't Mariacransken

't Mariacransken

’t Mariacranske(n)[1] est une chambre de rhétorique, constituée à Bruxelles en 1507.

Sommaire

Historique

1507-1585 : Fondation et époque de la réforme protestante

Blason de De Wijngaard’t Mariacranske. Inscriptions : « Maria Crans, Tot Brussel, 1353 (date légendaire de la constitution de la chambre de rhétorique ‘t Mariacranske) – 1657 (date de la fondation de la compagnie d’amateurs de théâtre De Wijngaard) » et la devise « In liefde groijt Minnelijck accort »[2].

Jan Smeken, Jan van den Dale, Jan Pertcheval

Le 15 septembre 1507 les chambres de rhétorique De Lelie (Le Lys) et De Violette (La Pensée) fusionnent pour former une nouvelle société littéraire : ‘t Mariacransken (la guirlande de Marie). Jan Smeken, le poète urbain de Bruxelles, devient son premier facteur[3].

Comme De Lelie (Le Lys), la chambre avait des liens étroits avec la Confrérie de Notre-Dame des Sept Douleurs. Elle prône la réconciliation et la collaboration sous la devise Minnelijk akkoord[2]. Tout comme deux autres chambres de rhétorique, Den Boeck (Le Livre) et De Corenbloem (Le Bleuet), elle influence profondément la vie socioculturelle de la ville. Ainsi, les chambres participent à des cortèges et à des processions, dont l'Ommegang annuel, mais elles prennent surtout part à des concours littéraires avec des pièces de théâtre ou des poésies de leur propre imagination. Ces manifestations donnent souvent lieu à de grandes festivités.

En 1511, également l’année dans laquelle a lieu un spectacle d’hommes de neige et de glace sur lequel Jan Smeken rédige un poème de circonstance, la chambre est placée sous la protection spéciale de Maximilien d'Autriche et de son petit-fils, le futur empereur Charles Quint, pour cause de sa dévotion des Sept Douleurs. La chapelle de cette chambre à l’église Saint-Géry, auparavant occupée par la chambre De Lelie, fut élevée au rang de « chambre princière » et pouvait, dorénavant, s'orner d’armoiries et insignes des princes. Les rhétoriciens de ‘t Mariacranske deviennent alors des serviteurs des princes ayant le même statut que les officiers nommés par les membres de la maison de Habsbourg.

Lorsque meurt Jan Smeken, le 15 avril 1517, il est succédé par Jan van den Dale en tant que facteur de la chambre et poète urbain. Après la mort de celui-ci en 1522 et celle de Jan Pertcheval, l’année suivante, pour ce qui concerne les activités, ‘t Mariacranske sera dépassée par les autres sociétés littéraires bruxelloises, Den Boeck et De Corenbloem.

L’influence de la réforme protestante

Tableau vivant sur le canal de Willebroek, monté par 't Mariacranske, à l’occasion de l’entrée solennelle de Guillaume d'Orange à Bruxelles en 1577 ; gravure en bois de la description sommaire de cet événement par Jean Baptiste Houwaert, publiée en 1579.

La chambre participa au concours du Landjuweel à Diest en 1521 où elle remporta la victoire. Elle fut l'organisatrice du Landjuweel de 1532 et participa également au Landjuweel à Malines en 1535. Aussi l’Ommegang de 1549 mérite d’être mentionnée en raison de la présence de Charles Quint et de Guillaume d'Orange.

L’engagement religieux des chambres sera marqué de plus en plus par des traits réformateurs à cette époque. Pour ce qui est des activités de ‘t Mariacranske, la preuve en est qu’en automne 1559 elles deviennent l’objet d’une enquête judiciaire. Le 29 septembre 1559, le jour de Saint Michel[4], Het Mariacransken joue devant le Magistrat de Bruxelles un « tafelspel »[5] intitulé « Spel van twee sotten »[6], dans lequel on se moque de la sainte hostie, selon plusieurs prêtres. L’enquête mène vers Franchoys van Ballaer, le facteur de la Corenbloem et en tant que poète urbain également facteur du Mariacranske. Il renvoie les enquêteurs aux acteurs ; un cordonnier et un tapissier. Le cordonnier déclare avoir échangé quelques refrains avec un inconnu dans une auberge à Bruxelles pour le texte de la pièce. Il affirme encore avoir transmis ce texte au facteur Van Ballaer avant de le faire copier par un enfant de chœur de l’église Sainte-Gudule. Il y ajoute qu’un autre rhétoricien bruxellois, le vieux Pauwels Thielmans, avait joué la même pièce il y a plusieurs années et que celui-ci la connaissait encore par cœur. Lorsque les enquêteurs interrogent Thielmans, alors âgé de 62 ans, celui-ci confirme avoir joué la pièce il y a 40 ans. À la consternation des enquêteurs, il était encore capable de réciter le rôle entier du fou semblant[7]du début jusqu’à la fin[8]. Thielmans prétendait que le défunt prêtre de la paroisse de Sainte-Gudule avait assisté plusieurs fois à la représentation de la pièce et qu’il pouvait en rire, ce qui fut apparemment déterminant pour les enquêteurs qui procédaient au classement sans suite de l’affaire, comme ils le firent d’ailleurs dans le cas des plaintes pareilles portées contre De Corenbloem et Den Boeck[9].

