Art numérique

Art numérique

L'art numérique s'est développé comme genre artistique depuis le début des années 1980 et désigne un ensemble varié de catégories de création utilisant les spécificités du langage numérique. Portée par la puissance de calcul de l'ordinateur et le développement d'interfaces électroniques autorisant une interaction entre le sujet humain le programme et le résultat de cette rencontre, la création numérique s'est considérablement développée en déclinant des catégories artistiques déjà bien identifiées. En effet, des sous-catégories spécifiques telles que la « réalité virtuelle », ou la « réalité augmentée », « l’Art génératif », ou encore « l’Art interactif » viennent compléter les désignations techniques du Net-art, de la photographie digitale ou de l'art robotique. Soulignant la nécessité de construire un dialogue entre les médias traditionnels (peinture, sculpture, dessin) et les nouveaux médias, qui se sont tournés le dos abusivement, Hervé Fischer a proposé d'explorer ce que pourraient être les «beaux-arts numériques».

Sommaire

Expositions et événements consacrées aux arts numériques

De nombreux festivals, expositions et événements présentent les arts numériques, tels que lArs Electronica Festival à Linz (Autriche), Deaf à Rotterdam, Transmediale à Berlin, ISEA, International Symposiun of Electronic Arts. Les compétitions internationales d'animation par ordinateur telles quImages du futur (Montréal) organisé par la Cité des arts et des nouvelles technologies de Montréal qui se sont déroulées de 1986 à 1997, la biennale de lICC, InterCommunication Center de NTT à Tokyo, Imagina à Monte Carlo, lArt Show du Siggraph aux États-Unis. À partir des années 2000, les manifestations se multiplient, le plus souvent en relation avec les musiques électroniques: le Festival Elektra, Mutek... et, plus récemment en France, le Cube Festival à Issy-les-Moulineaux, le festival Seconde Nature à Aix-en-Provence, les Empreintes numériques à Toulouse, les Bains Numériques à Enghien les Bains, ou encore Désert Numérique à Saint Nazaire le désert.

Depuis 2011, le théâtre de la Gaîté à Paris est entièrement dédié aux arts numériques et aux musiques actuelles.

Du numérique aux environnements virtuels et augmentés

« Le terme d’environnement, rappelle Valérie Morignat, est entré dans le champ des arts au cours des années 1960, en pleine période du décloisonnement des catégories artistiques. À l’époque, celui-ci qualifie déjà un milieu englobant et participatif au sein duquel l’expérience perceptive et critique du spectateur est vivement convoquée. » Le spectateur est invité à s'impliquer physiquement dans le processus de création. Dans les environnements interactifs, "truffés de capteurs invisibles qui interprètent les mouvements et la morphologie du spectateur, la sensorialité humaine est immergée dans un monde où elle est sollicitée, interprétée, pour finalement devenir une matrice créative qui informe et régénère l'espace environnant."

Avant l'arrivée massive des techniques numériques, des environnements interactifs ont pu être créés par des moyens exclusivement analogiques, comme par exemple en 1955 avec les tours cybernétiques de Nicolas Schöffer ou en 1980, avec l'installation musicale et visuelle interactive "Sonopticon" des artistes français Jean-Robert Sedano et Solveig de Ory.

Au début des années 1980, Marc le Bot pensait que l'ordinateur ne pourrait être l'instrument de la création artistique car il n'impliquait pas le corps. Pierre Lévy (Qu'est-ce que le virtuel ?) ou Jean-Louis Boissier (La relation comme forme), à l'appui du développement d'un "art des interfaces" ont démontré que le corps était au contraire particulièrement engagé par les processus de la création numérique (motion-capture, data-gloves, capteurs de mouvement, etc). Diana Domingues ajoutera qu'au-delà de l’interface, il est important "d’insister sur l’importance de la dimension comportementale de l’art interactif, dans laquelle un corps est enclin à ressentir quelque chose qui amplifie sa dimension de monde".

Les environnements de réalité virtuelle (RV) ou de réalité augmentée (RA), constituent aujourd'hui des catégories importantes de la création numérique. Des artistes comme Jeffrey Shaw, Christa Sommerer et Laurent Mignonneau, Maurice Benayoun, Char Davies et Sophie Lavaud se sont efforcés de montrer qu'au-delà des enjeux technologiques et spectaculaires, un nouveau potentiel d'écriture s'offrait à l'artiste pour créer des situations complexes, conceptuelles, oniriques ou engagées.

