Machine d'Anticythere

Machine d'Anticythere

Machine d'Anticythère

Schéma du mécanisme de Price

La machine d'Anticythère (appelée parfois « mécanisme d'Anticythère ») est une calculatrice mécanique antique permettant de calculer des positions astronomiques. Elle a été découverte en 1900 dans une épave près des côtes de l'île grecque d'Anticythère[1], entre Cythère et la Crète.

Le mécanisme est fondé sur les cycles de progression de l'arithmétique babylonienne. Au deuxième siècle avant J.C., Hipparque avait développé une théorie pour expliquer les irrégularités du mouvement lunaire à cause de son orbite elliptique.

Elle est datée d'avant 87 av. J.-C. et c'est le plus vieux mécanisme à engrenages connu. Les fragments retrouvés sont conservés au Musée national archéologique d'Athènes.

Sommaire

Histoire

Origine et datation

Les premières études avaient identifié l’âge du mécanisme à celui du navire, soit 87 av. J.-C.. De nouvelles études l'estiment plus ancien d’un siècle (voir infra). Des datations plus précises ont été effectuées en 2006 sur les bois du navire et les métaux du mécanisme.

L'identité de l'inventeur est débattue. Il pourrait s'agir des suivants :

  • Archimède de Syracuse (-287 à -212), père de la mécanique statique et évoqué par Cicéron,
  • Hipparque de Nicée (-190 à -120), car fondateur de la trigonométrie,
  • Posidonios de Rhodes (-135 à -51), selon les indications de son ami Cicéron,
  • Geminos (-110 à -40), disciple de Posidonios, rédige en -55 l'Isagoge (introduction à l'astronomie). Son texte est très proche du parapegme (table astronomique) gravé sur le mécanisme.

Des indices font de Rhodes le lieu possible de conception : Hipparque vivait à Rhodes, cette île était un centre intellectuel très important à l'époque.

Découverte

Peu avant Pâques 1900, deux caïques de pêcheurs d'éponge grecs (au scaphandre) de Symi, l'Euterpe et la Calliope, en route vers l'Afrique du Nord, firent escale sur la côte nord-est d'Anticythère. Le 4 avril 1900, l'un des plongeurs, Elias Lykopantis (ou Stadiatis) découvrit par hasard l'épave antique gisant par 62 m de fond environ. Il en remonta un objet de la cargaison, la main d'une statue en bronze — elle appartenait à la statue dite du Philosophe. Les pêcheurs n'en modifièrent pas leurs plans pour autant, et ce n'est qu'au retour, à l'automne, qu'ils avertirent les autorités grecques — plutôt que le gouvernement ottoman dont Symi dépendait à l'époque — par patriotisme hellénique. Le gouvernement grec dépêcha aussitôt sur place des navires de sa marine de guerre, le 24 novembre 1900. Les opérations de renflouement de l'épave durèrent jusqu'en septembre 1901, et se soldèrent par la mort accidentelle d'un pêcheur et la paralysie de deux autres, frappés par le mal des profondeurs[2]. De nombreuses statues et statuettes en bronze et en marbre en furent retirés, dont la plus célèbre est un éphèbe souvent attribué à Euphranor ou à Lysippe (ces découvertes remplissent actuellement trois salles du Musée national archéologique d'Athènes), ainsi que des objets divers (instruments chirurgicaux, lyre en bronze, etc.).

On considère que la découverte de la machine à proprement parler date du 17 mai 1902 quand l'archéologue Valerios Stais s'aperçut qu'un morceau de pierre ramené du site recelait des inscriptions et des engrenages incrustés. Un examen révéla qu'en fait de pierre, il s'agissait d'un mécanisme rouillé, dont il restait trois morceaux importants et 82 fragments plus petits.

En 1976, la Calypso est sur place et l'équipe du commandant Cousteau explore l'épave. Elle y découvre des pièces de monnaie et ceci permet de préciser la date du naufrage et la provenance du navire : en -86, l'armée romaine reconquiert la Grèce et met la ville de Pergame à sac. Le navire, à destination de Rome, aurait sombré lors d'une tempête.

Premières études et premières hypothèses

Le soin et l'adresse avec lesquels cette machine fut réalisée, ainsi que les connaissances nécessaires en mécanique et en astronomie en font une énigme hellénique, astronomique et mathématique.

En effet, un ancien préjugé était que l'aristocratie grecque fut réputée pour son dégoût des techniques et arts appliqués souvent laissés aux esclaves. Ils leurs préféraient des sciences plus abstraites, telles que les mathématiques ou la physique.

Seconde moitié du XXe siècle

Un calculateur ? C’est ce que voulut vérifier le Dr Derek de Solla Price, physicien et historien des sciences à l'université Yale. Utilisant le procédé de désoxydation électrolytique[1] et des radiographies aux rayons X, il étudia longuement le disque et fit apparaître un dispositif extrêmement complexe, comprenant, outre la vingtaine de roues dentées déjà répertoriées, des axes, des tambours, des aiguilles mobiles et trois cadrans gravés d'inscriptions et de signes astronomiques. En 1959, il publia un article préliminaire dans Scientific American, puis consigna les résultats de ses recherches dans Gears From The Greeks: The Antikythera Mechanism, A Calendar Computer from Circa 80 BC en 1973.

