Radiotoxicologie

Radiotoxicologie

Toxicologie nucléaire

La toxicologie nucléaire ou radiotoxicologie est une discipline scientifique récente qui étudie les effets directs et/ou indirects des corps chimiques radioactifs sur les organismes vivant et les écosystèmes.

Cette discipline tend à s'ouvrir au champ environnemental, avec par exemple au CEA en France des programme de toxicologie nucléaire environnementale étudiant pour le CEA les « effets toxiques d’éléments utilisés dans la recherche et l’industrie nucléaires, qu’il s’agisse de toxiques chimiques ou de radiotoxiques. Ceci afin, d’une part, d’identifier des seuils de toxicité pour l’homme et son environnement et, d’autre part, de proposer des solutions préventives, des dispositifs de surveillance efficaces ainsi que des remèdes pour dépolluer les sols et traiter d’éventuelles contaminations des personnes »[1].

Sommaire

Principes

Les organismes vivants sont tous peu ou prou exposés à un rayonnement naturel. Depuis quelques décennies, ils peuvent aussi être exposés à des sources artificielles de rayonnement. Cette exposition est « externe » (rayonnement stellaire ou d'une roche radioactive, ou rayons X d'une radiographie médicale par exemple) ou « interne » (suite à l'incorporation de radionucléides dans l'organisme, par inoculation, ingestion, et/ou inhalation).
Tout organisme est aussi plus ou moins exposé (par ingestion, inhalation ou contact) à la toxicité chimiques d'éléments radioactifs, d'origine naturelle, et depuis peu d'origine médicale, industrielle ou militaire. Leur toxicité chimique peut interagir avec leur radiotoxicité. Ces produits éventuellement à la fois chimiquement toxique et ionisants peuvent se substituer dans l'organisme à des éléments proches mais non radioactifs (par exemple un isotope radioactif de l'iode prend très facilement la place de l'iode normale dans la thyroïde, et un atome de calcium sera facilement remplacé par un atome de césium radioactif).
Presque toujours, l'organisme est confronté à un stress global (ou « stress combiné ») qui associe synergiquement un stress radiatif auquel se surajoute un stress chimique quand le radionucléide est également chimiquement naturellement toxique, ce qui est souvent le cas, mais ces synergie commencent seulement à être finement étudiées.

Les stress radiatif et chimiques interfèrent avec divers processus fondamentaux et vitaux du Vivant (métabolisme, différentiation cellulaire, reproduction, évolution) et peut par exemple être source de mutations, de cancers, de délétions diverses affectant éventuellement la survie d'une cellule, d'un individu ou d'une communauté.

La toxicologie nucléaire est nécessairement pluridisciplinaire, associant notamment chimistes, radiochmistes physiciens, spécialistes de la métrologie et biologistes et écologues, médecins et épidémiologistes qui étudient les effets toxiques des corps radioactifs sur les organismes vivants, du niveau biomoléculaire et cellulaire à celui des écosystèmes en passant par celui du métabolisme.

Elle se subdivise souvent en plusieurs grands sous-domaines :

Les effets toxiques (et/ou écotoxiques) ont deux sources susceptibles de cumuler leurs effets :

  • la toxicité chimique intrinsèque du métal considéré (uranium, [plutonium]...) et
  • la toxicité strictement induite par sa radioactivité, avec des effets variant fortement selon que l'exposition soit interne ou externe.

