Radanite

Radanite

Radhanites

Les Radhanites ou Radanites (en hébreu, רדהני / Radhani (singulier) ou רדהנים / Radhanim (pluriel) ; en arabe, الرذنية / Ar-Raḏaniyya) étaient des marchands juifs du Haut Moyen Âge. Ils dominèrent le commerce entre les mondes chrétien et musulman entre 600 et 1000 de l'ère chrétienne. Les routes commerciales ouvertes sous l'Empire romain restèrent utilisées durant cette période en grande partie grâce à leurs efforts. Leur réseau commercial couvrait la plus grande partie de l'Europe, l'Afrique du Nord, le Moyen-Orient, l'Asie centrale et une partie de l'Inde et de la Chine. On ne sait toutefois pas si le terme, qui est utilisé uniquement par quelques sources directes, se réfère à une corporation spécifique, à une caste, ou si c'était un terme générique pour désigner les marchands juifs qui pratiquaient le commerce trans-eurasien.

La plus grande partie du commerce des Radhanites à travers l'océan Indien aurait été mené grâce à des bateaux côtiers tels que ce boutre.

Sommaire

Sources

Il existe très peu de sources directes sur les Radhanites. Leur activité nous est connue grâce à un livre de Abū l-Qasim Ubaid Allah ibn Khordadbeh, le Kitab al-Masalik wal-Mamalik (Livre des Routes et des Royaumes), qu'il écrivit sans doute vers 870. En tant que directeur des postes et de la police de la province de Jibâl sous le calife abbasside al-Mutammid (qui régna de 870 à 885), il occupait une position privilégiée pour observer ce commerce.

Une caravane de chameaux en Algérie. La plus grande partie des échanges commerciaux menés par les Radhanites entre Tanger et la Mésopotamie aurait été effectuée à dos de chameau.

« Ces marchands parlent arabe, persan, grec [byzantin], franc[1], espagnol et slave. Ils voyagent d'ouest en est et d'est en ouest, partiellement sur terre, partiellement sur mer. Ils transportent depuis l'occident des eunuques, des femmes réduites en esclavage, des garçons, des soieries, des castors, des martes et d'autres fourrures, et des épées. Ils prennent le bateau en Firanja (France[2]), sur la mer Occidentale, et vont jusqu'à Farama (Pelusium). Là-bas, ils chargent leurs biens à dos de chameau et vont par terre jusqu'à al-Kolzum (Suez), une distance de vingt-cinq farsakhs (parasanges). Ils embarquent sur la mer Rouge et naviguent d'al-Kolzum à al-Jar (port de Médine) ou al-Jeddah, ensuite ils vont à Sind, en Inde, et en Chine. Sur le chemin du retour de Chine, ils emportent du musc, de l'aloès, du camphre, de la cannelle, et d'autres produits des pays orientaux vers al-Kolzum et les ramènent à Farama, où ils embarquent sur la mer Occidentale. Certains naviguent vers Constantinople pour vendre leurs produits aux Byzantins ; d'autres vont au palais du roi des Francs pour y vendre leurs biens. Parfois, ces marchands juifs, quand ils embarquent depuis le pays des Francs, sur la mer Occidentale, se dirigent vers Antioche (à l'embouchure de l'Oronte) ; de là par terre jusqu'à al-Jabia (al-Hanaya, au bord de l'Euphrate). Là-bas, ils embarquent sur l'Euphrate et atteignent Bagdad, d'où ils descendent le Tigre vers al-Obolla. À partir d'al-Obolla, ils naviguent vers Oman, Sind, Hind et la Chine…
Ces différents voyages peuvent aussi être faits par voie de terre. Les marchands qui partent d'Espagne ou de France vont à Sus al-Aksa (au Maroc) et ensuite à Tanger, d'où ils marchent vers Kairouan et la capitale d'Égypte. De là, ils vont à ar-Ramla, visitent Damas, al-Kufa, Bagdad et al-Basra, traversent Ahvaz, le Fars, Kerman, Sind, Hind, et arrivent en Chine.
Parfois, aussi, ils prennent la route depuis Rome[3] et, traversant le pays des Slaves, arrivent à Khamlidj, la capitale des Khazars. Ils embarquent sur la mer Jorjan (Jorjan Sea), arrivent à Balkhj, traversent l'Oxus, et continue leur voyage vers Yurt, Toghuzghuz, le pays des Ouïghours et de là vers la Chine. »

