Source Q

Source Q

La Source Q ou Document Q ou simplement Q (Q, l'initiale de l'allemand Quelle signifiant source) est une source hypothétique (supposée perdue), dont certains exégètes pensent qu'elle serait à l'origine des éléments communs des évangiles de Matthieu et Luc, absents chez Marc. Il s'agirait d'un recueil de paroles de Jésus de Nazareth que certains biblistes ont tenté de recomposer et qui daterait des environs de l'an 50[1].

Sommaire

Introduction

L’accord des biblistes du XIXe siècle sur le fait que l’Évangile selon Matthieu et l’Évangile selon Luc ont en commun de nombreux passages absents des sources d'inspiration qui leur sont traditionnellement attribuées (l'évangile selon Marc et l'Ancien Testament), a suggéré l'existence d'une seconde source commune, dite « document Q » (de l'allemand Quelle qui signifie « source »). Ce texte hypothétique (également nommé évangile Q, Recueil Q, Recueil synoptique des paroles, Q Manuscript, et depuis la fin du XIXe siècle, Logia c’est-à-dire paroles en grec) semble avoir été essentiellement un recueil des paroles de Jésus. Avec l'hypothèse de la priorité de l'évangile de Marc, l'hypothèse du document Q est constitutive de ce que les biblistes appellent l’hypothèse des deux sources.

Cette hypothèse des deux sources est la solution la plus généralement reçue au Problème synoptique, qui touche aux influences littéraires entre les trois premiers évangiles canoniques (les évangiles de Marc, de Matthieu et de Luc), dits Évangiles synoptiques. Ces influences sont sensibles par les similitudes dans le choix des mots et l’ordre même de ces mots dans la phrase. Le « problème synoptique » s'interroge sur l'origine et la nature de ces relations. D’après l’hypothèse des deux sources, non seulement Matthieu et Luc s'appuient tous deux sur l’Évangile selon Marc, indépendamment l'un de l'autre ; mais comme on décèle des similitudes entre Matthieu et Luc qu'on ne retrouve pas dans l'évangile de Marc, il faut supposer l'existence d'une seconde tradition. Cette seconde source, hypothétique, est dénommée Q.

Les Évangiles synoptiques

Article détaillé : Évangiles synoptiques.
On retrouve presque tout le contenu de l'évangile de Marc dans l'évangile de Matthieu, et de même on retrouve une grande partie de l'évangile de Marc dans l'évangile de Luc. De plus, Matthieu et Luc partagent un grand nombre de phrases ou d'éléments narratifs absents de l'évangile de Marc.

De tous les évangiles rédigés au cours des premiers siècles de notre ère, seuls quatre sont aujourd'hui reçus dans le canon du Nouveau Testament : les évangiles selon Marc, Matthieu, Luc, et Jean. Les évangiles selon Marc, Matthieu, et Luc sont de composition très similaires : ils rapportent les mêmes faits et anecdotes sur Jésus, suivent généralement la même trame narrative et recourent au même lexique.

L’évangile de Jean, au contraire, a depuis longtemps été reconnu comme distinct des trois premiers, tant par l’originalité de ses thèmes, de son contenu, de l'intervalle de temps qu'il recouvre, que par l’ordre narratif et le style. Clément d'Alexandrie résumait le caractère singulier de l'évangile de Jean de la façon suivante : « Jean, venant en dernier, et conscient que les faits terrestres avaient été déjà exposés dans ces premiers évangiles... a, lui, composé un évangile spirituel[2]. »

Le qualificatif de « synoptique » vient d'un mot grec signifiant « qui épouse le même point de vue »[3]. Compte tenu des nombreuses similitudes entre les évangiles de Marc, Matthieu et Luc, ces trois œuvres sont appelées Évangiles synoptiques.

Les Évangiles synoptiques offrent effectivement de nombreux parallèles entre eux : ainsi près de 80% des versets de Marc se retrouvent chez Matthieu et Luc[4]. Comme le contenu se retrouve dans trois évangiles, on parle de Triple Tradition. Les passages de la Triple Tradition sont essentiellement narratifs mais on y trouve aussi quelques paroles du Christ.