Par la suite, Allan Bromley et Michael Wright firent des études plus approfondies et remirent en question certains aspects de la reconstruction de Price.

Études au XXIe siècle

Comme il était impossible de démonter le disque sans l’endommager gravement et que d’autre part les moyens classiques, tel que la radiographie s’avéraient inadaptés, pendant des décennies toute nouvelle étude du disque fut bloquée jusqu’à ce que, en 2000, l’astronome Mike Edmunds de l’Université de Cardiff et le mathématicien Tony Freeth eurent l’idée d’utiliser le scanner.

Pour étudier un si petit objet de quelques centaines de grammes, il fallut construire un scanner à rayons X (en fait un tomographe à la fois de très haute résolution et de 450 kilovolts, pour que le faisceau puisse traverser l'objet dans le sens de la longueur), pesant, avec sa console, plus de huit tonnes.

Cet appareil, construit par X-Tek Systems [3], s’avère capable de reconstituer et produire des images tridimensionnelles avec une précision de 50 microns.

De plus, pour parachever cette nouvelle expertise scientifique, Edmunds suscita, à l'automne 2005, une équipe pluri-disciplinaire associant des astronomes, des physiciens, des mathématiciens et des paléographes des trois universités les plus concernées, impliquant les départements suivants:

  • Université de Cardiff, école de physique et d’astronomie (82 personnes) ;
  • Université d’Athènes : section d’astronomie, astrophysique et mécanique, dirigée par le professeur Triberis Georges (responsable : Pr Xénophon Moussas) (71 personnes);
  • Université Aristote de Thessalonique : section d’astrophysique, astronomie et mécanique du département de physique (72 personnes). (responsable : Pr John Seiradakis).

Pour Xénophon Moussas, directeur du laboratoire d'astrophysique de l'université d'Athènes, qui participe aux investigations en cours sur le disque: « La pièce grecque est beaucoup plus complexe que tous les astrolabes connus, puisque l’un des astrolabes les plus sophistiqués que l'on connaisse, conservé à Londres, au British Museum, ne comporte comparativement, que quelques engrenages et roues à dents » [4]. Il indique dans ce même article: « Nous avons pu découvrir de nouvelles inscriptions en grec, sur les pièces du mécanisme ou sur des fragments de feuilles de bronze et ainsi déchiffrer plus de 2 000 lettres contre seulement 900 pour Price. Ces textes, qui comptent au total un millier de caractères, sont à la fois un mode d'emploi de l'appareil et un traité d'astronomie, faisant référence aux étoiles. Chaque semaine nous en apprend un peu plus », s'enthousiasme-t-il. Quatre cadrans «au moins» — et non pas trois — indiquent les positions du Soleil et de la Lune, ainsi que, pour le plus petit des cadrans, les phases de notre satellite.

« Nous sommes sûrs aujourd'hui qu'il s'agissait d'une machine à calculer les mouvements du Soleil et de la Lune, peut-être aussi — nous n'en sommes pas certains — ceux de quelques planètes. Cependant, le terme d'horloge astronomique me paraît toutefois inapproprié, le mécanisme étant apparemment actionné par une manivelle. »

Il est encore probable que la manivelle ne soit qu’un simple remontoir mécanique.

D’autre part, la forme des caractères, comparée à celles d'autres inscriptions de la même époque, conduit les experts à dater la pièce de la fin du IIe siècle avant notre ère.

Perspectives

L'équipe du Projet de recherche a communiqué les résultats des analyses en cours lors d'une conférence internationale à Athènes [5], le 30 novembre et le 1er décembre 2006. La première publication a été faite par le journal scientifique Nature[6].

Description

Le mécanisme

Reconstruction
Reconstruction (profil)

Grâce aux données accumulées sur la structure interne de la machine, le mécanisme est connu en détail. Son fonctionnement est lui moins bien connu.

Cette machine de bronze, de forme circulaire, actuellement fragmentée en 3 parties principales exposées au Musée Archéologique d'Athènes, occupe le volume d'un petit boîtier haut de 21 cm, large de 16 et épais de 5 (dimensions d’un livre de taille moyenne).

Elle est composée de plus de 82 éléments dont une trentaine de roues dentées. Elle devait probablement être actionnée à la main ou par un système hydraulique. Son fonctionnement se base sur les mouvements différentiels des engrenages permettant de « calculer » la position des astres à un moment donné.

Les inscriptions

Elles sont composées de plus de 2 200 lettres grecques. Ces lettres gravées sur le bronze très petites de 1,5 à 2,5 mm de hauteur sont plus ou moins érodées. Leur forme indique les alentours de 100 avant J.-C..

Les inscriptions se divisent en deux types :

  • un texte astronomique « étrange » à l'avant du mécanisme (les mots Vénus, Hermès/Mercure, le zodiaque y apparaissent).
  • un « mode d'emploi » à l'arrière, combinant des indications sur les roues dentées, les périodes de ces roues et les phénomènes astronomiques.

Ce texte est déchiffré à 95% [7].

