Pierre Herbart

Pierre Herbart

Pierre Maurice Herbart, romancier, essayiste et résistant, est né le 29 mai 1903 à Dunkerque et décédé à Grasse le 3 août 1974.

Sommaire

Sa vie

Pierre Herbart naît dans une famille de la bourgeoisie dunkerquoise sur le point d’être déclassée : son grand-père Léon Herbart est directeur des chantiers navals, de la chambre de commerce, des chemins de fer du Nord et armateur, mais son père décide, non sans avoir passé des mois à dépenser la fortune familiale en fêtes généreuses, de « se faire clochard », plongeant ainsi la famille dans l’inconfort matériel[1]. Réapparaissant de temps à autre (avant d’être retrouvé mort dans un fossé) ce père improbable (il ne serait pas le père biologique de Pierre[2]), marque profondément et durablement son fils par l'effarante liberté ainsi gagnée. À dix-sept ans, muni de recommandations fournies par son grand-père, Herbart décroche un emploi dans une compagnie d'électricité à Paris. Il y restera deux ans avant d’être incorporé dans les troupes de Lyautey au Maroc en 1923, l’occasion pour lui de voyager en Afrique du Nord, au Sénégal puis au Mali et au Niger.

L'année suivante Jean Cocteau auquel il voue une grande admiration lui est enfin présenté. Il en sera très proche jusqu’à sa rencontre avec André Gide, par hasard, en 1929. En 1931, Herbart épouse Élisabeth van Rysselberghe (dont Gide a eu une fille, Catherine), la fille de ses amis, le peintre Théo van Rysselberghe et son épouse Maria (surnommée la Petite dame). André Gide s'occupe de la publication de son premier roman, le Rôdeur, chez Gallimard, tandis que le couple part s'installer à Cabris. Andrée Viollis, reporter au Petit Parisien, lui propose de l'accompagner en Indochine, sur les traces du ministre des Colonies d’alors, Paul Reynaud. Le constat est accablant.

Beaucoup s'y sont cassé les dents et, malgré les mises en garde d'André Gide, il commence en 1932, sur le trajet qui le ramène en France, l'écriture d’un récit dans la lignée des romans réalistes socialistes mettant explicitement en scène la nécessité et l'évidence du communisme, Contre-ordre. Ses prises de position contre le colonialisme lui ayant attiré la sympathie des communistes français qu’il a depuis rejoint au sein du PCF, ils lui confient, en 1933, un reportage sur l'Espagne. Le 14 février il se rend à Madrid en compagnie de son épouse. À son retour, il termine l'écriture de Contre-ordre et signe un contrat avec Gallimard et remet son manuscrit le 14 décembre. Il part, depuis Londres, pour Leningrad, en URSS le 6 décembre 1935. Il prend la suite de Paul Nizan à la direction de Littérature Internationale. Il y subit, non sans patience, la bêtise d’une censure ubuesque qu'il évoquera des années plus tard dans La Ligne de force.

Rentré à Paris le 30 mai 1936, il repart en URSS, le 16 juin, accompagnant André Gide, Eugène Dabit, Louis Guilloux, Jef Last et Schiffrin. Après Moscou où Gide assiste aux funérailles de Maxime Gorki – une célèbre photographie le montre non loin de Staline en train de lire une déclaration - s’ensuit un petit périple à travers le pays jusqu’en septembre. Rentrés à Paris, alors que la guerre d’Espagne vient d’éclater, Herbart part à Barcelone avec les épreuves du pamphlet d’André Gide - Retour de l'U.R.S.S. - pour rencontrer André Malraux et questionner avec lui la pertinence d’une publication terrible pour l’URSS en ces temps de guerre. Louis Aragon ayant, semble-t-il, prévenu les autorités soviétiques de la sortie imminente du livre, Herbart est arrêté, menacé de mort et ne doit sa libération qu’à l’intervention d’André Malraux. L’année suivante, il accompagne André Gide - nommé membre d’une commission coloniale - en Afrique. Il publie en 1939 un témoignage sur « la malveillance d’un homme et d’un système », le Chancre du Niger, dont André Gide rédige la préface.

