Monade (philosophie ésotérique)

Monade (philosophie ésotérique)

Monade (philosophie)

Le mot « monade », qui relève de la métaphysique, signifie, étymologiquement, « unité » (μονάς monas). C'est l'Unité parfaite qui est le principe absolu. C'est l'unité suprême (l'Un, Dieu, le Principe des nombres), mais ce peut être aussi, à l'autre bout, l'unité minimale, l'élément spirituel minimal. Plus subtilement, la notion de monade évoque un jeu de miroirs entre l'Un, la Monade comme unité maximale, et les monades, les éléments des choses ou les choses en tant qu'unités minimales, reflets, de l'Un ; une chose une est comme un microcosme, un reflet, un point de vue de l'Unité ; une âme dit partiellement ce qu'est l'Âme, celle du monde, ou l'Esprit.

Le monadisme, vitaliste, s'oppose à l'atomisme, qui est mécaniste. La science des monades s'appelle « monadologie » ; ce néologisme vient, non de Leibniz, mais de Erdmann, l'éditeur de Leibniz en 1840.

Quant aux mots, on peut dire que, parfois, le Grec appelle les nombres arithmétiques un, deux, trois, quatre, cinq, dix..., tandis qu'il appelle les nombre idéaux monade, dyade, triade, tétrade, pintade, décade.[1] D'autre part, par convention le mot "Monade" (avec majuscule) désigne le principe un, l'Un, l'Unité, tandis que "monade", avec minuscule, désigne une unité, une substance simple.

Quant aux concepts, on peut distinguer ou confondre Un et Monade. Les pythagoriciens semblent identifier, les platoniciens semblent distinguer : dans son enseignement oral, Platon, pose deux principes contraires, au sommet lUn, en bas la Dyade, ce ne sont pas des nombres, mais les sources des nombres : "c'est à partir de cet Un que le nombre idéal est engendré"[2], "la Dyade indéfinie est génératrice de la quantité"[3], et l'Un engendre les nombres idéaux de la Décade (monade, dyade, triade, tétrade).

Sommaire

Philosophie ancienne

Chez les pythagoriciens, surtout chez Philolaos et Archytas, la Monade désigne l'unité originelle d'où dérive la série des nombres, en particulier la Décade (les dix premiers nombres entiers naturels).

« Le principe de toutes choses est la Monade. Venant de la Monade, la Dyade indéfinie [l'Illimité, la matière], considérée comme matière, est sous-jacente à la Monade qui est cause. De la Monade et de la Dyade indéfinie viennent les nombres, des nombres les points [des nombres dérivent les grandeurs, dont l'élément originel est le point], des points les lignes, des lignes les figures planes, des figures planes les figures solides, des solides les corps sensibles [connus par les sens], dont les Éléments sont au nombre de quatre : Feu, Eau, Terre, Air. » [4]
« Archytas et Philolaos usent indifféremment des termes 'un' et 'monade' » (Théon de Smyrne, Exposé des connaissances mathématiques utiles à la lecture de Platon).

Platon appelle ses Idées « Monades » (unités), dans la mesure où chaque Idée (le Juste, le Beau, l'Abeille en soi...) est une Forme sans multiplicité ni changement, un Modèle unique, un principe d'existence et de connaissance.

« Quand c'est l'Homme dans son unité qu'on entreprend de poser, ou le Boeuf unique, le Beau unique, le Bien unique, alors l'immense peine qu'à propos de ces unités et de celles qui sont du même ordre on se donne pour les diviser donne lieu à contestation. De quelle manière ? En premier lieu, sur le point de savoir si l'on doit admettre pour des unités (monadas) de cet ordre une véritable existence ; en second lieu, de savoir cette fois comment ces unités, dont chacune existerait toujours identique à elle-même et sans être sujette ni à naître ni à périr, gardent intégralement, de la façon la plus stable, cette unicité qu'on leur attribue » [5]

Speusippe, qui succéda à Platon à l'Académie, soutient que le premier principe est l'Un, au-dessus de l'être, et que la monade concerne les nombres.[6]

Les néoplatoniciens pythagorisants (comme Syrianos, Nicomaque de Gerasa, Jamblique de Tyr) ont assimilé le Un à la Monade.

« Chez les néoplatoniciens chrétiens (Théodoric de Chartres, Dominique Gundisalvi), le mot Monade désigne Dieu comme unité ultime et essentielle »[7]


« Le concept de monade est utilisé par Nicolas de Cues, chez qui il désigne un microcosme, une unité en miniature, un miroir du tout » [8]

Philosophie renaissante et moderne (après 1600)

La monade chez Giordano Bruno

En 1591, à Francfort, Giordano Bruno a écrit en latin deux poèmes sur la monade : Du triple minimum (De triplici minimo) et De la monade, du nombre et de la figure (De monade, numero et figura). Il appelle minimum ou monade une entité indivisible qui constitue l'élément minimal des choses matérielles et spirituelles. Dieu, minimum et maximum, est la Monade suprême d'où s'échappent éternellement une infinité de monades inférieures :

« Dieu est la Monade, source de tous les nombres. L'absolument simple, fondement simple de toute grandeur et susbtance de toute composition ; supérieur à tout accident, infini et immense. La nature est nombre nombrable, grandeur mesurable et réalité déterminable. La raison est nombre nombrant, grandeur mesurante, critère d'évaluation. A travers la nature Dieu influe sur la raison. La raison, à travers la nature, s'élève vers Dieu. »[9]

Il y a un triple minimum : la monade correspond au point en mathématiques et à l'atome en physique. Elle est l'être primitif, impérissable, de nature aussi bien corporelle que spirituelle, qui engendre, par des rapports réciproques, la vie du monde. C'est une individualisation extrinsèque de la divinité, existence finie, elle est un aspect de l'essence infinie. Certains ont vu là du panthéisme (tout est divin), d'autres du perspectivisme (chaque chose exprime le tout à sa façon).