La nature des inscriptions suggère une origine sicilienne, fruit des héritiers d'Archimède. Il apparait sur le cadran supérieur les noms de six villes accueillant des jeux panhelléniques, cinq noms ont d'ores et déjà pu être déchiffrés, dont celui Olympie. Ce cercle divisé en quatre secteurs tournait d'un quart de tour pour une année, décrivant ainsi le cycle d'une olympiade.[8]

Interprétation

Elle semble être la première machine capable de restituer des données transformées après entrée d'autres données. De ce point de vue, elle peut être considérée comme un véritable calculateur.

Il est possible que ce soit une horloge de marine très perfectionnée, capable de faire le point géographique à tout moment pour fixer la longitude de l'observateur. Calcul redécouvert par l'occident chrétien seulement au XVIIIe siècle, et encore, uniquement lors du passage du soleil à son zénith, grâce à la persévérance de l'horloger autodidacte John Harrison contre les astronomes royaux, autour de 1734.

Objets similaires dans la littérature antique

Cicéron évoque deux machines semblables. Cela voudrait dire que cette technologie existait dès le IIIe siècle avant JC.

  • La première, construite par Archimède, se retrouva à Rome grâce au général Marcus Claudius Marcellus. Le militaire romain la ramena après le siège de Syracuse en 212 avant JC, où le scientifique grec trouva la mort. Marcellus éprouvait un grand respect pour Archimède (peut-être dû aux machines défensives utilisées pour la défense de Syracuse) et ne ramena que cet objet du siège. Sa famille conserva le mécanisme après sa mort et Cicéron l'examina 150 ans plus tard. Il le décrit comme capable de reproduire les mouvements du Soleil, de la Lune et de cinq planètes:
« hanc sphaeram Gallus cum moveret, fiebat ut soli luna totidem conversionibus in aere illo quot diebus in ipso caelo succederet, ex quo et in [caelo] sphaera solis fieret eadem illa defectio, et incideret luna tum in eam metam quae esset umbra terrae, cum sol e regione » Cicero, De Re Publica I, 14 (22) texte et traduction[9].

Les deux mécanismes évoqués se trouvaient à Rome, cinquante ans après la date du naufrage de l'épave d'Anticythère. On sait donc qu'il existait au moins trois engins de ce type. Par ailleurs, il semble que la machine d'Anticythère s'avère trop sophistiquée pour ne constituer qu'une œuvre unique.

Galerie

Notes et références

(en) Cet article est partiellement ou en totalité issu d’une traduction de l’article en anglais intitulé « Antikythera mechanism ».

  1. a  et b Pierre Le Hir, « Le mystérieux mécanisme d'Anticythère remet à l'heure la science des Grecs », Le Monde, 30 novembre 2006.
  2. Les circonstances de la découverte de l'épave d'Anticythère ont fait l'objet d'une conférence d'H. Vratsanou à la Société de Amis du Conseil National Archéologique en février 2007 : le quotidien grec Éleuthérotypia en a donné (el) un long compte-rendu
  3. Site de X-Tek Systems
  4. AFP, conférence de presse du 9 juin 2006
  5. conférence internationale à Athènes
  6. In search of lost time, Jo Marchant, Nature 2006;444;534-538
  7. (en) En ligne : iol.co.za, reproduction de l'article du Pretoria News, p.9, 6 juin 2006.
  8. Voir article de la BBC « Olympic link to early 'computer' » en date du 30 Juillet 2008
  9. Une traduction est disponible sur le site d' Itinera Electronica
  10. Extrait traduit in Long et Sedley, Les Philosophes hellénistiques, trad. Pierre Pellegrin et Jacques Brunschwig, Paris, Flammarion, coll. GF, 2001 : tome II Les Stoïciens, 54 L
  11. Une traduction est disponible sur le site d' Itinera Electronica

Voir aussi

Article connexe

Bibliographie

  • Pierre Le Hir, Le Secret du mécanisme astronomique d'Anticythère, dans Le Monde, 9 juin 2006 [lire en ligne].
  • Pierre Le Hir, Le mystérieux mécanisme d'Anticythère remet à l'heure la science des Grecs, dans Le Monde, 30 novembre 2006 [lire en ligne]
  • (en) M.T. Wright, « A Planetarium Display for the Antikythera mechanism », dans Horological Journal, 144 no 5, p. 169-173, mai 2002.
  • (en) Derek De Solla Price, « Gears from the Greeks: The Antikythera Mechanism—A Calendar Computer from ca. 80 B.C. », dans Science History Publications, New York, 1975 (ISBN 0871696479).
    Reprise de l'article publié dans Transaction of The American Philosophical Society, New Series, Volume 64, Part 7, 1974.
  • (en) Lucio Russo, The Forgotten Revolution : How Science Was Born in 300 BC and Why it Had to Be Reborn, Springer, 2004 (ISBN 3540203966).
  • Giovanni Pastore, Antikythera E I Regoli Calcolatori, Rome, 2006, privately published
  • François Tonic, Le mécanisme d'anticythère, dans Les grands secrets de l'archéologie n°8, printemps 2008

Liens externes

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