Solfège et modalité

Solfège et modalité

En musique, et de manière générale, le mot modalité renvoie à l'étude des modes musicaux, sans référence à un type de musique particulier.

Cependant, dans la musique occidentale, on entend par modalité le système musical savant, centré autour du concept de mode, qui s'est développé en Europe, de l'époque carolingienne à la Renaissance. Dans ce sens, on peut dire également Système modal ou musique modale. C'est ainsi que, de manière plus précise, ce terme désigne le courant musical qui a précédé, et préparé, le développement de la tonalité — ou Système tonal.

La musique modale est la première à avoir utilisé les simultanéités sonores de manière délibérée. C'est en effet au cours de cette période, qu'aux deux principes qu'étaient le rythme et l'intonation, s'est ajoutée une troisième dimension, la polyphonie, avec, pour corollaire, l'invention et le développement d'un procédé de notation musicale, appelé solfège.

Au Moyen Âge, la musique modale est largement dominée par la musique d'église — chant grégorien, principalement. L'origine de l'échelle diatonique se perd dans la nuit des temps : elle est connue des Grecs anciens qui l'ont abondamment décrite, mais qui n'en sont pas les inventeurs. La polyphonie néanmoins ne semble pas antérieure à cette période : les premières traces écrites de ce procédé remontent en effet à l'époque carolingienne — Guido d'Arezzo. punctu

Pour l'auditeur du XXIe siècle, la musique modale engendre une impression « d'immobilité et d'apesanteur musicale ». Cette sensation est principalement produite par les caractéristiques suivantes :

Article détaillé : Modalité grégorienne.

Sommaire

Procédés polyphoniques

Après quelques siècles de tâtonnements et d'expérimentation — du IXe au XIe siècle —, la musique modale se dote d'un système de codification précis — indispensable, tant sur le plan du rythme que sur celui de l'intonation —, et d'un procédé de composition polyphonique appelé contrepoint.

La découverte des divers procédés polyphoniques se confond avec l'utilisation des différents types de mouvements harmoniques, c'est-à-dire, des mouvements mélodiques simultanés : le mouvement oblique, le mouvement parallèle et le mouvement contraire.

Conquête du mouvement oblique

Le mouvement oblique — lorsqu'une voix monte ou descend, pendant qu'une autre, simultanément, reste en place — est le procédé harmonique le plus ancien : son origine étant très certainement antérieure au Moyen Âge, il constitue en quelque sorte la « préhistoire de la polyphonie ».

  • Exemple de mélodie avec bourdon supérieur — mouvement oblique :
Bourdon supérieur

Conquête du mouvement parallèle

Généralement considéré comme la « polyphonie primitive », le mouvement parallèle strict — lorsque deux voix évoluent simultanément en produisant deux intervalles de même chiffre et de même sens — vient s'ajouter au mouvement oblique entre le IXe et le XIIe siècle.

  • Dans le mouvement parallèle, la mélodie d'accompagnement n'a pas encore conquis son indépendance, puisqu'elle n'est que « l'ombre de la mélodie principale », décalée à une distance constante.
  • Exemples de mélodie avec contre-chant parallèle supérieur :
Contre-chant parallèle
Lorsque l'intervalle mélodique produit est simplement de même sens, mais de chiffre différent, on a affaire à un mouvement direct. Un tel mouvement supposant une plus grande indépendance des voix, est chronologiquement postérieur au mouvement parallèle strict.

Conquête du mouvement contraire

À partir du XIIe siècle, avec la découverte du mouvement contraire — lorsque simultanément, une voix monte, tandis que l'autre descend —, les différentes parties deviennent véritablement indépendantes : c'est la naissance du contrepoint.

