République socialiste de Roumanie

République socialiste de Roumanie

République socialiste de Roumanie[1]
Republica Socialistă România Roumain

1947 (30 déc.) – 1989 (22 déc.)

Drapeau
Blason

Drapeau et armoiries

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Informations générales
Statut République, régime à parti unique communiste
Capitale Bucarest
Langue Roumain
Monnaie Leu roumain
Démographie
Population 23 102 000 habitants (estimation 1987)
Histoire et évènements
12 septembre 1944 Occupation par l'Union soviétique
30 décembre 1947 Proclamation de la République populaire roumaine
22 avril 1964 Déclaration d'avril : la Roumanie proclame sa propre voie vers le socialisme au sein du Bloc de l'Est
28 juin 1965 Nouvelle constitution : le pays prend le nom de République socialiste de Roumanie
22 décembre 1989 Mort du Ceaușescu
Premier secrétaire du Parti
(1e) 1947-1954, 1955-1964 Gheorghe Gheorghiu-Dej
1954-1955 Gheorghe Apostol
(De) 1964-1989 Nicolae Ceaușescu
Président
1952-1958 Petru Groza
1961-1965 Gheorghe Gheorghiu-Dej
1965-1967 Chivu Stoica
1967-1989 Nicolae Ceaușescu
Premier ministre
(1e) 1948-1952 Petru Groza
1952-1955 Gheorghe Gheorghiu-Dej
1955-1961 Chivu Stoica
1961-1975 Ion Gheorghe Maurer
(De)1982-1989 Constantin Dăscălescu

Entités précédentes :

Entités suivantes :

République socialiste de Roumanie (Republica Socialistă România, ou RSR) était le deuxième nom officiel (utilisé de 1965 à 1989) de la Roumanie, durant la période où le pays fut gouverné par le Parti communiste roumain selon un régime dictatorial d'inspiration marxiste-léniniste.

Cet état a été créé, suite à l'occupation par l'Union soviétique, par l'effondrement du Royaume de Roumanie le 30 décembre 1947. Grâce à la présence de l'Armée Rouge depuis le 12 septembre 1944, le coup d'état du 6 mars 1945, instaure le régime communiste, mais le pays ne prit le nom officiel de République populaire roumaine (Republica Populară Romînă, ou RPR) que le 30 décembre 1947, pour changer de nom en 1965. L'ensemble de la période allant du 6 mars 1945 au 22 décembre 1989 est désignée sous le nom de Roumanie communiste[2] ou de Roumanie "socialiste"[3]. Se désignant comme une « démocratie populaire », la Roumanie demeura politiquement sur l'URSS jusqu'en 1964, date à laquelle elle affirmant une position plus indépendante, tout continuant de faire partie du bloc de l'Est. Ce régime s'effondra lors de la chute du bloc de l'Est, lorsque la révolution roumaine de 1989 mit un terme à la dictature communiste, et aux fonctions du président Nicolae Ceaușescu.

Sommaire

Symboles

La République socialiste de Roumanie utilisa pendant la période socialiste, quatre drapeaux et armoiries :


Prise de pouvoir par les communistes

Teohari Georgescu.

