant en Europe à approximativement onze millions de personnes, dont un demi million vivent dans des pays qui ne sont pas sous contrôle allemand[Note 7]. Et Heydrich de poursuivre : « désormais, à la place de l'émigration, la prochaine solution à envisager, avec l'aval préalable du Führer, est l'évacuation des Juifs vers l'est. Ces actions sont toutefois à considérer uniquement comme des solutions transitoires, mais qui nous permettront d'acquérir des expériences pratiques qui seront très précieuses pour la solution finale à venir de la question juive. »

Document issu du compte-rendu de la conférence

Pour les négationnistes, la conférence n’a porté que sur l’évacuation des Juifs vers l’Est et non sur leur extermination ; les propos de Heydrich sur le sort qui attend les personnes évacuées sont pourtant clairs.

«  Au cours de la solution finale, les Juifs de l'Est devront être mobilisés pour le travail avec l'encadrement voulu. En grandes colonnes de travailleurs, séparés par sexe, les Juifs aptes au travail seront amenés à construire des routes dans ces territoires, ce qui sans doute permettra une diminution naturelle substantielle de leur nombre.
Pour finir, il faudra appliquer un traitement approprié à la totalité de ceux qui resteront, car il s'agira évidemment des éléments les plus résistants, puisque issus d'une sélection naturelle, et qui seraient susceptibles d'être le germe d'une nouvelle souche juive, pour peu qu'on les laisse en liberté. »

Aucun des participants n’a pu ne pas comprendre la teneur des propos d’Heydrich. Comme le souligne l’historien fonctionnaliste Christopher Browning, « pas moins de huit participants sur quinze sont titulaires d’un doctorat ; ce ne sont pas des gens incultes incapables de comprendre ce qu'on leur dit ; ils ne vont pas non plus être dépassés par la surprise ou le choc parce que Heydrich ne parle pas à des non-initiés ou à des personnes délicates[11]. » Toujours selon Heydrich, au cours de l'exécution pratique de la solution finale, l'Europe sera passée au peigne fin d'ouest en est. L'opération débutera sur le territoire du Reich, y compris les protectorats de Bohême et de Moravie, à cause de la situation du logement et de la spécificité sociopolitique du Reich. Les Juifs évacués seront d’abord envoyés dans des ghettos de transit dans le Gouvernement Général, avant d’être déportés plus à l’Est. Cette priorité découle des pressions croissantes exercées par les autorités locales nazies, dont les Gauleiters, qui insistent pour que les Juifs soient retirés de leurs territoires, pour permettre le logement des familles devenues sans abri, suite aux bombardements alliés et celui des travailleurs forcés provenant des pays occupés.

Afin d’éviter de nombreuses interventions, les Juifs âgés de plus de soixante-cinq ans, grands invalides de guerre ou décorés de la croix de fer, seront déportés vers le ghetto de Theresienstadt[Note 8].

Heydrich aborde ensuite assez longuement la situation des Mischling, soit les personnes considérées selon les théories racistes nazies, comme des demi- Juifs ou quart de Juifs, ainsi que celle des personnes juives mariées à des personnes non juives. Les lois de Nuremberg étant assez floues sur ces différentes catégories, Heydrich précise clairement le sort qui leur est réservé avec beaucoup de détails, et en prévoyant de nombreuses exceptions[Note 9].

Il faut en outre observer que ces mesures détaillées et ces exemptions ne s’appliquent qu’aux Juifs du Reich et ne sont que partiellement observées. Dans la plupart des pays occupés et surtout à l’Est, les Juifs sont arrêtés, déportés et exterminés en masse. La situation en France constitue une exception : en échange de sa collaboration le régime de Vichy, est autorisé à appliquer ses propres règles qui s’appliquent plus durement aux réfugiés et immigrés récents qu’aux Juifs de nationalité française ; de ce fait, pour Heydrich, l’enregistrement des Juifs pour leur déportation ne devrait pas soulever de grandes difficultés, qu’il s’agisse de la zone occupé ou de celle contrôlée par Vichy.[12]

Entrée du camp, dans la forteresse de Theresienstadt

Les Allemands craignent des difficultés avec certains de leurs alliés, la Roumanie et la Hongrie. Selon Heydrich, le gouvernement roumain vient de se doter d’une commission aux affaires juives ; dans les faits, et malgré le fort antisémitisme de la population, la déportation des Juifs roumains sera lente et inefficace. En ce qui concerne la Hongrie, Heydrich préconise de forcer rapidement son gouvernement à accepter un conseiller allemand pour y régler la question juive ; jusqu’à sa mise à l’écart en 1944, le gouvernement dirigé par Miklós Horthy continuera à s’opposer à toute ingérence allemande dans sa politique juive ; Horty mis à l’écart, 500 000 Juifs hongrois seront envoyés à la mort sur l’ordre direct d’Eichmann[13].