En dehors de ibn Khordadbeh, les Radhanites ne sont mentionnés que par une poignée de sources. Le livre Kitab al-Buldan (« Livre des Pays ») d'Ibn al-Faqih qui date du Xe siècle les cite, mais la plupart des informations sont extraites des écrits d'Ibn Khordadbeh. Sefer ha-Dinim (« Livre des prescriptions»), un récit hébreu des voyages de Yehuda ben Meir de Mayence, cite Przemyśl et Kiev comme comptoirs commerciaux le long de la route radhanite. Au début du XIIe siècle, un marchand juif français nommé Yitzhak Dorbelo écrivit qu'il voyagea avec des marchands radhanites jusqu'en Pologne[4].

Origine des Radhanites

Plusieurs étymologies ont été suggérées pour le mot Radhanite et pour l'origine de ces marchands juifs. La première, plus ancienne, considère que les Radhanites sont des descendants de Juifs installés en France durant l'Antiquité, tandis que les défenseurs de la seconde pensent que le centre de leur activité était en Orient (Irak ou Perse).

Les Radhanites, descendants des Juifs d’Occident ?

Justinien réduisit les droits des Juifs dans l'Empire romain d'Orient

Le peuplement juif de l'Europe occidentale fut probablement le fait de marchands qui auraient suivi les légions romaines. Ils établirent des comptoirs dans les principaux centres commerciaux de l'empire : ports, carrefours routiers, villes fluviales et marchés. À propos de la présence de colonies juives dans tout l'empire, en Occident et en Orient, le géographe grec Strabon écrivit ainsi : « Il n'est pas aisé de trouver un endroit sur la terre qui n'ait reçu cette race. » Les Juifs bénéficiaient de nombreux privilèges attribués par César, Auguste et Tibère en raison de la richesse que créait leur activité commerciale. En 212, ils devinrent citoyens romains comme tous les hommes libres de l'empire.

Ils s'installèrent durablement en France à partir du IVe siècle d'abord dans les vallées de la Saône et du Rhône puis à partir de là, dans le reste du pays. Ils créèrent également des comptoirs en Allemagne (Cologne, Mayence…) et en Espagne (Tarragone, Grenade, Cordoue…). Dans le même temps, le christianisme se répandit peu à peu dans l'empire et devint finalement autorisé. Après qu'il fut devenu religion officielle de l'Empire au IVe siècle, la situation des Juifs se détériora, d'autant plus que leur prospérité relative suscitait l'envie. Théodose, Constance et Justinien réduisirent tour à tour leurs droits. Cependant, avec la désagrégation de l'empire romain et la diminution du pouvoir de l'Église qui en résulta, leur sort s'améliora provisoirement.

La conversion des Wisigoths et des Francs rendit leur situation difficile : une succession de conciles diminua leurs droits jusqu'à ce que Dabogert Ier les force à se convertir ou à quitter la France en 633[5]. Avec la détérioration du pouvoir royal, les commerçants juifs revinrent en France : ils s'installèrent principalement à Metz, Verdun et Narbonne[6]. Les Radhanites auraient été les descendants de ces Juifs installés très tôt en France. Cecil Roth et Claude Cahen, parmi d'autres, situent leur foyer dans la vallée du Rhône, dont le nom latin est Rhodanus. Selon ces spécialistes, le centre de l'activité radhanite était probablement en France car toutes leurs routes commerciales y commençaient[7].

Une origine orientale ?

Nombre d'experts, parmi lesquels Charles Barbier de Meynard et Moshe Gil, pensent que le terme Radhanite se réfère à un district de Mésopotamie appelé le pays de Radhan (une région à l'est du Tigre, proche de Bagdad) dans les textes arabes et hébreux de l'époque[8].