Le 12 septembre 1944, les Soviétiques, occupent le Royaume de Roumanie, largement traité en pays conquis, bien qu'il ait rejoint les Alliés le 23 août 1944 en déclarant la guerre à l'Allemagne[4]. Au sein du gouvernement de coalition, les communistes Lucrețiu Pătrășcanu et Teohari Georgescu obtiennent respectivement les ministères de la justice et des affaires intérieures. Ils commencent l'épuration des cadres non-communistes de l'armée et de l'administration, faisant également condamner plusieurs centaines de membres de l'élite économique du pays par des « tribunaux populaires ». Une entreprise de confiscation des biens des entrepreneurs est mise en place, les juges étant flanqués d'« assesseurs populaires » désignés par le parti communiste[5]. Des membres de minorités allemandes de Roumanie sont déportés à partir de février 1945. Le 6 mars 1945, le gouvernement de Nicolae Rădescu est contraint à la démission. Conforté par la présence de l'Armée rouge qui occupe la plupart des administrations, des casernes et des usines, Andreï Vychinski, représentant de l'URSS en Roumanie, impose un gouvernement dirigé par Petru Groza. Les autres partis politiques sont représentés, mais le Parti communiste roumain détient les ministères les plus importants. Des épurations ont lieu au sein des services de police et de gendarmerie. Dès le 23 mars, une réforme agraire réduit les propriétés agricoles à un maximum de cinquante hectares. A l'été 1945, plus de 10 000 arrestations de personnalités accusées d'être « fascistes » ou d'avoir été membres de la Garde de fer ont eu lieu, avec plus de 3000 internements dans des camps. L'administration est épurée pour laisser la place à des cadres proches du Front national Démocratique, la coalition procommuniste au pouvoir[6]. Le 19 novembre 1946, des élections organisées à la demande des occidentaux sont gagnées par le Parti national paysan et le Parti national libéral mais, sur pression de Joseph Staline, le Parti communiste roumain est déclaré majoritaire[7].

Dès février 1947, le rythme des arrestations s'accélère, pour intimider tant l'opposition politique que l'opinion. Les communistes s'emploient ainsi à laminer les autres partis : le Parti national paysan et le Parti national libéral sont dissous, le premier en juillet et le second en novembre; leurs chefs respectifs, Iuliu Maniu et Constantin I. C. Brătianu, sont emprisonnés. Le 30 décembre 1947, le roi Michel Ier est contraint à abdiquer sous pression de Vichinsky. La République populaire roumaine est aussitôt proclamée, la nouvelle constitution venant la formaliser dans les textes, le 13 avril 1948[8].

Le communisme d'épuration

Vasile Luca.

Constantin Ion Parhon est le chef de l'État, avec le titre de Président du présidium de la Grande Assemblée nationale, tandis que Petru Groza demeure chef du gouvernement. Le premier secrétaire du Parti communiste roumain est Gheorghe Gheorghiu-Dej, mais le parti est dirigé dans les faits par un secrétariat collectif de quatre personnes, comprenant le premier secrétaire, Teohari Georgescu (toujours ministre des affaires intérieures dans le gouvernement Groza), Vasile Luca (ministre des finances) et Ana Pauker (ministre des affaires étrangères), ces trois derniers étant considérés comme une « troïka » ayant, dans les faits, le principal poids politique[9].

Les arrestations continuent, pour intimider tant l'opposition politique que l'opinion, avec des accusations désormais plus diversifiées: « exploiteurs » (toute personne en ayant employé d'autres), « bourgeois cosmopolites » (phanariotes, francs-maçons, juifs non-communistes, syndicalistes, intellectuels ou artistes trop indépendants...), « profiteurs » (commerçants et négociants, professions libérales...), « laquais des exploiteurs » (forces de l'ordre, appareil judiciaire, enseignants, clergé). Le nombre exact de détenus politiques demeure sujet à caution, mais certains auteurs ont avancé le chiffre de 600 000 prisonniers pour la période 1948-1964, auxquels s'ajoutent environ 500 000 prisonniers de guerre des Soviétiques[10]. Le 11 juin 1948, le décret-loi n°119 impose la nationalisation des banques et des principales entreprises[11]. Le 30 août 1948, avec l'aide du KGB, le régime crée officiellement sa police secrète, le Département de la Sécurité de l'État, ou Securitate. En 1949 est mis en place un système de travail forcé, visant à « rééduquer par le travail les éléments hostiles à la République populaire roumaine » : les colonies de travail compteront plusieurs milliers d'« ouvriers volontaires ». Le système de l'« internement administratif » des prisonniers politiques - soit l'arrestation sans mandat, et la détention sans jugement - est largement utilisé. Des programmes de « rééducation » sont mis en place dans des prisons roumaines, dont la plus célèbre est la prison de Pitești. La torture et le lavage de cerveaux y sont pratiqués à grande échelle.

