Opération Bagration

Opération Bagration
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Opération Bagration
Opération Bagration.
Informations générales
Date 22 juin 1944 - 19 août 1944
Lieu Biélorussie, URSS
Issue Victoire soviétique décisive
Belligérants
Drapeau : Allemagne Reich allemand
Drapeau : Roumanie Roumanie
Drapeau de la Hongrie Hongrie
Flag of the Soviet Union (1923-1955).svg Union soviétique
Commandants
Ernst Busch (jusqu'au 28 juin) puis Walther Model
groupe d'armées Centre
Ferdinand Schörner
Gueorgui Joukov et Alexandre Vassilievski
Hovhannes Bagramian : 1e Front balte
Constantin Rokossovski : 1e Front biélorusse
Gueorgui Zakharov : 2e Front biélorusse
Ivan Tcherniakhovski : 3e Front biélorusse
Forces en présence
800 000 hommes,
9 500 canons,
553 blindés,
839 avions
2 331 700 hommes,
24 000 canons,
4 080 blindés,
6 334 avions
Pertes
290 000 tués et disparus, 120 000 blessés et 150 000 capturés 178 507 tués et disparus, 590 848 blessés et malades
Seconde Guerre mondiale
Batailles
Front de l’Est

Campagne de Pologne · Guerre d’Hiver · Opération Barbarossa · Guerre de Continuation · Opération Silberfuchs · 1re bataille de Smolensk · Bataille de Kiev (1941) · Siège de Léningrad · Bataille de Moscou · Seconde bataille de Kharkov · Opération Fall Blau ·Poche de Demiansk · Poche de Kholm · Bataille de Stalingrad · Opération Uranus Opération Saturne ·Opération Mars  Bataille de Krasny Bor · Bataille de Koursk · Offensive Ostrogojsk-Rossoch · Bataille de Prokhorovka · 2e bataille de Smolensk · Bataille du Dniepr · Bataille de Tcherkassy · Opération Bagration · Insurrection de Varsovie · Guerre de Laponie · Bataille de Budapest · Siège de Breslau · Bataille de Königsberg · Offensive de Vienne · Bataille de Seelow · Bataille de Bautzen  · Bataille de Berlin (et prise du Reichstag) · Insurrection de Prague · Offensive de Prague


Front d’Europe de l’Ouest


Campagnes d'Afrique et du Moyen-Orient


Bataille de l’Atlantique


Campagnes de Méditerranée et d'Europe du Sud


Guerre en Asie et dans le Pacifique


Guerre sino-japonaise

L’opération Bagration est, pendant la Seconde Guerre mondiale, le nom de l'offensive générale soviétique du 22 juin au 19 août 1944, visant à nettoyer de toute présence militaire allemande la République socialiste soviétique biélorusse. C'est la plus grande opération militaire de l'année 1944.

L'Armée rouge déploie alors une puissance qui stupéfie tous les camps belligérants. Sur une ligne de front s'étendant sur 1 000 km, les Russes avancent de 600 km en deux mois ; à l'issue de ce traitement, la défaite du groupe d'armées Centre est consommée. Techniquement, les trois armées qui le composent (4e, 3e panzer et 9e armée), sont détruites, et seuls des éléments épars refluent en Prusse-Orientale et dans les pays baltes[1].

Cette offensive a comme conséquence probable la plus grande défaite de la Wehrmacht pendant la guerre (165 divisions engagées contre 30 sur le front de l'Ouest). L'opération est baptisée du nom du général russe du XIXe siècle Pierre de Bagration, mort à la bataille de la Moskowa, contre Napoléon.

Sommaire

Contexte et préparation

Depuis Stalingrad et surtout Koursk, les forces russes avaient avancé vers l’Europe centrale et repris aux Allemands tout le terrain conquis. En 1944, l’Armée rouge était presque aux frontières de l’URSS de 1941.

Après les grandes défaites allemandes de l'année 1943, l'Armée rouge semblait décidée à profiter de sa supériorité pour libérer la totalité du territoire soviétique, de refouler les Allemands sur leurs positions de départ et de libérer un certain nombre de territoires occupés depuis 1939.

La situation de l’Allemagne empirait de jour en jour : en Italie, Cassino était tombé, la ligne Gustave se disloquait et la route de Rome était ainsi ouverte aux Alliés, tandis que le second front tant attendu par Staline s'était ouvert en France le 6 juin 1944, engageant ainsi d’importantes forces et réserves allemandes dans la bataille de Normandie.

Le contexte était des plus favorables pour les Alliés. Après le cuisant échec de l'opération Zitadelle (juillet-août 1943), les Allemands avaient perdu définitivement l’initiative. Bientôt, le débarquement français de Provence accentuera encore la pression exercée sur la Wehrmacht. La flotte de Dönitz, malgré une production accrue de sous-marins, se heurtait à la ténacité de la Royal Navy qui protégeait efficacement les convois de l’Atlantique. Les derniers sous-marins de type XXI et XXIII n'étaient pas encore entrés en service.

De leur côté, les Japonais essuyaient revers sur revers : après les débarquements américains à Kwajalein et Eniwetok en janvier, ils avaient perdu en février les îles de l'Amirauté, puis en mars l’île d’Emirau. Après avoir progressé le long de la côte de Nouvelle-Guinée jusqu’à Jayapura et l’île de Wake, en avril et en mai, les troupes de MacArthur avaient débarqué sur l’île de Biak, le 27 mai. Les 19 et 20 juin, les Américains avaient remporté la bataille navale de la mer des Philippines, tandis qu'ils débarquaient à Saipan le 15.

Les Alliés étaient donc bien résolus à remporter la victoire « pour la liberté » avant Noël 1944. Pour Hitler, le but était donc de temporiser à l’Est afin de réduire l'avance alliée en France et de pouvoir lancer la production de la nouvelle génération d’armements nazis pour ensuite engager toutes ses réserves contre les « sous-hommes » de Staline, afin d’empêcher la victoire du bolchevisme en Europe.

Cela paraissait plus qu’improbable. En effet, la Luftwaffe n’alignait plus en 1943 que 500 appareils. Depuis l’été 1943, 22 divisions avaient été anéanties, auxquelles il fallait ajouter une brigade, 8 divisions réduites à 25 % de leurs effectifs et 61 divisions à 50 %.

Le Führer avait également envisagé la voie diplomatique avec les Alliés de l'Ouest pour pouvoir mobiliser toutes ses forces contre les Soviétiques.