Le contrepoint — du latin punctus contra punctum, note contre note —, est la technique de juxtaposition de mélodies qui s'est propagée du XIIIe au XVIe siècle. C'est le procédé polyphonique du Système modal.
  • Avec le contrepoint, l'accord — au sens classique et vertical du terme — est obtenu empiriquement par adjonction successive des mélodies. Il n'est pas considéré comme une entité en soi, ainsi que ce sera le cas plus tard, dès la fin du XVIe siècle. C'est donc le principe mélodique — horizontalité — qui a la priorité sur le principe polyphonique — verticalité —, et non pas l'inverse.
  • Remarquons également qu'ici encore, le nouveau procédé ne s'est pas substitué aux anciens, mais s'y est simplement ajouté : le mouvement oblique et le mouvement parallèle n'ont jamais cessé d'être employés pendant la période du contrepoint modal, et au-delà.
  • Exemple de mélodie avec contrepoint supérieur — mouvements contraires :
Contrepoint supérieur

Modes du système modal

Le concept de mode désigne l'étendue précise des intervalles séparant la note fondamentale d'une échelle mélodique de chacune des autres notes de cette échelle.

Dans la musique modale, la note fondamentale d'une échelle mélodique est appelée finale : c'est en fait l'ancêtre de la tonique du système tonal. Cette finale est toute puissante, et l'on en change peu au cours d'un même morceau. Comme il n'existe aucun phénomène de tension/détente susceptible de consolider et garantir la fonction de celle-ci, les modulations — au sens classique du terme, c'est-à-dire, les « changements de tonique » — sont très rares. En revanche, on rencontre divers emprunts aux autres modes, plus fréquemment qu'au cours de la période tonale. De tels « changements de mode » constituent donc des modulations au sens propre du terme.
  • Les modes employés au Moyen Âge, c'est-à-dire, grosso modo, la période correspondant au Système modal, sont traditionnellement appelés modes anciens — ou encore, modes diatoniques, modes grégoriens, échelles modales, tons ecclésiastiques, etc.
  • Les principaux modes anciens :
Modes ecclésiastiques
  • Le mode de si n'est pas utilisé à cause de la quinte entre le premier et le Ve degré qui est diminuée — ou alors, il est utilisé de manière défective. En fait, les quatre modes les plus courants sont les modes de (Protus), de mi (Deuterus), de fa (Tritus) et de sol (Tetrardus). Les modes de do et de la ne font leur apparition qu'à la fin du Moyen Âge.
  • Les modes anciens, plus ou moins dérivés de certains modes de la Grèce antique, ont été baptisés par les théoriciens médiévaux à l'aide de la terminologie héritée des modes grecs, mais utilisée de manière erronée. C'est ainsi par exemple, que l'appellation mode dorien — qui pour la Grèce antique, désigne le mode de mi — est associée au mode de ré par les théoriciens du Moyen Âge ! Afin d'éviter les nombreuses confusions qui découlent de cette fausse nomenclature, il est infiniment préférable d'utiliser la dénomination moderne — mode de do, mode de ré, etc. —, plus précise et plus parlante :
Appellation grecque
Appellation médiévale
Appellation moderne
mode mixolydien
mode locrien
mode de si
mode hypodorien
mode éolien
mode de la
mode hypophrygien
mode mixolydien (tetrardus)
mode de sol
mode hypolydien
mode lydien (tritus)
mode de fa
mode dorien
mode phrygien (deuterus)
mode de mi
mode phrygien
mode dorien (protus)
mode de
mode lydien
mode ionien
mode de do
Article détaillé : Octoéchos.

Transposition des modes anciens

Transposer, signifie décaler en hauteur les intervalles d'une mélodie — ou d'une polyphonie —, sans les dénaturer, c'est-à-dire, en conservant et leur chiffre, et leur qualificatif.

Par exemple, lorsqu'un interprète, trouvant que l'air qu'il s'apprête à chanter est trop aigu pour sa voix, entonne cet air un peu plus dans le grave, cette personne opère d'instinct une transposition.

Or, sur le papier, une transposition s'avère un peu plus délicate à réaliser à cause des intervalles entre les notes — c'est-à-dire, les intervalles diatoniques, soit : les tons et les demi-tons de l'échelle diatonique — qui sont inégaux. Il faut par conséquent procéder à certaines corrections au moyen des altérations, et ne pas se contenter de décaler simplement les notes, faute de quoi, la transposition serait erronée.