Les sujets d'intérêt de ce domaine

Ce sont notamment :

  • la connaissance des modes d’action des radio-toxiques à tous les niveaux d’organisation du vivant (de la moléculaire aux colonies d'organismes en passant par la cellule, les organes, tissus, et organismes)
  • la fixation préférentielle de radionucléides dans un organisme, dans l'un de ses organes (il existe généralement un ou plusieurs organes cibles comme la thyroïde dans un organisme contaminé par de l'iode 131, ou dans une partie d'un organe (Chez le rat, outre le rein et les os, certaines zones du cerveau fixent préférentiellement l'uranium[2], en y modifiant par exemple le métabolisme du cholestérol [3], en perturbant chez l'homme le cycle veille-sommeil et la mémoire à court-terme[4]). Chez des organismes primitifs, il pourra s'agir d'un mucus, ou de la membrane, du noyau cellulaire ou d'organites spécialisées. Il est important de les connaître car ils expliquent aussi la cinétique environnementale des radionucléides dans le réseau trophique ou pyramide alimentaire).
  • la cinétique spatiotemporelle spécifique d'un radionucléide, d'une association de radionucléides ou (ou en association avec d'autres corps ou molécules) dans les organismes et dans l'environnement. La mobilité, biodisponibilité, bioturbation, bioconcentration) et bien entendu leur toxicité et écotoxicité. Les toxicologues de ce domaine doivent aussi tenir compte de la décroissance radioactive et de l'apparition de "fils" (toxiques et/ou radioactifs ou non) au fur et à mesure de la transformation atomique liée à la désintégration radioactive. On a ainsi pu montrer que certaines espèces (champignons en particulier) bioaccumulaient préféentiellement certains métaux et pouvaient sélectivemnet contaminer leurs prédateurs ou consommateurs (sangliers via la truffe du cerf qui bioaccumule remarquablement l'isotope 137Cs (césium) radioactif par exemple). La dimension temporelle est importante ; par exemple le césium ne migre verticalement que lentement dans le sol (environ 1 cm/an pour un sol forestier) et ce n'est qu'après 20 ans environ que les champignons comme Elaphomyces granulatus se contaminent. Or ces espèces sont mycorhysatrices d'arbres (noisetier et chêne pour cette espèce) qu'elles pourront ensuite peut-être contaminer. Ces processus expliquent que très localement, en forêt, la radioactivité a pu se maintenir, voire augmenter sur des zones contaminées par les pluies lors du passage du « nuage de Tchernobyl »
  • l'étude les réponses physiologiques et en particulier des mécanismes de détoxication ou d'excrétion de ces composés (au niveau cellulaire notamment où le radionucléide peut parfois - comme d'autres contaminants xénobiotiques - être chélaté et exporté par un processus naturel de détoxication (pompes membranaies faisant intervenir des "transporteurs" (chélateur, Transporteur membranaire, thioprotéines de détoxification...), ou au contraire altérée par la radioactivité ou par un stress oxydatif induit. Dans ce dernier cas les chercheurs étudient les processus de réparation ou de mort cellulaire). Ces études passent par des études in vitro en laboratoire, ou in situ (sur sites pollués ou après essais nucléaires ou catastrophes nucléaires), voire par des modèles.
  • l'étude des conséquences génétiques (ruptures de brins d'ADN, pontages ADN-protéines, lésions des bases...) et de la plus ou moins grande efficacité des systèmes d'auto réparation de l'ADN et de la cellule, notamment chez quelques bactéries dites extrêmophiles, dont certaines sont exceptionnellement résistantes à une forte radioactivité (Deinococcus radiodurans en particulier). Elle complète l'étude des organismes les plus sensibles pour mieux comprendre le risque de maladies génétiques trans-générationelles induites lorsque les cellules de la lignée germinale sont génétiquement modifiées par la radioactivité. Pour mieux les comprendre, les chercheurs s'intéressent aux conséquences des délétions et mutations génétiques chez des organismes aussi divers que virus, microbes, plantes, lichens (souvent très résistants à la radioactivité) ou animaux.
  • l'étude de certains facteurs de risques, qui se combinent entre eux, avec par exemple : la durée et l'intensité (dose) et le type de rayonnement (énergie variable selon que le rayonnement soit alfa, beta, gamma ou combiné dans le cas de l'exposition à des cocktails de radionucléides), ainsi que le type d'exposition (irradiation externe, ou interne fixe et chronique, ou interne mobile et de courte durée)
  • l'étude de facteurs de vulnérabilité de l'organisme exposé (qui varie selon son âge, son état de santé et certaines caractéristiques génétiques propre à l'individu et à l'espèce concernée)
  • la sécurité alimentaire ; l'OMS, la Communauté européenne et divers organismes fixent des seuils réglementaires. L'UE a par exemple décidé que le lait ne doit pas dépasser 500 Bq/l pour l'iode 131, mais dans certains länder allemands, les normes sont beaucoup plus sévères (100 Bq/l en Sarre, 20 Bq/l en Hesse et Hambourg). La toxicologie nucléaire peut confirmer et informer la pertinence de certaines normes et seuils.
  • la recherche de seuils, d'indicateurs et de bioindicateurs, y compris à partir des conclusions d'accidents[5]