La monade chez Leibniz

Mathématicien et philosophe chrétien, Leibniz considère que le monde est fait de monades. Il en parle à partir de 1696. Son livre clef est, sur ce thème, la Monadologie, écrit en français en 1714, publié en 1840. Tout être est soit une monade soit un composé de monades. Quant à leur nature, les monades sont des substances simples douées d'appétition et de perception. Quant à leur structure, ce sont des unités par soi, analysables en un principe actif appelé « âme », « forme substantielle » ou « entéléchie », et en un principe passif, dit « masse » ou « matière première ». Quant à leur expression, les monades sont chacune un miroir vivant, représentatif de l'univers, suivant leur point de vue. Quant à leur hiérarchie, les monades présentent des degrés de perfection : a) au plus bas degré, les monades simples ou « nues » se caractérisent par des perceptions inconscientes. Elles contiennent toutes les informations sur l’état de toutes les autres, mais n’ont ni conscience ni mémoire. Ce sont les monades des minéraux et des végétaux ; b) puis viennent les monades sensitives, douées de perceptions conscientes et de mémoire et qui imitent la raison. Telles sont les monades des animaux ; c) les monades raisonnables se distinguent par la conscience réfléchie (« aperception ») de leurs perceptions, qui entraînent la liberté. C’est le cas des monades humaines ; d) ensuite les anges ; e) Dieu, dira Hegel, est la Monade des monades[10]

« La monade, dont nous parlerons ici, n'est autre chose qu'une substance simple, qui entre dans les composés ; simple, c'est-à-dire sans parties... Ces monades sont les véritables atomes [les indivisibles] de la nature et, en un mot, les éléments des choses... Les monades n'ont point de fenêtres, par lesquelles quelque chose y puisse entrer ou sortir [les actions de l'extérieur ne peuvent la modifier]. »[11]

La monade après Leibniz

Chez Alfred North Whitehead, le mot indique les événements temporels.

Chez Husserl[12], la monade caractérise le rapport intersubjectif. Le mot « monade », ici, désigne la conscience individuelle, l'individualité en tant qu'elle représente à la fois un point de vue unique, original sur le monde et une totalité close, impénétrable aux autres consciences individuelles ou individualités. Pour Husserl, au moi est donné d'autres moi, non pas directement, mais à travers une série d'actes extérieures, physiques, que le moi interprète par analogie à soi-même. Ainsi, à travers les actes d'interprétation, se forment des mondes intersubjectifs, régis par des structures qui leur sont propres et qui forment la base pour la constitution de personnes supérieures, collectives. On aboutit à une pluralité de monades qui communiquent entre elles, à travers la sphère neutre du monde intersubjectif.

Bibliographie

  • Xénia Atanassiévitch, La doctrine métaphysique et géométrique de Bruno exposée dans son ouvrage 'De triplici minimo' , Belgrade, 1923.
  • Giordano Bruno, Du triple minimum et de la mesure (De triplici minimo et mensura (1591), De la monade (De monade) (1591) : Opere latine di Giordano Bruno, édi. par C. Monti, Turin, UTET, 1980.
  • Charles H. Kahn, Pythagoras and the Pythagoreans, Hackett Publishing, 2001.
  • Leibniz, Système nouveau de la nature et de la communication des substances (1695) ; La monadologie (1714) Monadologie, in Leibniz, Discours de métaphysique. Monadologie, édi. par Michel Fichant, coll. "Folio", 2004.
  • A. Sheppard, Monad and Dyad as Cosmic Principles in Syrianus, in H. Blumenthal et A. Lloyd (édi.), Soul and the Structure of Being in Late Neoplatonism, Liverpool, 1982, p. 1-14. Syrianos est un commentateur néoplatonicien d'Aristote.
  • Gilles Deleuze, Le pli. Liebniz et le baroque, Les Éditions de Minuit, Paris, 1988.

Notes et références

  1. Jean-Claude Dumoncel, La tradition de la 'Matheis universalis'. Platon, Leibniz, Russell, Cahiers de l'Unebévue, 2002, p. 76.
  2. Aristote, Métaphysique, N, 4, 1091b3.
  3. Aristote, Métaphysique, M, 8, 1083a13.
  4. Diogène Laërce, Mémoires pythagoriques, IIe siècle. av. J.-C., in Vies et doctrines des philosophes illustres, VIII, 25, trad. Balaudé et Brisson.
  5. Platon, Philèbe, 15 ab, trad. L. Robin.
  6. Ph. Merlan, From Platonism to Neoplatonism, La Haye, Nijhoff, 1953, p. 96-128. W. Burkert, Lore and Science in Ancient Pythagoreanism, trad., Harvard University Press, 1972, p. 232.
  7. Encyclopédie de la philosophie, Le livre de poche, 2002, p. 1096
  8. Encyclopédie de la philosophie, Le livre de poche, p. 1096.
  9. (Giordano Bruno, Le triple minimum. De triplici minimo, trad. B. Levergeois, Fayard, 1995, p. 447)
  10. Hegel, Leçons sur l'histoire de la philosophie, t. VI, Vrin, 1985, p. 1623
  11. Leibniz, Monadologie, § 1-7. Monadologie
  12. Husserl, Méditations cartésiennes, V (1931)

Voir aussi

Articles connexes

Liens externes

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