Bodhicitta

Bodhicitta
Avalokiteshvara, Bodhisattva de la compassion, vertu cardinale de la bodhicitta. Au-dessus de sa tête siège le bouddha Amitābha, Lumière infinie, symbolisant le contact constant du bodhisattva avec les forces de l'Éveil.
Bodhicitta
Caractères traditionnels: 菩提心
Caractères simplifiés: 菩提心
Mandarin (pinyin): pútí xīn
Cantonnais: P'oow T'aj Sam
Japonais: bodaishin
Mongol: бодь сэтгэл
Tibétain (Wylie): byang chub kyi sems
Vienamien: Bồ-đề tâm

La bodhicitta ou esprit d'Éveil (bodhi : éveil ; citta : cœur-esprit) est l'aspiration et l'engagement à atteindre l'Éveil, ou bouddhéité, afin d'y amener tous les êtres sensibles, et ainsi les libérer de la souffrance inhérente (duhkha) à l'existence cyclique (samsāra). Celui qui engendre cette motivation et qui en fait les vœux formels (pranidhāna) est appelé bodhisattva, littéralement: être d'Éveil, souvent traduit par héros pour l'Éveil, en fonction des connotations de pure et claire énergie du suffixe -sattva[1]. La bodhicitta et le bodhisattva, son corollaire, sont au coeur de la pensée bouddhiste, particulièrement dans le mahāyāna et le vajrayāna; à tel point qu'ils justifient l'appellation « bodhisattvayāna », véhicule du bodhisattva, souvent donné au mahāyāna.

L'actuel dalaï lama en dit : « Cet esprit d’Éveil transforme toutes les actions bénéfiques en un véritable catalyseur permettant l’émergence de la bouddhéité. […] Dans l’océan des pratiques qui mènent à la bouddhéité, la bodhicitta agit comme un raz-de-marée[2] ».

Sommaire

L'aspiration et l'engagement

(bouddhistes)
Perfections
 
10 pāramī
dāna
sīla
nekkhamma
paññā
viriya
khanti
sacca
mettā
upekkhā
   
 6 pāramitā 
dāna
sīla
kṣānti
vīrya
dhyāna
prajñā
 
Les articles colorés sont dans les deux listes.

On reconnait tout d'abord :

la bodhicitta d'aspiration, par la pratique des quatre Incommensurables (brahmavihāras), ou sentiments aimants spiritualisés que sont la compassion, la bienveillance, la joie sympathisante et l'équanimité. Ces sentiments sont «irradiés» envers l'univers entier, et peuvent être maintenus tout au long de la journée. On aspire à ce que les autres en nombre infini partout dans l'univers connaissent le bien-être et la félicité suprême; et on leur souhaite le plein Éveil parfait et incomparable. Notre esprit se focalise donc sur leur Éveil, et pas seulement sur le nôtre. Notre conscience des autres et notre empathie s'accroissent ainsi. L'autre grande technique se nomme donner-recevoir (tonglen en tibétain) ou encore égalisation et échange de soi-même avec autrui: Sur l'inspiration, on prend sur soi avec compassion la souffrance d'autrui, une personne précise ou le monde entier; sur l'expiration, on redonne de la bienveillance et de la paix. Cela permet de faire passer progressivement les autres avant nous-mêmes.

Article détaillé : Quatre Incommensurables.

On distingue ensuite :

la bodhicitta d'application ou d'engagement, par la pratique actualisante des six, ou dix, perfections de vertu, les pāramitās. Cet exercice de vigilance justifie quant à lui l'appellation de « pāramitāyāna » souvent donnée au grand véhicule.

Shantideva explique dans son Bodhicharyavatara la relation entre la bodhicitta d'aspiration et la bodhicitta d'engagement par la métaphore du désir de voyage et le voyage lui-même[3]:

                « En résumé, l'esprit d'Éveil
                  Doit être connu comme ayant deux aspects :
                  L'esprit d'aspiration à la plénitude
                  Et l'esprit d'engagement vers la plénitude.