Des synergies entre corps radioactifs et avec d'autres corps (toxiques ou non) sont probablement fréquentes, mais encore peu étudiées et mal comprises.

Des questions plus spécifiques sont posées aux toxicologues, par exemple concernant les impacts immédiats ou différés de l'usage de Munition antiblindage à uranium appauvri.

Dans le monde

Les premiers grands programmes de recherche ont été lancés au Japon pour mieux comprendre et mesurer les impacts à moyen et long terme des 2 bombes atomiques qui ont détruit Hiroshima et Nagasaki et tué ou irradié leurs habitants, puis après la catastrophe de Tchernobyl.

En France

  • Le CEA a lancé en 2001 un programme dit « Toxicologie nucléaire », présenté à son visiting committee fin 2002. Ce programme doit étudier, pour des « éléments d'intérêt » les effets biologiques d'éléments ou de composés radioactifs, et les réponses biologiques (biomoléculaires, cellulaires), pour proposer ou améliorer des stratégies de gestion et réduction du risque à divers niveaux d'organisation du vivant, du microbe à l'être humain. Il incluait notamment en 2002 deux projets « Tocso » (portant notamment sur le stress oxydant) et « Dynamique du transcriptome » (étudiant par exemple des réponses génomiques et traductionnelles précoces (traductome) aux génotoxiques chez des plantes (Arabidopsis thalianaL.) ou cyanobactéries tels que les Synechocystis), avec une participation dès 2003 des laboratoires de Microbiologie et de Biologie végétale de Cadarache[6]. Il s'appuie sur un référentiel des connaissance en construction [7] A partir de 2002, des thèses portent sur les transporteurs de métaux, notamment dans le cadre de la détoxication cellulaire. D'autres sujets sont la chélation biologique[8]/décorporation[9], phénomènes de radio-résistances bactériennes[10] [11]. Différents laboratoires prêteront leurs outils de manipulation de radioéléments (uranium, plutonium, américium) dont à Bruyères-le-Chatel (expérimentations de RadioToxicologie animale et cellulaire), à Cadarache (labo de Microbiologie du DEVM) pour l'étude des interactions entre micro-organismes et produits de fission ou uranium, et labo de Chicade de la DEN pour les cultures sur sols contaminés par de l'uranium et/ou des produits de fission et labo Bioatalante prévu pour la biologie cellulaire ou moléculaire des eucaryotes supérieurs exposées à des actinides transuraniens (Pu, Am,…).
    Le programme a en 2004 été ouvert à d'autres organismes de recherche (CNRS, INRA et INSERM).
  • L'IRSN a quand a lui ciblé les aspects toxicologiques dans son programme « EnvirHom », pour mieux comprendre les impacts des radionucléides sur la physiologie des organismes et en particulier de l'homme, y compris via les conséquences écologiques et sanitaires de la radioactivité.

Irradiation

Article détaillé : Irradiation.