L’exposé d’Heydrich dure près d’une heure. Suivent ensuite une trentaine de minutes de questions et de commentaires, suivis par quelques conversations informelles. Le représentant du Ministère des Affaires étrangères, Luther, insiste sur la prudence à observer dans les pays scandinaves, dont la population n’a pas de sentiment d’hostilité à l’égard des petites communautés juives et qui risque de réagir face à des scènes déplaisantes. Au Danemark, grâce à la ferme opposition du roi et de la population, peu de Juifs seront déportés[14].

Hofmann et Stuckart soulignent les difficultés juridiques et administratives dans le cas des mariages mixtes, plaidant pour une annulation d’office de ceux-ci et pour un usage à grande échelle de la stérilisation comme alternative à la déportation. Neumann, représentant de Göring pour le Plan de quatre ans, demande l’exemption des Juifs qui travaillent dans des industries vitales pour l’effort de guerre et dont le remplacement n’est pas possible : Heydrich qui ne souhaite pas offenser Göring assure Neumann que ces travailleurs ne seront pas déportés[15] Les questions plus détaillées sur le sort des Mischling et des mariages mixtes sont renvoyées à des réunions ultérieures.

Selon les notes prises par Eichmann, la dernière intervention fut celle du secrétaire d'État, Dr. Bühler, qui « remarqua qu'on saluerait, au Gouvernement général le fait de commencer la solution finale dans le Gouvernement général, car le problème du transport n'y ajouterait pas de difficulté supplémentaire, et que des raisons de mobilisation pour le travail ne viendraient pas y entraver le déroulement de l'action. Il faudrait éloigner aussi vite que possible les Juifs des territoires du Gouvernement général, car le Juif, porteur d'épidémie, y représentait un danger particulièrement éminent, et apportait en outre, par ses trafics continus, le désordre dans la structure économique du pays. Il n'avait qu'un seul souhait: que la question juive soit réglée sur ce territoire le plus vite possible. »

La conférence de Wannsee sera suivie par plusieurs autres réunions auxquelles participent des responsables de rang inférieur[16]. Une réunion est organisée aux Ministère des territoires occupés de l’Est, le 29 janvier 1942, au cours de laquelle il est décidé que quiconque ayant eu la citoyenneté russe ou ayant été apatride soit défini comme Juif s’il admet l’être, s’il est reconnu comme Juif par la communauté juive, si son appartenance au judaïsme résulte d’autres circonstances ou s’il a un parent défini comme Juif par l’un des trois critères définis ci-dessus. Cette réunion est suivie par dix-sept autres, qui concernent la totalité de l’appareil administratif et répressif nazi, à l’exception du Ministère de la propagande[16].

« En mars 1942, la connaissance de la solution finale a pénétré profondément, bien que de manière inégale, au sein de la bureaucratie allemande où cette information suscite une volonté de contribuer – selon les termes de Rosenberg – à la tâche historique que le destin a confiée à l’Allemagne nazie[16]. »

Les lacunes du procès-verbal

Adolf Eichmann lors de son procès à Jérusalem en 1961

Le procès-verbal d'Adolf Eichmann, dont des copies sont envoyées par Eichmann à tous les participants après la réunion[17] est le document sur lequel s'organise la réflexion à propos de la conférence. La plupart de ces exemplaires sont détruits à la fin de la Seconde Guerre mondiale quand les participants et d'autres responsables cherchent à dissimuler leurs actes. Ce n'est qu'en 1947 qu'une copie du procès-verbal, aussi connu comme le « Protocole de Wannsee », est retrouvé dans les archives de Martin Luther, mort en mai 1945. À ce moment, les participants les plus importants à la réunion, tels que Reinhard Heydrich, Heinrich Müller ou Eichmann sont morts ou disparus ; la plupart des autres participants nient avoir eu connaissance de l'évènement ou font valoir qu'ils ne pouvaient pas se rappeler ce qui s'est passé là-bas. Seul Friedrich Wilhelm Kritzinger montrera de véritables remords pour son rôle dans la préparation de la Solution finale.