Lorsque la Seconde Guerre mondiale éclate, Herbart est réformé ; il offre son aide à l'organisation d'un comité formé pour des travaux de défense passive (creusement de tranchées, d'abri, etc.). La guerre perdue, il s’engage dans la Résistance. Ainsi, il participe en 1943, sous le nom de général Le Vigan, à la mise en place d’un réseau, dans le Sud-Ouest de la France, qui aide les jeunes hommes à fuir le STO (Service du Travail Obligatoire) et, membre du réseau de Résistance Défense de la France, il participe à la création du journal éponyme Défense de la France, qui deviendra France Soir. Enfin, à la suite de l'arrestation et de l'exécution du responsable pour le mouvement en Bretagne, Maurice Prestant, on le charge en 1944 de la direction régionale. S'étant fait nommer vice-président du comité de libération de la ville, il organise la libération de Rennes (il obtiendra des Américains la cessation de bombardements inutiles sur la ville), arrête le préfet en place, installe son successeur et le Commissaire de la République, s'occupe de prévenir les exactions et les règlements de comptes[3],[4].

À la Libération, Albert Camus l’invite à participer à Combat. Il parachève parallèlement l’écriture d’Alcyon (1945), aide Camus à écrire un premier scénario de la Peste. Il participe à la création d’un hebdomadaire, avec Claude Bourdet et Jacques Baumel de Terre des Hommes (auquel participent André Gide, Henri Calet, Raymond Aron, Prévert, Nadeau, Mahias, Giraudoux, Henri Michaux) qui s’arrêtera au bout de 23 numéros. Il collabore également à l’écriture de différents scénarios (Isabelle d’André Gide, Thibault de Roger Martin du Gard). Du 13 décembre 1946 au 26 avril 1947, il est envoyé en Algérie pour un reportage sur le Maghreb dont le premier compte-rendu fait une de France-Soir en 1947 sous le titre S.O.S. Afrique du Nord, porteur d'une prémonition (alors que seule l'Algérie ne connaît pas encore de troubles) comme le second article, mais, le troisième volet ne sera pas publié[3].

Le 19 novembre 1949, le frère d’Herbart meurt du tétanos, suivi en 1951 par André Gide. Il perd ainsi, en deux ans, deux proches mais aussi - et ce n’est pas négligeable - deux soutiens financiers. Pour Gallimard, il écrit un petit portrait vitriolé d’André Gide, À la recherche d’André Gide, publié en 1952, et qui lui attirera les foudres des admirateurs et de certains proches d’André Gide auquel il était "apparenté" par son union avec Elizabeth Van Rysselberghe dont il divorcera en 1953[5].

En 1952, il s’installe chez Roger Martin du Gard et écrit l’Âge d’or, livre dans lequel il évoque les amours (majoritairement homosexuelles) de sa jeunesse. L’année suivante, sa mère meurt d’un cancer. Il fait plusieurs voyages avec son épouse et écrit un livre sur son parcours politique, La Ligne de force, qui sort en 1958. La même année meurt Roger Martin du Gard. Gallimard le charge de mettre en ordre ses papiers en vue d'une publication, sans que cela aboutisse[3]. Encore soutenu financièrement par Christiane Martin du Gard, il doit néanmoins quitter l’ancien appartement d’André Gide, rue Vaneau, lorsqu’il se sépare de sa femme.

Achevant de tirer un scénario d’Alcyon, il entreprend ensuite la rédaction d’un nouveau roman, La Licorne, qui paraît en 1964. Il collabore épisodiquement à différentes revues littéraires et publie, en 1968, Souvenirs imaginaires puis un recueil de nouvelles, Histoires confidentielles, en 1970.

Affaibli, dans une situation financière plus que précaire, il est victime d’une attaque d’hémiplégie et meurt à Grasse en août 1974. D’abord jeté à la fosse commune, il est finalement enterré à Cabris.

