Lorraine allemande

Lorraine allemande

Le terme Lorraine allemande était traditionnellement utilisé jusqu'à la fin du XIXe siècle pour désigner la partie germanophone de la Lorraine ; après l'annexion de l'Alsace et du département actuel de la Moselle par l’Empire allemand en 1871, il a aussi pu être utilisé pour désigner la partie annexée, indépendamment des critères linguistiques et culturels.

Sommaire

Définition

Issue du Westrich, cette entité culturelle et linguistique n’a jamais connu d'unité politique ou administrative. Avant leur rattachement progressif à la France du XVIIe au XVIIIe siècle, les divers territoires de la Lorraine allemande relevaient du Saint-Empire romain germanique mais le morcellement féodal avait conduit à la coexistence de fiefs relevant selon les cas du duché de Lorraine (formant le bailliage d'Allemagne), du temporel de l’évêché de Metz, ou encore de diverses petites principautés ecclésiastiques ou laïques qui bénéficièrent jusqu’à la Révolution française de l’immédiateté impériale.

À l’origine, l’appellation de Lorraine allemande (en allemand Deutsch-Lothringen ou Deutschlothringen) n’a donc rien à voir avec la partie de la Lorraine annexée par l’Empire allemand en 1871 (une zone composée de l’ancien département de la Moselle, moins l’arrondissement de Briey, et des arrondissements de Sarrebourg (Saarburg) et Château-Salins de l’ancien département de la Meurthe. Cette zone annexée a donné naissance en 1918 au département de la Moselle dans sa forme actuelle).

La Lorraine allemande correspond alors à une appellation locale utilisée tant par les Lorrains germanophones eux-mêmes pour désigner leur province que par l’administration ducale, royale, révolutionnaire puis impériale pour désigner la partie de la Lorraine de langue allemande.

Linguistique

Alsace-Lorraine Dialectes-Fr

En Moselle, la frontière linguistique romano-germanique (frontière linguistique mosellane) suit une ligne allant du Donon au sud-est à Volmerange-les-Mines (Wolmeringen) au nord-ouest. La partie situe à l’est de cette frontière, qui constitue aujourd’hui une partie du département de la Moselle, était désignée durant des siècles sous le nom de Lorraine allemande et ses habitants sous le nom de «Lorrains allemands», «Allemands de Lorraine» voire «Allemands/Ollemands» (tout comme les Alsaciens).

Nancy, la capitale historique du duché de Lorraine, et Metz, la capitale actuelle de la région administrative Lorraine, se situent toutes deux dans la partie francophone (même si Metz a comporté au cours de son histoire une importante communauté germanophone du fait de l’installation de personnes venues des campagnes germanophones où la natalité était plus forte puis de l’immigration allemande durant l’annexion de 1871-1918). La toponymie témoigne de cette frontière linguistique: on trouve ainsi de part et d’autre de l’ancienne frontière linguistique Audun-le-Tiche (Deutsch-Oth) et Audun-le-Roman (Welsch-Oth). De même la rivière Nied est composée de la Nied allemande (deutsche Nied) et de la Nied française (französische Nied) qui suivent presque exactement la frontière linguistique et non pas la frontière politique.

Historique du terme

Pendant des siècles, les habitants de la Lorraine allemande se désignaient eux-mêmes comme «Deutschlothringer» (Lorrains allemands) et leur langue comme «Deutsch» y compris à une époque où il n’existait pas encore de langue allemande normée commune à l’ensemble de l’espace germanophone. En allemand, le terme «Deutsch» ne renvoie pas à une notion politique ou géographique (citoyens ou habitant de l’Allemagne) mais à une communauté linguistique rassemblant l’ensemble des populations de langue allemande, quelle que soit leur nationalité. Ce terme ne recouvre pas uniquement la langue allemande normée (l’allemand standard, langue officielle dans plusieurs d’États européens) mais l’ensemble composé par la langue normée, les différentes formes d’allemand régional (regionale Umgangssprache) et l’ensemble des dialectes et sociolectes de l’espace germanophone. Les habitants de la Lorraine francophone étaient désignés par leurs voisins germanophones sous le terme de «Welschlothringer», l’adjectif Welsch désignant plus généralement toutes les populations de langue romane. Par la suite, ce terme sera souvent remplacé par «Frànzose» (Français) pour désigner un Lorrain francophone ou un Français «de l’intérieur» (l’intérieur désignant la France moins l’Alsace-Moselle) sans que cela ne remette en cause le sentiment d'appartenance à la nation française.

