Évasion de Mauzac du 16 juillet 1942

Évasion de Mauzac du 16 juillet 1942

Évasion perpétrée dans la nuit du 15 au 16 juillet 1942 par onze agents secrets français et britanniques du Special Operations Executive détenus au camp d'internement de Mauzac en Dordogne. Ils avaient été arrêtés en octobre 1941 en zone non-occupée, dans le cadre d'un coup de filet de la police française : trois à Châteauroux et huit sur la côte méditerranéenne. La réussite de l'évasion leur permit de retourner à Londres et de se remettre tous en selle. Certains d'entre eux furent renvoyés en mission en France comme chefs de réseau (réseaux action dits « réseaux Buckmaster », rattachés à la section F du SOE), où ils jouèrent un rôle déterminant pour approvisionner les résistants en armes et explosifs et perpétrer des attentats et sabotages contre l'ennemi, dans leurs zones d'action respectives.

Protagonistes

Onze évadés

Aides extérieures

  • Virginia Hall, chef d'un réseau SOE à Lyon : liaisons avec Londres, coordination d'ensemble de l'évasion et de l'exfiltration, fabrication des faux papiers d'identité des fugitifs ;
  • Victor Gerson : exfiltration des agents ;
  • Gaby Pierre-Bloch, femme du député prisonnier : visites fréquentes (grâce à la proximité de son domicile, Villamblard), liaison avec Virginia Hall ; remise de colis ;
  • Odette, fiancée de Robert Lyon ;
  • Lazare Rachline, dit Lucien Rachet ;
  • Albert Rigoulet « Le Frisé » : récupération des évadés à la sortie de prison et transport en voiture ;
  • Raoul Lambert, du réseau VIC ;
  • Thérèse Mitrani « Denise », convoyeuse jusqu'à la frontière espagnole.

Complicités intérieures

  • Deux gardiens qui guettent chaque soir du haut de leurs miradors : Welten ; Sevilla, qui a obtenu de partir avec les évadés.
  • Le gérant du mess, qui accepte d'allumer, le moment venu, son briquet devant le mess pour indiquer que le chemin est libre.
  • Maurice Dezès, le médecin du camp, prépare le somnifère que lui demande George Langelaan.

Autres prisonniers

Parmi les prisonniers du camp au moment de l'évasion, voici quelques noms signalés dans les témoignages des évadés :

  • Pierre Séailles, à qui Michael Trotobas fera appel plus tard pour devenir son adjoint dans le réseau Sylvestre-FARMER ;
  • Jacques Pigeonneau, ex consul général de France à Madrid ;
  • Commandant Breuillac, futur général ;
  • Frédéric O'Brady, acteur ;
  • Marcel Fleuret, dont le garage à Châteauroux fut l'une des premières boîtes aux lettres du SOE en France (dès mai 1941) ; au camp, il est surnommé « le père Sabre » ;
  • Colonel Alexandre ;
  • Noël Guillery ;
  • Fernandez ;

Chronologie

Arrestations en octobre 1941

Sur indication de la police spéciale locale, la Brigade de la surveillance du territoire de Limoges arrête Gerry Morel le 3 octobre, et trouve sur lui l'adresse de Marcel Fleuret, garagiste à Châteauroux (c'est une boîte aux lettres). Elle arrête Marcel Fleuret le 5 octobre à son garage, y tend une souricière et accentue sa surveillance dans la ville. C'est le point de départ d'une série d'arrestations, dont celles des onze agents (futurs évadés), entre le 6 et le 26 octobre, selon la séquence suivante[1] :

