Marie-Thérèse Le Vasseur

Marie-Thérèse Le Vasseur
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Portrait en pied de Marie-Thérèse Le Vasseur par E. Charryère d’après une sépia de Naudet.

Marie-Thérèse Le Vasseur, née en 1721 à Orléans et morte le 17 juillet 1801 au Plessis-Belleville, est une lingère française connue pour sa liaison avec Jean-Jacques Rousseau.

Jean-Jacques avait trente-trois ans, c’est-à-dire environ neuf ans de plus que Thérèse Le Vasseur, qui en avait vingt-quatre, lorsqu’il se lia avec elle à Paris, en 1745. Celle-ci était ouvrière en linge dans un petit hôtel garni de la rue des Cordiers, que Rousseau avait habité à son premier voyage et où il prenait ses repas depuis qu’il avait résolu de mener une vie indépendante à Paris, et ce fut là qu’il la connut. Elle appartenait à une famille assez estimée ; son père avait été officier de la Monnaie d’Orléans, et sa mère marchande. Privé de son emploi, par suite de suppression, il alla demeurer à Paris où sa femme et sa fille soutinrent sa pénible existence par leur travail.

Rousseau, dans les Confessions, donne une idée de celle qui fut pendant trente-trois ans cette compagne qui exerça, pendant cette durée, l’influence la plus constante, la plus impérieuse, sur tous les instants de l’existence d’un homme qui, lui-même, influa tant sur son siècle. Jamais il ne put lui apprendre à bien lire et, quoiqu’elle écrivit passablement ; à peine savait-elle connaître les heures sur un cadran ; « elle n’a jamais pu, écrit-il, suivre l’ordre des douze mois de l’année, et ne connaît pas un seul chiffre, malgré tous les soins que j’ai pris pour les lui montrer. Elle ne sait ni compter l’argent ni le prix d’aucune chose. Le mot qui lui vient en parlant est souvent l’opposé de celui qu’elle veut dire…, et ses quiproquos sont devenus célèbres dans les sociétés où j’ai vécu. » Rousseau ajoute : « II est vrai que cette personne si bornée, si stupide en apparence, était d’excellent conseil, sensée et affectueuse ». Il fait surtout l’éloge de son caractère, « pur, excellent, sans malice, digne de toute son estime ».

Soit qu’il n’ait vu qu’à la fin les torts de Thérèse, soit qu’il ait cru se devoir à lui-même de n’en pas convenir, il affecte de parler d’elle avec les plus grands égards ; et c’est à peine si dans toutes ses œuvres et même dans sa correspondance, on trouverait quelques lignes de plainte. Il en veut bien davantage à la mère de Thérèse Le Vasseur car, en prenant Thérèse, s’était mis sur les bras toute la famille : des neveux et des nièces, ses sœurs ; son frère, vaurien et escroc ; son père, vieux bonhomme, qu’à la prière de madame Le Vasseur il fit placer dans une maison de charité, et qui y mourut incontinent ; sa mère enfin. Il garda cette femme chez lui de 1745 à 1757, et la mit à la porte en quittant l’Hermitage. Dissimulée, avide, acariâtre, et par dessus tout dominante, la mère de Thérèse prétendait gouverner Rousseau, et il lui donne une grande part dans ces tracasseries cancanières que sa paranoïa changeait en complots.

Rousseau eut de Thérèse cinq enfants nés de 1747 à 1755. Selon Rousseau lui-même, ce fut lui et la mère Le Vasseur qui les mirent aux Enfants-Trouvés et que seule Thérèse ne s’y décida qu’avec bien de la peine : « Je m’y déterminai gaillardement sans le moindre scrupule, dit-il, et le seul que j’eus à vaincre fut celui de Thérèse, qui n’obéit qu’en pleurant. » Sophie d'Houdetot prétendait le contraire. Certains ont été jusqu’à dire que Rousseau n’était pas le père des enfants de Thérèse, et qu’il ne l’ignorait pas.

