Brevetage du vivant

Brevetage du vivant

Brevetabilité du vivant

La possibilité de dépôt de brevets dans le domaine des biotechnologies fait l'objet d'un débat éthique. Ce débat a émergé dans les années 1990, avec le développement des OGM et du séquençage de l'ADN.

Sommaire

Historique

Historiquement, aucun domaine technique n’a jamais été explicitement écarté du champ de la brevetabilité : la délivrance de brevet pour des inventions d’origine biologique (au départ, de nouvelles semences essentiellement) était monnaie courante aux XIXe et début du XXe siècle. En France par exemple, la protection juridique des inventions était vouée à « tous les genres d’industrie » selon les termes des décrets des 30 décembre 1790 et 7 janvier 1791. L'exclusion du vivant a pourtant longtemps existé, de façon tacite. Un tribunal de commerce a d’ailleurs déclaré le corps humain comme non brevetable en 1844, déclarant que le corps humain ne pouvait pas être rangé parmi les objets d'industrie[1]. Cette vision des choses évolua par la suite et Louis Pasteur obtint en 1873 le premier brevet pour un organisme vivant, une souche de levure utilisée dans la fabrication de la bière.

Par la suite, progrès scientifique aidant, le vivant entra dans le champ d'intervention de l'activité humaine. La législation dut rapidement s'adapter à ce phénomène, et c'est ainsi que naquit le "Plant patent act" en 1930 aux Etats-Unis, autorisant le dépôt de brevets pour certaines espèces végétales. En 1960, l'Union Européenne se dota également d'une nouvelle législation avec le système des Unions de Protection des Obtentions Végétales (UPOV). Celui-ci rejette toutefois la possibilité de déposer un brevet sur des variétés végétales. Celles-ci sont protégées par des COV (Certificats d'Obtentions Végétales), qui se distinguent des brevets par des exceptions aux droits d’exclusivité de l’obtenteur sous certaines conditions : recherche expérimentale, élaboration de nouvelles variétés, production de semences dites « de ferme » à partir de la récolte de l’année précédente.

Les possibilités de brevetage vont par la suite s’étendre rapidement. En 1963, la convention de Strasbourg affirme la brevetabilité des procédés microbiologiques et des produits obtenus à leur issue. Ce sont principalement des processus fermentaires qui sont concernés. Puis en 1978, la loi française aboutit sur la possibilité de breveter les micro-organismes. Le tournant est définitivement pris dans les années 80 avec l’affaire " Chakrabarty ", du nom d’une chercheuse de la General Electric qui obtint un brevet sur une bactérie modifiée. Cette demande d’abord rejetée, le produit concerné étant considéré comme naturel, fut finalement acceptée en appel, la Cour Suprême admettant que tout ce qui pouvait être créé grâce à l’intervention de l’homme était susceptible d’être breveté. Dés lors, on commença à s’approprier des organismes pluricellulaires tels que des huîtres ou des souris.

La législation actuelle concernant les brevets sur le vivant correspond à une réglementation nationale soumise à certaines directives internationales de l’ADPIC (Accords sur les droits de propriété intellectuelle liés au commerce) et l’Office Européenne des Brevets (OEB). Les ADPIC ont pour but d’harmoniser les législations des différents pays. Ils ont été créés lors des accords de Marrakech en 1992 qui ont vu naître l’OMC et ils répondent donc à une volonté de mondialiser les échanges commerciaux. Ils excluent de la brevetabilité les animaux et végétaux hors micro-organismes. L’OEB n’est pas une instance de l’union européenne. C’est un office auprès duquel sont déposés des demandes de brevets qui seront valables dans ses 34 états membres. Dans ses textes, il exclut du domaine du brevetable toute invention dont l’exploitation serait contraire aux bonnes mœurs, les procédés de modification de l’identité génétique des animaux de nature à provoquer chez eux des souffrances ou des handicaps corporels sans utilité pour l’homme ou l’animal, ainsi que le corps humain et ses éléments en leur état naturel. Toutefois, ces textes de loi sont d'une interprétation parfois délicate, et pouvant varier dans le temps.

Au début des années 1990, Craig Venter et le National Institutes of Health brevètent des gènes humains aux États-Unis.

En 2000 est entrée en vigueur en Europe la directive sur la brevetabilité des inventions biotechnologiques, qui fait appel, entre autres, à des principes éthiques pour limiter la brevetabilité, tout en autorisant la protection intellectuelle d'inventions biotechnologiques.

Le cas du génome

En 2003, un brevet a été déposé pour le séquençage du virus de la pneumonie atypique (« SRAS »), et ce, en pleine épidémie. L'un des médecins découvreurs a refusé, à cette occasion, d'associer son nom au brevet[2].

Le cas des végétaux

C'est dans ce domaine que le concept de la brevetabilité du vivant a fait pour la première fois l'objet d'une législation, en 1930.

À cette date les États-Unis ont voté le Plant Patent Act qui autorisait explicitement le dépôt de brevets pour certaines plantes, principalement ornementales. Cette loi a été étendue en 1970 avec le Plant Variety Protection Act qui s'applique aux graines et à plus de 350 espèces végétales alimentaires.

Une première convention internationale sur la protection des espèces végétales se tient en 1961. Elle aboutit à la création de l'Union pour la protection des obtentions végétales (UPOV), dont les pays signataires accordent aux sélectionneurs de semences des Certificats d'Obtention Végétale (COV). Ceux-ci se différencient des brevets en ce qu'ils protègent spécifiquement des variétés végétales, alors que les brevets sont censés récompenser l'effort d'une recherche de solution à un problème technique exprimé par des fonctions ou des moyens spécifiques ou généraux. Les COV :

  • reconnaissent l'effort de recherche et son coût ;
  • permettent un retour sur investissement ;
  • rendent le savoir correspondant accessible à tous, comme les brevets.