Selon Scharfstein, les Radhanites seraient originaires de Babylone en Mésopotamie. En envoyant leurs fils étudier à l'université, les Radhanites auraient tissé des liens avec les personnages influents de la région. Par la suite, ces contacts leur auraient été utiles afin de financer leur commerce[9].

Certains experts affirment que leur centre était la ville de Ravy (Rhages) dans le nord de la Perse[10]. Enfin, d'autres pensent que le nom vient du persan rah (« chemin », « voie ») et dān (« celui qui sait »), ce qui ferait « celui qui connaît les chemins »[8]. Les langues occidentales dont le français ont ajouté le suffixe « -ite » au terme, comme c'est le cas généralement pour les ethnonymes et les mots issus de toponymes.

Activité commerciale des Radhanites

Tandis qu'historiquement la plus grande partie du commerce entre l'Europe et l'Extrême-Orient avait été conduite via des intermédiaires originaires de Perse ou d'Asie centrale, les Radhanites furent parmi les premiers à établir un réseau commercial qui s'étendait de l'Europe occidentale à l'est de l'Asie[11]. Ils furent également les seuls à faire du commerce entre l'Europe et le Proche-Orient au Haut Moyen Âge. Fait encore plus remarquable, ils menèrent ce commerce intercontinental sur une base régulière et une période de temps étendue.

Les Radhanites (les Judaei) auraient été précédés par des marchands syriens chrétiens (les Syri) qui pratiquaient le commerce entre l'Occident et l'Orient sous les Mérovingiens. Ces derniers fournissaient les cours du nord de l'Europe en produits précieux. Les sources diffèrent cependant sur l'existence d'une distinction claire entre Judaei et Syri. Maurice Lombard affirme qu'ils auraient commercé des produits différents et été à leur apogée à des périodes différentes[12]. Avec la conquête du Proche-Orient par les musulmans, les Syri auraient disparu[13]. Cependant, d'autres spécialistes, tel Postan, contestent cette distinction. Les termes Judaeus et Syrus auraient été plus ou moins synonymes et auraient plutôt désigné une activité marchande de longue distance plutôt qu'une origine ethnique[14].

Carte de l'Eurasie montrant le réseau commercial des Radhanites (vers 870), tel qu'il est décrit par ibn Khordadbeh dans le Livre des Routes et des Royaumes

Ibn Khordadbeh relate que les Radhanites étaient sophistiqués et polyglottes. Il décrit quatre routes commerciales principales utilisées par les Radhanites. Toutes les quatre partaient de la vallée du Rhône et allaient jusqu'en Chine :

Les voyages des Radhanites étaient longs et dangereux. Ils duraient souvent plusieurs années : il fallait par exemple aux alentours d'un an pour aller de Cordoue à Bagdad. Les caravanes radhanites étaient protégées par des cavaliers armés ; dans une lettre du XIe siècle trouvée dans le Genizah du Caire, les Juifs d'Alexandrie demandent aux autorités juives du Caire d'obtenir la libération de marchands enlevés par des pirates[15]. Le sort des communautés juives installées le long du parcours des Radhanites et qui facilitaient grandement leur commerce était également précaire : la ville de Canton, principal centre radhanite en Chine, connut plusieurs émeutes durant lesquelles les marchands étrangers furent massacrés[16]. En Europe, l'aisance financière des Radhanites suscitait la jalousie des chrétiens. Agobard, archevêque de Lyon, écrivit à l'évêque de Narbonne (où bon nombre de Radhanites étaient installés) en 827 afin de dénoncer la présence juive[16]. Les voyages des Radhanites étaient également rendus pénibles par les interdits alimentaires : selon des textes rabbiniques du Nord et de l’Est de la France, ne pouvant se fournir en viande casher le long du trajet, ils devaient s'abstenir de manger de la viande.

Les Radhanites transportaient principalement des biens précieux et de faible encombrement, notamment des épices (musc, aloès, camphre, cannelle, etc.), des porcelaines, des parfums, de la joaillerie et de la soie. Ils auraient également fait le commerce du pétrole, de l'encens, des armes en acier, des fourrures, des eunuques et des esclaves (en particulier, les Saqāliba). Ces deux derniers biens constituaient une part importante de leur activité.

