Argot scolaire français contemporain

Argot scolaire français contemporain

L'argot scolaire date essentiellement des années 1880, où se met en place, en France, l'organisation des classes préparatoires aux grandes écoles. Il est souvent au moins partiellement calqué sur celui de la Grande école visée par chaque catégorie de classe préparatoire : celui de khâgne montre des emprunts à celui de Normale sup, celui de corniche à Cyr, etc.

Sommaire

Classes préparatoires littéraires

Les classes préparatoires littéraires sont appelées hypokhâgne (1re année, officiellement lettres supérieures), abrégé en HK, et khâgne (2e année, officiellement première supérieure), abrégé en KH. (ὑπό étant le préfixe grec signifiant « en dessous »). Le rassemblement de l’hypokhâgne et de la khâgne lors de certaines occasions est désigné par l'abréviation HKH.

Dans la seconde moitié du XIXe siècle, le mot de khâgneux était utilisé pour moquer les universitaires, répétiteurs, normaliens férus d'études classiques, toujours plongés dans leurs livres. Cela provient du fait qu'au service militaire ancien, les appelés qui avaient les genoux cagneux étaient réformés, et destinés à la bureaucratie, d'où par extension aux lettres.

Par exemple, le 21 février 1866, Goncourt note : Je remarque que les fougueux célébrateurs du nu, des vieilles civilisations athlétiques et gymnastiques, sont en général de cagneux universitaires, au pauvre et étroit torse, enfermé dans un gilet de flanelle.
En 1869, dans Le testament d'un blagueur, Vallès écrit : Il y en a en tuniques à collets verts, ce sont les normaliens ; ils ont sur le crâne et au flanc un claque et une épée ! Une épée ! non, c'est sans doute dans ce fourreau de cuir qu'on place une plume d'oie à la barbe triste et au bec sale, la plume des cuistres ! Pourquoi une épée ? En voici un dans cet uniforme qui est cagneux, boiteux et tire la patte. Donnez-lui donc des béquilles plutôt !

Quand, en 1880, les premières classes de rhéthorique supérieure sont créées, les taupins, qui, pour préparer les écoles militaires, font de l'équitation et de l'escrime, utilisent cette moquerie à l'encontre des élèves de rhétosup, lesquels sont plongés dans des études classiques, préparent l'École normale et sont de futurs universitaires. De là, les cagneux, puis la cagne. Les élèves de rhétorique supérieure se mettent alors eux-mêmes à employer cette dénomination, mais vers les années 1910, élaborent l'orthographe fantaisiste khâgneux et khâgne, afin de la faire apparaître plus savante et d'occulter sa réelle signification.

Un khâgneux est un carré la première année, un cube s'il demande à redoubler et un bica (pour bicarré) s'il triple sa classe. Il y avait même autrefois des penta, quadruplant leur classe. Ces dénominations ne sont d'ailleurs pas propres aux khâgneux, puisqu'au XIXe siècle elles sont utilisées pour les élèves de l'École normale supérieure ou de l'École centrale ; les taupins, jusque vers 1935, utilisent aussi ce vocabulaire.

L'archicube désigne l'ancien élève de l'École normale supérieure et l'annuaire des anciens élèves est nommé l'archicubier.

Par abus, le khâgneux qui intègre l'École normale supérieure au bout de son année de cube, peut être appelé archicube. L’archifâkh est celui qui rejoint l'université, les membres de celle-ci étant des fâkhins (jeu de mot sur « faquin »).

Les élèves des classes préparatoires à l'École des chartes s'appellent, avec moins de créativité, des chartes, les première année étant des bizuts ou des hypochartes (ou de "vils hypos"). Confondre un khâgneux avec un chartiste est une offense mortelle ! La cérémonie d'introduction dans la classe de Chartes s'appelle le sacre. Le bonnet ou le khâlot porté par les élèves s'appelle une faluche, du nom de l'ancien bonnet universitaire. Sa couleur dépend de la filière suivie par son porteur. Un élève qui passe d'hypokhâgne en hypochartes ou d'hypochartes en hypokhâgne est un triangle. D'autres fêtes tels la Saint-Grégoire ou le bal des Chartes constituent des temps forts du "regnum chartorum" (royaume des Chartes).