L’appellation de Lorraine allemande a trouvé sa consécration dans la terminologie officielle. Le Duché de Lorraine fut découpé au XIIIe siècle en trois bailliages (districts administratifs et judiciaires): le bailliage de Nancy, le bailliage des Vosges et le bailliage d'Allemagne, dont la capitale fut d’abord Vaudrevange (Wallerfangen) avant d’être transférée à Sarrelouis (Saarlouis) en 1680 puis à Sarreguemines (Saargemünd) en 1698 (Vaudrevange et Sarrelouis se trouvent aujourd’hui dans le Land allemand de la Sarre)[1]. En 1630, le duc François II manifestait la volonté que «la langue allemande soit entretenue, voire cultivée, dans notre comté [Saarwerden], en faveur de nos sujets allemands qui sont environ un tiers des habitants de la Lorraine»[2]. En 1790, à l’époque de la révolution française, des députés de Sarreguemines réclamèrent la création d’un département spécifique de «Lorraine allemande», demande qui fut rejetée par l'Assemblée constituante à Paris. La Lorraine allemande fut finalement partagée en 2 départements partiellement francophones: la Moselle et la Meurthe. En 1793, une partie de la Lorraine allemande, le comté de Saarwerden (aujourd’hui Sarre-Union), majoritairement protestant luthérien, fut rattachée au département du Bas-Rhin.

L’appellation "Lorraine allemande" continua de prévaloir jusqu’à l’annexion de 1871. En 1823, Johan Jacob Weber, originaire de Boulay (Bolchen) et curé (archiprêtre) de Volmunster (Wolmünster) dans le Pays de Bitche, publia un ouvrage intitulé «Etwas Gegengift wider den Zeitgeist für den gemeinen Mann in Deutsch-Lothringen» (Un peu d'antidote contre l’esprit du temps pour l’homme ordinaire en Lorraine allemande»). En 1869 (un an avant la première annexion par la Prusse), une pétition intitulée « Pétition en faveur de l'enseignement simultané du français et de l'allemand dans les écoles primaires de la Lorraine allemande (Moselle) - Les habitants de la Lorraine allemande (Moselle) à Sa Majesté l'Empereur» fut adressé à Napoléon III après la décision du conseil départemental de l’éducation de la Moselle de supprimer l’enseignement de l’allemand. Cette pétition est très claire quant à la perception de leur langue par les Mosellans germanophones de l’époque. La pétition de 1869 commence par la phrase suivante: « Nous prenons la respectueuse liberté de porter devant Votre Majesté nos humbles doléances au sujet du système de proscription, adopté dans nos écoles primaires, contre l'enseignement de l'allemand, notre langue maternelle». Les signataires refusent pour l’allemand la qualification de langue étrangère et incluent dans cette désignation à la fois la langue littéraire et le dialecte («N'est-ce pas aussi nous faire une insulte sanglante que d'assimiler à une langue étrangère au milieu de nous, notre vieille langue maternelle, la langue parlée par nos ancêtres, sans interruption et à l'exclusion de tout autre, depuis plus de 2000 ans»[3].

Il est d’usage dans les dialectes mosellans de désigner les Allemands en général, et les voisins sarrois en particulier, comme «d’Prèisse» (les Prussiens. La Sarre étant devenue territoire prussien après 1815) et non pas comme «d’Dèitsche/Ditsche» puisque dans la conception qui prévalait jusqu’à l’annexion de 1871, un Lorrain germanophone était à la fois Français (citoyen français) et Deutsch (de langue et culture allemandes). Ce n’est que plus tard que le terme «Dèitsch/Ditsch» s’est généralisé pour désigner ce qui se rapporte à l’Allemagne stricto sensu. Aujourd’hui encore, nombre de Lorrains germanophones désignent leur langue comme «Dèitsch/Ditsch» même lorsqu'ils se réfèrent au seul dialecte et précisent «Hochdèitsch/Hochdistch» s’ils veulent se référer à la langue allemande littéraire normée.