  • Le 6, George Langelaan, au café du Faisan, à Châteauroux, alors qu'il attend une prise de contact avec Georges Bégué ; il reconnaît avoir été chargé d'une mission de renseignement et de propagande ;
  • Le 8, Michael Trotobas, au cours d'un contrôle d'hôtel à Châteauroux ;
  • Le 9, Jean Bouguennec, au garage Fleuret, à Châteauroux, où il a été envoyé de Marseille par Gilbert Turck pour y reprendre contact avec Georges Bégué ; il indique l'adresse de la Villa des Bois, vallon de la Baudille à Marseille, où une surveillance est organisée à partir du 10, qui permettra sept arrestations du 17 au 26 ;
  • Le 11, Philippe Liewer, à son domicile à Antibes ; la police l'a trouvé car il a été en relation avec George Langelaan qui a probablement commis une indiscrétion ;
  • Le 17, Clément Jumeau, à la Villa des Bois, à Marseille ;
  • Le 19[2], Jean Le Harivel au Noailles[3], [à Marseille ?] ;
  • Le 20, Jean Pierre-Bloch, à la Villa des Bois, à Marseille ; accompagné de sa femme, il vient remettre 1 150 000 francs à Gilbert Turck ;
  • Le 24, Robert Lyon et Jack Hayes, au café Le Mont Ventoux, à Marseille ;
  • Le 24, Georges Bégué et Raymond Roche, à la Villa des Bois, à Marseille ;

Dès leur arrestation, les agents, inculpés d'atteinte à la sûreté extérieure de l'état, sont emprisonnés à Marseille ou à Limoges, et le 28 octobre transférés à la prison de Beleyme, à Périgueux, où ils vont rester cinq mois. Édouard Herriot proteste contre l'emprisonnement d'un député ; l'ambassadeur des États-Unis, William Leahy, intervient en faveur des prisonniers auprès du gouvernement français. En mars 1942, ils sont transférés au camp de Mauzac, où les conditions de détention sont un peu moins sordides.

Préparatifs de l'évasion

Dès sa libération, fin 1942, Gaby Pierre-Bloch prend contact avec Virginia Hall, à Lyon ; les deux femmes sympathisent ; le projet d'évasion construit par les prisonniers est relayé par Virginia Hall ; à Londres, Maurice Buckmaster approuve, demandant que Virginia Hall fournisse l'aide nécessaire aux agents pour rentrer à Londres : logement, faux papiers, accompagnement hors de France.

Dans le camp :

  • Michael Trotobas organise l'entretien physique de ses camarades : une heure de gymnastique tous les matins ;
  • Georges Bégué, bon mécanicien et bricoleur de précision, réussit à fabriquer une clé pour sortir du baraquement, lequel est verrouillé par les gardiens tous les soirs après l'appel : modelage à la mie de pain, utilisation d'outils apportés par Gaby Pierre-Bloch dans des colis, réalisation de la clé en fer blanc, etc. Il réalise aussi deux chevaux de frise en bois.
  • Un prisonnier réalise une fausse porte en toile. En effet, la porte du baraquement, éclairée toute la nuit, est visible depuis l'un des miradors. La fausse porte sera donc substituée à la vraie pendant les quelques minutes que durera l'opération.

À l'extérieur du camp[4] :

  • Courant juin, Lazare Rachline et Raoul Lambert viennent sur place pour mettre au point les détails de la récupération des évadés à leur sortie.
  • Gaby Pierre-Bloch s'assure de la complicité de trois gardiens.
  • Le 14 juillet au matin (veille de l'évasion), Odette (fiancée de Robert Lyon) et Gaby Pierre-Bloch (avec ses trois enfants) viennent rendre visite aux prisonniers. En les voyant entrer dans le camp, Georges Bégué s'inquiète et leur explique que, l'évasion étant proche, elles doivent quitter le secteur pour ne pas être accusées de complicité. Elles repartent aussitôt : Odette à Marseille ; et Gaby Pierre-Bloch à Vichy, où elle rend ostensiblement visite à la belle-sœur de Pierre Laval sous le prétexte de demander la mise en liberté provisoire des détenus. Avant de rentrer chez elle à Villamblard, elle restera à Vichy quelques jours, puis passera à Cannes.