Mais par ailleurs, on retrouve aussi de nombreux passages identiques entre Matthieu et Luc, mais absents de l'évangile de Marc. Près de 25% des versets de l'évangile selon Matthieu trouvent un écho chez Luc (mais non chez Marc). Les passages communs entre Matthieu et Luc sont référencés comme la Double tradition.

Le problème synoptique

Article détaillé : Problème synoptique.

Les liens entre les trois évangiles synoptiques dépassent la simple analogie de point de vue : car non seulement ces évangiles rapportent les mêmes histoires, mais elles les présentent presque systématiquement dans le même ordre, et parfois en usant précisément des mêmes mots, au point que certains passages sont mot à mot identiques (cf. ci-contre le texte original grec).

Les chercheurs observent que ces similitudes sont trop profondes pour n'être que de simples coïncidences : plusieurs témoins d'une même scène n'en donnent généralement pas exactement le même récit, et surtout emploient chacun un vocabulaire et un registre qui leur est propre. Cette remarque a poussé de longue date les biblistes et les théologiens à supposer une paternité littéraire entre les trois évangiles synoptiques.

Passages similaires tirés des évangiles de Matthieu et Luc : les mots identiques sont surlignés en rouge[5].

La nature précise des liens entre les évangiles de Marc, Matthieu et Luc constitue ce que l’on appelle le Problème synoptique. La formulation de ce questionnement, et les tentatives d'y répondre remontent en vérité à l’Antiquité : ainsi par exemple, Saint Augustin a tâché de rendre compte de ce mystère en avançant que l'évangile de Matthieu avait été écrit en premier, puis que Marc se serait appuyé sur le récit de Matthieu, et qu'enfin Luc à son tour s'inspirait des évangiles de Matthieu et de Marc (hypothèse augustinienne). Bien que ce compromis soit tombé en désuétude chez les biblistes, il n'en représente pas moins l'une des solutions les plus anciennes et les plus influentes au problème synoptique.

La priorité de Marc et la triple tradition

Un pas important dans la résolution du problème synoptique a été franchi avec la reconnaissance de l'antériorité de l'évangile de Marc sur les autres évangiles. Plusieurs indices témoignent de cette antériorité :

  • l'évangile de Marc est le plus court : il est plus plausible d'admettre que les autres évangiles, qui en reprennent toute la substance, y ont ajouté des éléments, plutôt que supposer que Marc a supprimé des passages d'un des deux autres textes (car pourquoi l'aurait-il fait?) ;
  • le registre et la syntaxe de Marc sont moins élaborés que ceux des deux autres évangélistes (Matthieu et Luc) : ceci suggère que les deux autres évangiles synoptiques sont des versions ré-écrites en bonne koinè du récit de Marc ; car il n'est pas vraisemblable que Marc ait intentionnellement dégradé son modèle au plan littéraire ;
  • enfin Marc cite régulièrement des phrases en araméen (qu'il traduit en grec), ce que ne font ni Matthieu, ni Luc.
L’hypothèse selon laquelle l'évangile selon Marc, rédigé le premier, aurait servi de source partielle pour les évangiles de Matthieu et Luc, est généralement admise aujourd'hui.

Pour ces raisons et quelques autres, la plupart des biblistes s'accordent à reconnaître que l'évangile de Marc est le plus ancien, et qu'en outre ce texte a servi de source au moins partielle aux deux autres évangiles synoptiques. Si cette hypothèse de la priorité de Marc est correcte, alors la triple tradition n'est rien d'autre que l'ensemble des passages de Marc, puisés par les deux autres évangélistes.