L'Espagne musulmane (ici Cordoue) était très souvent la destination finale des esclaves slaves dont les Radhanites faisaient le commerce

Les Radhanites jouaient un rôle essentiel dans le commerce des esclaves slaves qui connut un fort développement au Xe siècle. Verdun, par exemple, un des principaux centres commerciaux Radhanites, était un grand marché à esclaves[13]. Cette ville était également un important lieu de castration des eunuques. À l'origine, les esclaves étaient amenés dans l'Espagne musulmane (parfois en passant par Verdun), puis, après la révolte des Zanj, en Égypte et en Syrie. Ainsi, en 961, il y avait 13 750 Saqaliba masculins à Cordoue. Les Saqaliba étaient tellement nombreux qu'ils fondèrent une dynastie dans le sud de l'Espagne au XIe siècle[14].

Comme récompense de la richesse qu'ils apportaient, les marchands juifs bénéficièrent de divers privilèges, sous les Carolingiens en France[17] et à travers le monde musulman. Ils fréquentèrent notamment la cour sous Charlemagne[18] et Louis le Pieux[14]. Ce dernier accorde en 825 des chartes[19] aux marchands juifs Donat, Samuel, Abraham de Saragosse, David Davitis et Joseph de Lyon : protection de leur vie et de leurs biens, liberté de commercer, liberté religieuse[20]. Cependant, les Juifs n'avaient pas le droit de posséder de propriété immobilière : en effet, la très grande aisance des marchands Radhanites[21] leur aurait permis d'accaparer les terres et les bâtiments[22].

Un rôle essentiel au Haut Moyen Âge

Tableau de Julius Köckert représentant l'ambassade de Charlemagne auprès d'Haroun al-Rachid, calife de Bagdad. Cette délégation aurait été conduite par un marchand radhanite et deux nobles.

Durant le Haut Moyen Âge, les États islamiques du Moyen-Orient et d'Afrique du Nord et les royaumes chrétiens d'Europe interdisaient souvent aux marchands de l'autre camp d'entrer dans leurs ports[23]. Les corsaires des deux bords attaquaient à loisir les bateaux adverses. Les Radhanites servirent d'intermédiaires neutres, permettant aux grandes voies de communication et de commerce entre les territoires de l'ancien empire romain et l'Extrême-Orient de rester ouvertes.

Étant les seuls à voyager entre l'Occident et le monde musulman, les Radhanites jouèrent également un rôle politique. Ainsi, lorsque Charlemagne chercha l'appui du calife de Bagdad, Haroun al-Rachid contre les émirs omeyyades de Cordoue, il se servit d'un marchand Radhanite de Narbonne nommé Isaac. Il l'envoya avec deux nobles en ambassade auprès du calife. Les deux nobles moururent au cours du voyage et Isaac revint seul à Aix-la-Chapelle cinq ans après avec de nombreux cadeaux parmi lesquels un éléphant[6].

Les Radhanites, voyageant entre différentes parties du monde, contribuèrent à diffuser les connaissances. Ainsi, ils apportèrent de Chine plusieurs techniques aux IXe et Xe siècles : parmi elles, le collier d'épaule permit de mieux utiliser la force des chevaux et joua un rôle dans l'essor économique et culturel que connut la France aux XIe et XIIe siècles[24].

Bien que traditionnellement, la plupart des historiens pensent que la technique chinoise du papier fut transmise en Europe par l'intermédiaire de marchands arabes qui tenaient le secret de prisonniers de guerre capturés à la bataille de Talas, certains experts estiment que des marchands juifs tels que les Radhanites jouèrent un rôle décisif dans l'arrivée du papier en Occident[25].