Sur le front de l'est, l'année 1944 avait vu la situation empirer, du fait de conditions météorologiques favorables aux Alliés, notamment un sol gelé. La Stavka avait lancé une série d’offensives sur ses ailes. En Ukraine, les Russes avaient pris Kovel et le Bas Dniepr en janvier. Durant la même période, une offensive avait dégagé Leningrad et contraint les Allemands à une retraite de plus de 250 kilomètres. À la mi-avril, l’Ukraine avait été libérée ainsi qu’une partie de la Moldavie. Le 8 avril avait commencé le nettoyage de la Crimée, achevé le mois suivant par la prise de Sébastopol (les Allemands y avaient perdu 110 000 hommes).

Ainsi, en quatre mois, l’Armée rouge avait-elle libéré 329 000 kilomètres carrés et plus de 2 000 000 d’habitants. Durant la même période, la machine de guerre soviétique avait pris des proportions gigantesques. Les seuls premiers mois de 1944 avaient vu la production russe de blindés et de canons automoteurs augmenter de 77 %, celle d’avions de 68 %. De plus, en cette année 1944, les nouveaux blindés russes, parades aux Tiger, KönigsTiger, et Panzerkampfwagen V Panther, ainsi que les nouveaux avions de la deuxième génération tels le Yakovlev Yak-9, sortaient à vitesse accélérée des usines de Sibérie. L’Armée rouge était de mieux en mieux commandée et équipée. Et seuls quelques officiers compétents comme von Manstein avaient pu empêcher une rupture complète du front.

Le pire avait été évité pour l’Allemagne, mais ses alliés commençaient à douter en voyant les Russes à leur porte. Dès février 1944, le gouvernement finlandais avait cherché à traiter avec l’URSS mais ses demandes d’armistice avaient été refusées. Chez les Alliés occidentaux, la peur de voir les Russes déferler en armes sur les plaines d’Europe occidentale s’accentuait avec chaque nouvelle victoire de Staline. « Aucune armée au monde, même la plus déterminée ne pourrait résister longtemps face à 10 millions de Russes déferlant en Europe [… et soutenus par la machine de guerre soviétique ]  »[réf. souhaitée].

En juin 1944, l’Armée rouge avait donc un avantage quantitatif considérable, qui ne cessera de croître avec le temps, et ses matériels égalaient voire surclassaient enfin leurs homologues allemands. L’offensive, qui se voulait fatale au nazisme, devait débuter le 22 juin 1944, date anniversaire de l'opération Barbarossa, la plus importante offensive allemande de la guerre. Il en faudrait une au moins aussi importante pour que les forces soviétiques puissent enfin libérer la totalité de leur territoire national. La libération de la Biélorussie, outre un avantage moral, permettrait d’ouvrir les routes les plus directes vers Berlin. Avec tous les atouts en main, les stratèges de la Stavka préparèrent un programme décisif pour 1944.

Situation stratégique

La carte du front oriental présentait deux larges saillants formant un S inversé. L’un, au nord, était contrôlé par les forces allemandes, tandis que l’autre, conquis à l’automne et à l’hiver précédent, était sous domination soviétique. La position allemande en Biélorussie était assez avantageuse. En effet, elle leur permettait de défendre l’accès à la Prusse-Orientale par la Pologne, et de protéger le flanc sud du Groupe d’armées Nord, situé dans les États baltes. De plus, cette position permettait aussi aux Allemands de menacer les flancs et les arrières de l’Armée rouge, au sud des marais du Pripet, interdisant ainsi toute offensive russe vers Lvov et la frontière hongroise. Cette avancée mettrait le flanc du Groupe d’armées Nord et du Groupe d’armées Nord d’Ukraine en danger. Enfin, une telle percée[Laquelle ?] impliquerait la destruction du Groupe d’armées Centre, ce qui mènerait à terme à l’effondrement complet de l’armée allemande.

Après les offensives russes du printemps, l'OKH (haut commandement de l'armée de terre allemande) supposa que les armées soviétiques attaqueraient au sud, vers Lvov et Lublin, ville polonaise favorable à l’URSS. Ces analyses stratégiques et les concentrations blindées du 1er front d’Ukraine conduisirent les Allemands à masser 80% de leurs divisions blindées en face du saillant russe, avec la ferme intention de résister à tous les assauts et de rendre coup pour coup.

Réparation d'un Panzer IV en Russie, 21 juin 1944.

Néanmoins, malgré de grossières erreurs sur le plan stratégique, les Allemands avaient compris à quel point était importante la défense de la Biélorussie. Ainsi, ils avaient exploité au mieux chaque lac, chaque forêt, chaque marais de la région, pour obtenir finalement un important et redoutable ouvrage défensif. Les Allemands avaient également établi des lignes de défense et des positions fortifiées le long du Prout, du Dniepr, de la Bérézina et du Svislotch, où ils avaient aussi installé d’innombrables systèmes de tranchées, s’appuyant les unes sur les autres. Les premières lignes étaient inclinées par rapport aux suivantes, afin de déstabiliser et de détourner l’offensive ennemie, tout comme des tranchées avancées, pourvues de tunnels de dégagement. Les lignes suivantes s’appuyaient sur le relief et la puissante artillerie laissée en retrait. Les villes et les agglomérations importantes avaient été fortifiées pour servir de point d’appui et soutenir un siège prolongé. Mais ce dispositif, tout exceptionnel qu’il fût, avait des failles et de graves faiblesses. Le secteur Nord de Vitebsk, point d’articulation du Groupe d’armées Nord et du Groupe d’armées Centre, était à peine fortifié. Le Groupe d’armées Centre lui-même, ne disposait d’aucune réserve stratégique. Le commandement allemand comptait pallier ce problème en relevant des unités fraîches sur les secteurs calmes du front ou sur la réserve de l’OKH.

Le front de Biélorussie serait néanmoins dégarni de ses meilleures troupes en raison de l’erreur des services de renseignement de la Wehrmacht. En effet, l’habileté du commandement soviétique avait permis à l’Armée rouge de masser d’importantes forces en Biélorussie, qui, venant du sud et notamment de Crimée, n'avaient pu être décelées par les Allemands. L’OKW s'accrocha à nouveau à ses idées erronées lorsque des rapports dignes de foi signalèrent que des forces soviétiques se préparaient à lancer une offensive en Biélorussie.

« On pensait généralement que les Soviets feraient porter leur effort principal sur le front tenu par le Groupe d’armées Nord d’Ukraine » général Kurt von Tippelskirch.

Ainsi, avant même le début des opérations, les armées soviétiques avaient-elles déjà remporté la bataille.

