Théorie empathisation-systémisation

Théorie empathisation-systémisation

La théorie empathisation-systématisation (ES), développée par Simon Baron-Cohen et collègues, cherche à classer les personnes en fonction de leurs compétences dans deux registres : l'empathie et la systématisation. Ce modèle mesure ces compétences en utilisant les Quotients d'empathie (QE) et de systématisation (QS), et vise à expliquer les difficultés de communication et de sociabilité dans les troubles du spectre autistique par des déficits et des retards dans l'empathie combinés avec une faculté de systématisation intacte ou supérieure à la moyenne[1],[2].

Sommaire

Lien de la théorie avec la triade autistique

La troubles du spectre autistique sont caractérisés par

  1. une interaction sociale et
  2. une communication déstabilisées en conjonction avec
  3. des comportements restreints et répétitifs.

Cette triade tend à évoluer vers une dyade, dans laquelle les troubles de la communication, par essence sociaux, et ceux affectant la socialisation sont vus comme un seul élément, et où les troubles du comportement sont l'autre élément : il est alors question de troubles sociaux et comportementaux ou, d'une manière plus parcimonieuse, de troubles sociaux et non-sociaux.

Cette dyade, selon l'équipe de Baron-Cohen, n'est autre que sa propre dyade empathisation-systémisation. L'empathisation correspond à l'ensemble des compétences nécessaires pour la vie en société, y compris la communication efficace et les relations sociales significatives, tandis que la systémisation correspond à ce non-social, qui n'est pas simplement comportemental, mais correspond à une faculté sur-développée d'analyse des systèmes qui peut éventuellement mener à certaines idiosyncrasies et maladresses, sur le plan du comportement, mais pas systématiquement[3] : « Nous sommes d'accord [...] sur le fait que l'autisme comporte probablement au moins deux dimensions. Ronald & coll. (2005) les appelle sociale et non-sociale et nous les appellons empathisation et systémisation. » [4]

L'hypersystémisation

Chez les personnes atteintes du syndrome d'Asperger, Simon Baron-Cohen et coll. observent une incapacité à ressentir par empathie, dans leur chair (« embodied empathy »), la douleur vécue par autrui[5]. Une critique adressée à la théorie empathisation-systémisation par Rogers et coll[6]. était que dans l'échelle de détresse personnelle (Personal Distress sub-scale), les sujets Aspergers réagissaient plus fortement à la détresse d'autrui. Cependant, Baron-Cohen et coll. ont mis en évidence que ce paramètre précis décroissait habituellement en importance avec le développement, au profit du développement de comportements appropriés pour soulager la souffrance ou la détresse. Ainsi, dans une pouponnière, les pleurs d'un bébé seront épidémiques, mais, avec l'âge, les enfants apprendront généralement à secourir la personne en détresse, plutôt que d'être submergés par l'expérience. On observe fréquemment dans l'ensemble des troubles du spectre autistique l'absence de comportements réconfortants à l'égard de la personne souffrante[5].

Le cerveau hypersystématisant est, en contrepartie, le nec plus ultra pour détecter les lois, les régularités et la « vérité »[7]. Les guillemets entourant le mot vérité (truth) ont pour but de relativiser le type de vérités dont il est question. Il s'agit de certitudes acquises par l'étude approfondie de systèmes, de ce qui est plus aisément descriptible en termes de lois et de régularités.