Certains comportements ou certaines situations sont facteurs de risques de surexposition à la radioactivité : un patient qui habite une habitation où du radon se dégage du sol ou des murs subit une exposition chronique. S'il fait 5 radiographies aux rayons X, il subit une dose d'environ mSv ; passagers et pilotes d'avions de ligne ou astronautes subissent une exposition supplémentaire (environ mSv en cas d'éruption solaire intense.

Polémiques

Il est souvent reproché à l'industrie nucléaire et aux structures officielles qui ont encadré les essais nucléaire ou étudié les conséquences d'accidents (Three miles Island, Tchernobyl..) un manque de transparence. De même pour le fait qu'un accord interdise à l'OMS (Organisation mondiale de la santé) de donner des avis sur les risques ou conséquences de la radioactivité sans accord préalable de l'AIEA qui se trouve dans une situation de « Juge & Partie » ou de conflit d'intérêts.

Principaux éléments radioactifs

Voir aussi

Article détaillé : Radioprotection.

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Voir « toxicologie nucléaire » sur le Wiktionnaire.

Articles connexes

Liens externes

Bibliographie

Notes et références

  1. Communiqué de la direction des sciences du vivant du CEA
  2. Communication de Bussy Cyrill, Chazel Valérie, Frelon Sandrine, Houpert Pascale, Monleau Marjorie, Paquet François, intitulée « Heterogeneous accumulation of uranium in the brain of rats », au 6th Workshop on Internal Dosimetry of Radionuclides, Montpellier, 2006 10 02, actes publiés par l'Oxfords jounal le 01/11/2007, IRSN/DRPH/SRBE/LRTOX
  3. Communication de Gourmelon Patrick, Gueguen Yann, Racine Radjini, Souidi Maâmar, intitulée « Modifications of cholesterol metabolism in brain following uranium contamination » ; 4ème Congrès de Lipidomique, Toulouse, 2007 10 09, IRSN/DRPH/SRBE/LRTOX, publié le 2007 10 11
  4. Communication « Le stress oxydant : un mécanisme pour expliquer la physiopathologie cérébrale induite par une ingestion chronique d'uranium ?, par Ben Soussan Hélène, Gourmelon Patrick, Lestaevel Philippe, Romero Elodie, Voisin Philippe, 8ème colloque international de radiobiologie fondamentale et appliquée, La Londe Les Maures, 2007 09 17, IRSN/DRPH/SRBE/LRTOX (publié : 2007 09 21)
  5. Article : Benderitter Marc, Bertho Jean-Marc, De Revel Thierry, Gourmelon Patrick, Gueguen Yann, Lataillade Jean-Jacques, Roy Laurence, Souidi Maâmar Les nouveaux bio-indicateurs pour évaluer et suivre les dommages radio-induits : A propos d'un cas accidentel, Radiation Research, Volume 169, N°5, pages 543 à 550, 2008 05 01
  6. La lettre du programme Toxicologie Nucléaire – décembre 2002 – Editeur CEA (VOIR)
  7. Serveur du "Référentiel des connaissances"
  8. Projet « Etude théorique de l'interaction de domaines de liaison présentant la séquence consensus MTCxxC avec les ions métalliques Cu(I), Cd(II) et Co(II) »David Poger, à Grenoble (DSV/DRDC) à partir d'octobre 2002
  9. Martin Savinski, Synthèse et criblage haut débit de nouveaux décorporants du plutonium et de l’uranium, à partir de février 2002 à Grenoble (DSV/DRDC)
  10. Benoît Marteyn, Projet Résistance chez les bactéries « Caractérisation et optimisation de protéines impliquées dans la détoxication du sélénium et de l'uranium chez Synechocystis »à partir de janvier 2002 à Saclay (DSV /DBJC)
  11. Murielle Roux (Thèse ADEME-CEA) : "Contribution à l'étude de la résistance au sélénite chez Ralstonia metallidurans CH34" ; 19 novembre 2002 ; Grenoble
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