Le régime communiste doit cependant affronter dans ses premières années un phénomène de résistance armée, des partisans s'étant organisés dès 1945 dans les Carpates. Sans grands moyens ni idéologie commune, des petits groupes de résistants anti-communistes demeurent actifs dans les campagnes et les montagnes jusqu'au début des années 1960[12].

Le réseau de prisons et de camps en Roumanie (et Moldavie) sous le régime communiste

Un système de déportation et d'assignations à résidences d'« indésirables » est mis en place par le décret 83 du 2 mars 1949, visant tout d'abord les familles de propriétaires terriens ou immobiliers dont les biens avaient été nationalisés. Le système est ensuite étendu à toute personne accusée d'avoir, par ses actions, nui à la « construction du socialisme ». Des déplacements de population ont lieu en 1951-1952, sur décision des autorités, pour peupler les steppes et marais du sud-est du pays, soumises à la sécheresse et aux inondations ; en revanche tout déménagement individuel et tout changement d'emploi sont interdits sans autorisation de la Milice locale et de l'entreprise employeuse (toutes d'état), établissant ainsi un état d'assignation à résidence pour l'ensemble de la population[13]. Les maisons d'édition et les imprimeries sont nationalisées et une politique de censure mise en place, aboutissant à la mise sous tutelle du monde intellectuel.

Le gouvernement s'emploie aussi à mettre au pas les églises de Roumanie, nationalisant les propriétés ecclésiastiques et soumettant à un contrôle rigoureux les activités du clergé et l'enseignement des séminaires. Le 1er décembre 1948, le Décret 358 met hors la loi l’Église gréco-catholique roumaine dont les biens sont confisqués et attribués à l'Église orthodoxe ou à l'État communiste roumain. Tous ses évêques, ainsi que les prêtres qui avaient refusé le passage à l'orthodoxie furent emprisonnés. Les fidèles de cette église catholique roumaine unie à Rome qui ont refusé de passer à l'Église orthodoxe roumaine ont subi des persécutions, beaucoup ont été incarcérés. Nul prêtre ou moine ne peut accéder à des responsabilités ecclésiastiques, s'il n'est d'abord agréé par la Securitate : un dicton populaire dit même -Si tu veux dénoncer quelqu'un sans te dévoiler comme délateur, va te confesser.

La réforme agraire est poursuivie, les parcelles agraires faisant l'objet d'une mesure d'expropriation, dans un premier temps au bénéfice des paysans. Mais, le 5 mars 1949, la « transformation socialistes de l'agriculture » est décrétée, se traduisant dans les mois suivants par la création de fermes collectives sur le modèle des kolkhozes soviétiques. Une politique de collectivisation de l'agriculture est mise en place à marche forcée, les paysans se voyant embrigadés de force dans les fermes collectives, sous la surveillance de la Securitate. Des révoltes éclatent dans la plupart des départements du pays, et font l'objet de répressions brutales. Les travailleurs des fermes collectives sont transformés en employés de l'État, tandis que les exploitations sont gérés par des fonctionnaires politisés : les rendements, de plus en plus faibles du fait de la mauvaise gestion, se traduisent par des phénomènes de pénurie[14].

Même l'appareil communiste est soumis aux purges : en avril 1948, le ministre de la justice Lucrețiu Pătrășcanu est arrêté. Il est jugé, condamné à mort et exécuté en 1954. En 1952, Gheorghe Gheorghiu-Dej affermit son pouvoir personnel en faisant destituer Teohari Georgescu, Vasile Luca et Ana Pauker, après avoir obtenu l'aval de Staline. Le soutien de Lavrenti Beria leur évite cependant d'être exécutés[15]. Un argument (ultérieurement jugé antisémite par l'historiographie moderne) est utilisé pour obtenir l'élimination politique d'Ana Pauker qui, d'origine juive, est accusée de « cosmopolitisme »[16]. La même année, Gheorghiu-Dej prend lui-même la tête du gouvernement, et la conserve jusqu'en 1955.