L'hyperempathisation

Dans The Essential Difference (La différence essentielle), Baron-Cohen formule quelques hypothèses à approfondir ultérieurement. Quelques portraits cliniques qui pourraient être la contrepartie empathisante du syndrome d'Asperger sont proposés. Il exclut tout d'abord le syndrome de Williams, qui, malgré ses nombreuses particularités diamétralement opposées au syndrome d'Asperger (difficultés avec les chiffres et l'orientation dans l'espace, facilité avec le langage, amabilité, nombreux liens sociaux), s'avère peu empathique tout en recherchant la sociabilité. Par contre, deux types de personnalités pourraient mieux représenter les personnes dotées d'un cerveau hyperempathique. D'une part, il évoque le cas possible de personnes qui auraient acquis une croyance en la télépathie, mais indépendamment d'autres opinions dans le domaine de la parapsychologie ou d'un terrain schizotype ou psychotique léger. Ces personnes auraient acquis cette conviction à cause de la justesse de leurs interprétations de l'état d'autrui. D'autre part, et c'est l'hypothèse qui lui semble la plus probable, il y aurait ces personnes, connues des psychothérapeutes et des patients, qui savent sans effort mettre autrui à l'aise -- sans déployer autant d'efforts que les patients atteints du syndrome de Williams.

Portée éthique

Baron-Cohen espère que ses recherches sur le continuum empathisation-systémisation aideront les personnes atteintes à divers degrés de déficits dans la lecture des intentions d'autrui à reconnaître leurs talents, comme Hans Asperger le souhaitait. Il espère que la société deviendra plus tolérante envers ces personnes qui, dit-il, se cachent de peur d'être stigmatisées, voire traitées comme de dangereux psychopathes.

Deuxièmement, et c'est un facteur qui le motiva à retarder la publication de son ouvrage sur la différence essentielle (entre le cerveau masculin et le cerveau féminin), il souligne que l'observation ne valide pas tant les stéréotypes sexuels qu'elle les combat, en tant que modèles rigides à suivre absolument. L'observation met en évidence qu'il existe une portion appréciable de personnes ayant le cerveau « du sexe opposé » (selon les stéréotypes) et des cerveaux mixtes chez les deux sexes. Les hyperempathisantes (de sexe féminin) et les hypersystémisants (de sexe masculin) forment un groupe non-négligeable, quoique minoritaire. S'il est possible de maintenir qu'il existe plus de femmes empathisantes et plus d'hommes systématisants, Baron-Cohen ne prescrit pas de rôles sexuels mais invite à la compréhension des différences et au développement de ce qui est moins développé, tant chez les patients atteints du syndrome d'Asperger que chez ceux et celles qui se reconnaissent une carence de systémisation ou d'empathisation.

Références

  1. Baron-Cohen S, « Autism: the empathizing–systemizing (E-S) theory », dans Ann N Y Acad Sci, vol. 1156, 2009, p. 68–80 [texte intégral [PDF], lien PMID, lien DOI (pages consultées le 2009-06-08)] 
  2. RAPPORT DU CONGRÈS Autism-Europe. Bruxelles, le 20 octobre 2010
  3. Baron-Cohen S, Auyeung B, Ashwin E, Knickmeyer R, « Fetal testosterone and autistic traits: a response to three fascinating commentaries. », dans Br J Psychol, vol. 100, no Pt 1, 2009, p. 39-47 [lien PMID, lien DOI] 
  4. op. cit. « We agree [...] that autism is likely to involve at least two dimensions. Ronald et al. refer to these as social and non-social and we refer to these as empathizing and systemizing. »
  5. a et b Minio-Paluello I, Baron-Cohen S, Avenanti A, Walsh V, Aglioti SM, « Absence of embodied empathy during pain observation in Asperger syndrome. », dans Biol Psychiatry, vol. 65, no 1, 2009, p. 55-62 [texte intégral, lien PMID, lien DOI] 
  6. Rogers K, Dziobek I, Hassenstab J, Wolf OT, Convit A, « Who cares? Revisiting empathy in Asperger syndrome. », dans J Autism Dev Disord, vol. 37, no 4, 2007, p. 709-15 [texte intégral, lien PMID, lien DOI] 
  7. Baron-Cohen S, « Autism, hypersystemizing, and truth », dans Q J Exp Psychol, vol. 61, no 1, 2008, p. 64–75 [texte intégral [PDF], lien PMID, lien DOI (pages consultées le 2009-06-09)] 

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Contenu soumis à la licence CC-BY-SA. Source : Article Théorie empathisation-systémisation de Wikipédia en français (auteurs)

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