Jeffrey Shaw avec Legible City fut avec Matt Mullican, Five into One, un des tout premiers à utiliser la Réalité Virtuelle à des fins artistiques. Les univers de Jeffrey Shaw, à mi-chemin entre architectures virtuelles et art conceptuel, Golden Calf, n'hésitent pas à jouer de l'ambiguïté des deux espaces, physique et virtuel, en proposant par exemple la visite d'une ville à lire, pour Legible City ou le visiteur se déplace dans une ville virtuelle dont les bâtiments sont des mots, les immeubles des lettres, et ceci monté sur une bicyclette de métal et de pneu. Le message était clair, de l'annonce d'espace de représentation où l'illusion ne serait pas uniquement une vaine tentative d'imiter le réel, mais un discours construit à interpréter.

Christa Sommerer et Laurent Mignonneau ont développé des projets particulièrement représentatifs du potentiel symbolique de la transition entre espace physique et espace fictif notamment au travers d'œuvres comme Interactive Plant Growing, Transplant ou Intro Act qui intègrent selon les cas dans un même espace plantes réelles, sujets humains, interfaces sensibles (capteurs de mouvements, de lumière, de pression, etc) programme de vie artificielle et synthèse temps réel. L'environnement, délimité par des écrans où naissent des images tridimensionnelles générées par les interactions du spectateur avec les interfaces, devient alors une matrice intelligence, reflétant les relations biologiques de l'organisme et du "milieu" qui s'enrichissent l'un l'autre. Comme se plaisent à le dire Christa Sommerer et Laurent Mignonneau eux-mêmes, le biotope virtuel qui se projette sur les écrans relativement aux mouvements des spectateurs ou de leurs interactions avec les plantes expriment « l’expression même des émotions du sujet au contact du virtuel ». Aujourd'hui, les designers du groupe Electronic Shadow développent des dispositifs utilisant la Réalités Augmentée, qui mettant en relation les spectateurs présents dans l'environnement interfacé et les internautes virtuellement connectés à l'espace d'exposition, Ex-Îles (2004).

Char Davies, avec l'œuvre de Réalité Virtuelle "Osmose" a renforcé cette nouvelle intégration du spectateur et de ses capacités d'agir au sein du processus de création et de régénération de l'œuvre. Comme dans les œuvres de Sommerer et Mignonneau, dans "Osmose", le corps du spectateur est indispensable à l'activation de l'œuvre. Portant une combinaison de capteurs et un visio-casque stéréoscopique, le spectateur navigue à l'intérieur d'un monde virtuel dans lequel il évolue au rythme de sa respiration.

World Skin, Maurice Benayoun, 1997, installation interactive de Réalité Virtuelle

Maurice Benayoun artiste, théoricien, qui vient de l'art vidéo et de l'animation en images de synthèse Les Quarxs, propose en 1992 la création d'un Après Musée Explorable, une collection d'art contemporain en réalité virtuelle. Il réalise à partir de 1994 des installations faisant appel à la réalité virtuelle, immersive ou non : dans la série d'installations intitulées les Grandes Questions Dieu est-il plat? (1994) qualifié par Jean-Paul Fargier dans le quotidien le Monde de "premier jeu vidéo métaphysique", le Diable est-il courbe? fait appel à un programme génératif où un être artificiel se manifeste par un comportement autonome parodie des systèmes de séduction employés par les médias. Après Philippe Quéau, il inaugure en 1995 la premières installation de "télé-virtualité" intercontinentale, connectant le Centre Pompidou et le Musée d'Art Contemporain de Montréal: Le Tunnel sous l'Atlantique qui permet, dans un espace génératif temps réel, de se rencontrer en creusant dans la mémoire collective des deux pays. La musique interactive spatialisée, l'analyse comportementale, le profilage dynamique, la gestion dynamique de la base de données tri-dimensionnelle et informationnelle, l'insertion de la vidéo temps réel dans la réalité virtuelle partagée font de cette installation de 1995 un objet expérimental atypique. L'utilisation d'agents intelligents dans des espaces 3D dynamiques immersifs devient une signature que Maurice Benayoun développe avec une pièce importante World Skin, un safari photo au pays de la guerre (Golden Nica de l'Art interactif Ars Electronica 1998). En cultivant la notion de situation qui prend son sens avec les environnements immersifs, les œuvres dépassent le stade de la démonstration technologique, ainsi que la thématique même des mutations technologiques, pour introduire de véritables questionnements sur les sujets sociétaux, philosophiques ou éthiques. Il développe progressivement le concept d'OPEN ART, défini comme une ouverture des pratiques artistiques favorisée par l'émergence des technologies de l'information, mais qui ne se limiterait pas à leur mise en oeuvre. Comme une conséquence de son exploration des environnements virtuels, Maurice Benayoun définit le champ de ce qu'il appelle la Fusion Critique, où la fiction se mêle à la réalité non pour en augmenter l'illusion et la fantaisie, mais pour la rendre plus lisible. L'artiste ne retournerait pas, du fait des technologies, à une simple problématique de représentation du monde, mais à une forme d'engagement dans la société.