De la double tradition à l'hypothèse du document Q

L’hypothèse de la priorité de l'Évangile selon Marc, si elle rend bien compte de la plupart des similitudes entre les trois évangiles synoptiques, n'en explique pourtant qu'une partie, et pour cette raison, on peut dire qu’elle ne répond pas complètement au problème synoptique. En effet, abstraction faite des passages réputés inspirés par l’Évangile selon Marc, il subsiste encore entre les évangiles de Matthieu et de Luc une fraction respectable d'éléments communs. Ces éléments, rassemblés sous le terme collectif de « seconde tradition », consistent en des phrases aux mots identiques, utilisées dans le même ordre. Dans la mesure où on ne les retrouve pas dans le texte de Marc, des chercheurs (Marsh, Schleiermacher, Weisse) ont supposé que Matthieu et Luc s'appuyaient, d'ailleurs indépendamment, sur un second texte (d'où l'expression d’« hypothèse des deux sources »), appelé Q (de l'allemand Quelle qui signifie « source »).

Malgré les objections de quelques chercheurs, l’hypothèse des deux sources est aujourd'hui la solution la plus généralement avancée au problème synoptique.

Si cette hypothèse des deux sources est correcte, alors la seconde source est très certainement un document écrit, car s’il s’agissait d'une tradition orale, elle ne pourrait rendre compte de la similitude des mots (du lexique) et encore moins de la coïncidence dans l’ordre des mots. En outre, on a cru pouvoir avancer que cette source hypothétique, dans la version à laquelle Matthieu et Luc y ont eu accès, était écrite en grec ; car s'il avait été rédigé dans une autre langue (en araméen par exemple), leurs traductions n'auraient pu à ce point coïncider. Certains chercheurs présument en outre que le document Q a précédé l’évangile de Marc.

Les évangiles de Matthieu et de Luc, rédigés indépendamment, s'appuient l'un et l'autre sur l'évangile selon Marc, mais apparemment aussi sur une seconde source commune, dite « document Q » : telle est l'hypothèse des deux sources.

Le document Q, s’il a jamais existé, est aujourd'hui perdu, mais naturellement son contenu peut être en partie reconstitué à partir des passages communs aux évangiles de Matthieu et Luc, et absents de l’évangile de Marc. Or le texte ainsi reconstruit présente un trait tout-à-fait remarquable : d'une manière générale, il ne fournit aucun récit de la vie de Jésus (il n'évoque ni sa naissance, ni le choix de douze disciples, ni sa crucifixion, ni sa résurrection). En revanche, il forme un recueil des propos et de la doctrine de Jésus.

Arguments en faveur de l'existence d'une seconde source

Ainsi l’existence d’une source Q se déduit du fait que ni Matthieu ni Luc n'empruntent l'un à l'autre dans les passages appartenant à la double tradition. En outre, la coïncidence dans le choix des mots entre les deux évangélistes est telle que la seule explication raisonnable est l'emploi par les deux auteurs d'un même (ou des mêmes) documents écrits. Même si Matthieu et Luc ont écrit indépendamment l'un de l'autre (hypothèse de la priorité de Marc), l'hypothèse Q affirme qu'ils se sont appuyés sur une source commune. Les principaux arguments à l'appui de cette hypothèse sont :

  • la coïncidence parfois stupéfiante entre les mots du texte, comme en Mt 6 24 = Lc 16 13 (27 et 28 mots grecs respectivement); Mt 7 7–8 = Lc 11 9-10 (24 mots grecs chacun).
  • L'ordre des mots est même à l'occasion identique, par exemple dans le Sermon dans la plaine et le Sermon sur la montagne.
  • L'apparition des mêmes redondances, lorsque Matthieu et Luc donnent deux versions d'une sentence identique, mais dans deux contextes différents. Ces redondances peuvent d'ailleurs faire écho à l'emploi de deux sources écrites.
  • Certains thèmes, comme la vision deutéronomiste de l’histoire, davantage prégnante dans Q (tel qu'on peut le reconstituer) que dans Matthieu ou Luc pris individuellement.
  • Luc signale qu'il connaît d’autres sources sur la vie de Jésus, et qu'il s'est efforcé de rassembler toute l'information disponible Lc 1 1-4.

