Phonoscène

Phonoscène
Une publicité pour le chronophone présentant une phonoscène

Les phonoscènes (ou phono-scènes) sont des courts métrages cinématographiques synchronisés à des enregistrements phonographiques selon un procédé son sur disque. Ce sont parmi les premiers exemples de films musicaux après le Phono-Cinéma-Théâtre. La technologie du chronophone consiste en la synchronisation entre le cinématographe et le phonographe[1]. Une phonoscène est un couple audiovisuel formé d'une image en mouvement (en grande majorité des plans-séquences tournés dans les conditions du playback) et d'un enregistrement sonore issu de cylindres puis de disques[2],[1]. La production de phonoscènes peut être classée en quatre catégories : chansons, airs d'opéra populaires, airs d'opérettes et enfin une dernière catégorie regroupant les scènes de danse, les monologues, saynètes (Filmparlants), assaults d'escrime…)[3].

La production expérimentale débute en 1902. Le premier catalogue date de 1907. La diffusion cesse en 1917, un peu plus de dix ans avant Le Chanteur de jazz. L'existence des phonoscènes relativise la notion de cinéma muet et précise la chronologie du cinéma sonore. D'autant plus que quelques « phonoscènes sans musique » ont été diffusées sous le nom de «filmparlants » (en un seul mot) grâce à un système à double disque du chronophone[4]. Des phonoscènes sont présentées au théâtre de la 39e rue à New York les 5, 6 et 7 juin 1913[5].

Une grande partie de ce patrimoine est diffusée à la télévision pendant la saison 1977-1978 dans l'émission hebdomadaire Dimanche Martin produite et animée par Jacques Martin ; la séquence titrée « Grand Album » permet à Pierre Philippe de « se transformer en mineur de fond au sein des archives Gaumont »[6]. Bien avant que les historiens ne s'intéressent aux phonoscènes, le grand public en prend connaissance grâce à cette émission très populaire. Pierre Philippe réalise ensuite pour Arte un documentaire en deux parties, Le roman du music-hall, diffusé en décembre 1993, dans lequel sont également présentés quelques phonoscènes[7].

Jean-Jacques Meusy estime à 774 le nombre de phonoscènes produites par Gaumont[8]. Le catalogue en ligne des archives Gaumont-Pathé en recense 140 en 2011. Le catalogue de Thomas Schmitt en recense 494, avec une identification partielle des artistes (les auteurs des chansons ne sont pas mentionnés)[1].


Avant les Scopitones et les Cinéphonies, l'ère des phonoscènes présente une des « histoires paratactiques » du clip[9],[2].


Sommaire

Diffusion

Les phonoscènes sont d'abord présentées lors de séances exceptionnelles organisées par Léon Gaumont à l'académie des sciences. Gaumont reproduit ainsi la stratégie desfrères Lumière : faire valider l'avancée technique par des institutions savantes. À partir de 1907, la diffusion s'élargit (foires, bordels, brasseries, café-concerts...) en même temps que se sédentarise la projection cinématographique. À partir de 1910, la diffusion est à la fois régulière (4 nouvelles phonoscènes par semaine) et massive (plusieurs milliers de spectateurs par jour à Paris).

Montpellier

Alain Barnier évoque une diffusion massive (des milliers de spectateurs) à l’Hippodrome de Montpellier autour de 1910. A la même époque, des projections-synchronisations régulières ont lieu à la brasserie Guillaume-Tell.

Toulouse

"Les Nouveautés" (longtemps cinéma Gaumont du boulevard Carnot, aujourd'hui fermé) présente des phonoscènes en décembre 1907[10].

Paris

Entre 1910 et 1917, quatre phonoscènes sont présentées chaque semaine en première partie de programme des cinémas parisiens Gaumont. Deux au Gaumont Palace et deux autres (différentes) au Cinéma-Théâtre-Gaumont (7, boulevard Poissonnière), à Paris.

Attribution

La réalisation des phonoscènes est assurée par Alice Guy puis par Louis Feuillade.