La plupart des pays de l'Union européenne font partie de l'UPOV ; le Parlement européen a voté en 1998 une directive sur la protection juridique des inventions biotechnologiques qui rend possible l'obtention de certains brevets européens sur des organismes vivants, dont les plantes génétiquement modifiées, mais prend aussi en compte des principes éthiques pour restreindre d'autres aspects. La question du chevauchement ou du conflit éventuel entre certains droits accordés par l'UPOV, et les droits qui peuvent être obtenus par la délivrance d'un brevet, n'a été réglé qu'en partie par la Directive. Cela suscite d'ailleurs une polémique, l'UPOV étant considéré par beaucoup de scientifiques comme un système appréciable reconnaissant l'effort de recherche sans bloquer la possibilité d'approfondir cette recherche pour d'autres chercheurs.

Les biotechnologies, en maîtrisant les techniques permettant le clonage et la production d'OGM ont réalisé des pas spectaculaires, d'où un questionnement et un débat de société. En dehors de ce débat, des entreprises détiennent déjà de nombreux brevets sur des séquences de gènes, des micro-organismes ou des OGM. L'absence de jurisprudence et le cadre légal incomplet font qu'un grand nombre de brevets accordés protégeant ces gènes seront peut-être jugés trop extensifs par la suite.

L'invention biotechnologique protégée sous forme de brevet, comme toute autre invention brevetée elle :

  • est documentée 18 mois après son dépôt de façon publique ;
  • tombe dans le domaine public au bout d'une période de vingt ans.

Types de licences de brevet

En général, on considère trois types principaux de licences pouvant faire l'objet d'un contrat, par exemple entre une firme biotechnologique et une firme pharmaceutique : exclusive, simple et non exclusive.

Dans le cas des licences exclusives, le concédant accorde certains droits à un seul licencié. Le concédant convient également de ne pas exercer lui-même les droits ayant fait l’objet d’une licence. Ces droits pourraient comporter le droit de fabriquer, d’utiliser ou de vendre le produit dans un domaine particulier d’utilisation, comme celui de produits pharmaceutiques, ou à l’intérieur d’une région géographique désignée, par exemple l’Amérique du Nord.

Dans le cas d’une licence simple, le concédant convient d’accorder certains droits à un seul licencié, mais conserve celui d’exercer les droits qui font l’objet de la licence.

Des licences non exclusives sont délivrées à plusieurs licenciés différents pour la même propriété intellectuelle dans la même région géographique ou dans le même domaine d’utilisation.

Polémiques

De nombreuses polémiques gravitent autour de la brevetabilité du vivant[3]. En voici les principales :

  • Le vivant, et notamment le corps humain à travers les gènes, ne doit pas selon certains être intégré à un processus de marchandisation équivalent à celui pratiqué pour les autres biens, et ce pour des raisons éthiques.
  • Les entreprises multinationales sont fréquemment accusées de piller les ressources des pays du Sud en déposant des brevets sur des molécules issues de la biodiversité locale. Ce procédé est connu sous le terme de biopiraterie[4].
  • Les domaines de la santé et de l'alimentation qui sont les plus concernés par la brevetabilité du vivant sont communément considérés comme essentiels et ne devant pas être l'objet de restrictions. L'exemple le plus connu est celui de Myriad Genetics, une firme américaine qui déposa à partir de 1997 plusieurs brevets sur les gènes BRCA1 et BRCA2, qui sont en rapport avec des formes familiales de cancer du sein. Ce brevet leur offrait l'exclusivité totale des tests de dépistage. Ce brevet fut très controversé, d'autres laboratoires dénonçant les prix pratiqués, la lenteur des résultats et l'appropriation des données statistiques sur le dépistage. En Europe, le brevet initial a été contesté par plusieurs institutions dont entre autres, l'Institut Curie et l'Institut Gustave Roussy en France et la Société belge de génétique humaine. En 2005, en première instance, l'Office européen des brevets décide d'invalider les brevets de Myriad Genetics.[5]. Myriad Genetics fit appel et après avoir réduit une partie de ses revendications initiales, a fini par obtenir gain de cause en novembre 2008[6].
  • Du point de vue de l'agriculture, les brevets sur les semences sont accusées de rendre l'agriculteur dépendant de la firme qui le fournit en lui interdisant la possibilité de ressemer sa récolte.

Notes et références

  1. Tribunal de Commerce de la Seine, 14 mars 1844
  2. Latrive F, Du bon usage de la piraterie, 2004, éditions la Découverte, p68-72
  3. CLAEYS, Alain. Rapport sur la brevetabilité du vivant
  4. ALI BRAC DE LA PERRIERE, Robert, SEURET, Franck. L’Afrique refuse le brevetage du vivant. Le Monde Diplomatique , juin 2000, 4 p
  5. Institut Curie
  6. "Myriad Genetics obtient gain de cause devant l'Office européen des brevets" Le Monde, 21 novembre 2008 [1]

Voir aussi

Articles connexes

Bibliographie

  • La fin de l'homme, les conséquences de la révolution biotechnique, Francis Fukuyama, La Table Ronde, 2002.
  • Dictionnaire d’histoire et philosophie des sciences Dominique Lecourt (dir.), (1999), 4e réed. «Quadrige»/PUF, 2006.
  • Bioéthique et liberté Axel Kahn et Dominique Lecourt, PUF/Quadrige essai, Paris, 2004).
  • Dictionnaire de la pensée médicale Dominique Lecourt (dir.), (2004), réed. PUF/Quadrige, Paris, 2004.
  • La protection de l’information en biologie ou le brevetage du vivant CHILLARD Yves, Mai 2007 16p.
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