Tertullien

Tertullien

Quintus Septimus Florens Tertullianus, dit Tertullien, né entre 150 et 160 à Carthage (actuelle Tunisie) et décédé vers 220 à Carthage, est un écrivain de langue latine issu d'une famille berbère[1],[2] romanisée et païenne. Il se convertit au christianisme à la fin du IIe siècle et devient la figure emblématique de la communauté chrétienne de Carthage. Théologien, père de l'Église, auteur prolifique, catéchète, son influence sera grande dans l'Occident chrétien.

Il est cependant controversé : il lutte d'une part activement contre les cultes païens, est considéré comme le plus grand théologien chrétien de son temps (on lui doit le terme de trinité), mais il rejoint d'autre part le mouvement hérétique montaniste à la fin de sa vie.

Sommaire

Biographie

Portrait de Tertullien[réf. nécessaire]

De sa vie, on ne connaît que bien peu de choses. Certains éléments biographiques se trouvent dans quelques-unes de ses œuvres mais également chez Eusèbe de Césarée (Hist. eccl. II, ii. 4) et Jérôme (De viris illustribus, chap. LIII).

Il naît à Carthage entre 150 et 160. Son père, centurion dans une légion de l'armée romaine : la cohorte proconsulaire, meurt très tôt. Excellent élève, il étudie la rhétorique, la jurisprudence, l'histoire, la poésie, les sciences et la philosophie. Brillant rhéteur, on l'a longtemps pensé jurisconsulte de métier, thèse aujourd'hui largement contestée par les spécialistes du sujet[réf. nécessaire].

C'est vers 193 qu'il se convertit au christianisme. Il semble qu'il soit séduit par l'esprit de sainteté qu'il rencontre chez les chrétiens, par leur humilité, leur abnégation face aux persécutions et la hauteur de la doctrine évangélique. Sa conversion est soudaine et décisive. Il dira plus tard : « On ne naît pas chrétien, on le devient » (Apol, XVIII). Adversaire du paganisme et moraliste intransigeant (cf. ses traités sur la femme, le mariage, la chasteté ou le jeûne), il est considéré comme le premier auteur chrétien à énoncer la foi en latin. En effet, jusqu'à Tertullien, le christianisme s'est pensé et formulé en grec car il s'est d'abord développé dans la partie orientale de l'Empire, celle de la Diaspora hellénistique, où l'on parlait le grec. Il s'est d'abord présenté comme un courant philosophique (secta, haeresis). Il épouse une chrétienne. Voici un exemple de ce que Tertullien écrivait à sa femme :

« Douce et sainte alliance que celle de deux fidèles portant le même joug, réunis dans une même espérance, dans un même vœu, dans une même discipline, dans une même dépendance ! Tous deux, ils sont frères, tous deux serviteurs du même maître, tous deux confondus dans une même chair, ne forment qu'une seule chair, qu'un seul esprit. Ils prient ensemble, ils se prosternent ensemble, ils jeûnent ensemble, s'enseignant l'un l'autre, s'encourageant l'un l'autre, se supportant l'un l'autre. Vous les rencontrez de compagnie à l'église, de compagnie au banquet divin. Ils partagent également la pauvreté et l'abondance, la fureur des persécutions ou les rafraîchissements de la paix. Nuls secrets à se dérober, ni à se surprendre mutuellement ; confiance inviolable, empressements réciproques ; jamais d'ennui, jamais de dégoûts. Ils n'ont pas à se cacher l'un de l'autre pour visiter les malades, pour assister les indigents ; leur aumône est sans disputes, leurs sacrifices sans scrupules, leurs saintes pratiques de tous les jours sans entraves. Chez eux point de signes de croix furtifs, point de timides félicitations, point de muettes actions de grâces. De leurs bouches, libres comme leurs cœurs, s'élancent les hymnes pieux et les saints cantiques. Leur unique rivalité, c'est à qui célébrera le mieux les louanges du Seigneur. »

— Tertullien, À ma femme, II, 9 ; trad. E.-A. De Genoude

Peut-être est-il devenu prêtre[3]. Mais c'est l'année 207 qui marque un tournant dans sa vie avec son adhésion au montanisme. Rompant avec l'Église traditionnelle, ses positions deviennent plus rigoristes. Paradoxalement, il combat avec encore plus d'acharnement Marcion et les hérésies gnostiques qui minent la chrétienté au IIIe siècle et il a beaucoup inspiré Cyprien de Carthage.

Il meurt à Carthage vers 220.