L'orthographe pseudo-grecque est la plus courante pour les mots khâgne et khâgneux. Par fantaisie, on peut l'étendre à khârré, khûbe, bikhâ pour carré, cube, bica et aux verbes khârrer, khûber, bikhârer. Cependant, on peut remarquer que la raison qui a fait remplacer cagneux par khâgneux (occulter le sens premier) est moins valable pour carré, cube etc, et que l'orthographe d'origine est plus adéquate.

Classes préparatoires scientifiques

  • Les classes préparatoires scientifiques à dominante mathématique sont appelées taupe et leurs élèves taupins. Les mots hypotaupe et hypotaupin (pour désigner maths sup par opposition à maths spé) sont tombés en désuétude. On désigne plutôt les élèves selon leur année d'étude par les expressions trois-demis, cinq-demis et sept-demis. Par analogie avec la formation de hypotaupe, et en jeu de mots avec Hypocras, on trouve les termes hypokrâss et hyperkrâss pour les biologistes de première et seconde année respectivement[réf. nécessaire].
Avant 1935, les seules appellations étaient respectivement bizut, carré, cube, bicarré, ce qui a été conservé dans les classes littéraires. Les bizuts doivent le respect aux puissances (carrés, cubes, bicarrés). Au début des années 1930, professeurs et examinateurs ont observé un accroissement de la différence de niveau entre la classe de première année (qui était la classe de mathématiques spéciales préparatoires dite hypotaupe) et la classe de seconde année (la vraie classe de mathématiques spéciales dite taupe). Peu à peu, une distinction s'est opérée entre élèves de première année (hypotaupins ou hypos) et de seconde année (taupins).
Le moment décisif a été l'année 1936 quand l'École polytechnique décida de modifier le calcul de la puissance moyenne des candidats admis. Elle affecta la valeur 1/2 aux élèves de mathématiques spéciales préparatoires, 3/2 aux carrés et ainsi de suite : en quelque sorte, une dévaluation de l'hypotaupe ! À partir de cette date, les élèves de mathématiques spéciales préparatoires, puis de mathématiques supérieures à partir des années 1940, furent appelés demis (au sens demi-taupins). Comme ce sont des puissances 1/2, on les appelle racines dans certains lycées. Dans cette logique, les 3/2 sont les élèves qui ont fait une hypotaupe puis une taupe, tandis que les 5/2 sont ceux qui ont fait une hypotaupe puis deux taupes. Sur leur calot, les élèves indiquaient leur puissance : une barrette argentée pour une hypotaupe, et une barrette dorée par année de taupe. La terminologie bizut, carré, cube est tombée en désuétude dans la plupart des classes préparatoires scientifiques, remplacée par les "1/2,3/2,5/2". Elle est cependant encore utilisée dans certains lycées où le folklore est demeuré très vivace (par exemple au Lycée Faidherbe de Lille).

Cas particulier des corniches

Les classes préparatoires aux grandes écoles des lycées militaires (d'Aix en Provence, de Saint Cyr l'Ecole, d'Autun) ou du Prytanée national militaire ont conservé ces appellation en les modifiant. Ainsi, au Lycée Militaire de Saint Cyr, l'élève de première année (en lettre, math ou éco sup) est appelé "bizuth" le temps du bahutage, puis "melon". Les anciens sont appelés carré ou cube (ou khûbe) selon leur situation.

Un "melon" qui a redoublé sa première année est appelé "bimelon". Si, à l'issue de sa "deuxième" première année il est admis à passer à la classe supérieure, il est appelé "carrube". De ce fait, il se situe entre les carrés et les cubes, dans l'échelle de la hiérarchie...