Le procès-verbal comporte d'importantes omissions, qui ne sont mises en évidence qu'au cours du procès d'Eichmann en Israël en 1962. Eichmann y affirme que, vers la fin de la réunion du cognac a été servi, et que la conversation est devenue moins retenue[18]. Il explique : Ces Messieurs étaient debout ensemble, ou assis, et discutaient du sujet sans mettre de gants, d'une manière très différente du langage que j'ai dû utiliser plus tard dans le rapport. [...] Ils ont parlé de méthodes pour tuer, de liquidation, d'extermination[19].

Eichmann souligne que Heydrich a été heureux de la façon dont se déroulait la réunion. Il exprima sa grande satisfaction, et s'est accordé à lui-même un verre de cognac, bien qu'il buvait rarement. Il avait prévu des écueils et des difficultés, rappelle Eichmann, mais il avait trouvé un climat propice à l'accord de la part des participants, et plus que cela, l'accord a pris une forme inattendue[20]. À l'issue de la réunion Heydrich donne à Eichmann des instructions strictes sur ce qui doit figurer dans le procès-verbal, qui ne doit pas être verbatim. Eichmann doit nettoyer le texte, afin que rien ne semble trop explicite. Il dit à son procès : « Comment aurais-je pu rendre dans le vocabulaire officiel qui était le mien, des conversations plus que franches et des expressions relevant du jargon ». En conséquence, les vingt dernières minutes de la séance, durant lesquelles furent utilisés librement des mots comme « liquidation » et « extermination », sont résumées par la phrase  : « En conclusion, les différents types de solutions possibles ont été discutés »[21]. Le procès-verbal doit donc être lu en conjonction avec le témoignage de Eichmann pour obtenir une vision aussi proche que possible des propos réellement tenus.

Interprétations

La conférence de Wannsee ne dure que quatre vingt dix minutes, et, pour la plupart des participants, il ne s’agit que d’une réunion parmi d’autres au cours d’une semaine chargée. L’énorme importance accordée à celle-ci par des auteurs d’après-guerre n'est pas comprise par ses participants de l’époque. Aucune décision fondamentale concernant l’extermination des Juifs n’est prise lors de cette conférence, de telles décisions ne dépendant que de Hitler, éventuellement en concertation avec ses principaux adjoints comme Göring et Himmler, et non avec de hauts fonctionnaires, comme le savent les personnes présentes à Wannsee. Elles savent également qu’une telle décision a déjà été prise et que Heydrich, en tant que représentant de Himmler, est là pour le leur faire savoir. De plus, la conférence ne débouche pas non plus sur l’élaboration d’une planification logistique détaillée, ce qui aurait été par ailleurs difficile en l’absence d’un représentant du ministère des Transports ou des chemins de fer.

Reinhard Heydrich en 1940

Selon l’un des biographes d’Eichmann, David Cesarini, le but principal de la réunion est de permettre à Heydrich d’asseoir son autorité sur les différents ministères et institutions impliqués dans la politique à l’égard des Juifs, pour éviter la répétition des problèmes causés par l’assassinat de Juifs allemands à Riga en octobre 1941. « La manière la plus simple et la plus décisive par laquelle Heydrich pourrait assurer le flux régulier des déportations était d’affirmer son total contrôle sur le destin des Juifs du Reich et de l’Est en intimidant les autres parties concernées pour qu’elle suivent la ligne fixée par le RSHA[22] ». Cette analyse explique pour quelle raison la plus grande partie de la conférence se réduit à un long monologue d’Heydrich, dont le contenu n’est pas nouveau pour la majorité des participants, et pourquoi si peu de temps est consacré aux questions pratiques. Un autre objectif consiste en l’obtention de l’accord des représentants des ministères des Affaires étrangères et du Plan de quatre ans, qui étaient les plus susceptibles de soulever des objections à l’assassinat en masse des Juifs, pour des raisons économiques ou diplomatiques

L’historien allemand Peter Longerich adhère à ces hypothèses, mais y ajoute un objectif supplémentaire : rendre les principaux ministères complices des projets de Heydrich. « Du point de vue de Heydrich, les principaux objectifs de la conférence étaient, premièrement, d’établir le contrôle total du programme de déportation par le RSHA sur de nombreuses et importantes autorités du Reich, et ensuite, de faire des hauts responsables de la bureaucratie des différents ministères des complices, des auxiliaires et des co-responsables du plan qu’il poursuivait. Pour rappel : le plan consistait à déporter les Juifs des zones sous contrôle allemand, vers l’Est, où ils seraient exposés à des conditions de vie extrêmement sévères et fatalement morts d’épuisement ou assassinés. Heydrich poursuivait ce plan depuis début 1941 ; en juillet 1941, Göring lui donna l’autorité nécessaire pour le mener à bien, et, avec les premières déportations de Juifs d’Europe centrale en octobre, la première phase de ce plan fut réalisée. Lors de la première invitation à la conférence, Heydrich avait attendu jusqu’à ce que la seconde vague de déportation vers Riga, Minsk et Kovno ait débuté. Il voulait clairement placer les représentants des plus hautes autorités du Reich devant un fait accompli[23]. »