                  Leur différence est la même que celle qui sépare 
                  Le désir de partir et la mise en route.
                  Les sages comprennent ainsi 
                  Leur spécificité respective. »(§15-16, I)

Pour partir en voyage, il faut préalable avoir nourri le désir ou le souhait de partir quelque part en voyage. Il faut avoir fait ses plans de voyages et pris ses dispositions. C'est une étape nécessaire sans laquelle il n'y aurait pas de voyage. Similairement, aspirer de tout son coeur et y entraîner son esprit est un préalable absolument nécessaire à l'action proprement dite pour le bien des êtres. Cette distinction est importante pour Shantideva afin de mettre en valeur la motivation intérieure. Certes c'est l'engagement qui est le plus important et le plus significatif, et Shantideva le reconnaît volontiers: "Quoique de grands fruits naissent dans le samsâra de l'esprit qui aspire à l'Éveil, il ne suscite pas un flot ininterrompu de bienfaits comme l'esprit d'engagement" [4].Mais Shantideva sait aussi que l'intention compte aussi énormément dans la mesure où l'intention précède systématiquement l'action. Il est donc important de travailler en profondeur sur nos intentions dans la méditation, afin que nos actions se mettent progressivement à refléter d'elles-mêmes les qualités de Éveil et les perfections du bodhisattva, ce qui ouvre notre existence à une perception vaste et illimitée[5]:

                « Dès l'instant où l'on a parfaitement saisi cet esprit,
                  Avec la pensée de ne pas s'en détourner,
                  Afin de libérer entièrement 
                  Les êtres des mondes infinis, 

                  Dès ce moment, 
                  Même dans le sommeil ou l'inattention, 
                  De multiples façons, la force de mérites
                  Pareils à l'espace s'écoule sans interruption»(§18-19, I)


Les 6 Pāramitās
Vertu
Ordre et traductions classiques
Variantes
Dāna Générosité Don, particulièrement du Dharma
Shīla Moralité Discipline éthique, Intégrité, Observance des préceptes
Kshānti Patience Tolérance, Détachement
Vīrya Effort Vigueur, Diligence, Résolution, Persévérance
Dhyāna Méditation Concentration, Absorption, Contemplation
Prajñā Sagesse Discernement, Intelligence intuitive
Article détaillé : Pāramitā.

Le relatif et l'absolu

On distingue aussi la bodhicitta absolue et la bodhicitta relative, à mettre respectivement en correspondance avec les réalités, absolue ou ultime, et relative ou conventionnelle. « Réalité absolue », paramārtha, désigne les phénomènes tels qu'ils sont essentiellement, par opposition à la « réalité relative » (samvriti), qui désigne alors les phénomènes tels qu'ils apparaissent et fonctionnent « réalistement » au niveau pragmatique. Les deux bodhicittas agissent à partir de chacun de ces deux points de vue :

Dans la perspective ultime, notre ignorance manifeste ou projette la nature-de-bouddha en tant qu'univers d'objets autonomes et substantiels. Cette substantialité projetée est imaginaire, identique au rêve, c'est là sa vacuité, que le bodhisattva s'entraîne à reconnaître. Cependant rien n'apparaît en un «dehors» fictif de la grande perfection primordiale (dzogchen). On doit donc considérer que l'univers, cette vie, est encore un moyen habile (upāya) par lequel notre nature essentielle se représente à nous, et tente compassionément de nous ramener à nous-même[6], à notre authentique destin, l'Éveil.

Cette compassion inhérente à toute manifestation est la bodhicitta absolue. Lorsqu'elle se déploie à travers l'activité imparfaite et dualiste d'un bodhisattva, c'est la bodhicitta relative. Cependant le bodhisattva peut œuvrer directement en harmonie avec la bodhicitta absolue, la canaliser pour ainsi dire, dès qu'il a clairement perçu et intégré les sagesses de la vacuité et de la non-dualité. La pratique de la bodhicitta absolue est donc cet entrainement à la reconnaissance de la vacuité, méditation conceptuelle et analytique dans un premier temps, puis non-verbale et intuitive dans un second temps, en « demeurant dans l'état naturel de l'esprit » où la prajñā peut dévoiler la nature de la réalité.

L'union des bodhicitta

Lorsque cette compréhension sature complètement les perceptions quotidiennes, on parle alors d'union des bodhicittas, absolue et relative. On dit aussi que ce bodhisattva a dépassé les phases préliminaires[7] et atteint la première terre, ou étape de sa vocation, appelée Grande Joie. On l'appelle alors un Ārya Boddhisattva[8], où ārya, noble, signifie plutôt sublime.

Parmi les textes traitant de la bodhicitta et du bodhisattva on retrouve le Bodhicaryāvatāra de Shāntideva et Les trente-sept pratiques d'un bodhisattva de Gyalsé Togmé Zangpo, de la tradition Sakya :

« 11. Toute souffrance provient du souhait de son seul bonheur.
Les parfaits Bouddhas sont nés de l'intention d'aider les autres.
Alors donc, échangez votre propre bonheur
Pour les souffrances des autres -
Ceci est la pratique des bodhisattvas. » [...]


« 16. Même si une personne dont vous avez pris soin
Comme de votre propre enfant, vous traite maintenant en ennemi,
Chérissez-la plus spécialement encore, comme une mère
Le fait pour son enfant, affligé de maladie -
Ceci est la pratique des Bodhisattvas. » [...]