Controverses sur la dénomination des dialectes germaniques lorrains et l'utilisation des mots « allemand » et « francique » dans ce contexte

Ce sont les événements politiques de la fin du XIXe et XXe siècles qui ont altéré le sens du mot «allemand». La désignation de Lorraine allemande et l’attachement des Lorrains à leur langue maternelle allemande est attestée jusqu’au XXe sièclepar de nombreux documents historiques et témoignages alors que jusqu’au XXe siècle aucun document ne vient documenter l’appellation de Lorraine francique revendiquée par Daniel Laumesfeld dans une thèse de doctorat soutenue à la fin des années 70. Cette dernière appellation est donc extrêmement récente et utilisée pour des raisons idéologiques (rejet de l’appartenance des dialectes mosellans à la langue allemande) mais ne saurait être considérée comme reflétant la perception de leur langue par l'ensemble des Lorrains germanophones. Les ouvrages du journaliste Jacques Gandeboeuf qui rassemblent des témoignages de Mosellans ayant vécu l’annexion de 1940-45 comportent de nombreux passages dans lesquels les témoins désignent leur langue maternelle comme dialecte allemand, patois allemand ou tout simplement allemand. Un témoin racontant ses souvenirs d’enfant indique à propos des soldats allemands «Moi je ne les percevais pas comme nos ennemis puisqu’ils parlaient notre langue» et un autre témoin raconte «J’étais reçu major de promotion en allemand. Je voulais leur montrer que j’étais aussi capable qu’eux. C’était notre langue!»[4].

De même, Parmi les frontaliers lorrains germanophones interrogés dans le cadre de deux études de terrain, aucun n’a désigné sa langue comme francique ou Fränkisch, les désignations employées étant allemand, platt, platt lorrain, dialecte ou, dans le nord, luxembourgeois[5]. Dans son ouvrage « Moselle plurielle. Identité complexe et complexes identitaires » paru en 2010, Albert Weyland mentionne «la langue allemande dans sa version francique»[6].

Pour beaucoup, le lien séculaire entre dialecte et allemand littéraire au sein d’une même langue régionale, l’allemand au sens large du terme, demeure une réalité.

Références

  1. TOUSSAINT Maurice, La frontière linguistique en Lorraine, Paris 1955, Editions A. et J. Picard, p. 15.
  2. TOUSSAINT Maurice, précité, p. 15. Une copie manuscrite de cet acte se trouve au archives nationales, K 1195, n° 48.
  3. Un exemplaire de cette pétition est déposé au Archives départementales de la Moselle.
  4. GANDEBOEUF Jacques, Le silence rompu, Editions Serpenoises Metz, p.66, 101, 159, La parole retrouvée, Editions Serpenoises Metz, p. 81, 120, 158, 163, 413, 415.
  5. SCHORR Andreas, 1998, «Grenzgänger zwischen den Sprachen», dans Schneider R. (éd.), Grenzgänger, Veröffentlichung der Kommission für Saarländische Landesgeschichte und Volksforschung, Saarbrücken, pp. 181-196., HUGHES Stephanie, 2003, «Bilingualism in North-East France with specific reference to Rhenish Franconian spoken by Moselle Cross-border workers», actes du colloque The Consequences of Mobility - Linguistic and Sociocultural Contact Zones, University of Roskilde, Denmark, 23 mai 2003.
  6. WEYLAND Albert,Moselle plurielle - Identité complexe et complexes identitaires, Serpenoise (editions) Metz, 2010, p. 147

Wikimedia Foundation. 2010.

Contenu soumis à la licence CC-BY-SA. Source : Article Lorraine allemande de Wikipédia en français (auteurs)

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