Doutes sur l'existence d'une seconde source

Austin Farrer[6], Michael Goulder[7] et Mark Goodacre[8] désavouent l'hypothèse Q, tout en défendant l'hypothèse de la priorité de Marc, et estiment que Matthieu s'est inspiré de Luc. D’autres chercheurs contestent l'hypothèse Q parce qu'ils pensent que l'évangile de Matthieu est le plus ancien (hypothèse augustinienne). Leurs principaux arguments sont :

  • Il est d'abord évident en soi que deux documents corrigeant le style de Marc, y ajoutant des détails biographiques (naissance et résurrection) ainsi que quantité de citations, ont de grandes chances d'être inspirés l'un de l'autre, plutôt que de se ressembler par hasard.
  • Il y a exactement 347 passages (selon Neirynck), où un ou plusieurs mots sont ajoutés au texte de Marc, à la fois dans Matthieu et dans Luc, et que l'on désigne comme « concordances approximatives » avec Marc ; parmi celles-ci, 198 consistent en un seul mot, 82 en deux mots, 35 en trois mots, 16 en quatre mots, et il n'y a que 16 cas où Matthieu et Luc augmentent le texte de Marc de cinq mots ou plus.
  • Là où les tenants de l'hypothèse Q affirment que la découverte de l’Évangile selon Thomas confirme l'existence d'un « évangile des dires » de Jésus, Mark Goodacre relève que le document Q qu’on nous présente offre une structure narrative, et n'est pas un simple recueil de sentences.
  • Certains chercheurs tirent également argument du fait que, non seulement il n'existe aucun manuscrit du document Q, mais aucun auteur de l'Antiquité ne fait référence à un texte de ce genre.
  • D'autres chercheurs, comme William Farmer, défendent l’hypothèse de Griesbach selon laquelle l'Évangile selon Matthieu est le plus ancien, l'Évangile selon Luc venant ensuite, et Marc ayant simplement résumé Matthieu. Le document Q, élément de l'hypothèse des deux sources, n'a plus de raison d’exister si la priorité de Matthieu est exacte, car alors Luc a pu puiser ses références chez Marc et chez Matthieu.
  • Pour les chercheurs qui, comme John Wenham, adoptent l’hypothèse augustinienne voisine selon laquelle c'est toujours l'Évangile selon Matthieu qui est le plus ancien, l'Évangile selon Marc venant en second, l’hypothèse de Griesbach vaut également mieux que l’hypothèse de la source Q. La tradition catholique approuve d’ailleurs ce point de vue.
  • Eta Linnemann, quant à elle, rejette l’hypothèse de la source Q et va jusqu'à contester la pertinence d'un problème synoptique[9].
  • Nicholas Perrin suggère que l’Évangile selon Thomas a pour source le Diatessaron de Tatien le Syrien et non le document Q[10].

L'histoire de l'hypothèse Q

Pour la période contemporaine, le premier chercheur à supposer l'existence d'une deuxième source est sans doute Herbert Marsh, qui en 1801 publia[11] une solution assez complexe au problème synoptique, et qui n'eut presque aucun écho. Dans son ouvrage, Marsh nomme ce texte hypothétique beth du nom de la seconde lettre de l'alphabet hébreu (ב).

Puis en 1832, le théologien allemand Schleiermacher examine la phrase énigmatique suivante de l’auteur chrétien Papias d'Hiérapolis (qui écrivait vers 125) : « Matthieu a compilé les logia du Seigneur avec des tours hébreux... » Plutôt que de s'en remettre à l'explication traditionnelle selon laquelle Matthieu aurait composé son évangile en hébreu, Schleiermacher jugeait que Papias témoignait là réellement de l'existence d'un recueil de paroles du Christ, accessibles aux évangélistes.

En 1838, Christian Hermann Weisse reprit l'hypothèse de Schleiermacher et y ajouta l'hypothèse de la priorité de Marc, pour formuler ce qu'on appelle aujourd'hui l'hypothèse des deux sources : Matthieu et Luc ont puisé à la fois dans l'évangile selon Marc et dans une source des citations du Christ. Cette théorie des deux sources est reprise en 1863 par Heinrich Julius Holtzmann dans un livre qui reste une référence, « Les évangiles synoptiques, leur origine et leur historicité » (Die synoptischen Evangelien, ihr Ursprung und geschichtlicher Charakter ; Leipzig, 1863), et depuis, l'hypothèse des deux sources demeure une piste de recherche importante.