Élaboration du plan soviétique

La genèse de l’opération Bagration remontait au 15 avril 1944. Il y avait alors quatre options :

  1. Une poursuite de l’offensive en Ukraine dont les avantages auraient été de permettre l’occupation des pays alliés de l’Allemagne tels que la Roumanie, la Bulgarie ou la Croatie. Mais cette solution ne permettait pas, en raison de la géographie, l’acheminement rapide de renforts et du ravitaillement nécessaire à cette opération de grande ampleur.
  2. Une attaque massive à partir de Lvov vers les Pays baltes qui aurait permis de prendre les groupes d’armées Centre et Nord dans une gigantesque nasse. Mais cette opération aurait demandé plus de 3 000 000 d’hommes et une puissante logistique. De plus elle aurait permis aux Allemands de masser leurs réserves mobiles en un seul point plutôt que de la voir fractionnée pour s’opposer à plusieurs axes d’attaque, comme au cours de toutes les offensives précédentes.
  3. Une offensive en Finlande avec prise du chemin de fer de Mourmansk puis des débarquements dans les Pays baltes. Mais cette action fut considérée comme trop limitée et hasardeuse, car les U-Boote dominaient toujours la Baltique et les Pays baltes restaient très défendus.
  4. Une offensive en Biélorussie avec encerclement du GA Centre par le nord et le sud, option qui sera finalement retenue pour diverses raisons politiques et stratégiques.

Staline et son État-major étaient certains que l’ouverture d’un nouveau front à l’ouest allait accélérer la chute du Reich, il était donc impératif pour eux de conquérir le plus de territoires possibles. De plus, la libération de la Biélorussie, dernière partie de l’URSS encore aux mains des Allemands, permettrait une occupation rapide de la Pologne voire de Berlin si la guerre se prolongeait.

Staline se préoccupait beaucoup de la Pologne et, au mois d’avril, s’opposa à Churchill sur l’avenir de ce pays. En effet, il ne reconnaissait pas le Gouvernement polonais en exil à Londres.

En outre, l’offensive en Biélorussie comportait de nombreux avantages stratégiques : le saillant permettait une manœuvre en tenaille afin d’éliminer la menace qui pesait sur le nord du front ukrainien. De plus, les réseaux de communications assez denses auraient contribué à donner l’élan initial.

Du 20 au 23 avril, différentes conférences réunirent Staline, Joukov et Vassilievski et, le 28, cinq offensives furent décidées :

  1. la première début juin en Finlande
  2. la seconde début juin à nouveau sur l’axe Lvov-Sodomir
  3. la troisième mi-juin, une attaque frontale en Biélorussie
  4. une quatrième fin juillet sur l’axe Lublin-Brest-Litovsk
  5. une cinquième enfin en août au sud de l’axe Lasi-Kichinev

L’attaque principale en Biélorussie serait menée au nord par le 1er front de la Baltique et au sud par le 1er front de Biélorussie. La défense serait percée en 6 points :

  1. au nord de Vitebsk
  2. au sud de Vitebsk
  3. au nord d’Orscha
  4. à Moguilev
  5. au nord de Bobrouïsk
  6. au sud de Bobrouïsk

La ligne Molodetchno-Stolsby devrait être atteinte le 15 juillet puis la ligne Daugavpils-Grodno un mois plus tard, soit une avance de 600 kilomètres en 51 jours. L’opération devra débuter le 19 ou le 20 juin. Le 20 mai, un nouveau plan vit le jour, issu d’un mémoire du général Antonov. Il prévoyait l’encerclement du GA Centre par une manœuvre en tenaille en direction de Minsk puis une attaque frontale sur la Disna, Molodetchno et Stolsby par deux groupes de front, avec au nord le groupement A sous Joukov, le premier front de la Baltique sous Bagramian et le 3e front de Biélorussie sous Tcherniakhovski. Au sud un groupement B sous Vassilievski composé du 1er front de Biélorussie sous Rokossovsky et du 2e front de Biélorussie de Zakharov.

Les 22 et 23 mai, une nouvelle conférence modifia le plan initial : au nord, le 2e front de la Baltique devrait fixer la GA nord tandis que le 1er front de la Baltique aurait pour mission d'attaquer sur Polotsk et Lepel, assurant ainsi la sécurité du flanc droit du 3e front de Biélorussie, qui devrait prendre Vitebsk et Orscha puis progresser vers le sud-ouest pour contribuer à l'encerclement des forces allemandes à l’est de Minsk. Afin de donner au général Tcherniakhovski l’occasion d’accomplir cette mission, la Stavka lui attribua la 5e armée blindée de la garde, unité d’élite sous le commandement de Pavel Rotmistrov.

Au sud, le 2e front de Biélorussie tiendrait en respect l’ennemi à Moghilev. Pour assurer son flanc sud, Rokossovsky obtint les 61e, 10e et 47e armées au sud du saillant.

Le 30 mai une nouvelle réunion eut lieu où l’on donna à l’opération le nom de « Bagration » (du nom du général russe Pierre de Bagration) et comme objectif la ligne Molodetchno-Stolbsty.

Le plan soviétique

Les Soviétiques étaient bien avancés en Pologne et il était naturel qu’ils reprennent l’offensive qui les avaient amenés près de Lvov, et momentanément dans Kovel. Cependant, ils préférèrent déclencher leur offensive à partir de l’échelon le plus oriental de leur front, tout comme les Allemands l’avaient fait en 1942. Ils préconisèrent une attaque en Russie Blanche, où les Allemands étaient encore solidement accrochés sur leur sol. Néanmoins, ce choix était bien calculé, le secteur nord étant moins avancé, les communications des armées russes y étaient mieux développées et plus performantes pour donner à leur attaque un important élan initial.

De plus, puisque ce secteur s’était révélé très puissamment fortifié en 1943, il était peu probable que les Allemands y envoient des renforts au détriment des autres fronts et secteurs, surtout vis-à-vis de la position la plus précaire, entre Kovel et les Carpates. La partie principale du secteur Nord avait résisté aux attaques des armées russes de l’automne et de l’hiver, mais ces dernières avaient réussi à enfoncer deux coins près de Vitebsk et de Jlobine, qui pouvaient servir de point de départ pour une action de levier.