« 20. Tant que l'ennemi qu'est votre propre colère reste insoumis,
Bien que vous vainquiez des adversaires extérieurs, ils ne vont que se multiplier.
Alors donc, avec les milices de la bienveillance et de la compassion
Subjuguez votre propre esprit -
Ceci est la pratique des Bodhisattvas. » [...]


« 22. Quoi que ce soit qui apparaisse est votre propre esprit.
À jamais sa nature est libre et au-delà des élaborations extrêmes[9].
Comprenant cette nature [non-duelle], ne concevez pas
Un objet et un sujet [réellement existants].
Ceci est la pratique des Bodhisattvas. »


« 23. Lorsque vous rencontrez des objets attrayants,
Considérez-les comme de la même beauté
Que les arcs-en-ciel en été, dénués de substance,
Et lâchez prise sur tout attachement -
Ceci est la pratique des Bodhisattvas. »


« 24. Les diverses souffrances sont comme la mort de son enfant en rêve.
Tenir ces apparences illusoires pour réelles vous épuise en vain.
Alors donc, lorsque vous rencontrez des circonstances adverses,
Abordez-les comme des illusions -
Ceci est la pratique des Bodhisattvas. »[10]


Ngulchu Gyalsas Thogmed Zangpo (1295-1369)

Bodhicitta dans le Theravāda

Le bouddhisme theravāda ne reconnaît pas le concept de bodhicitta : le terme n'apparaît jamais dans le Tipitaka. Certains commentateurs[11] voient dans « l'esprit lumineux » qu'évoque le Canon pâli une référence au bodhicitta :

Cet esprit est lumineux, ô Moines, et il est libéré des souillures adventices (Anguttara Nikaya, I, 6, 1-2)

Ajahn Brahm indique qu'il ne s'agit pas ici d'une référence à un quelconque « esprit originel », mais à un esprit libéré des cinq empêchements, « lumineux » parce qu'il est vu au travers du nimitta[12].

Notes et références

  1. Sattva pourrait aussi motiver la traduction l'Éveilleur voir -sattva
  2. L'Eveil de Bodhicitta
  3. Shantideva, "Vivre en Héros pour l'Éveil", traduction de Georges Driessens, éd. Le Seuil, Points/Sagesse, Paris, 1993, §15-16, chap. I, p. 23. Voir aussi: la deuxième édition de "La marche vers l'Éveil" aux éd. Padmakara, St-Léon-sur-Vézère, 2007.
  4. Shantideva, "Vivre en Héros pour l'Éveil", op. cit., §17, I, p. 24.
  5. Shantideva, "Vivre en Héros pour l'Éveil", op. cit., §18-19, I, p. 24.
  6. Ou de se rappeler elle-même en quelque sorte, puisqu'elle s'oublie en nous. Mais c'est là une perspective de tendance hindouiste.
  7. Phases préliminaires : 1 - d'accumulation du mérite par les pāramitās de générosité, discipline morale et tolérance; 2 - accumulation de la connaissance par la méditation et la sagesse intuitive. Finalement la pāramitā de vigueur persévérante est nécessaire au deux dites accumulations, ou perfectionnements. Les traductions et les recensements de diverses pāramitās tendent à varier. Voir pāramitā et bodhisattva
  8. Voir, en anglais : Les archives d'Alexander Berzin
  9. Les élaborations conceptuelles (litt:fabrications) extrêmes sont: a) l'existence objective, objectale, particulièrement d'un univers ou d'une âme éternelle; et: b) le nihilisme de la non-existence complète, distorsion réductrice de la doctrine de la vacuité.
  10. Adaptation tirée de : (en)Gueshe Jampa Tegchok, Transforming the Heart, The Buddhist Way to Joy and Courage. Commentaire de The Thirty-seven Practices of Bodhisattvas de Thogme Sangpo. Snow Lion Publications, Ithaca (New York), 1999. 314 p./ p. 298-300 (ISBN 1-55939-099-9) - Traduction fr. du contributeur, inspirée de la traduction moins littérale de Lotsawa House.org, et de la version plus explicitée utilisée par le Dalaï Lama (bodhicitta.net).
  11. Peter Harvey, Consciousness Mysticism in the Discourses of the Buddha. In Karel Werner, ed., The Yogi and the Mystic. Curzon Press, 1989, pages 97, 99.
  12. Mindfulness, Bliss, and Beyond: A Meditator's Handbook, chapitre 10, Ajahn Brahm, Jack Kornfield, Wisdom Publications, 2006

Articles connexes

Liens externes


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