Jusqu'à cette époque, la source hypothétique était communément désignée comme recueil des Logia en référence à la phrase de Papias, et Holtzmann la désignait par la lettre grecque Lambda (Λ). Vers la fin du XIXe siècle, cependant, des doutes émergèrent sur l'opportunité de faire dépendre cette hypothèse philologique d'une lecture de la phrase de Papias, ou même de l'identifier à un recueil de paroles, de sorte qu'on préféra utiliser désormais la lettre Q (proposée en son temps par Johannes Weiss) pour neutraliser le débat. Dans les deux premières décennies du XXe siècle, on ne proposa pas moins d'une douzaine de reconstitutions de la « source Q » ; mais ces reconstitutions divergeaient tant entre elles qu'on n'y retrouvait pas même en commun un seul verset de l'évangile selon Matthieu. C'est l'une des raisons pour lesquelles l'intérêt pour l'hypothèse des deux sources marqua le pas ensuite pendant plusieurs décennies.

Les choses changent en 1960 avec la traduction d'un recueil de paroles du Christ récemment découvert, l’évangile selon Thomas. James M. Robinson et Helmut Koester émettent l'hypothèse que la source Q et l'évangile selon Thomas représentent la première étape des écrits chrétiens qui mènera en quelques décennies aux évangiles canoniques.

Ce regain d'intérêt entraîne de nouvelles tentatives, plus littéraires et plus sophistiquées, pour établir le texte de la source Q, notamment sous la plume de John S. Kloppenborg. Ce dernier, analysant certains aspects littéraires des textes, suggère que la source Q a été composée en trois fois : la première étape a consisté à produire un recueil de sagesse sur les thèmes de la pauvreté et de la soumission au maître ; puis ce recueil a été augmenté de jugements critiques contre les contemporains ; le dernier ajout est le récit de la Tentation du Christ.

Bien que Kloppenborg se défende de confondre l'histoire de la composition de la source Q avec l'histoire de Jésus (c'est-à-dire de prétendre que la source Q est nécessairement le témoignage premier sur la tradition chrétienne), certains exégètes contemporains, dont les membres du Jesus Seminar américain n'hésitent pas à franchir le pas. Fondant leur analyse sur l’évangile selon Thomas et la couche ancienne de la source Q, ils suggèrent que Jésus s'est comporté davantage comme un sage que comme un rabbin juif. Kloppenborg, il faut le noter, est aujourd'hui membre du Jesus Seminar.

Bruce Griffin, qui doute de la pertinence de la division tripartite de Q proposée par Kloppenborg, écrit à ce sujet :

« Le phasage de Q est abondamment argumenté par plusieurs chercheurs spécialisés sur cette question. Mais d'autres l'ont sérieusement critiqué, et par delà le cercle des spécialistes, il semble démontrer que ces chercheurs ont perdu tout sens de la rigueur scientifique. L'idée que l'on peut reconstituer l'histoire d'un texte qui n'existe pas, et qu'il faut reconstituer à partir de Matthieu et de Luc, est étrangère à la prudence scientifique. Mais l'objection la plus sérieuse aux révisions proposées pour Q, c’est l'histoire même de ces révisions successives, qui sape le crédit de l’hypothèse Q. Car bien que l'on puisse identifier de nombreux passages communs entre Matthieu et Luc, on ne peut démontrer que ces passages viennent d'une même source ; Q n'est peut-être rien d'autre qu'un terme commode qui recouvre en réalité plusieurs textes utilisés par Matthieu et par Luc. C'est pourquoi chaque argument en faveur de révisions successives de Q est aussi un argument en faveur du caractère composite de Q, c'est-à-dire en faveur d'une multiplicité de sources pour Matthieu et Luc. Réciproquement, tout argument en faveur de l'unité de Q (qu'il faut démontrer pour voir en Q un document unique) va aussi à l'encontre de la thèse des deux révisions proposées. Plaider en faveur de la structure tripartite de Q revient, intellectuellement parlant, à se tenir sur une corde raide : car il faut à la fois supposer que l'unité du texte est suffisante pour qu'on puisse parler d'un seul document, et en même temps affirmer qu'il y a suffisamment de disparité pour justifier la partition du texte. Faute d'un témoignage indépendant sur Q, il est illusoire de croire qu'un chercheur peut tenir en équilibre dans cette position. »