Pour compléter le tout, l’ennemi une fois en fuite, il serait plus facile d’effectuer une forte pression sur les arrières allemands à partir du saillant de Kovel. Dans ce saillant, les armées russes se trouvaient à l’extrémité ouest des marais du Pripet qui coupaient en deux les armées allemandes. Fin mai, le plan soviétique était pratiquement prêt. Il prévoyait une offensive simultanée contre Vitebsk, Orcha, Moghilev et Bobrouïsk, villes clés du dispositif défensif allemand de la ligne Vaterland. Ces positions étaient évidemment destinées à être percées à tout prix au moyen d’une série d’attaques concentrées et massives, jusqu’à l’effondrement du dispositif allemand. Les forces allemandes des secteurs de Vitebsk et de Bobrouïsk seraient encerclées et annihilées, afin d’ouvrir une brèche au sein du saillant biélorusse. Ensuite, le dispositif de l'Armée rouge se porterait au cœur même du saillant avec pour objectif l'encerclement des armées germaniques stationnées sur Minsk.

Joukov et Vassilievski, comme d’habitude, auraient la lourde responsabilité de coordonner les différents fronts. Joukov l’aile méridionale et Vassilievski l’aile septentrionale.

Forces en présence

Dispositifs allemand et russe

Les armées allemandes se présentaient alors sur trois fronts (sans compter les fronts qui ne seraient pas directement impliqués par l’offensive). Le front de Polotsk à Kovel était tenu par le Groupe d’armées Centre qui alignait 4 armées (lre IIe, IVe, IXe armées et la IIIe armée blindée) totalisant 50 divisions et 3 brigades. De plus, les Allemands pouvaient compter sur une partie de la IVe armée blindée et sur l’aile droite du Groupe d’armées centre, tout deux dépendants du Groupe d’armées Nord d’Ukraine. Ainsi disposaient-ils de 1 200 000 hommes, 10 000 canons, 900 chars de bataille et canons automoteurs, ainsi que de plus de 1 300 avions.

Le haut commandement russe, quant à lui, savait pertinemment bien que l’offensive qui se préparait exigeait de gigantesques quantités de matériels et d'hommes, ainsi qu'une puissante logistique et un excellent commandement. Il fallait donc grossir les effectifs de toutes les armées qui allaient passer à l’offensive et exploiter la victoire.

Le front avait été entièrement réorganisé entre la Baltique et les marais du Pripet, qui comprenait alors 7 groupes d’armées ou fronts : le front de Leningrad sous le commandement de Govorov, à droite, à côté de lui, le 3e front balte de Masiennikov et le 2e front balte d’Eremenko. Les quatre fronts qui participèrent à l’opération furent du nord au sud le 1er front de la Baltique de Bagramian, qui avait réussi à avancer jusqu’au nord de Vitebsk, le 3e front de Biélorussie sous Tcherniakhovsky, le 2e front de Biélorussie commandé par Zakharov, en face de Moghilev et Bobrouïsk, et le 1er front de Biélorussie sous les ordres de Rokossovsky.

Ainsi, en plus des forces des 1er, 2e et 3e, fronts de Biélorussie et du 1er front de la Baltique, l’Armée rouge disposait de trois armées supplémentaires, dont une blindée, un corps d’infanterie et un de cavalerie, plus cinq corps cuirassés ou mécanisés. En outre, l’aviation reçut cinq divisions supplémentaires et onze corps aériens. De plus, tous les effectifs cités précédemment reçurent régulièrement des renforts importants en canons automoteurs, artillerie, mortiers et génie, qui vinrent grossir les effectifs des régiments et des brigades des attaquants, face à des Allemands à bout de souffle ne pouvant compter sur aucune réserve.

Ainsi, entre début mai et fin juin, en un peu plus d’un mois, les effectifs des forces russes avaient augmenté de 60 %, l’aviation avait vu son parc augmenter de 62%, l’artillerie ses pièces de 85%, tandis que le nombre de blindés avait plus que triplé. Les quatre fronts (hormis l’aile gauche du 1er front de Biélorussie qui opérait sur Kovel) alignaient entre 124 et 166 divisions (selon l’appréciation de l’auteur[Quoi ?]) et environ neuf brigades d’infanterie, soit un total de 1 245 400 hommes, 28 600 canons, plus de 4 000 chars, canons automoteurs et d’assaut, et plus de 5 300 avions. En plus, la réserve de la Stavka était composée de la 2e armée de la garde et de la 51e armée, qui revenaient de Crimée après avoir achevé le nettoyage de la presqu’île.

En outre, l’Armée rouge pouvait compter sur les canonnières de la flottille du Dniepr. Les trois mois de répit entre les offensives de printemps et celles d’été avaient aussi permis à Joukov de remettre en l’état les voies ferroviaires à l’arrière du saillant ainsi que la plupart des moyens de communications détruites par les Allemands lors de leur douloureuse retraite.

Pendant tous les préparatifs soviétiques, l’aviation russe s'était lancée dans des attaques massives de bombardement et de harcèlement loin derrière les lignes allemandes sur les aéroports de la Luftwaffe autour de Bobrouïsk, Brest-Litovsk, Bialystok, Baranovitchi, Minsk et Pinsk. De plus, les quelques jours précédant l’offensive, les partisans lancèrent une série d'attaques sur les réseaux ferroviaires du Groupe d’armées Centre (plus de 10 000), coupant tout son ravitaillement et le paralysant plusieurs jours.

Déclenchement

L’opération Bagration fut déclenchée le matin du 23 juin 1944, sous le couvert d’un intense feu d’artillerie et d’un bombardement aérien massif, et toute la première partie de l'offensive fut facilitée par la tactique de défense rigide du Führer, qui interdisait tout repli. L’offensive débuta par un puissant barrage d’artillerie, qui s’abattit sur les armées et qui se prolongea toute la nuit.

L'assaut fut lancé sur le Groupe d’armées Centre, commandé par Busch qui remplaçait von Kluge, blessé dans un accident de voiture. Bien que l’offensive d’hiver soviétique n'eût pas réussi à percer les défenses dans le secteur, les Allemands savaient fort bien qu’il s’en était fallu de peu et qu’un nouvel assaut en été, où les conditions seraient favorables à l’attaquant, verrait leurs défenses percées. Dans l’attente de l’assaut, Busch avait voulu se replier sur la ligne historique de la Bérézina, 145 kilomètres en arrière du front. Ce repli aurait sûrement déstabilisé l’offensive soviétique ; mais c’était contraire aux principes d’Hitler et celui-ci ne voulut rien entendre.