Anecdotes

  • Lorsque André Gide le rencontra, tombé sous le charme, il prétendit avec malice avoir trouvé son Lafcadio, personnage clé des Caves du Vatican qu’il avait publié en 1914.
  • Jean Cocteau garda toujours rancune à André Gide – qui n’appréciait que très modérément le poète – de lui avoir « ravi » Pierre Herbart.
  • Lors de son séjour en URSS, il fut hébergé quelques jours chez l'auteur russe Alexeï Tolstoï, alors absent.
  • André Gide avait émis le souhait de voir adaptée au cinéma sa sotie, Les Caves du Vatican, pour confier le rôle de Lafcadio à Pierre Herbart. Le livre fit l'objet d'une adaptation théâtrale au temps de l'engagement communiste d'André Gide, mais le projet cinématographique (qui faillit d'ailleurs voir le jour en URSS) n'aboutit pas.
  • Pierre Herbart travailla un temps à l'adaptation cinématographique d'Alcyon, Michel Simon ayant été pressenti pour un rôle - mais le projet n'aboutit pas. Ce roman fut finalement adapté par Pierre Dumayet, des années après la mort de l'auteur, pour la télévision française et fut diffusé en 1990 (réalisation : Fabrice Cazeneuve).

Bibliographie

  • Le Rôdeur, Gallimard, 1931
  • Contre-ordre, Gallimard, 1935
  • En U.R.S.S., 1936, Gallimard, 1937
  • Le Chancre du Niger, Gallimard, 1939
  • Alcyon, Gallimard, 1945
  • À la recherche d’André Gide, Gallimard, 1952
  • L’Âge d’or, Gallimard, 1953
  • La Ligne de force, Gallimard, 1958
  • La Licorne, Gallimard, 1964
  • Souvenirs imaginaires, Gallimard, 1968
  • Histoires confidentielles, Grasset, 1970
  • Textes retrouvés, Le Promeneur, 1999 (publié sous le titre Inédits aux éditions du Tout sur le tout, 1981)
  • On demande des déclassés, Le Promeneur, 2000

Journalisme :

  • Collaboration à Marianne
  • Collaboration à Vendredi
  • Collaboration à Terre des Hommes
  • Collaboration à Combat entre 1947-1948

Bibliographie critique

  • Paul Renard (dir.), Pierre Herbart, romancier, autobiographe et journaliste, Roman 20 - 50, Hors série n°3, 2006, 90p.
  • Philippe Berthier, Pierre Herbart, morale et style de la désinvolture, Centre d’études gidiennes, 1998.
  • Sylvie Patron, « Pierre Herbart ou la vie ironique », Critique, no 624, mai 1999.
  • Bernard Desportes, « L'Insouci de soi », Ralentir travaux, no 12, novembre 1998, p. 35-39.
  • Maurice Nadeau, « Une certaine attitude », Ralentir travaux, no 12, novembre 1998, p. 51-54.
  • —, « Herbart à Combat et beaucoup plus tard », Ralentir travaux, no 12, novembre 1998, p. 55-58.
  • Béatrix Beck, « Le charmeur charmé », Ralentir travaux, no 12, novembre 1998, p. 59-60.
  • Jean-Luc Moreau, « Le goût, amer, de l'éternel », Ralentir travaux, no 12, novembre 1998, p. 67-80.
  • Henri Thomas, « Le goût de l'éternel », roman (dont Pierre Herbart est le personnage principal) Ed. Gallimard 1990.
  • Christophe Caulier, Littérature et engagement : quelle articulation ? (André Gide, Pierre Herbart et Paul Nizan), thèse de doctorat soutenue à Paris-Diderot, décembre 2008.

Notes et références

  1. C'est en effet l'inconduite notoire de Maurice (surnommé "Ravachol" par les siens), père de l'écrivain, qui poussa le grand-père à lui préférer son gendre Aimé Bourbonnaud, officier de marine, pour reprendre ses activités de commissaire d'avaries et de représentant du Lloyd's à Dunkerque (les aînés s'étant installés à l'Etranger). L'écrivain vécut ce déshéritage comme une trahison et voua désormais une forte animosité à son oncle et à la famille de ce dernier, animosité transparaissant dans certaines pages des Souvenirs imaginaires
  2. Son vrai père serait vraisemblablement un courtier maritime dunkerquois du nom d'Alibert
  3. a, b et c Émission de France-Culture diffusée la première fois le 24 mai 2000.
  4. À la Libération, ses états de service furent hautement loués par le Général De Gaulle
  5. L'impécuniosité constante de son mari faisant craindre à son épouse de finir comme lui dans le complet dénuement. Selon témoignage dans l'émission de France-Culture diffusée la première fois le 24 mai 2000.

Lien externe


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