Quoi qu’il en soit, l’emprise de Thérèse sur Rousseau ne fit que croître avec les années ; il ne put jamais se séparer d’elle, et la prit avec lui partout, la traitant, suivant l’occasion, comme sa servante, comme sa maîtresse ou comme sa femme. Ce n’est pas qu’il l’aimât d’amour : il compare son attachement pour Thérèse au sentiment que lui avait fait éprouver déjà Louise de Warens, par besoin d’une intimité aussi étroite que possible. Hume disait : « Elle est méchante, querelleuse, bavarde, mais elle a sur cet homme l’empire d’une nourrice sur son enfant. »

En 1754, Rousseau allant à Genève conduisit Thérèse chez Louise de Warens, l’ancienne « maman ». Celle-ci ôte de son doigt la seule bague qui lui reste, pour la donner à Thérèse. À L’Hermitage, l’affection pour Thérèse n’empêche pas les ardeurs pour Sophie d’Houdetot. Après celle-ci, ce fut Amélie de Boufflers et, chaque fois, Rousseau revenait à Thérèse plus amoureux que jamais. Il fallait obtenir un pardon difficilement accordé, s’humilier, demander grâce et promettre de ne plus recommencer.

Madame de Luxembourg prodigua à Thérèse toutes sortes de bontés, la reçut chez elle, l’embrassa devant tout le monde. Un peu plus tard, Madame de Créquy fit de même, et aussi milord maréchal, et même le prince de Conti : Rousseau en fut enchanté. Quand arrivèrent les persécutions à propos de l’Émile, Rousseau, forcé de quitter Thérèse, la recommanda à Madame de Luxembourg avec les dernières instances.

L’année d’après, en 1762, un gentilhomme de Neuchâtel, le comte d’Escherny, vint rendre visite à Rousseau à Môtiers-Travers ; à sa grande surprise, Rousseau ne permit pas à Thérèse de se mettre à table pour dîner avec eux. Babillarde et méchante langue comme sa mère, celle-ci se déplaisait à Motiers : on s’accorde à croire que cette lapidation relatée par Rousseau au XIIe livre des Confessions fut un tour concerté par Thérèse. Ce fut surtout grâce à elle que Rousseau se vit enfin obligé de quitter la Suisse.

En Angleterre, en 1766, un ami de Hume, Townsend, offrit le vivre et le couvert à l’auteur d’Émile. Rousseau cette fois exigea que Thérèse mange à table, condition qui ne fut pas acceptée. L’année d’après, elle le brouille avec Davenport, et Rousseau retourne en France. À Trie, comme à Motiers, c’est encore la langue de Thérèse qui fut la cause des tracasseries et des mauvais traitements de la part des habitants.

De Bourgoin, où Rousseau vint habiter en 1768, il écrivit une longue lettre à Thérèse, la seule qui renferme un peu d’amertume : « Je n’ai cherché depuis vingt-six ans qu’a vous rendre heureuse. Je m’aperçois avec douleur que le succès ne répond pas à mes soins, etc,... Rien ne plaît, rien n’agrée de la part de quelqu’un qu’on n’aime pas. Voilà pourquoi, de quelque façon que je m’y prenne, tous mes soins, tous mes efforts auprès de tous sont insuffisants ;… je n’aurais jamais songé à m’éloigner de vous, si vous n’aviez été la première à m’en faire la proposition ; vous êtes revenue très souvent à cette idée… »

II est possible que cette lettre ait été comme une crise dans la liaison de Rousseau, et que Thérèse ait imaginé ces projets de rupture dans des vues intéressées car, cette même année, Rousseau l’épousa, à sa manière, « à la face de la nature », sans contrat et sans bénédiction nuptiale : il la nomma simplement sa femme en sortant de table et en présence de deux convives, MM. de Champagneux, maire de Bourgoin, et de Rosières, tous deux officiers d’artillerie.