Tippelskirch, qui avait remplacé Heinrici à la tête de la IVe armée, avait pu amortir le choc grâce à un repli clandestin de faible envergure depuis ses positions avancées jusqu’au cours supérieur du Dniepr. Busch disposait de 800 000 hommes répartis en 63 divisions avec 900 chars, 10 000 pièces d’artillerie et 1 300 avions. Ses forces incluaient la IXe armée de Jordanie, la IVe armée de Tippelskirch et la IIIe armée Panzer du général Georg-Hans Reinhardt. À cela s’ajoutait la deuxième armée de Walter Weiss. Mais les Russes annulèrent l’avantage de cette manœuvre en concentrant leurs efforts sur l’exploitation des saillants situés sur chaque flanc. Les forces russes du troisième front de la Baltique et des éléments du 1er s'avancèrent le 24 pour encercler Vitebsk et la IIIe armée Panzer. Ils attaquèrent aussi Orsha et Moghilev.

Carte des opérations autour de Vitebsk, 22 au 27 juin.

Sur le flanc nord, Vitebsk fut pris en tenaille entre les avances convergentes du général Bagramian du côté de Polotsk et de Tcherniakhovski vers Orcha le 25. Comme l’a écrit le général Tippelskirch :

« L’attaque au nord-ouest de Vitebsk était inquiétante ; elle nous prenait complètement par surprise, à la différence de ce qui se passait sur le reste du front, et frappait un endroit particulièrement faible de la partie la plus importante de nos lignes. »

La IIIe armée fut alors emprisonnée avec cinq divisions. Les forces du 2e front biélorusse dégagèrent Moguilev, obligeant la IVe armée à se replier. Les éléments de pointe du 1er front biélorusse menaçant aussi d’encercler Bobrouïsk et la IXe armée. Le 26, les forces russes pénétrèrent les défenses de Vitebsk, où 5 divisions étaient encerclées depuis le 25. Une contre-attaque désespérée fut rapidement organisée par les Allemands, et 8 000 hommes parvinrent à s’enfuir, mais ils furent rattrapés et « détruits ».

Carte des opérations autour de Moghilev, du 23 au 28 juin.

Pendant la nuit, une partie des forces allemandes tenta de s’enfuir mais fut repoussée et laissa 28 000 hommes sur le terrain. Le même jour, Orcha et Moghilev étaient prises par les troupes russes des 2e et 3e fronts biélorusses. Pendant ce temps, les troupes du 1er front biélorusse encerclaient Bobrouïsk et 40 000 hommes du XLIe corps Panzer. Mais des troupes de la Ve division Panzer arrivèrent en renfort à Minsk. Vitebsk tomba le quatrième jour sous les coups répétés du 1er front de la Baltique, et les Allemands y laissèrent 20 000 tués et 10 000 prisonniers, ainsi qu'une grande brèche ouverte dans les lignes de la IIIe armée Panzer. Leur défaite les avait chassés de la position clé qu’ils occupaient sur le flanc gauche du GA Centre, tandis que le gros de la 1re armée de la Baltique traversait sans s’arrêter la Dvina occidentale et prenait Lepel.

De plus, la brèche dans l’armée allemande ouvrit la route à toute une armée blindée qui avança vers le sud, coupant la route Moscou-Minsk, en attaquant Borissov le 28, et menaçant les arrières de la IVe armée allemande qui avait résisté à la pression frontale de Zakharov. Ce dernier, à la tête du 2e front de Biélorussie, attaqua en direction de Moghilev, et perça le premier jour de l’offensive. Malgré le solide dispositif défensif allemand appuyé sur la Pronia, la Bossia, la Resta et le Dniepr, leurs lignes furent entièrement enfoncées et la ville, clé du dispositif allemand, tomba le 28.

Carte des opérations autour de Bobrouïsk, du 24 au 27 juin.

Bientôt, le danger sur le flanc de la IVe armée allemande fut aggravé par une offensive de Rokossovsky, à la tête du 1er front de Biélorussie, sur l’autre flanc, au nord des marais du Pripet, contre la IXe armée allemande. Il avait alors pour mission d’envelopper Bobrouïsk. Ses forces débordèrent la ville par le nord et le sud-ouest, faisant face à une défense allemande acharnée et obstinée. Tous les efforts pour dégager ces troupes échouèrent. Bientôt, la IVe armée se trouva débordée par le nord, et isolée de la IIIe armée blindée, par la prise de Borissov le 30, par Tcherniakhovski qui avait franchi la Bérézina le 28.

Après avoir percé le front près de Jlobine, qui tomba également le quatrième jour, l'Armée rouge traversa la Bérézina et contourna Bobrouïsk. Les mâchoires se refermèrent sur la ville le 27, enfermant cinq divisions de la IXe armée. Comme à Vitebsk, les efforts pour dégager les troupes encerclées se soldèrent par un échec, et deux jours suffirent pour nettoyer les dernières poches de résistance. L’aviation fut très active lors de cette première partie de la campagne. Le 28, 526 avions attaquèrent durant 1h 30 les restes de l’armée allemande. Chars et matériels flambaient, les soldats démoralisés quittaient leur unité et s’éparpillaient dans les forêts. Certains essayaient même de traverser la Bérézina à la nage, mais ils furent massacrés à bout portant par les canonnières et les forces côtières de la flottilles du Dniepr. Les Russes firent 24 000 prisonniers et, le 29, les dernières poches de résistance furent annihilées.

Le gros du 1er front de Biélorussie avança à marche forcée vers la ligne Ossipovitchi-Ouretchié-Liouban, repoussant au passage de violentes contre-attaques lancées par deux divisions de Panzer qui arrivaient respectivement des États baltes et d’Ukraine occidentale. Les Allemands avaient-ils alors encore la moindre chance de stopper l'avancée russe ?

Projets pour juillet

Suite des oéprations autour de Bobrouïsk, du 27 juin au premier juillet.

Les six premiers jours de la campagne avaient donc été particulièrement néfastes pour les armées allemandes. Leurs flancs étaient en déroute à Vitebsk et à Bobruisk, leur front réduit en pièces en Biélorussie et le front russe avait avancé par endroits de 100 à 150 km. Le GA Centre faisait retraite vers l’ouest et toutes les tentatives de l’OKW pour établir une ligne de défense sur la Bérézina échouèrent. Le 29, les avant-gardes de l’Armée rouge n'étaient plus qu’à une centaine de kilomètres de Minsk, tandis que le gros des forces de la Wehrmacht, alors en repli, en étaient parfois distantes de 130 à 150 kilomètres. Enfin, les troupes allemandes n’arrivaient pas à rompre le contact avec les unités russes. Le moment était donc venu de lancer une nouvelle offensive pour encercler et liquider la IVe armée.