Dans les années 1950, les efforts de Gheorghiu-Dej tendent à parvenir à une plus grande autonomie nationale pour la Roumanie, et à s'affranchir progressivement de la tutelle soviétique, tout en freinant les effets de la déstalinisation impulsée par Nikita Khrouchtchev; le discours officiel roumain tend à affirmer que la déstalinisation du régime a déjà eu lieu, avec la purge des adversaires de Gheorghiu-Dej[17]. En 1954, une partie des prisonniers politiques sont libérés, mais de nouvelles vagues de répression ont lieu à partir de 1958, notamment contre les milieux intellectuels. La campagne de purges et d'intimidations prend fin vers 1961, le régime tentant ensuite de se rapprocher des milieux intellectuels pour consolider sa base. Après l'insurrection de Budapest, la Roumanie communiste collabore étroitement avec le régime de János Kádár en République populaire de Hongrie, assurant un temps la détention d'Imre Nagy.

Le communisme de consolidation

Représentation officielle de Nicolae Ceaușescu, dans le style du réalisme socialiste.

La Roumanie reste, tout au long de la durée du régime communiste, membre du Pacte de Varsovie et du Comecon, dont les dirigeants roumains ne manquent aucun sommet. Toutefois, dans ce cadre, ils tentent d'élargir leur marge de manœuvre: c'est la politique dite d'indépendance, qui culminera en 1968 par la condamnation de l'intervention soviétique à Prague. Dès 1958, Gheorghiu-Dej obtient le départ de Roumanie des dernières troupes d'occupation soviétiques[18]. La politique de Gheorghiu-Dej tend dès lors à formuler un « socialisme national ». Le 21 mars 1961, Gheorghiu-Dej devient chef de l'État, avec le titre nouvellement créé de Président du Conseil d'État.

Lors des crises au sein du bloc communiste, avec la rupture sino-soviétique et la crise des missiles de Cuba, le gouvernement roumain se positionne en médiateur et devient un intermédiaire entre le bloc communiste prosoviétique et des partenaires infréquentables pour Moscou, tels la Yougoslavie titiste, la Chine maoiste, l'Albanie, mais aussi Israël, l'Afrique du Sud, l'Iran. La Roumanie est alors le seul pays au monde qui reconnaît officiellement à la fois l'OLP et Israël. Ce rééquilibrage de ses relations internationales a parfois été interprété, en occident, comme un détachement de l'influence soviétique, mais il suffit de rappeler que dans l'affaire Ariane par exemple, les renseignements collectés par les Roumains ont été aussitôt transmis aux Soviétiques[19] pour réaliser que ce détachement était surtout diplomatique : en 1963, à une réunion du Comecon, la Roumanie refuse de modifier sa politique industrielle comme préconisé par l'organisation, et en avril 1964, la session plénière du Parti communiste roumain affirme ouvertement l'autonomie de la Roumanie au sein du bloc de l'Est par la Déclaration d'avril (du 22 avril 1964)[20].

La Déclaration d'avril inaugure aussi une période de détente intérieure du régime sur les plans économique (la pénurie alimentaire cesse, après vingt ans de cartes de rationnement), scientifique (les chercheurs sont autorisés à correspondre avec leurs collègues du « camp impérialiste »), culturel (créateurs et intellectuels voient s'élargir leur marge de manœuvre, au point que des humoristes comme Toma Caragiu sont autorisés à brocarder certains aspects de la société) et même politique (de nombreux prisonniers politiques sont amnistiés : il est vrai que le système des camps et carcéral était surpeuplé)[21].