Cependant, des chercheurs favorables au développement en trois phases de Q avancent, comme Burton L. Mack, que l'unité de Q se déduit, non seulement du fait que Matthieu et Luc s'en sont servi, mais aussi de ce que les trois « couches » successives du texte, telles qu'on peut les reconstituer, s'ajoutent et présupposent effectivement la couche précédente, ce qui impose un ordre. Aussi, les preuves de la composition phasée de Q ne vont pas à l'encontre de l'unité de cette source, puisque les deux dernières phases s'identifient à partir des relations logiques asymétriques entre ce que l'on suppose être l'état antérieur et l'état élaboré du texte[12].

Contenus admis du document Q

Certains des plus remarquables passages du Nouveau Testament sont réputés extraits du document Q: [13]

Notes et références

  1. Michel Quesnel, Les sources littéraires de la vie de Jésus. in Les origines du christianisme, éd. Gallimard, Folio Histoire, 2000
  2. Cité par Eusèbe de Césarée, Histoire Ecclésiastique, livre VI, chap. 14, §7.
  3. littéralement : « vu ensemble ».
  4. A. M. Honoré, "A Statistical Study of the Synoptic Problem." Novum Testamentum 10 Aug.-July (1968): 95-147. À la page 96, Honoré compare les similitudes entre les trois évangiles sur l'aspect du nombre de mots.
  5. Mt, 3:7-10 & Lc, 3:7-9 (transcription du texte grec d'après l'édition Scrivener du Nouveau Testament (1894)
  6. Cf. Austin M. Farrer (dir.), On Dispensing with Q, Studies in the Gospels: Essays in Memory of R. H. Lightfoot, Oxford: Blackwell, 1955 [lire en ligne], p. 55-88 .
  7. Par ex. (en) Michael Goulder, « Is Q a Juggernaut », dans Journal of Biblical Literature, no 115, 1996, p. 667-81 [texte intégral] .
  8. cf. par exemple Mark Goodacre, The Case Against Q: Studies in Marcan Priority and the Synoptic Problem, Harrisburg, PA, Trinity Press International, 2002 .
  9. cf. (en) Eta Linnemann, « The lost gospel of Q - fact or fantasy? », dans Trinity Journal, no 17-1, printemps 1996, p. 3-18 [texte intégral] .
  10. Cf. Nicholas Perrin, Thomas and Tatian: The Relationship Between the Gospel of Thomas and the Diatessaron, Academia Biblica Society of Biblical Literature, 2001 (ISBN 1-58983-045-8)  et également NT Wright: Peut-on se fier aux Evangiles ?
  11. Il s'agissait d'une traduction annotée en anglais de l'« Introduction au Nouveau Testament » de l'exégète allemand Michaelis, dont Marsh avait été l'élève.
  12. Cf. (en) Burton L. Mack, The Lost Gospel: The Book Q and Christian Origins, Macmillan Co., 1993 (réimpr. 1994), paperback [présentation en ligne] ).
  13. Reconstitution de Q par Tabor

Voir aussi

Articles connexes

Liens externes

Bibliographie

  • (de) Christian Hermann Weisse, Histoire des évangiles, étude philosophique et critique [« Die evangelische Geschichte, kritisch und philosophisch bearbeitet »], Leipzig, Breitkopf & Härtel, 1838, 2 vols [lire en ligne] 
  • (en) Jesu Logia ("Sayings of Jesus"), Catholic Encyclopædia, 1913 [lire en ligne] 
  • (en) Tabor et le document Q
  • Frédéric Amsler, L'Évangile inconnu : la source des paroles de Jésus (Q), Labor et Fides, 2006
  • Jean-Marc Babut, À la découverte de la Source: mots et thèmes de la double tradition évangélique, Le Cerf, 2007
  • Andreas Dettwiler, Daniel Marguerat, La source des paroles de Jésus (Q) : aux origines du christianisme, Labor et Fides, 2008

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