Cette question de la transposition a trouvé des solutions différentes au Moyen Âge, à la Renaissance, et depuis la période classique.

Transposition des modes anciens au Moyen Âge

Pendant le Moyen Âge, chaque mode ancien est attaché à la gamme correspondante (et à sa finale) dans l'échelle diatonique naturelle. En effet, l'échelle diatonique n'est pour ainsi dire jamais transposée sur le papier, mais elle s'adapte aux tessitures des voix — il n'y a donc pas de hauteur absolue, ni de diapason. Ce système était appelé solmisation — il s'agissait également d'une méthode pédagogique. Les seules altérations qui apparaissent parfois sont le si bémol (d'où le nom de l'altération : si se dit B dans les langues germaniques) ou le mi bémol, dont la fonction est généralement d'éviter un intervalle difficile d'intonation — un triton par exemple.

  • On peut donc considérer que pendant toute la période médiévale, le mode — dans notre langage moderne — et la finale — la future tonique — portent le même nom :
Mode Gamme/Finale
SI
Si
LA
La
SOL
Sol
FA
Fa
MI
Mi
DO
Do

Transposition des modes anciens à la Renaissance

Dès le XVe siècle, à cause du développement de la musique instrumentale, on emploie peu à peu les échelles diatoniques transposées, grâce aux armures — celles-ci ne comportant que peu d'altérations au début. Les sept modes possibles sont toujours disponibles — au moins théoriquement —, cependant, désormais, la tonique de la gamme choisie ne correspond plus systématiquement à l'appellation du mode.

  • Par exemple, pour une armure avec un bémol, nous aurons les correspondances suivantes :
Mode Gamme/Tonique
SI
Mi
LA
SOL
Do
FA
Si \flat
MI
La
Sol
DO
Fa

Transposition des modes anciens à la fin du dix-neuvième siècle

À la fin du XIXe siècle, les modes anciens tombés en désuétude pendant près de trois siècles, sont à nouveau utilisés. Il est désormais possible de les transposer dans n'importe quelle armure — jusqu'à sept altérations.

Cette utilisation des modes anciens par la musique savante ne doit pas faire illusion : il ne s'agit pas de musique véritablement modale, mais de « musique tonale» utilisant des gammes dérivées, ou imitées, des échelles médiévales. Même si le style de telles compositions peut paraître archaïsant ou exotique, la pensée musicale qui les soutient reste tonale et harmonique.

Chaque nouvelle transposition de l'échelle diatonique naturelle — au moyen d'une armure différente — implique le choix entre sept toniques possibles, chacune d'elles étant attachée à l'un des sept modes anciens.

Pour définir ces sept possibilités — et ensuite choisir celle qui correspond à un morceau donné —, il faut d'abord chercher la tonique du mode de do.

  • Pour ce qui est des armures en dièses, le dernier dièse — celui qui est le plus à droite, donc — est le VIIe degré du mode de do. Pour ce qui est des armures en bémols, le dernier bémol — celui qui est le plus à droite, donc — est le IVe degré du mode de do. Par conséquent, la tonique du mode de do se trouve, une seconde mineure au-dessus du dernier dièse, ou une quarte juste au-dessous du dernier bémol.
  • Il faut ensuite faire correspondre dans l'ordre ascendant, chaque degré de l'échelle diatonique en question — en n'omettant pas les notes altérées —, aux sept modes do, ré, mi, fa, sol, la et si, ainsi qu'il a été montré dans l'exemple précédent concernant l'échelle diatonique à un bémol.
  • Enfin, les sept possibilités étant définies en fonction de l'armure, il ne reste plus qu'à choisir parmi elles, celle qui correspond effectivement à l'environnement tonal du morceau en question. C'est la véritable tonique, normalement au début et à la fin du morceau — sauf cas particulier —, qui définit et la gamme et le mode.

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