Le régime sous la direction de Nicolae Ceaușescu

Le principal marché de Bucarest (Obor) dans les années 1980
Seuls les ouvrages signés Ceaușescu remplissent les vitrines des librairies dans les années 1980
Dans les années 1980, la pénurie d'énergie et de carburant rend les transports en commun rares et difficilement accessibles
Dans les années 1980, la politique de systématisation du territoire se traduit par 320.000 expulsions, le démolitions de quartiers historiques entiers, et environ 3000 morts par froid et carences

Période de détente

Gheorghe Gheorghiu-Dej meurt d'un cancer du poumon le 19 mars 1965. Une lutte de pouvoir a alors lieu au sein du parti pour sa succession : Gheorghe Apostol, proche collaborateur de Gheorghiu-Dej, apparaît comme l'un des candidats les plus crédibles, mais le premier ministre Ion Gheorghe Maurer contribue à favoriser l'élection comme premier secrétaire du parti de Nicolae Ceaușescu. Ce dernier poursuit dans un premier temps la politique de détente menée par Gheorghiu-Dej, maintenant des relations diplomatiques cordiales avec l'Est comme avec l'Ouest. Le 28 juin 1965, la Grande assemblée nationale adopte une nouvelle constitution : le pays prend comme nom officiel celui de République socialiste de Roumanie, les rapports avec l'URSS étant redéfinis sur la base d'une alliance basée sur l'égalité et la non-interférence réciproque dans les affaires intérieures. L'État accroit son influence sur le domaine économique, ayant notamment le monopole du commerce extérieur. La nouvelle constitution stipule une série de libertés (liberté d'expression, liberté de la presse, liberté de manifestation) qui, dans les faits, demeureront largement théoriques. Le 9 décembre 1967, Nicolae Ceaușescu devient également Président du Conseil d'État, soit chef de l'État (le 28 mars 1974, un amendement changera le titre de chef de l'État en Président de la République).

Jusqu'en 1971, Ceaușescu alterne les mesures répressives et les gestes de libéralisation, entretenant les espoirs de changement tout en consolidant son pouvoir. La Securitate poursuit une politique très active de surveillance de la population, la politique de relégation intérieure étant maintenue. En 1966, l'avortement est interdit sous peine de prison aux femmes de moins de quarante-cinq ans ayant moins de quatre enfants, entraînant une vague d'interruptions clandestines de grossesse et causant indirectement la mort de milliers de femmes du fait de conditions sanitaires déplorables[22]. En 1968, bien que membre du pacte de Varsovie, la Roumanie refuse que ses troupes participent à l'écrasement du printemps de Prague, cet acte spectaculaire d'indépendance garantissant à Ceaușescu, durant un temps, une certaine popularité auprès de la population roumaine et renforçant à l'étranger son image de dirigeant réformateur. La politique d'industrialisation de la Roumanie entamée sous Gheorghiu-Dej est poursuivie, bien que le pays ne parvienne ni à produire des biens de consommation exportables, ni même à satisfaire la demande intérieure.

Période de resserrement

À partir de juillet 1971, Ceaușescu infléchit sa politique et met fin à la détente intérieure. Les origines de ce changement sont discutées. La version la plus courante en Roumanie est que Ceaușescu aurait été impressionné, durant un voyage en République populaire de Chine et en Corée du Nord, par la révolution culturelle et l'adulation de la doctrine du Juche, et qu'il aurait voulu mettre en place une « révolution culturelle » roumaine, dans le but affiché de créer l'« homme nouveau »[22]. Mais ce but n'avait rien de nouveau, il est l'un des axes de la « construction du socialisme ». L'autre hypothèse est qu'il aurait été inquiet d'une part des réactions de Moscou à ses initiatives internationales, et d'autre part des libertés d'expression gagnées au fil des années par les intellectuels, dont pouvaient aussi profiter ses camarades du Parti, pour contester ses choix. Toujours est-il que progressivement, le parti communiste roumain restreint à nouveau les libertés économiques (autonomie partielle de gestion), intellectuelles et culturelles (création, expression, recherche) pour imposer un strict contrôle de l'économie et un culte de la personnalité de plus en plus prononcé autour de Nicolae Ceaușescu. Les pénuries réapparaissent, tandis que Ceaușescu se voit désigné par la propagande sous le titre de Conducător (guide), ou le surnom de Génie des Carpates.