La censure en vigueur depuis 1540 fut donc renforcée sous Philippe II d'Espagne. Il devenait de plus en plus difficile pour les rhétoriciens d’écrire sur des thèmes religieux et politiques. L’innocence du sujet abordé par le Landjuweel d’Anvers en 1561 en est le témoin : la question à laquelle les chambres participantes étaient demandées de formuler une réponse était « qu’est-ce qui éveille l’homme le plus aux arts  ? »[10], un thème qui ne put en rien mécontenter la gouvernante Marguerite de Parme. Pourtant, grâce aux subsides magnanimes de l’administration bruxelloise, ‘t Mariacranske put se distinguer à ce concours, recevant même l’éloge de l’ambassadeur de l’Angleterre, Richard Clough[11].

La chambre participa également, toujours en 1561, aux festivités à l’occasion de l’ouverture du canal de Willebroek, au concours organisé par De Corenbloem à Bruxelles en 1562 et au concours de refrains[12] émis en 1574 par les maîtres d'église de St. Jacques à Anvers.

En 1577, les trois chambres de rhétorique accueillent le prince d’Orange à Bruxelles. Sur le canal de Willebroek, les trois chambres montèrent des tableaux vivants flottants ; celui de ‘t Mariacranske représentait la victoire de David sur Goliath. Lorsque le prince est introduit à l’Hôtel de Ville de Bruxelles, les membres du Mariacranske jouent a nouveau pour lui et sous la direction de l’auteur renaissanciste Jean Baptiste Houwaert, un noble bruxellois qui avait préparé les festivités pour l’entrée solennelle. Le jeu se terminait par la remise officielle d’une bible au prince.

1585-1648 : Contre-réforme et derniers moments de gloire

Après la reconquête par les troupes espagnoles de Farnèse de la ville de Bruxelles, qui ne fut qu’éphémèrement calviniste, les chambres de rhétorique observent une certaine réserve en privilégiant les poésies et le théâtre non engagés, tandis que de nouvelles sociétés voient le jour, comme De Wijngaard (La Vigne) en 1657.

Après la restauration en 1585 et lors de la contre-réforme qui suit, ce sera surtout durant la Trêve de douze ans, que l’on organisera des concours d’une certaine envergure. Ainsi la chambre participa au concours de blasons de Malines en 1620. Chaque chambre y présente un rébus peint qui, après déchiffrement, forme un poème de quatre lignes.

En 1648, l’année de la Paix de Munster, ‘t Mariacransken organise un concours littéraire où on pose aux participants la question rhétorique par excellence : « Qu’est-ce qui est mieux : la paix ou la guerre »[13]. De toutes les réponses, ce n’est que celle du poète Willem van der Borcht qui a été conservée, en annexe à sa tragédie Rosimunde. La même année de paix parut la tragédie Den lydenden ende stervenden Christus de Jean Jacques de Condé, membre du Mariacransken, et juriste de formation. Sa pièce sur la passion du Christ commence par la présentation du despotisme au sein du Sanhédrin, le conseil juif. Cette pièce devenue populaire, elle sera réimprimée à plusieurs reprises. Elle fut encore jouée à Tongres en 1750 par une chambre de rhétorique locale. Une adaptation en français a été représentée pour la première fois le 8 avril 1727 en présence de l’archiduchesse Marie-Élisabeth, gouvernante des Pays-Bas autrichiens. La représentation eut lieu au Grand Théâtre de Bruxelles, connu de nos jours comme La Monnaie.

1648-1821 : Mort lente

Durant la seconde moitié du XVIIe siècle et au cours du XVIIIe siècle, la chambre ne semble plus développer d’activités d’importance. Les rhétoriciens n’apparaissent dans les documents d’archives que lorsqu’ils demandent à l’administration bruxelloise d’être exempts, moyennant une indemnité modeste, du service civil que tout Bruxellois était censé rendre. Il s’agissait d’un ancien privilège des chambres de rhétorique et également la cause de la fixation d’un quorum de 60 membres.