Au Lycée Militaire d'Aix en Provence, les élèves ont adopté le modèle scientifique ainsi, après la période de bahutage ils sont appelés "Cadet" 1/2 en première année, "Cadet" 3/2 en deuxième année et Cadet carré (ou khârré)pour les redoublants.

Il pouvait y avoir des cas particuliers : jusque dans les années 1950, un élève qui entrait directement en taupe et redoublait recevait l'ancienne appellation de carré ; un élève qui redoublait son hypotaupe était un deux-demis ; quand il entrait ensuite en taupe, il devenait quatre-demis.

C'est dans les années 1960 qu'un élève découvre une façon révolutionnaire de calculer certaines intégrales. Sachant que le surnom de l'École polytechnique est l'X, que vaut \int_1^2 x\, dx ? Évidemment 3/2 puisque pour intégrer l'X entre 1 et 2 (entre la première et la deuxième année de taupe), il faut être 3/2 ! On obtient de même la valeur 5/2 pour l'intégrale de l'X entre 2 et 3. Cela a donné lieu à une charmante démonstration en vers.
L'intégrale d'X
De 1 à 2
Pour tous les X
Vaut 3/2,
Car intègrent l'X
Entre une et deux
Années de X
Les trois-demis.

Dans certains lycées, les hypotaupes sont désignées par hypo-X (ex: HX 3) et les taupes par X (ex: XM'1) par allusion à l'École polytechnique.

Dans la pièce en vers qui suit, la lettre X a successivement quatre sens : symbole mathématique (intégrale d'X), polytechnicien (pour tous les X), École polytechnique (intègrent l'X), taupe (années de X).

Mais pourquoi les polytechniciens sont-ils appelés X depuis le milieu du XIXe siècle ? La réponse se trouve dans le livre sur l'argot de l'X écrit par Lévy et Pinet en 1894.

'X' : Caractère emprunté à l'algèbre, qui désigne à la fois le polytechnicien et l'École polytechnique elle-même. Un X est pour tous les taupins un être en quelque sorte supérieur, pour lequel ils professent le respect et l'admiration. L'étude presque exclusive des mathématiques, son état d'abstraction dans les x et les y, lui ont valu depuis longtemps d'être désigné par ce symbole. Un jour, Charlet, pendant une séance du conseil ; s'amusa à représenter un polytechnicien frappé d'apoplexie. Le médecin accourt, lui ouvre la veine : il n'en sort pas une goutte de sang... seulement des x et des y.
L'X désigne aussi l'École. La renommée et la popularité de l'institution sont encore si grandes que dans les collèges et les pensionnats, presque tous les bambins de la classe de huitième déclarent qu'ils se destinent à l'X.

L'explication parfois avancée selon laquelle le surnom X provient des canons croisés sur le blason de l'école n'est pas attestée. Ce canular semble né dans la seconde moitié du XXe siècle, cent ans après l'apparition du X pour désigner les polytechniciens.

  • D'autre part, les acronymes des dénominations des différentes classes de sup (1ère année) (MPSI: Mathématiques Physique Sciences de l'Ingénieur, PCSI: Physique Chimie Sciences de l'Ingénieur et PTSI: Physique Technologie Science de l’Ingénieur) et surtout de spé (2ème année) (MP: maths Physique, PC: physique chimie, PSI: Physique Sciences de l'Ingénieur et PT: Physique Technologie) peuvent être détournés de manière imaginative, éventuellement agressive en raison des éventuels conflits (en général amicaux et distrayants) entre les différentes sections.

Les classes préparatoires aux écoles d'agronomie et aux écoles vétérinaires sont appelées agro-véto depuis leur fusion en 2003.

Classes préparatoires économiques et commerciales

Les classes préparatoires économiques et commerciales sont appelées surtout les épices et leurs élèves tout naturellement des épiciers.