En 1972, poursuivant sa politique d'indépendance diplomatique vis-à-vis de l'URSS, la Roumanie adhère au Fonds monétaire international et obtient des crédits importants. Mais, face au remboursement de la dette, Ceaușescu donne la priorité aux exportations, restreignant la demande intérieure bien au-delà des exigences du FMI, au point que même le chauffage et l'éclairage urbain sont arrêtés; la faim fait son apparition, et les hôpitaux deviennent des mouroirs; de nombreuses familles abandonnent leurs enfants[23]. Entre 1977 et 1983, l'aggravation désastreuse des conditions de vie cause d'importantes grèves de mineurs et d'ouvriers des combinats. En 1977, Ceaușescu, en visites aux mines du Jiu, est personnellement hué par les ouvriers; des centaines d'arrestations ont ensuite lieu contre les membres du mouvement[24]. Les intellectuels s'organisent régulièrement en groupes de protestation, plusieurs lettres ouvertes étant adressées au chef de l'État : les dissidents sont réprimés et surveillées, contraints à l'exil ou, pour les personnalités les moins connues, emprisonnés.

Le pays perd progressivement sa capacité d'auto-suffisance alimentaire. À partir de 1981, le remboursement de la dette extétieure sert de prétexte pour refuser toute réforme. Le niveau de vie baisse de 15 à 20% entre 1980 et 1987[25]. La politique sanitaire est notoirement défaillante; la fin du contrôle des naissances entraîne notamment un grand nombre d'abandons d'enfants, lesquels croupissent dans des orphelinats gérés comme des fermes d'élevage industriel, mais avec pénurie alimentaire et carences hygiéniques et, bien sûr, relationnelles et affectives[26].

Affiche de propagande dans les rues de Bucarest (1986).

Par une application aveugle du principe d' égalité entre villes et campagnes de Friedrich Engels, une politique dite de « systématisation du territoire » se traduit par la démolition de quartiers historiques en ville, et de villages en milieu rural, avec relogement forcé des habitants en barres et tours d'appartements collectifs, souvent inachevées et où eau courante et gaz de ville ne sont présents qu'au rez-de-chaussée; l'électricité, quand elle est présente, est contingentée (6h - 8h et 18h - 20 h). Le séisme de 1977, qui cause des dégâts considérables à Bucarest, offre à Ceaușescu l'occasion de « systématiser » le centre de la capitale, détruisant des milliers d'immeubles et des centaines de monuments historiques, et rasant le centre historique de la ville, au profit d'un immense bâtiment, dit Maison du peuple, destiné à abriter les institutions de l'État. La systématisation, conduite au mépris des règles d'urbanisme, aboutit à la destruction d'une partie du patrimoine architectural de la Roumanie, et à la construction de banlieues à la campagne qui, dans les années 1980, bouleversent la vie des campagnes et compromettent ainsi encore plus la survie alimentaire des populations. Des centaines de villages sont détruits et la population est relogée dans des immeubles collectifs à la campagne, avec sanitaires, cuisines et points d'eau collectifs. Les Roms sont sédentarisés de force, tandis que Juifs, Allemands et Grecs de Roumanie quittent le pays en masse, Israël, l'Allemagne et la Grèce acceptant de payer le droit d'émigration au prorata des études effectuées par les partants.