La Stavka avait en conséquence donné de nouveaux ordres concernant la tenue d’une nouvelle offensive sur les différents fronts. Les 1er et 3e fronts de Biélorussie devaient foncer sur Minsk et, une fois arrivés, aider le 2e front de Biélorussie à cerner et détruire la IVe armée allemande autour de la ville. En même temps, le 1er front de la Baltique et les éléments encore disponibles des 1er et 3e fronts de Biélorussie poursuivraient à l’ouest, vers Chiaouliai (Schaulen), Kaunas (Kowno) et Varsovie, de façon à établir une sorte de front extérieur, au delà de la poche encerclée, et à détruire les réserves allemandes lors de leur arrivée.

Les Allemands, quant à eux, devaient tenir à tout prix. Alors même que la bataille de Normandie battait son plein, ils rappelèrent d’Europe occupée, d’Allemagne et des secteur calmes de Biélorussie des troupes fraîches.

Le 28 juin, le Feldmarschall Busch était remplacé à la tête du Groupe d’armées Centre par le Feldmarschall Walter Model, qui conservait d’autre part le commandement du Groupe d’armées Nord d’Ukraine. Il prit immédiatement des mesures énergiques pour rétablir la situation. Commandant de deux groupes d’armées, il détacha un certain nombre de divisions Panzer dans la fournaise de la Biélorussie. (A.N. Chimansky)

Des Panzers dans la fournaise

Opérations autour de Minsk du 29 juin au 3 juillet. Constitution de la « poche » allemande à l'est de la ville.

Mais rien n’y fit. Toutes ces unités fraîches furent détruites dès leur arrivée en Biélorussie. Borissov avait été prise le 30 juin par des éléments du 3e front biélorusse, obligeant la VIIIe armée à faire retraite, libérant ainsi la route de Minsk. Le Groupe d’armées Centre reculait toujours, poursuivi par l'armée soviétique. Conformément aux ordre de la Stavka, les unités rapides des 1er et 3e fronts de Biélorussie fonçaient à toute allure sur Minsk, respectivement par le nord et par le sud. Confrontés à des poussées convergentes, les Allemands firent tout pour sortir de la nasse le plus vite possible. Mais ils ne parvinrent pas à éloigner la menace d’un encerclement. L’offensive énergique et puissante du 2e front de Biélorussie éparpilla et décima les forces allemandes en retraite.

Pendant ce temps, l’aviation soviétique attaquait les concentrations allemandes et détruisait les ponts et les bacs qui auraient pu aider les Allemands à franchir rivières et pièces d'eau. Peu à peu, l’OKH perdit tout contrôle sur la IVe armée. Sans ralentir un seul instant, les innombrables forces russes, galvanisées par leur victoire, fonçaient au cœur même du dispositif allemand. Le 2 juillet, les éléments mobiles de Rokossovsky atteignirent Stolbtsy, 65 kilomètres à l’ouest du grand centre de communication de Minsk, coupant ainsi la voie ferrée menant à Varsovie.

L’exploitation de plus en plus habile de l’espace par les Soviétiques déjoua toutes les tentatives allemandes de contre-attaques menées dans l'espoir de stopper cette avance foudroyante qui avait fait progresser les Soviétiques de 250 kilomètres en une semaine. De grandes quantités d’infanterie motorisée avançaient à l’arrière des chars et exploitaient aux mieux la Blitzkrieg soviétique. De leur côté, les forces de Tcherniakhovski, parties du nord-est, convergeaient sur Minsk tout en menaçant la route de Vilna. Entre ces deux pointes blindées, les troupes des réserves motorisées de Rotmistrov s’engouffrèrent par la route Moscou-Minsk et firent leur entrée à Minsk le 3, après avoir parcouru près de 130 kilomètres au cours des deux jours précédents. Ils avaient ainsi refermé la tenaille sur les 100 000 hommes de la IVe armée, qui se trouvait prise au piège dans les forêts à l’est de la ville.

Un T-34 entre dans Minsk, début juillet.

À l'entrée des Russes, Minsk n’était plus qu’un amas de ruines. Dans la grande rue, la rue des Soviets, il ne restait plus qu’une dizaine d’immeubles debout, sur les 332 entreprises d’État et coopératives. Des bâtiments universitaires, tout comme de la quasi-totalité des soixante-dix-huit écoles et instituts techniques, de la Philharmonie d’État, de huit cinémas et de vingt-cinq clubs, les Allemands n'avaient laissé que des décombres. Ils avaient pillé les bibliothèques et la pinacothèque, détruit les cliniques, les hôpitaux, les jardins d’enfant et les crèches.

La vaste tenaille opérée par les Russes ressemblait de façon troublante à celle exécutée par les Allemands trois ans plus tôt, dans la direction opposée. Comme dans ce dernier cas, une partie seulement des forces encerclées par le 2e front biélorusse parvint à s’échapper. En effet, des éléments de la XIVe Panzer avaient pu quitter la nasse à temps, mais seuls 10 000 à 15 000 hommes, sur un total de 40 000, firent de même. Le lendemain, Bobrouïsk tombait.

Colonne de prisonniers allemands de la IVe armée après la chute de la poche de Minsk, début juillet.

Au cours de la première semaine, plus de 30 000 prisonniers furent faits au nord et 24 000 au sud. Environ 100 000 hommes furent pris au piège autour de la capitale, bien qu’une partie de l’armée de Tippelskirch ait réussi à s’enfuir en utilisant des routes secondaires, par lesquelles on avait renoncé depuis un certain temps à faire passer le ravitaillement en raison des partisans soviétiques.

Les forces de Rokossovsky avaient tué 50 000 Allemands, détruit 350 blindés et pris 2 600 canons et 20 000 hommes en moins d’une semaine. Le Groupe d’armées Centre était virtuellement détruit et en proie au plus complet désarroi. Le total des pertes dépassait 200 000 hommes.

Le 4 juillet, le succès de la prise de Minsk était déjà éclipsé lorsque Polotsk fut capturée par les forces du 1er front de la Baltique, qui poursuivit son inexorable avance vers l’ouest. Le 5, les Russes attaquèrent les 100 000 hommes des IXe et IVe armées encerclées. Kovel fut prise par les armées soviétiques le 6, tout comme Svir au sud-ouest de Minsk. Le 7, les IXe et IVe armées furent entièrement détruites.

À l’ouest de Minsk, les Allemands en retraite opposèrent une résistance momentanée mais sans aucune ligne de défense naturelle ni assez d’hommes pour couvrir un front qui s’élargissait au fur et à mesure de la pénétration russe. Les Soviétiques avaient toujours la place suffisante pour contourner les villes auxquelles l’ennemi s’accrochait.