En 1994 Sophie Lavaud réalise dans les ateliers d'art 3000 (devenus depuis le CUBE à Issy-Les-Moulineaux) une œuvre interactive en réalité virtuelle, Centre Lumière Bleue, qui fonctionne avec des capteurs selon les mouvements et déplacements des publics. En collaboration avec l'artiste Fred Forest, ils créent le technomariage en 1999, qui constitue en première mondiale un événement utilisant Internet et un programme de réalité virtuelle

De l'art des interfaces à la fiction interactive

L'interactivité et la générativité, boucle rétroactive au centre de laquelle se trouve le sujet humain, sont deux principes fondamentaux du processus de création numérique. Ils apparaissent très clairement dans des œuvres où les interfaces jouent un rôle déterminant comme dans "Musique de Corps" des artistes français Jean-Robert Sédano et Solveig de Ory ou "Very Nervous System" de l'artiste canadien David Rokeby, mais aussi dans des œuvres qui ouvrent vers le cinéma digital et la fiction interactive comme celles de Toni Dove ("Artificial changellings"), de Luc Courchesne ("Landscape One"), ou encore celles de l'artiste et architecte Jeffrey Shaw ("Scenario2" 2005, "Eavesdrop" 2004). Le système de projection AVIE développé par Jeffrey Shaw et Dennis Del Favero (Advanced Visualisation and Interaction Environnent) permet, via des capteurs de mouvement et de forme, d'interagir non seulement avec les images, le son, mais encore, dans le cas d'une fiction cinématographique, avec les personnages du film. "Configurés en même que temps que l'histoire racontée" (Ricoeur), les personnages de fiction se rapprochent alors singulièrement du spectateur, lequel incorpore le monde de la fiction en y inscrivant ses propres actions. Dans ce type d'œuvre qui change les procédures narratives, l'intelligence artificielle joue un rôle considérable. Ainsi Grégory Chatonsky a créé en 2005 pour Arte, Sur Terre, une fiction interactive et générative se fondant sur un tel système et sur une base de données de 800 000 documents.

L'intégration de la vie artificielle et de l'intelligence artificielle dans les œuvres numériques est en effet en plein essor et ouvre des perspectives nouvelles. Au théâtre, requalifié "scène des interfaces", son usage permet d'ouvrir le jeu des acteurs à l'interaction avec des personnages virtuels administrés par des programmes de vie et d'intelligence artificielle (Jean-Lambert Wild, "Orgia").

Nouveau Medium: matériel, logiciel et implications esthétiques

Indépendamment de chaque projet artistique, l'art numérique s'appuie sur l'état de la technique de son temps, il est donc dépendant du matériel (hardware en anglais) et des logiciels (software). Avant les années 1990, époque où cohabitaient de multiples systèmes d'exploitation, la plupart des artistes numériques réalisaient eux-mêmes les logiciels nécessaires à leurs œuvres comme Erkki Kurenniemi, Piotr Kowalski, Jean-Robert Sedano ou David Rokeby puis Laurent Mignoneau, . D'autres faisaient appel à des ingénieurs pour créer les outils nécessaire à la mise en œuvre de leur projet. L'arrivée de logiciels, dédiés à la création numérique, a simplifié la tâche des artistes, en créant parfois des stéréotypes stylistques, notamment Director en 1986, pour la création de Cd-Rom et Max/MSP en 1990 de Miller Puckett, qui deviendra le logiciel libre Pure Data en 1995, pour la création sonore et vidéo interactive en temps réel. Depuis, nombre d'autres logiciels ont été développés par des artistes ou structures afin de traiter en temps réel des flux sonores, graphiques, vidéos, etc., tous modifiables par des programmations de « patchs ». En 2001 apparait Processing, un langage de programmation dédié à la création plastique et graphique interactive.

La conservation des arts numériques

Les arts numériques utilisent les technologies et logiciels de leur temps, et le renouvellement incessant des produits ainsi que l'obsolescence programmée des matériels peuvent rendre difficile, voire impossible la maintenance des œuvres. La réflexion se développe sur les problématiques de conservation. La définition de l'œuvre, de ses limites et de son autonomie par rapport aux technologies n'en finit plus d'accompagner les mutations d'une pratique qui n'est peut être pas réductible au numérique. On a pu se demander si remplacer un tube cathodique d'une installation de Nam June Païk changeait la nature de l'œuvre, on peut maintenant se demander si une machine plus rapide, plus compacte, avec un operating system différent ne dénaturait pas l'œuvre originale.

Voir aussi

Autres catégories de l'art numérique

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Liens externes

Bibliographie


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Contenu soumis à la licence CC-BY-SA. Source : Article Art numérique de Wikipédia en français (auteurs)

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