Sous la présidence de Nicolae Ceaușescu, l'omniprésence d'une bureaucratie et le népotisme du régime s'accentuent : une vingtaine de membres de la famille Ceaușescu détient des postes clés dans l'appareil étatique[16]. L'épouse du Président, Elena Ceaușescu, se voit attribuer une place prépondérante dans le domaine de la recherche scientifique, au mépris de ses compétences réelles, illustrant, au sommet de l'état, une situation chronique à tous les échelons de la société. Un dicton populaire dit alors que P.C.R. ne signifie plus Parti Communiste Roumain mais Pistons, Combines, Relations[27].

Période de délitement

Du fait des conditions de vie, l'impopularité du régime est telle que, malgré la peur omniprésente, le 15 novembre 1987, 15.000 ouvriers et habitants se révoltent à Brașov[25]. En 1987, à la faveur d'une visite de Mikhaïl Gorbatchev, la Roumanie resserre ses liens commerciaux avec l'URSS, mais Nicolae Ceaușescu demeure insensible à toute idée de perestroïka. Au printemps 1989, six anciens membres du bureau politique du parti rendent publiques leurs critiques dans une lettre ouverte à Nicolae Ceaușescu[28]. À partir de 1987, le mécontentement se fait jour même dans les rangs du Parti communiste roumain et de la Securitate (affaire Pacepa-Tănase), qui commencent à ne plus faire confiance au Conducător.

Chute du régime

Article détaillé : Révolution roumaine de 1989.
Manifestation contre le régime en décembre 1989.

A la fin de l'année 1989 a lieu la chute du bloc de l'Est. Alors que les régimes les plus proches de l'Union soviétique tombent tous les uns après les autres, la relative indépendance, mais réel isolement de la Roumanie, rend sa situation différente. Le ressentiment envers le couple Ceaușescu et le désir de changement face à la situation désastreuse du pays amène même une partie des cadres du Parti à souhaiter la chute du dictateur. Le 17 décembre 1989, les forces de l'ordre tirent contre des manifestants à Timișoara. Le 21 décembre, un rassemblement de soutien au régime est organisé à Bucarest mais, en pleine retransmission télévisée, la foule, quadrillée comme toujours par les membres de la Securitate, se met d'un coup à huer Ceaușescu qui, visiblement stupéfait, doit interrompre son discours. La capitale est bientôt en proie à l'insurrection : des affrontements ont lieu, mais l'essentiel des forces armées fraternise avec les insurgés. Le 22 décembre, Ion Iliescu, ancien dirigeant communiste marginalisé au sein du parti, décrète la formation d'un gouvernement provisoire au nom du Front de salut national. Iliescu est proclamé chef de l'État par intérim, tandis que Petre Roman prend la tête du gouvernement. Nicolae et Elena Ceaușescu prennent la fuite en hélicoptère et sont capturés quelques heures plus tard. Le bâtiment du comité central est pris d'assaut par la foule. Le Parti communiste roumain est dissout et la fin du système de parti unique est décrétée. Le 25 décembre, les époux Ceaușescu sont fusillés dans une caserne proche de Bucarest après un simili-procès aussi expéditif que les procédures habituellement utilisées contre les victimes du régime (plus de deux millions officiellement reconnues[29]).

En mai 1990, le Front de Salut national remporte les élections législatives et présidentielles, Ion Iliescu devenant Président de la République. Une nouvelle constitution est adoptée le 21 novembre 1991. Une partie des membres de l'ancien parti communiste et du Front de salut national se reconvertissent au sein du Parti de la Démocratie Sociale. Les ex-communistes ont sauvegardé leurs positions, mais le communisme en Roumanie est fini, même si ultérieurement, un nouveau parti communiste a vu le jour, d'abord sous les noms de parti socialiste du travail (novembre 1990) et de parti de l'alliance socialiste (de 2003 à 2010)[30].