Joseph d'Espagne, peut-être un Radhanite, aurait selon certaines sources introduit les chiffres arabo-indiens en Europe[26]. Historiquement, les communautés juives utilisaient des lettres de crédit pour transporter de grandes quantités d'argent sans prendre le risque de se faire voler sur leur trajet[27]. Les marchands juifs du Moyen Âge développèrent et utilisèrent à grande échelle ce système : les marchands radhanites se servaient des suftata, des lettres de crédit plus simples que celles employées postérieurement. Elles permettaient aux Radhanites de faire du commerce sur de grandes distances. Elles auraient été inventées par les banquiers juifs de Bagdad[28], précurseurs des banques qui prirent leur essor durant le Bas Moyen Âge et le début de l'époque moderne[29].

Les Radhanites auraient également contribué au développement de la médecine au sein des communautés juives d'Europe occidentale : en ramenant en Europe des drogues, des produits médicamenteux et des recettes inconnus, ils permirent à certains de leurs coreligionnaires de devenir de célèbres médecins en France (Paris, Montpellier), en Espagne (Université de Salamanque) et au Portugal (Université de Coimbra)[16].

Certains experts estiment que les Radhanites pourraient avoir joué un rôle dans le conversion des Khazars au judaïsme[30]. De plus, ils auraient participé à l'installation de communautés juives en divers endroits le long de leurs routes commerciales : ils furent probablement impliqués dans le peuplement juif d'Europe de l'Est (Prague), d'Asie centrale, de Chine et d'Inde[31].

La fin de l’époque radhanite

Les sources diffèrent sur la période d'apogée des Radhanites. Selon MacDonald, Gastmann et d'autres auteurs, elle se situe au Xe siècle et au début du XIe siècle. Cependant, Postan date le déclin des Radhanites au IXe siècle.

Les raisons expliquant le déclin progressif des Radhanites sont multiples. La chute de la dynastie Tang en Chine en 908 et la destruction du khaganat khazar soixante ans plus tard répandirent le chaos au centre de l'Eurasie, dans le Caucase et en Chine. Les routes commerciales devinrent instables et peu sûres, une situation aggravée par les invasions turques de la Perse et du Moyen-Orient. La route de la soie fut coupée durant plusieurs siècles. De plus, la fragmentation du monde islamique (et dans une moindre mesure, de la chrétienté) en petits États fournit davantage d'opportunités pour les non-Juifs de pratiquer le commerce. Vers la fin du Xe siècle et au XIe siècle, les villes européennes prirent leur essor. Cette période fut marquée par l'émergence des cités marchandes italiennes, notamment Gênes, Venise, Pise et Amalfi qui considéraient les Radhanites comme des concurrents indésirables. Une classe commerçante chrétienne naquit, d'abord en Italie du Sud, puis en Italie du Nord, dans les Flandres et la vallée du Rhin.

La situation des Juifs en Occident se dégrada. En raison du trafic d'esclaves et de l'hostilité du clergé, les Radhanites auraient perdu les soutiens dont ils disposaient dans les cours européennes[32]. L'antisémitisme se renforça au moment de la première croisade et les Juifs furent victimes de persécution : pogroms, expulsion des grands centres commerciaux.

Cependant, certains continuèrent leur activité jusque dans la deuxième partie du XIe siècle. Ainsi, en 1084, l'évêque de Spire Rüdiger qui souhaitait faire de sa ville un centre commercial important leur accorda une charte afin qu'ils s'y établissent[13]. Cette charte eut un impact positif. Elle fut reconduite en 1090 par l'empereur Henri IV et étendue à la ville de Worms[33]. La dernière mention de la prospérité des Juifs de la vallée du Rhin date de la première croisade. Les marchands juifs de la fin du XIe siècle et du XIIe siècle continuèrent à commercer mais à bien moindre échelle (c'est-à-dire beaucoup plus localement) que leurs prédécesseurs Radhanites.

L'économie de l'Europe fut profondément modifiée par la disparition des Radhanites. Par exemple, des documents montrent que de nombreuses épices utilisées couramment au milieu du Moyen Âge disparurent complètement des tables européennes au Xe siècle. Les Juifs avaient auparavant bénéficié d'un monopole dans le commerce des épices dans une grande partie de l'Europe occidentale[34].