La carte présentait une avance en forme de demi-cercle d’où partaient des pointes dirigées vers Dvinsk, Vilna, Grodno, Bialystok et Brest-Litovsk. Les forces soviétiques n'avaient pas cessé de harceler les forces du Groupe d’armées Centre. Elles avaient ainsi progressé de 200 à 300 kilomètres et combattaient maintenant aux portes de Daugavpils, de Vilna et de Baranovitchi. Vilna fut atteinte le 9 et prise le 13 après que les forces mobiles soviétiques l’aient dépassée des deux côtés. Le même jour, les Russes atteignaient Grodno.

Le 9, les Soviétiques du 3e front biélorusse prirent Lida, près de Grodno. Le 10, ce fut le tour de Slonim au terme d’une offensive lancée par Ieremenko. Le même jour, Hitler ordonna au Groupe d’armées Nord et au Groupe d’armées Centre de tenir leurs positions. L’Armée rouge avait ouvert dans les lignes allemandes une gigantesque brèche de plus de 400 kilomètres de large, par où s'engouffraient ses troupes pour libérer des territoires depuis longtemps sous la botte nazie.

À la mi-juillet, les forces soviétiques avaient entièrement expulsé les Allemands de Biélorussie, et occupé la partie nord-est de la Pologne. Les éléments de pointe étaient alors à la porte de la Prusse-Orientale et avaient pénétré profondément en Lituanie. À cet endroit, ils étaient 300 kilomètres en arrière du Groupe d’armées Nord allemand qui défendait encore les Pays baltes

Les avant-gardes du général Bagramian, près de Dvinsk, étaient plus proches de la base allemande de Riga que du front nord de Friessner. Tcherniakhovski, qui avait atteint le Niémen et Vilna, était presque aussi proche de lui que de la Baltique, mais plus à l’ouest. Il y avait donc une double barrière qui pouvait être établie à l’arrière de Friessner pour l’empêcher de se replier. La situation fut encore aggravée par l’attaque vers le nord dans le secteur de Pskov, où Malennikov attaqua en association avec Ieremenko.

Avant même la destruction de la poche de Minsk, la Stavka avait désigné de nouveaux objectifs à ses fronts : le 1er de la Baltique porterait l’essentiel de son effort en direction de Kaunas, tout en lançant des attaques secondaires en direction de Panevejis et de Chiaouliai. Le 2e de Biélorussie avancerait sur Bialystok, le 3e toujours de Biélorussie, suivrait l’axe de Vilna pour atteindre le Niémen et établir une série de têtes de pont sur sa rive occidentale. Enfin, l’aile droite du 1er front de Biélorussie marcherait sur Baranovitchi et Brest-Litovsk, et franchirait le Boug occidental. En dix jours, la poche de Minsk fut anéantie et les Allemands y perdirent 105 000 hommes, dont seulement 35 000 prisonniers.

Guderian écrira : « Le GA centre était liquidé. Nous avons subi des pertes effroyables – environ 25 divisions. Toutes les forces disponibles étaient employées à tenter de colmater le front qui se désintégrait. »

Mais l’Armée rouge n’avait pas l’intention de laisser les Allemands établir un front défensif à l’est de la frontière polonaise. Le 13 juillet, les Russes prirent Vilna et éliminèrent 13 000 soldats allemands. Tous les fronts continuaient leur rapide avance, atteignant à la mi-juillet Kaunas, Grodno, Bialystock et Brest-Litovsk. La Stavka fit alors donner toutes ses réserves pour exploiter au maximum la situation. Ainsi renforcée, l’aile gauche du 1er front de Biélorussie marcha vers Lublin et Brest-Litovsk tandis que le 1er front de la Baltique prit Chiaouliai le 27 juillet et atteignit le golfe de Riga le 31, coupant le GA Nord en deux.

Au vu et au su de la situation, les Allemands jetèrent toutes leurs réserves dans le secteur de la Baltique. À la mi-août, l’ennemi concentrait trois Panzerdivisionen dans le secteur d’Aoutse et une autre au sud-est de Chiaouliai. Ces quatre grosses unités passèrent à l’action dans la seconde quinzaine d’août et attaquèrent le flanc du 1er front de la Baltique qui ne put empêcher les Allemands de rétablir la liaison terrestre par un étroit couloir le long du golfe de Riga.

Depuis le 16, les contre-attaques allemandes qui visaient à réduire les têtes de pont du 3e front de Biélorussie sur le Niémen avaient toutes échoué et, le 28, les Soviétiques déferlaient déjà. Le 17, 57 600 Allemands défilèrent à Moscou, tête basse. Le 31 août, lorsque ce même 3e front prit Kaunas, il avait progressé de 50 kilomètres. Le 20, l’aile gauche du 1er front de Biélorussie perça les défenses allemandes près de Kovel et franchit le Boug occidental.

Zakharov, à la tête du 2e front de Biélorussie, se heurta à de nouvelles difficultés. En effet, les Allemands avaient concentré une dizaine de divisions sur une ligne Grodno-Svislotch et lancèrent de violentes contre-attaques. Mais Zakharov eut raison de ces défenses et ses troupes s’engagèrent sur Bialystock. Il arriva fin juillet à la frontière avec la Prusse-Orientale où elles stoppèrent leur offensive.

À partir de ce moment, les Allemands comprirent que pour stabiliser la situation il leur faudrait se replier sur la Vistule ou la défense serait plus facile. Lublin tombe aux mains du 1er front de Biélorussie le 23 juillet et Brest-Litovsk le 28.

Soldats russes devant des fours crématoires de Maidanek, juillet ou août 1944.

Mais cette victoire prit un goût amer avec la libération le 23 juillet du camp d’extermination de Majdanek, ou plus de 300 000 prisonniers avaient été exterminés. Pendant la bataille de Brest-Litovsk, le flanc gauche du 1er front de Biélorussie fonça sur Varsovie et y pénétra le 28 juillet. Le 2 août, il établit deux têtes de pont au sud de la capitale polonaise.

Le mois d’août vit de violents combats, les Allemands essayant par tous les moyens de réduire ces têtes de pont. En effet, la Luftwaffe redoubla d’activité tandis que la Heer recevait deux divisions blindées, cinq divisions d’infanterie ainsi que quatre brigades d’infanterie et motorisées en renfort.