À Monquin, en 1769, Thérèse fut encore outragée par les gens de M. de Cézarges. Enfin, en 1770, elle revint à Paris avec Rousseau. De tous ceux qui, à cette époque, vinrent visiter le philosophe, et qui parlent de Thérèse, Goldoni, le prince de Ligne, etc., il n’en est aucun qui ne s’attache à la représenter comme une mégère et une vilaine femme. Bernardin de Saint-Pierre est le seul qui fasse un peu grâce au ménage de la rue Plâtrière.

Au mois de mai 1778, la santé de Thérèse s’étant, à ce qu’il paraît, dérangée, Rousseau, accepte l’hospitalité du marquis de Girardin, seigneur d’Ermenonville, et quitte précipitamment Paris pour Ermenonville où il devait mourir deux mois plus tard d’une apoplexie. Certains allèrent jusqu’à dire que Jean-Jacques avait hâté sa mort par le pistolet ou le poison à cause de la conduite de Thérèse qui avait une liaison avec un valet d’écurie de M. de Girardin : Jean-Jacques voulait quitter Ermenonville ; Thérèse aurait résisté et Rousseau perdu la tête. D’autres ont démenti l’hypothèse du suicide mais, après la mort de Rousseau, Thérèse Le Vasseur vécut avec ce laquais, dont le marquis de Girardin fit un garde-chasse, à cause de cette alliance avec la veuve de l’illustre Rousseau, et qui finit par la chasser d’Ermenonville en 1779 une fois les économies de Jean-Jacques et ses droits d’auteurs dilapidés avec lui.

Thérèse Le Vasseur avait, pour subsister, le produit de la vente de quelques manuscrits de Jean-Jacques, et les rentes que lui faisaient M. de Girardin et les libraires, Rey entre autres. Le 21 décembre 1790, sur les instances de Mirabeau, l’Assemblée nationale, en même temps qu’elle votait une statue à Rousseau, décréta que sa veuve jouirait d’une pension de 1 200 francs, qui fut dans la suite portée à 1 500. Cette pension ne fut pas toujours exactement payée, et Thérèse, retirée au Plessis-Belleville, tomba dans la misère. Il paraît que vers la fin elle s’enivrait à l’eau-de-vie : un admirateur enthousiaste de Jean-Jacques se rendit, en 1799, au Plessis-Belleville, pour voir Thérèse ; il la trouva ivre-morte. On cite une anecdote qui prouverait qu’elle avait cette passion du vivant même de Jean-Jacques : Lebègue de Presle, censeur royal et docteur en médecine, ancien ami de Jean-Jacques, étant allé le voir à Ermenonville, environ quinze jours avant sa mort, l’avait trouvé portant une dame-Jeanne remplie de vin, et remontant péniblement l’escalier de sa cave. « — Pourquoi tant de peine, mon ami ? dit le docteur. — Mais, je n’ai personne. — Et Mme Rousseau, qui se porte si bien ? — Que voulez-vous, aurait répondu Jean-Jacques, quand elle y va, elle y reste. »

Ainsi finit, à l’âge de quatre-vingts ans, la veuve de Jean-Jacques Rousseau dont voici le début d’une lettre qu’elle lui adressa d’Yverdon après sa fuite de Montmorency : « Mon cher ami que le goies que ge ues deureu ceu voier deu voes cher nou vele geu vous a surre que mon nes pries neu tes nes plus arien deu dou leur deu neu paes vous voir[1] ».

Notes

  1. Correspondance, 17 juin 1702 [Mon cher ami, quelle joie que j’ai eue de recevoir de vos chères nouvelles. Je vous assure que mon esprit n’était plus à rien de douleur de ne pas vous voir…].

Sources

  • Ferdinand Hoefer, Nouvelle Biographie générale, t. 31, Paris, Firmin Didot frères, 1860, p. 22-5.

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