Selon Bernard Bastide[11], Étienne Arnaud a dirigé onze phonoscènes d'opéra suivants :

  • (n° 301) Valse extrait de Roméo et Juliette Tournage le 9 janvier 1907.
  • (n° 302) Cavatine extrait de Roméo et juliette Tournage le 9 janvier 1907.
  • (n° 303) Rachel, quand au Seigneur extrait de La Juive Tournage les 16 et 18 janvier 1907.
  • (n° 304) Cavatine extrait de La Juive– CAVATINE Tournage les 16 et 18 janvier 1907.
  • (n° 305) Dieu m'éclaire extrait de La Juive Tournage les 16 et 18 janvier 1907.
  • (n° 306) Duo du 4e acte extrait de La Juive Tournage les 16 et 18 janvier 1907.
  • (n° 308) Évocation des Nonnes extrait de Robert le Diable Tournage le 16 janvier 1907 ; 26 août 1907.
  • (n° 319) Pour tant d'amour, extrait de La Favorite Tournage le 15 mars 1907.
  • (n° 320) Ô Mon Fernand, extrait de La Favorite Tournage le 15 mars 1907.
  • (n° 321) Duo du 1er acte extrait de La Favorite Tournage le 15 mars 1907.
  • (n° 322) Jardins de l'Alcazar extrait de La Favorite Tournage le 15 mars 1907.

En Angleterre, Artur Gilbert, pour le compte de la Gaumont-British Picture Corporation, en synchronise 33 en 1906, 54 en 1907 et 15 en 1908[réf. souhaitée]. Sans doute assiste-t-il à la séance spéciale organisée pour présenter l'invention à la reine consort Alexandra de Danemark, le 4 avril 1907, et lors de laquelle sont présentées[12]:

  • L'Air du Miserere (extrait du Trouvère de Verdi)
  • The Captain Song (extrait de l'operette H.M.S. Pinafore de Gilbert et Sullivan)
  • Tit-Willow (extrait de l'opéra comique Le Mikado de Gilbert et Sullivan)
  • This Little Girl and That (extrait de la pièce musicale The Little Michus d'Albert Vanloo, Georges Duval et André Messager)
  • La Serenade issue de Faust

Quelques phonoscènes visibles en DVD ou aux Archives françaises du film

Bibliographie

  • Raymond Chirat, Éric Le Roy (coll.), Catalogue des films français de fiction de 1908 à 1918, Cinémathèque française, 1995 (ISBN 2-900596-11-4)
  • Rick Altman, Silent Film Sound, Columbia University Press, New York, 2004 (ISBN 0-231-11662-4) Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article
  • Édouard Arnoldy, Pour une histoire culturelle du cinéma : au-devant de "scènes filmées", de "films chantants et parlants" et de comédies musicales, éd. du CEFAL, Liège, 2004, (ISBN 2-87130-181-6) Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article
  • Martin Barnier, En route vers le parlant : histoire d'une évolution technologique, économique et esthétique du cinéma (1926-1934), éd. du CEFAL, Liège, 2002 (ISBN 2-87130-133-6)
  • Martin Barnier, « Une histoire technologique : l’exemple du son avant le "parlant" », Revue d’histoire moderne et contemporaine nos 51-54, avril 2004, pp. 10-20.
  • Martin Barnier, « Léon Gaumont 1864-1946 » in Jean-Claude Daumas (dir.), Dictionnaire historique des patrons français, Flammarion, 2010, pp. 316-317 (ISBN 978-2-08-122834-4)
  • Bernard Bastide, Étienne Arnaud (1878-1955), une biographie, Mémoire pour le DEA, Université Paris 3 Sorbonne nouvelle, sous la direction de Michel Marie, 2000-2001, 272 p. Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article
  • Philippe d'Hugues et Dominique Muller (dir.), Gaumont : 90 ans de cinéma, éd. Ramsay & Cinémathèque Française, 1986 (ISBN 2-85956-540-X)
  • Henry Keazor, « Introduction », in Henry Keazor et Thorsten Wübbena (dir.), Rewind, Play, Fast Forward: The Past, Present and Future of the Music Video, Verlag (Bielefeld), 2010, pp. 41-57 (ISBN 3-837-61185-X). Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article
  • Jean-Jacques Meusy, Paris-Palaces ou le temps des cinémas (1894-1918), CNRS, 1995 (ISBN 2-271-05361-7)
  • Martin Pénet (réunies par) et Claire Gausse (coll.), Mémoire de la chanson : 1100 chansons du Moyen Age à 1919, Omnibus, 1998 (ISBN 2-258-05062-6) (2e éd. 2001)
  • Giusy Pisano et Valérie Pozner (dir.), Le Muet a la Parole, Cinéma et performance à l'aube du XXe siècle (avec un DVD), AFRHC, 2005 (ISBN 2913758789) Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article
  • Thomas Schmitt, « The Genealogy of Clip Culture », in Henry Keazor et Thorsten Wübbena (dir.), Rewind, Play, Fast Forward: The Past, Present and Future of the Music Video, Verlag (Bielefeld), 2010, pp. 41-57 (ISBN 3-837-61185-X) article sur Google Books Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article
  • Thomas Schmitt, « Les phonoscènes Gaumont (Version française remaniée de Schmitt 2010) », in Paul Dubé (dir.), Site Du temps des cerises aux feuilles mortes', 2009-08-07 Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article
  • Thomas Schmitt, « Scènes primitives. Notes sur quelques genres comiques “hérités“ du café-concert », in 1895 : revue de l’Association française de recherche sur l’histoire du cinéma (AFRHC), no 61, 2010, p. 174. (résumé en ligne ; texte intégral septembre 2013)Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article