Postérité

La Conférence de Wannsee, de par son importance dans l'histoire de la Shoah, a été le sujet de plusieurs adaptations télévisuelles ou cinématographiques. En 1984, elle est retracée dans le téléfilm allemand Conférence de Wannsee, dont la durée est identique à celle mentionnée dans le procès-verbal de la conférence, soit 85 minutes. En 2001, Conspiracy réalisé par Frank Pierson, retrace également le déroulement de la conférence avec Kenneth Branagh dans le rôle d'Heydrich et Stanley Tucci dans celui d'Eichmann.

Du côté littéraire, la nouvelle Fatherland de Robert Harris utilise la conférence comme point central du récit.

Notes et références

Notes

  1. Les notes de la conférence de Wannsee estiment la population des Juifs soviétiques à cinq millions de personnes, dont près de trois millions en Ukraine et 900 000 en Biélorussie.
  2. Breitman, Architect of Genocide, 220, aborde les réflexions d’Himmler à propos de l’effet sur le moral de ses hommes du meurtre de masse de Juifs allemands à Riga et en d’autres endroits.
  3. Adam Tooze, The Wages of Destruction: The Making and Breaking of the Nazi Economy, Allen Lane, 2006, p. 538–549, examine les impératifs économiques qui sous-tendent l’extermination des Juifs. Selon lui, en 1941, le manque criant de main d’œuvre dans l’industrie d’armement allemande rend nécessaire le recours à des millions de travailleurs forcés provenant des territoires occupés ; nourrir de manière satisfaisante ces travailleurs, ainsi que la population allemande et celle des pays occupés à l’Ouest, plus privilégiés comme la France et les Pays-Bas, nécessite une réduction drastique des bouches inutiles, dont les millions de Juifs sont, aux yeux de l’idéologie nazie, l’exemple le plus caractéristique.
  4. Selon l'historien allemand Christian Gerlach, Adolf Hitler a clairement approuvé la politique d'extermination lors d'un discours à des officiers supérieurs à Berlin, le 12 décembre 1941 (Christian Gerlach, "The Wannsee Conference, the Fate of German Jews, and Hitler's Decision in Principle to Exterminate All European Jews", Journal of Modern History, December 1998, 759–812). Si cette hypothèse n'est pas acceptée par tous, une décision a vraisemblablement été prise dans cette période. Le 18 décembre, Heinrich Himmler rencontre Hitler et note dans son carnet de rendez-vous : « question juive - à exterminer comme partisans »(Christoph Browning, The Origins of the Final Solution, 410). Le 19, Wilhelm Stuckart, Secrétaire d'état au Ministère de l'Intérieur, déclare à l'un de ses fonctionnaires que « les mesures prises contre les Juifs évacués sont fondées sur une décision de la plus haute autorité. Vous devez l'accepter. » (Browning, The Origins of the Final Solution, 405).
  5. Ernst von Weizsäcker est connu pour avoir eu des contacts avec certaines personnalités de la résistance allemande.
  6. L'histoire et la description de la villa son présentées dans le dépliant "House of the Wannsee Conference Memorial Berlin", Stadtvandel Verlag, disponible au Memorial.
  7. Ce chiffre reprend l’ensemble de la population juive d’Union soviétique, estimée à cinq millions de personnes. Dans les faits, un grand nombre d’entre eux vit dans des zones qui n’ont pas été envahies ou ont été évacués vers celles-ci ; sur les quelque trois millions de Juifs soviétiques des zones occupées par l’Allemagne, en 1942, malgré les tueries déjà accomplies par les Einsatzgruppen. Le nombre de 70 000 juifs dans la partie non occupée de la France comprend également ceux vivant en Algérie, en Tunisie et au Maroc
  8. Dans les faits, l’exception mise en place pour les Juifs de plus de soixante-cinq n’a été observée que sporadiquement et la situation alimentaire à Theresienstadt était telle que beaucoup de déportés y moururent rapidement. Par la suite, nombre d’entre eux furent transférés à Auschwitz pour y être assassinés.
  9. Comme pour le point précédent, le détail de ces mesures ne fut que rarement appliqué, et elles furent généralement durcies par les responsables nazis locaux, de manière aléatoire.