À l'époque où les CPGE commerciales duraient un an, on nommait bizuth un nouvel élève, carré un élève redoublant son année de prépa, et cube un élève qui la triplait. Depuis 1995, et le passage « officiel » de la prépa à 2 ans (l'écrasante majorité des élèves redoublait), on nomme bizuth un élève de première année, carré un élève de deuxième année, et cube un redoublant de deuxième année. Il arrive très rarement que la 2e année soit triplée, auquel cas l'élève est appelé bicarré.

Classes préparatoires militaires

Les classes préparatoires à l'École spéciale militaire de Saint-Cyr sont appelées corniches et leurs élèves des cornichons. Elles ont un vocabulaire propre dépendant du lycée auxquels elles appartiennent. Les termes kharrés et khûbes sont cependant également utilisés. On retrouve aussi des termes d'origine militaire.

Voici quelques termes :

  • Chica : vive (ex: chica Kheunheu).
  • Sopo : à bas.
  • Pschhhhhhhhhht : acclamation positive d'une personne, d'un événement....
  • Xsssss ou Bzzzz : acclamation négative d'une personne, d'un événement....
  • Strass : gradé militaire
  • APLS : A Poil La Strass (terme affectif envers les gradés...)

Jargon propre à la Corniche du Prytanée National Militaire de La Flèche (Sarthe) :

  • TAP'S : Elève des classes préparatoires au concours littéraire de l'Ecole Spéciale Militaire de La Flèche
  • Kro : Elève des classes préparatoires au concours scientifique de l'Ecole Spéciale Militaire de La Flèche
  • ÑAss (prononcer GNASSE) : Désigne tout individu, ancien élève ou actuel élève du Prytanée
  • Pôgne
  • Khûbe : Eleve admis au rang d'excellence de la Khûbabie, se reconnaît à ses bretelles Khûbâles, à sa mêche et à son calot porté fort élégament en arrière.
  • Carré : Elève préparant l'admission à la Khûbabie

Vocabulaire commun

Les élèves des classes préparatoires peuvent être internes. Leur chambre est appelée thurne ou piaule et leurs camarades de chambre cothurnes ou copiaules.

Les nombreuses interrogations orales qu'ils subissent pour se préparer aux différents concours sont appelées colles, également orthographiées khôles ou khôlles. L'examinateur est naturellement appelé colleur, khôleur ou khôlleur. Le terme s'est élargi et est employé dans toute préparation à un concours, on parle par exemple des colles du CAPES ou de l'agrégation. La déformation de l'orthographe du mot est analogue à celle ayant donné Hypokhâgne, on peut supposer que la déformation est d'abord apparue dans des prépas Littéraires. Il est a noter que "khôle" peut également rappeler le "khôl", qui avant d'être un maquillage sous-entend en arabe une notion d'extrait (dans "alcool" par exemple), voire de rareté. Or (et quoi qu'en pensent les "sups"), les colles ne sont pas si rares, en particulier en seconde année...

Le terme bizuth peut également être employé pour désigner l'élève de première année, le « nouveau ». Le bizuthage a toutefois été fortement critiqué ces dernières années suite à une vague de reportages télévisés. Il est aujourd'hui officiellement prohibé mais les rites d'intégration persistent, dont la présence d'un parrain/une marraine d'intégration, élève de seconde année censé aider son filleul/fillot/sa filleule.

Le carré est le doublant, le cube le redoublant et le bicarré est le triplant.

Aujourd'hui

Dans la plupart des écoles se forme un langage propre, y compris dans celle qui se sont ouvertes plus récemment que celles précitées, et qui n'ont donc à priori pas de folklore. Ce langage se forme généralement sur la base des abréviations, acronymes, ou autres termes spécifiques utilisés au sein de l'école (désignation des promotions, des domaines d'études, des années, des salles, du personnel...). Ces termes, qui sont souvent à l'origine, d'origine administrative, sont détournés par les élèves à l'usage. En général, ils proviennent d'un jeu de mot ou d'une contraction abusive (d'un acronyme plus long par ex.)

Voir aussi

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