Évasion

Dans la soirée du 15 juillet :

  • Au dîner, George Langelaan verse le somnifère dans le verre de Marcel Fleuret qui, craignant les représailles, s'était déclaré opposé au projet d'évasion ;
  • les lits sont équipés de mannequins, pour faire illusion ;

À 3 heures du matin, le gardien complice, du haut de son mirador, donne le signal convenu en agitant son briquet. Alors :

  • Georges Bégué ouvre la porte du baraquement (la serrure a été graissée la veille) ; et la porte de toile est tendue sur le battant ;
  • Michael Trotobas arrache quelques piquets de barbelés ; il pose les chevaux de frise pour permettre aux évadés de ramper sans risque ; et il installe un tapis pour qu'en rampant, les évadés ne laissent aucune trace ; il reste debout au milieu de barbelés pour venir en aide à ceux qui s'accrocheraient ;
  • puis les autres passent, un par un, avec un départ toutes les minutes : Robert Lyon, Jean Pierre-Bloch, George Langelaan, etc.

L'opération aura duré onze minutes. Puis, les onze agents - ainsi que le gardien qui a obtenu de les accompagner - se rendent au point de rendez-vous convenu, à trois kilomètres de là, où les attendent Albert Rigoulet, Lazare Rachline et Raoul Lambert.

De l'intérieur, des détenus font disparaître les ustensiles utilisés (la clé, la porte en toile, les chevaux de frise, le tapis), de manière à rendre incompréhensible aux enquêteurs le mode d'évasion.

Exfiltration

C'est le début d'exécution du plan d’exfiltration préparé par Virginia Hall et Victor Gerson, qui doit les amener à Londres après traversée des Pyrénées et passage par l’Espagne.

Les quinze hommes s'entassent dans la Citroën commerciale, qui part aussitôt. Sur leur route, ils passent à Villamblard et poursuivent quinze kilomètres plus loin, où on les dépose dans la bruyère et la rosée. Il est 6 h 30. Albert Rigoulet s'absente une heure ; puis, revenu, il organise une cordée dans la forêt. Au bout de trois heures de marche, ils parviennent à la cachette qui a été préparée au milieu de la forêt : une maison et une grange délabrées et abandonnées, avec de quoi manger et faire sa toilette. Ils restent là treize jours, le temps de laisser passer l’effervescence provoquée par leur évasion et de faire établir des papiers d'identité[5].

Puis ils vont à Lyon, par groupes de deux et selon des chemins différents. Ils y sont hébergés quelques jours dans différentes familles. Puis a lieu le départ pour l'Espagne. Deux groupes de six sont formés, qui doivent être convoyés jusqu'à la frontière espagnole par Thérèse Mitrani.

Le 8 août, le premier groupe, réuni, quitte Lyon : Georges Bégué, Jack Hayes, Clément Jumeau, Jean Le Harivel, Jean Pierre-Bloch[6] et Raymond Roche. Trajet : gare de Perrache ... Le 9, à Banyuls. Les quatre nuits suivantes, ils marchent pour franchir les Pyrénées et arrivent près de Barcelone. Ils y sont arrêtés par la garde civile. Ils changent de prison (Barcelone, Saragosse, Figueras, puis Miranda de Ebro). Cas de Jean Pierre-Bloch : le 28 octobre, l'enquête ayant abouti (l'ambassade d'Angleterre confirme qu'il est bien le capitaine Peter Martin, d'Ottawa), il est libéré ; il passe à Madrid et Gibraltar, et rentre par avion « avec un autre libéré des camps » jusqu'à Londres.

Le 28 août, le deuxième groupe quitte Lyon (bien que sans nouvelles du sort du premier groupe, qui devait être une condition) : Jean Bouguennec, George Langelaan, Philippe Liewer, Robert Lyon, Michael Trotobas, et Sevilla, le gardien de Mauzac. Thérèse Mitrani les convoie jusqu'à la frontière espagnole. Trajet : gare de Perrache à 10 h ; train pour Perpignan avec changement à Narbonne ; taxi de Narbonne à la frontière, via Collioure, Elne, Argelès. Traversée des Pyrénées dans la nuit du 28 au 29 août. Le 30 août, ils dorment toute la journée. Le 31 août, séparation en deux sous-groupes :

  • Philippe Liewer et Robert Lyon continuent. Le 1er septembre, ils arrivent à Gerone, puis à Barcelone : ils sont reçus par le consul britannique, qui leur donne leurs nouvelles identités (Staunton pour Liewer et Bradley pour Lyon). Liewer passe par Lisbonne et arrive à Londres le 17 septembre. Lyon passe par Gibraltar et arrive à Londres le 3 octobre.
  • Jean Bouguennec et Michael Trotobas ont pris le même chemin, mais ayant souffert des intestins et de l'estomac, arrivent un peu plus tard à Barcelone, et sont logés chez des sympathisants espagnols.