Il semble que, vers la fin du XVIIIe siècle, la chambre fût moribonde : les dernières annotations dans le Liber authenticus, le registre des membres de la confrérie qui fut jusque là toujours liée à la chambre, datent de l’an 1785. Sous Napoléon, toute activité des chambres de rhétorique néerlandophones était proscrite.

1821- ? : Reprise des activités

De Wijngaard, ancienne compagnie d’amateurs, se considérant comme l'héritière et la continuatrice de 't Mariacranske, renouera à la tradition en 1821. Cette compagnie de théâtre existait déjà en 1657. Un de ses premiers membres était Claude de Grieck, qui fit fureur à cette époque avec des comédies en tragédies en néerlandais à l’instar du théâtre espagnol. De Wijngaard connut une deuxième floraison dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, sous la direction du dramaturge aussi fécond que populaire Jan Frans Cammaert. De Wijngaard souffrait, comme les chambres de rhétorique, sous l’oppression pendant l’occupation française. Cette compagnie fonde une section littéraire le 29 novembre 1821, alors que la liberté est retrouvée après la chute de Napoléon et la création du Royaume des Pays-Bas. L’un des membres écrit à cette occasion une louange sur De Wijngaard, en faisant allusion au Mariacranske : la voix de Fama, personnification de la renommée, aurait rendu possible que partout on chantât les louanges de De Wijngaard. Dans une annotation, C. Wittigh essaya de prouver que la société descendait effectivement de ‘t Mariacranske. De Wijngaard aurait été créé en 1657 par des membres de ‘t Mariacranske voulant se dissocier de la confrérie à laquelle la chambre était liée. Il semble que cette allégation ne s’appuie pas sur des bases bien solides, mais la société littéraire existe toujours.

Quelques membres

Notes

  1. Variantes de l’appellation : Marie cransken van den Zeven Ween (1511) ; de Retorisiennen van der Lelyen, vereenicht metter Violetten geheeten Marie cransken (1511-1620) ; Het Marie Cransken (1561) ; Marien Cransken (1562) ; Maria Cransken (1561-1562) ; Het Mari-cransken (1620); Maria Crans (1620) ; Mari-crans (1620) ; Marie Cranscamere (1647), selon le répertoire numérique (nl) des chambres de rhétorique des Pays-Bas méridionaux et de la Principauté de Liège (1400-1650) d’Anne-Laure Van Bruaene
  2. a et b Entente cordiale ; variantes : Minnelijck accoort (1561) ; Minliick accoort (1562) ; Minnelyck accort (1620), selon le répertoire numérique (nl) des chambres de rhétoriques des Pays-Bas méridionaux et de la Principauté de Liège (1400-1650) d’Anne-Laure Van Bruaene
  3. Fonction qui pourrait être définie comme celle de poète en titre ou de directeur artistique
  4. « Sinte Machiels dach » ; cité d’après Remco Sleiderink in Rederijkerskamer 't Mariacranske : 500 jaar aan het woord, Roularta Books, 2007, p. 27
  5. Une pièce jouée lors d’un dîner
  6. « Jeu des deux sots » ; notamment un fou par naissance et une personne prétendant l’être
  7. « gemaicten sot » ; cité d’après Remco Sleiderink in Rederijkerskamer 't Mariacranske : 500 jaar aan het woord, Roularta Books, 2007, p. 27
  8. « van voere tot achtere » ; cité d’après Remco Sleiderink in Rederijkerskamer 't Mariacranske : 500 jaar aan het woord, Roularta Books, 2007, p. 27
  9. Le détail sur les jeux scandaleux (schandaleuse spelen) de 1559 in : Anne-Laure van Bruaene, Om beters wille : rederijkerskamers en de stedelijke cultuur in de Zuidelijke Nederlanden 1400-1650, Amsterdam University Press, 2008, p.  115-119
  10. « dwelck den mensche aldermeest tot consten verwect » ; cité d’après Remco Sleiderink in Rederijkerskamer 't Mariacranske : 500 jaar aan het woord, Roularta Books, 2007, p. 27
  11. « thys was the strangest matter that ever I sawe, or I thynke that ever I shall see » ; cité d’après Remco Sleiderink in Rederijkerskamer 't Mariacranske : 500 jaar aan het woord, Roularta Books, 2007, p. 28
  12. Forme poétique pratiquée par les rhétoriciens, qui s’apparente à la ballade française
  13. « wat oft beter is : peys of oorloge » ; cité d’après Remco Sleiderink in Rederijkerskamer 't Mariacranske : 500 jaar aan het woord, Roularta Books, 2007, p. 30

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Contenu soumis à la licence CC-BY-SA. Source : Article 't Mariacransken de Wikipédia en français (auteurs)

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