Théologie et morale

À la fin du IIe siècle et au début du IIIe, Tertullien inaugure la littérature chrétienne de langue latine et, avec lui, commence une théologie dans cette langue. Lors de son audience générale du 30 mai 2007, le pape Benoît XVI, dans la série des catéchèses qu'il prononce habituellement lors de ses audiences, fit une communication sur ce Père de l'Église, dont « l'œuvre porta des fruits décisifs, qu'il serait impardonnable de sous-évaluer[4] ». Le pape insista sur les apports théologiques essentiels contenus dans les écrits de Tertullien, notamment ses écrits à caractère apologétique, qui sont les plus célèbres. Ils manifestent, selon lui, deux intentions principales : réfuter les graves accusations des païens à l'égard de la nouvelle religion et répandre le message évangélique par le dialogue avec la culture du temps. Le Souverain pontife souligna, à propos de la Sainte Trinité : « De plus, Tertulien accomplit un pas immense dans le développement du dogme trinitaire : il nous a donné en latin le langage adéquat pour exprimer ce grand mystère, en introduisant les termes « une substance » et « trois personnes ». De même, il a beaucoup développé aussi le langage qui exprime correctement le mystère du Christ, Fils de Dieu et vrai homme[4]. »

Marcel Simon (La Civilisation de l'Antiquité et le Christianisme, Paris, 1972) déclare que :

« L'apport de Tertullien dans les controverses christologiques et trinitaires est important. Ses conclusions s'apparentent sur plus d'un point à celles que formuleront plus tard les grands conciles orientaux. Il affirme l'unité de Dieu. Elle ne se divise pas mais se distribue en 3 personnes numériquement distinctes, en une trinité qui ne compromet en rien l'unité. Chacune des personnes de cette trinité, étant de la même substance, est Dieu. Le Christ est à la fois Dieu et homme, composé de 2 substances unies sans se confondre, dans une seule personne. Mais à côté de ces aspects proprement spéculatifs, certains autres aspects de la pensée de Tertullien reflètent la mentalité juridique des Romains et sa propre formation de juriste. Il insiste sur des notions comme celles de mérite et de satisfaction. La rectitude morale de sa conduite vaut à l'homme des mérites au regard de Dieu. À l'inverse, s'il agit mal, il devient débiteur devant Dieu et lui doit satisfaction. Bien qu'il soit passé à l'hérésie montaniste, Tertullien est vraiment le fondateur de la théologie latine et contribue à lui imprimer, vis-à-vis de la théologie grecque, certains de ses traits originaux. »

Critique de la vanité

Dans De cultu feminarum (De l'ornement des femmes), Tertullien rappelle qu'« au premier rang des pompes du siècle figurent toujours nécessairement l'or et l'argent. Mais après tout que sont-ils ? une terre un peu plus brillante parce que, péniblement arrachée aux mines par des mains esclaves, condamnées à ce châtiment, elle a été trempée de sueurs et de larmes. » Il qualifie en conséquence de crime « d'un côté, l'or, l'argent, les pierreries, les étoffes précieuses ; de l'autre, les soins immodérés prodigués à la chevelure, à la peau, et à toutes les parties du corps qui attirent les regards. »

Cette opposition à ce qu'il considère comme absurde lui vaudra une réputation de misogynie, que par ailleurs sa position sur la femme comme agent principal de la chute de l'homme dans le péché ne modifiera pas.

Critiques

Nicolas Malebranche, dans un passage fameux de son livre De la recherche de la vérité, critique chez Tertullien les excès de l'imagination. Il lui accorde ainsi « plus de mémoire que de jugement, plus de pénétration et d'étendue d'imagination, que de pénétration et d'étendue d'esprit » (De la Recherche de la vérité, livre second, partie 3, ch. III). Malebranche, pourtant plutôt admiratif de l'Apologétique de Tertullien et de sa Prescription, voit tout particulièrement dans l'ouvrage Du Manteau, l'expression de ce mauvais tour qu'ont les esprits en proie à une imagination déréglée.

Citation sur Tertullien

« Nous ignorons les conditions de sa conversion. Elle dut être provoquée, comme tous les acte de sa vie, par sa logique passionnée. Dès qu'il voyait une vérité, il s'y livrait corps et âme, sans ménagement, sans compromission. C'était un extrémiste et un minoritaire. Il n'aimait pas les doctrines triomphantes qui pactisent avec le siècle. Son esprit se complaisait dans l'absolu, son tempérament dans la lutte. Avec cela, pamphlétaire admirable, armé pour la polémique comme pas un et s'y donnant tout entier. Un Berbère converti, mais qui, sous le placage chrétien, gardait toutes les passions, toute l'intransigeance, toute l'indiscipline du Berbère. »

— Charles-André Julien, Histoire de l'Afrique du Nord (1951), Payot, 2001, p.226

Œuvres

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  • Traité contre les hérétiques

Notes et références

  1. Charles-André Julien, Histoire de l'Afrique du Nord (1951), Payot, 2001, p. 226
  2. André Berthier, L'Algérie et son passé (1951), Picard, 1951, p. 25
  3. « St Jérôme (…) fait de lui un prêtre. Ce qui n'a pas lieu d'être » selon Maurice Sachot, qui l'envisage plutôt « didascale » chrétien (Quand le christianisme a changé le monde, Odile Jacob, 2007, p. 111).
  4. a et b Osservatore Romano du 31 mai 2007

Bibliographie

Œuvres

  • Ernest Evans, De Resurrectione carnis liber (Treatise on the resurrection), éd. Society for promoting Christian knowledge, Londres, 1960

Étude

Liens externes


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