Références

  • (en) Cet article est partiellement ou en totalité issu d’une traduction de l’article de Wikipédia en anglais intitulé « Wannsee Conference ».
  1. Christopher R. Browning, Les origines de la solution finale, Paris, Les belles lettres, 2007, p.288. La citation est tirée des notes de Martin Bormann, présentées en tant que preuve lors du procès de Nuremberg.
  2. Ch. Browning, op. cit., p. 337.
  3. Ian Kershaw, Hitler Volume II (W. W. Norton 2000), 396.
  4. Richard Breitman, The Architect of Genocide: Himmler and the Final Solution, Pimlico, 2004, p. 169.
  5. Ch. Browning, op. cit., p.370. Pour cette citation, Browning s’appuie sur Werner Jochmann (ed), Monologe in Führerhauptquartier, Hamburg, 1980, p. 96–99. Ces enregistrements sténographiques des monologues tenus par Hitler lors des repas a été publié en anglais sous le titre Hitler's Table Talk 1941–1944 (Weidenfeld and Nicolson, 1953). Bien que la pertinence de la traduction ait été critiquée, elle a permis de saisir l’essentiel des propos du Führer.
  6. Ch. Browning, op. cit., p. 406.
  7. Götz Aly, "December 21 1941", originally published in Berliner Zeitung, 13 December 1997, available in English at the Holocaust History website.
  8. Ch. Browning, op. cit., p. 433
  9. Le compte-rendu de la conférence est disponible en français sur Wikisource, d’où proviennent les citations dans la suite de l’article. Les questions autour de la fidélité du compte-rendu par rapport à la teneur réelle des propos tenus lors de la conférence sont évoquées plus loin.
  10. Cesarani, Eichmann, 112.
  11. Ch. Browning, op. cit., p. 411.
  12. cf. Michael R. Marrus, Robert O. Paxton, Vichy France and the Jews, Stanford University Press 1981.
  13. cf. Cesarani, Eichmann, 151–55 et 159–95.
  14. Erreur de citation : Balise <ref> incorrecte ; aucun texte n’a été fourni pour les références nommées ushmm.org.
  15. Göring et ses adjoints feront des efforts persistants pour éviter la déportation et l’assassinat des travailleurs qualifiés ; mais à partir de 1943, Himmler est devenu plus puissant que Göring et les travailleurs juifs employés dans le cadre de l’effort de guerre sont eux aussi envoyés à la mort. Cf. Tooze, The Wages of Destruction, 522–29.
  16. a , b  et c Christopher R. Browning, Les origines de la solution finale, Paris, Les belles lettres, 2007, p. 236-237
  17. Cesarani, Eichmann, 117–118.
  18. Cesarani, Eichmann, p. 113.
  19. Ch. Browning, op. cit., p. 435.
  20. Ch. Browning, op. cit., p. 436.
  21. Cesarani, Eichmann, 114.
  22. Cesarani, Eichmann, 111.
  23. Peter Longerich, "The Wannsee Conference in the Development of the 'Final Solution'", consultable en ligne sur House of the Wannsee Conference: Memorial and Educational Site website.

Bibliographie

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  • Hannah Arendt, Eichmann à Jérusalem. Rapport sur la banalité du mal, Gallimard, coll. Folio Histoire, Paris, 1991 (ISBN 2070326217)
  • Christopher R. Browning, Les origines de la solution finale, Paris, Les belles lettres, 2007 (ISBN 9782251380865)
  • Mario R. Dederichs, Heydrich, Tallandier, Paris, 2007.(ISBN 9782847344110)
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  • Saul Friedländer, L'Allemagne nazie et les Juifs, 1939-1945, Les années d'extermination, Paris, Seuil, 2008 (ISBN 9782020202824)
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  • Édouard Husson, Heydrich et la solution finale, Paris, Perrin, 2008 (ISBN 9782262017842)
  • Ian Kershaw, Hitler, 1936-1945, Paris, Flammarion, 2001(ISBN 2082125297)
  • Arno J. Mayer, La « solution finale » dans l'histoire, La Découverte, Paris, 1990.(ISBN 2707136808)
  • Ralf Ogorreck, Les Einsatzgruppen. Les groupes d'intervention et la « genèse de la solution finale », Calman-Lévy, Paris, 2007.(ISBN 9782702137994)
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  • Mark Roseman, Ordre du jour : Génocide. Le 20 janvier 1942. La conférence de Wannsee et la Solution finale, Paris, Louis Audibert, 2002

Liens externes

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