Articles connexes

Notes et références

  1. a, b et c .Thomas Louis Jacques Schmitt, « Les Phonoscènes Gaumont », Paul Dubé (dir.), 2009
  2. a, b et c Thomas Louis Jacques Schmitt, « The genealogy of clip culture » in Henry Keazor, Thorsten Wübbena (dir.) Rewind, Play, Fast Forward, transcript, isbn 978-3-8376-1185-4
  3. Édouard Arnoldy, Pour une histoire culturelle du cinéma : au-devant de "scènes filmées", de "films chantants et parlants" et de comédies musicales, Céfal, 2004, 203 p. (ISBN 2871301816) [lire en ligne (page consultée le 17.10.11)], p. 39 
  4. (en) Rick Altman, Silent film sound, Columbia University Press, 2004, 462 p. (ISBN 9780231116633) [lire en ligne (page consultée le 17.10.11)], p. 158 
  5. Martin Barnier, En route vers le parlant : histoire d'une évolution technologique, économique et esthétique du cinéma (1926-1934), Céfal, 2002, 255 p. (ISBN 9782871301332) [lire en ligne (page consultée le 17.10.11)], p. 35 
  6. Cf. « Pierre Philippe : le Roman du Music-Hall », et « Pierre Philippe : un cinglé du Music-Hall», entretiens mis en ligne avec l'autorisation des ayant-droits.
  7. Documentaire publié en vidéo VHS (Arte Vidéo K7165 et K7166).
  8. a et b Jean Jacques Meusy, Paris-palaces ou Le temps des cinémas (1894-1918), CNRS Éditions, 1995, 561 p. (ISBN 9782271053619) [lire en ligne (page consultée le 17.10.11)], p. 334 
  9. "This shows, however, that the music video has not one, but several histories, which are separated by ruptures, breaks, endings and starting points. Therefore, what we are witnessing now may not be the symptoms of an irretrievable end, but rather a point where the clip – once again – begins to change, differentiate, evolve into something new. This view is confirmed if we take a look at other histories of the music video in which the antecedents of the form did not tie into each other, but followed each other paratactically. For example, the early “Phonoscènes”, which after 1907 were produced with a certain routine and exhibited a refined correlation between the music, the lyrics and the images (see the article by Thomas Schmitt in this volume) did not directly lead into the “Soundies” of the 40s and 50s.(en) Henry Keazor et Thorsten Wübbena, Rewind, Play, Fast Forward : The Past, Present and Future of the Music Video, Transcript Verlag, 2010, 388 p. (ISBN 9783837611854) [lire en ligne (page consultée le 17.10.11)], p. 41 
  10. La Dépêche du Midi, 4 décembre 1907
  11. Bernard Bastide, Etienne Arnaud : une biographie, Paris 3, 2000, 544 p. 
  12. Gaumont fait une grande publicité de cette séance en reproduisant les nombreux articles que la séance à suscité dans la presse londonienne [réf. souhaitée].
  13. a, b, c et d Giusy Pisano et Valérie Pozner, Le muet a la parole : cinéma et performances à l'aube du XXe siècle, Association française de recherche sur l'histoire du cinéma, 2005, 351 p. (ISBN 9782913758780) 

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