Remarque : George Langelaan, qui fait partie du deuxième est découvert par une patrouille de la garde civile espagnole frontalière et, après des étapes dans la prison de Figueras et le camp de Reas à Saragosse, il est, comme ceux du premier groupe, dirigé sur le camp de Miranda de Ebro.

Poursuite des activités des évadés

Après leur retour à Londres, furent renvoyés en France comme chefs de réseau :

Continuèrent le combat à Londres, dans des fonctions diverses :

Sources et liens externes

Témoignages directs

  • George Langelaan, Missions spéciales, éd. Hachette 1963 ; rééd. Club des Amis du Livre, 1963.
  • Robert Lyon, témoignage in Danièle Lheureux, La Résistance "Action Buckmaster" Sylvestre-Farmer, Roubaix, Le Geai Bleu, 2001-2002, vol. I : Avec le capitaine "Michel", 2001, (ISBN 2-914670-01-X) ;
  • Jean Pierre-Bloch, Le Temps d'y penser encore, Jean-Claude Simoën, 1977.
  • Lazare Rachline, Témoignage recueilli pour la Commisssion d'Histoire de l’Occupation et de la Libération de la France par Mlle Gouineau les 23/10/50 — 17/2/51 — 9/10/51, etc., consultable au CARAN (Paris) (cote AN : 72 AJ 1911).

Récits

  • Michael Richard Daniell Foot, Des Anglais dans la Résistance. Le Service Secret Britannique d'Action (SOE) en France 1940-1944, annot. Jean-Louis Crémieux Brilhac, Tallandier, 2008, (ISBN 978-2-84734-329-8) / (EAN 9782847343298). Traduction en français par Rachel Bouyssou de (en) SOE in France. An account of the Work of the British Special Operations Executive in France, 1940-1944, London, Her Majesty's Stationery Office, 1966, 1968 ; Whitehall History Publishing, in association with Frank Cass, 2004.
    Ce livre présente la version officielle britannique de l’histoire du SOE en France.
    Voir récit de l'évasion de Mauzac p. 301-302.
  • Lt. Col. E.G. Boxshall, Chronology of SOE operations with the resistance in France during world war II, 1960, document dactylographié (exemplaire en provenance de la bibliothèque de Pearl Witherington-Cornioley, consultable à la bibliothèque de Valençay). Voir sheet 0, FIRST STEPS BY SOE TO START OPERATIONS IN FRANCE, p. 4.
  • Vincent Nouzille, L'Espionne. Virginia Hall, une Américaine dans la guerre, Paris, Fayard, 2007, (ISBN 978-2-213-62827-1), chapitre 13, La grande évasion de Mauzac, p. 179-187.
  • Maurice Nicault, Résistance et Libération de l'Indre - Les Insurgés, Royer, passé simple, 2003, (ISBN 2-908670-85-2).

Notes

  1. Source : Nicault, p. 77 et suivantes.
  2. Source Boxshall.
  3. Source : Lheureux.
  4. Source : témoignage d'Odette dans Lheureux, p. 30-31.
  5. Jean Pierre-Bloch écrit (p. 194) : « Le quinzième jour était le jour « J ». Denise Mitrani, qui a raconté cette évasion dans son livre Réseaux d'évasion et qui appartenait au réseau VIC nous apporta nos faux papiers d'identité parfaitement en règle. »
  6. Pierre-Bloch a précisé avoir fait partie du même groupe que Jumeau [p. 201]

Wikimedia Foundation. 2010.

Contenu soumis à la licence CC-BY-SA. Source : Article Évasion de Mauzac du 16 juillet 1942 de Wikipédia en français (auteurs)

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