Des siècles plus tard, Marco Polo et Ibn Battûta racontèrent, respectivement aux chrétiens et aux musulmans, le récit de leurs voyages en Orient. On pense qu'Ibn Battûta a accompagné les commerçants musulmans qui voyageaient en Orient sur des routes similaires à celles utilisées par les Radhanites.

Les Radhanites vus par un historien soviétique antisémite, Lev Goumilev

Un historien soviétique, Lev Goumilev, affirma pratiquement sans aucune source que les Radhanites avaient joué un rôle majeur dans l'asservissement des Slaves. Goumilev ne leur reprocha pas tant d'avoir pratiqué le trafic d'esclaves, mais bien de l'avoir fait avec des esclaves slaves et chrétiens[35]. Il les accusa d'avoir vécu aux dépens des populations locales :

« Les Juifs radhanites constituent une super-ethnie qui conserve un très haut niveau de pouvoir. La dispersion ne les gêne pas dans la mesure où ils vivent aux dépens des terrains anthropogènes, c'est-à-dire les villes. »

Il les dépeignit comme des démons du mal. Selon lui, les Radhanites auraient vendu des Khazars qui les avaient hébergés. Par là même, il entendait montrer leur manque de gratitude qui serait un comportement typique de la part des Juifs, tout comme le racisme et la xénophobie.

Enfin, ils auraient selon lui exercé une influence indue sur le paysage sociopolitique et économique du Moyen Âge. Il les accusa ainsi d'avoir pratiqué des mariages mixtes afin de conquérir le pouvoir politique des Khazars[36].

Annexes

Articles connexes

Liens externes

Sources de l’article

  • (en) Cet article est partiellement ou en totalité issu d’une traduction de l’article de Wikipédia en anglais intitulé « Radhanite ».
  • (en) Elkan Adler, Jewish Travellers in the Middle Ages, Dover Publications, New York, 1987.
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  • (en) Kevin Alan Brook, The Jews of Khazaria, Jason Aronson Inc., Northvale, 1999 (1re éd.) (ISBN 0765762129), p. 103.
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Notes et références