Voir aussi

Liens externes

Notes et références

  1. Nom adopté en 1965
  2. Condamnation du communisme en Roumanie
  3. Adrian Neculau, vie quotidienne en Roumanie sous le communisme, L'Harmattan, 2008
  4. Romulus Rusan (dir.), in Du passé faisons table rase ! Histoire et mémoire du communisme en Europe, Robert Laffont, Paris, 2002, p. 376-377
  5. Romulus Rusan (dir.), in Du passé faisons table rase ! Histoire et mémoire du communisme en Europe, Robert Laffont, Paris, 2002, p. 378-380
  6. Romulus Rusan (dir.), in Du passé faisons table rase ! Histoire et mémoire du communisme en Europe, Robert Laffont, Paris, 2002, p. 388
  7. Romulus Rusan (dir.), in Du passé faisons table rase ! Histoire et mémoire du communisme en Europe, Robert Laffont, Paris, 2002, p. 375
  8. Texte intégral (en roumain)
  9. Romulus Rusan (dir.), in Du passé faisons table rase ! Histoire et mémoire du communisme en Europe, Robert Laffont, Paris, 2002, p. 389
  10. Romulus Rusan (dir.), in Du passé faisons table rase ! Histoire et mémoire du communisme en Europe, Robert Laffont, Paris, 2002, p. 394
  11. The Forest of Romania : a Social-economic drama
  12. Romulus Rusan (dir.), in Du passé faisons table rase ! Histoire et mémoire du communisme en Europe, Robert Laffont, Paris, 2002, p. 415-420
  13. Romulus Rusan (dir.), in Du passé faisons table rase ! Histoire et mémoire du communisme en Europe, Robert Laffont, Paris, 2002, p. 409
  14. Romulus Rusan (dir.), in Du passé faisons table rase ! Histoire et mémoire du communisme en Europe, Robert Laffont, Paris, 2002, p. 420-423
  15. George H. Hodos, Show trials: Stalinist purges in Eastern Europe, 1948-1954, Praeger, 1987, p. 103
  16. a et b Michel Mourre (dir.), Dictionnaire d'histoire universelle, article Roumanie, Bordas, édition de 2004
  17. Romulus Rusan (dir.), in Du passé faisons table rase ! Histoire et mémoire du communisme en Europe, Robert Laffont, Paris, 2002, p. 432
  18. Contrystudies - Soviet Union and Eastern Europe
  19. Science & Vie n° 836 de mai 1987 et l'Express n° 2026 du 4 mai 1990
  20. Contrystudies - Gheorghiu-Dej's Defiance of Khrushchev
  21. Victor Frunză: Istoria comunismului în România (Histoire du communisme en Roumanie), éd. EVF, Bucarest, 1999, 588 p., ISBN 973 9120 05 9, p. 393-397
  22. a et b Romulus Rusan (dir.), in Du passé faisons table rase ! Histoire et mémoire du communisme en Europe, Robert Laffont, Paris, 2002, p. 436
  23. Victor Frunză: Istoria comunismului în România (Histoire du communisme en Roumanie), ed. EVF, Bucarest, 1999, 588 pp., ISBN 973 9120 05 9, pp. 442-462, et Population & Sociétés n° 243, fév. 1990, ISSN 0184 77 83
  24. Romulus Rusan (dir.), in Du passé faisons table rase ! Histoire et mémoire du communisme en Europe, Robert Laffont, Paris, 2002, p. 436-437
  25. a et b Anne Planche L'état du monde 1988-1989, La Découverte, 1988
  26. Romania's lost childre : a photo essay, The New York Times, 24 juin 1990
  27. P.C.R.: en roumain Pile, Combinații, Relații
  28. Le système Ceausescu. Utopie totalitaire et nationalisme insulaire, Vingtième siècle, revue d'histoire, années 1990, Volume 25
  29. Plus de deux millions de victimes ont été officiellement reconnues par l' Institut national de recherche historique sur les crimes du régime communiste, créé par la loi n° 1.724 du 21 décembre 2005: voir sur [1]
  30. Le nouveau parti communiste roumain sur: [2]

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Contenu soumis à la licence CC-BY-SA. Source : Article République socialiste de Roumanie de Wikipédia en français (auteurs)

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