Face à toutes ces troupes fraîches, les Russes réussirent à conserver leurs positions mais pas à les agrandir. Au nord-est de Varsovie, les unités blindées du 1er front de Biélorussie atteignirent le secteur Radzymin-Wolomin où elles se heurtèrent à une défense acharnée qui eut comme effet de stabiliser le front.

Les premiers territoires polonais à peine libérés, le comité de libération nationale, dirigé par le parti communiste, se mit à l’œuvre. Ce gouvernement provisoire avait déjà publié un appel au peuple qui incitait les patriotes à combattre avec l’Armée rouge pour la liberté du pays. Des éléments de la 1re armée polonaise combattaient d'ailleurs au sein du 1er front de Biélorussie.

Conclusion

Avance russe du 22 juin au 29 août.
Des pertes et des conquêtes

À l’origine opération de diversion, l’opération Bagration fut la plus grande bataille de la Seconde Guerre mondiale et la « plus grande défaite de Hitler ».

Sur un front de plus de 1 000 kilomètres de large, les Russes avaient avancé de 600 kilomètres en deux mois. La Biélorussie, une partie de la Lituanie, de l’Estonie et de la Pologne avaient été libérées et l’Armée rouge se trouva ainsi à la frontière de la Prusse-Orientale. De plus, le Groupe d’armées Centre était virtuellement détruit, perdant les quinze premiers jours 400 000 hommes des IIIe Panzerarmee et des IVe et IXe armées d’infanterie, ainsi que trente généraux dont huit tués, soit vingt-cinq divisions.

Du côté russe on estime les pertes du 22 juin au 22 juillet à 381 000 morts et 158 480 prisonniers. Selon d’autres sources, du 22 juin au 29 août, le Groupe d’armées Centre aurait entièrement perdu dix-sept divisions et trois brigades, auxquelles il faut ajouter cinquante divisions réduites de moitié.

Les causes de la défaite allemande

Elles sont assez nombreuses. Tout d’abord, la supériorité russe en hommes et matériels était écrasante. Ainsi, le réservoir humain considérable de l’Armée rouge a permis non seulement de combler les pertes mais aussi de faire croître les effectifs des différentes armées. La production soviétique à son apogée permettait la concentration toujours plus importante d'unités de mieux en mieux équipées.

En face, l’armée allemande était finie : bien des divisions étaient sous-équipées, notamment la Luftwaffe (6e Luftflotte) qui alignait quarante appareils contre des milliers d'adversaires. La victoire soviétique s’explique aussi par le Débarquement en Normandie et la bataille d’Italie qui mobilisaient de nombreuses armées allemandes. En effet, on s'y battait depuis quinze jours et les pertes empêchaient l’armée allemande d’effectuer des mouvements de troupes d’ouest en est comme les années précédentes.

On peut aussi attribuer aux Soviétiques une organisation à toute épreuve. L’état-major soviétique avait en effet réussi à leurrer les Allemands sur le lieu de l’offensive jusqu’au dernier moment, permettant un effet de surprise décisif.

Enfin, c'est une des premières fois que l'Armée rouge a l'organisation et les moyens nécessaire pour mettre en pratique la doctrine des opérations en profondeur, qu'elle avait élaborée dans les années 30 (ce qui a souvent fait dire que ses généraux avaient repris la Blitzkrieg allemande). Les généraux allemands, souvent aussi compétents que leurs homologues russes, avaient été victimes de leur foi envers Hitler. Ainsi, la stratégie allemande consistant à tenir à tout prix les nœuds ferroviaires et les villes s'était révélée désastreuse l’armée russe se contentant de contourner les poches de résistance et de les encercler. Seul le général Model, capable de changer la volonté du Führer, put éviter une catastrophe encore pire.

Conséquences de la victoire soviétique

La victoire soviétique fut le résultat de bien des facteurs et « le signe de l’épuisement des hommes, de l’essoufflement de l’économie de guerre allemande et du déclin fatal du IIIe Reich » (Paul Carrel). Cette victoire a été lourde de conséquences et stupéfia tous les camps, Russes compris. Tout d’abord, elle ouvrit aux Soviétiques la porte de Berlin, ensuite elle permit l’encerclement du Groupe d’armées Nord, et enfin l’occupation militaire des Pays baltes et de la Pologne. Cette victoire permit à Staline de faire pression sur les Alliés à la conférence de Yalta pour faire basculer dans la sphère d’influence soviétique les pays d’Europe centrale.

La victoire russe mit aussi fin à la défense organisée de la Wehrmacht. De plus, l’écrasement du Groupe d’armées Centre fit douter les Allemands de leur Führer, ce qui conduisit à l’attentat du 20 juillet. Sans oublier les nombreux généraux prisonniers, en premier lieu Paulus, qui exhortèrent leur compatriotes à se rendre, pour mettre fin à leur « lutte stérile ».

Enfin, on peut noter le drame humain de toutes les familles qui perdirent un être cher dans les marais de Biélorussie et le malheur de tous ces Biélorusses dont les villages furent détruits par le vaincu dans sa sanglante retraite. Pour ces multiples raisons, la destruction du Groupe d’armées Centre représenta l'un des « tournants décisifs » de la Seconde Guerre mondiale.

Erreurs stratégiques

Bien que l'infériorité matérielle de la Wehrmacht face à l'Armée rouge soit dramatique, il y a toujours le facteur Adolf Hitler et sa doctrine de « ne pas reculer » qui est à prendre en compte. Non seulement il laisse aux Soviétiques la possibilité d'encercler l'armée Centre (9A et 4A, XIII et III) en empêchant sciemment ses généraux d'ordonner la retraite avant qu'il ne soit trop tard, mais il empêche l'évacuation de l'Estonie, mettant en grand danger l'armée Nord, 18 et Narva, qui sont sur le point d'être coupées de leurs arrières.

Malgré cela, les Allemands utilisent la technique dite de défense élastique[2], statique en réalité : Hitler ordonne de tenir des positions impossibles coûte que coûte. Cela provoque la poche de Korsun-Tcherkassy qui condamne des divisions qui auraient pu être utilisées pour la défense de Berlin. Les forces armées du sud (groupe d'armée du sud) sont presque abandonnées ; une partie de leurs effectifs est piégée en Crimée par la bataille de Sébastopol tandis que le restant de cette force armée (y compris les Roumains) tente de s'opposer à l'invasion de la Roumanie. Les erreurs de la bataille de Stalingrad se répètent.

Références

  1. Source : Apocalypse, la 2e Guerre mondiale par Isabelle Clarke et Daniel Costelle ; 6e partie, L'enfer (1944-1945).
  2. voir carte

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