  1. La langue à laquelle Ibn Khordadbeh se réfère n'est pas précisément déterminée. Le mot Firanj peut être utilisé pour signifier « Franc », mais au Moyen Âge, c'était un terme générique utilisé par les Arabes (et les chrétiens d'Orient) pour désigner les Européens d'Occident en général. Il est possible qu'Ibn Khordadbeh utilise « Franc » par opposé à « Romain » (Grec byzantin), indiquant que les Radhanites parlaient plusieurs langues utilisées par les Chrétiens orientaux et occidentaux.
  2. Bien que certains, dont Moshe Gil, maintiennent que le terme Firanja utilisé dans ce contexte se réfère à la partie de l'Italie occupée par les Francs et non pas à la France elle-même. (Source : Moshe Gil).
  3. Ici ibn Khordadbeh désigne probablement Constantinople, la « Nouvelle Rome », plutôt que Rome en Italie.
  4. (en) Kevin Alan Brook, The Jews of Khazaria, p. 103 et (pl) Itzhak Schipper, Dzieje Gospodarcze Żydów Korony i Litwy w Czasach Przedrozbirowych., p. 116.
  5. Il n'est pas sûr que cette décision fut appliquée. Cependant, la présence juive en France diminua vers cette époque. (Source : Esther Benbassa).
  6. a  et b Patrick Girard, Pour le meilleur et pour le pire, vingt siècles d'histoire juive en France, p. 45-46.
  7. (en) Norman Roth, Medieval Jewish Civilization; An Encyclopedia, p. 558-561.
  8. a  et b (en) Moshe Gil, The Radhanite Merchants and the Land of Radhan, p. 299–328.
  9. (en) Sol Scharfstein, Jewish History and You: From the Patriarchs to the Expulsion from Spain With Documents and Texts, p. 133.
  10. (en) Encyclopedia of World Trade: From Ancient Times to the Present, « Radhanites », p. 763–4.
  11. Voir par exemple : (en) Encyclopedia of World Trade: From Ancient Times to the Present, « China ».
  12. (en) Maurice Lombard, The Golden Age Of Islam, p. 212.
  13. a , b  et c (en) Mark R. Cohen, Under Crescent and Cross: The Jews in the Middle Ages, p. 78-82.
  14. a , b  et c (en) M.M. Postan, Cambridge Economic History of Europe: Trade and Industry in the Middle Ages, p. 416-419.
  15. (en) Jon Bloomberg, The Jewish World in the Middle Ages, p. 137.
  16. a , b  et c Philippe Bourdrel, Histoire des Juifs de France, t. 1 : Des origines à la Shoah.
  17. Ces privilèges irritaient fortement les autorités chrétiennes locales. Ce serait notamment dû au fait que l'Église considérait alors que les activités économiques encourageaient la cupidité et menaient donc à un « gain honteux » (turpe lucrum). (Source : Mark R. Cohen).
  18. Au XIIe siècle, les Juifs ashkénazes d'Europe du Nord pensaient que c'était le « roi Charles » qui, le premier, avait amené des Juifs d'Italie dans la vallée du Rhin. (Source : Mark R. Cohen).
  19. Ces chartes seraient inspirées de chartes accordées par Charlemagne mais qui n'ont pas été retrouvées. (Source : Yosef Hayim Yerushalmi)
  20. Ces chartes, accordées à la demande des marchands juifs les plaçaient directement sous la protection de l'empereur
  21. Tous les Juifs ne partageaient cependant pas cette opulence : la plupart d'entre eux étaient vignerons dans les vallées du Rhône et de la Saône (ou agriculteurs). (Source : Philippe Bourdrel).
  22. (Source : Philippe Bourdrel). Ce fait est néanmoins contesté par plusieurs auteurs, notamment Esther Benbassa
  23. (en) Elmer Bendiner, The Rise and Fall of Paradise, p. 99-104.
  24. (en) Joseph Needham, Science and Civilisation in China, vol. 3, p. 681.
  25. Voir par exemple : (en) Encyclopedia of World Trade: From Ancient Times to the Present, « Radanites », p. 764.
  26. (en) Elkan Adler, Jewish Travellers in the Middle Ages et (de) Zur Weissenbron, Geschichte der Jetzigen Ziffern, p. 74–78. Voir aussi : (en) Encyclopedia of World Trade: From Ancient Times to the Present, « Radanites », p. 764.
  27. Flavius Josèphe, Antiquités juives (XVIII, 6, 3).
  28. (en) Scott B. MacDonald et Albert L. Gastmann, History of Credit and Power in the Western World, p. 44.
  29. (en) Louis Rabinowitz, Jewish Merchant Adventurers: A Study of the Radanites, p. 91.
  30. Par exemple : (en) Encyclopedia of World Trade: From Ancient Times to the Present, « Radanites », p. 764. Voir aussi : (en) Omeljan Pritsak, The Khazar Kingdom's Conversion to Judaism, p. 265.
  31. Il est possible que certaines des communautés aient été fondées par des marchands juifs plus anciens. (Source : M.M. Postan).
  32. (it) E. Ashtor, Gli Ebrei nel commercio mediterraneo nell'alto medioevo (sec. X-XI), Settimane di studio des Centro italiano di studisull'alto medioevo, XXVI : Gli Ebrei nell'Alto Medioevo, Spoleto, 1980, p. 454-456, repris dans : (en) E. Ashtor, The Jews and the Meditterranean Economy, 10th-15th centuries, Londres, 1983.
  33. Yosef Hayim Yerushalmi, Raisons politiques no 7 (août-octobre 2002), p. 19-52.
  34. (en) Louis Rabinowitz, Jewish Merchant Adventurers: A Study of the Radanites, p. 150-212.
  35. (en) Vadim Rossman, Russian Intellectual Antisemitism in the Post Communist Era, p. 82-83.
  36. La plupart des historiens considère que les Khazars se convertirent au judaïsme afin de garder leur indépendance politique vis-à-vis de leurs voisins chrétiens et musulmans.
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